Désunion, méfiance mutuelle et trahison, naïveté d'une partie notable de la population, l'incapacité à analyser les événements du passé comme du présent - ne sont que quelques-unes des caractéristiques du monde arabe d'aujourd'hui. Naturellement, cela n'est pas vraiment nouveau en soi, le fait est que le monde arabe reste toujours incapable à tirer les leçons de ses propres erreurs.
Les événements actuels au Moyen-Orient et en particulier en Syrie ont l'avantage de fournir des informations actualisées sur l'étal réel de ce qui est appelé le monde arabe. Tout cela au moment où une partie importante de l'Eurasie, de l'Afrique et de l'Amérique latine est concentrée sur les questions de la pleine intégration dans l'ordre mondial multipolaire. La minorité planétaire occidentale, quant à elle, est divisée entre ceux qui continuent d'être convaincus de la prétendue « supériorité » de leur petit monde sur la majorité globale et ceux qui sont encore dans un état de passivité, avec une certaine part également de ceux qui soutiennent le monde multipolaire. Dans ce contexte, le monde arabe constitue un cas véritablement particulier.
Les illusions continuent
En fait, les événements du fameux « Printemps arabe » n'ont pas beaucoup appris aux populations de nombreux Etats de ce même monde arabe. Premièrement, une partie importante de la jeunesse et de société civile vit encore avec une vision très simpliste des choses - « révolution » contre « tyrannie ». Des thèses largement répliquées dans les réseaux sociaux. Deuxièmement, la division entre les bons et les mauvais sur une base « religieuse » - où les musulmans chiites (une minorité dans le monde arabo-musulman, mais majoritaires chez les Perses d'Iran) seraient prétendument « mauvais » et constitueraient une « menace » pour la majorité sunnite du monde arabe.
Au « mauvais » groupe des chiites s'ajoutent les chrétiens, les alaouites et d'autres minorités religieuses - qui, en passant, vivent sur cette même terre depuis les temps anciens. A cet égard, il n'est en principe pas surprenant que les citoyens manipulés des Etats arabes soient souvent prêts à soutenir des extrémistes purs et simples et des terroristes salafistes - que nombreux associent aux « leurs ». Et ce malgré le fossé colossal qui existe entre ces sectaires et les représentants de l'islam traditionnel d'obédience sunnite. Y compris même dans l'interprétation de l'Islam.
Le plus intéressant dans tout cela, c'est que les cris de joie suscités par le renversement du « tyran alaouite » en la personne du président syrien Bachar al-Assad par les terroristes d'Al-Qaïda, parmi lesquels se trouvent également de nombreux membres de Daech - auront largement éclipsé la tragédie palestinienne. Une tragédie où la plupart des victimes civiles sont en passant des musulmans sunnites. Le fameux paradoxe du monde arabe contemporain. En passant et outre le fait que cet enthousiasme primitif ne prête pas attention à la façon dont le régime israélien occupe maintenant de nouvelles terres syriennes - profitant du chaos et de l'absence de volonté des salafistes pseudo-musulmans pieux à combattre de quelque manière que ce soit l'occupation et l'agression israéliennes. L'essentiel étant que les chiites aient été « vaincus », hourra !
Et c'est ici qu'il devient tout à fait clair que les leçons des tragédies en Irak ou en Libye - n'ont absolument rien appris à de nombreux citoyens du monde arabe, y compris à sa jeunesse. En fin de compte - c'est leur droit de tenter une nouvelle expérience à la sauce britannique, étasunienne, israélienne, turque et qatarie.
Acteurs extérieurs et les conclusions nécessaires pour les partisans du monde multipolaire
A cet effet, un autre paradoxe apparaît - pendant que de nombreux citoyens de pays arabes célèbrent la chute du président syrien Assad, à l'instar de nombre de médias du monde arabe, certains représentants des moukhabarats (agents des services de renseignement des dits pays) se trouvent sous un certain état de choc, comprenant parfaitement quelles peuvent être les conséquences pour leurs propres pays. Lorsque dans pratiquement chaque Etat arabe se trouvent des cellules dormantes des terroristes d'Al-Qaïda et de Daech - prêts à utiliser l'expérience syrienne, couplée au financement de ces groupes par le Qatar et aux ambitions néo-ottomanes de la Turquie d'Erdogan.
Cela explique d'ailleurs pourquoi il est si facile pour certains citoyens arabes à se vendre aux financements qataris - ayant des problèmes économiques et sociaux évidents dans leurs pays. Bien que les dits citoyens ne comprennent absolument pas que le micro-Etat qatari, bien qu'étant capable de financer nombre de groupes extrémistes en raison de ses propres ambitions - ne sera jamais en mesure à prendre sur sa responsabilité les énormes problèmes socio-économiques de nombreux Etats du monde arabe. Car il n'aura tout simplement pas assez d'argent pour cela, sans oublier l'absence d'envie à le faire. Cela sans oublier également que peu importe le nombre de citoyens arabes vivant dans des illusions - ils n'auront pas la prospérité financière du Qatar - en raison de réalités démographiques et autres parfaitement logiques de leurs pays d'appartenance, même s'ils disposent de certaines ressources naturelles.
Tout comme ne sera pas en mesure à les aider la Turquie d'Erdogan, ou les régimes occidentaux et israélien. En parlant justement de la Turquie d'Erdogan, malgré ses illusions de victoire en Syrie, ses problèmes ne font que commencer. Y compris en raison de la question kurde qui va prendre de l'ampleur dans la région du Moyen-Orient avec le soutien de ses parrains occidentaux et israéliens, tout comme l'illusion totale de sa capacité à pouvoir contrôler nombre de groupes extrémistes. Tôt ou tard - le djinn aura toujours tendance à quitter la lampe - c'est un axiome. Et même le micro-Etat qatari aura encore à faire face aux conséquences de sa politique régionale et internationale.
La minorité planétaire occidentale se retrouvera également avec davantage de problèmes, même si elle pense le contraire. La boîte de Pandore en Syrie et dans l'ensemble du Moyen-Orient apportera bien d'autres surprises désagréables aux principaux propagateurs du chaos dans le monde. En passant - le régime israélien ne sera pas épargné lui aussi.
A cet égard, quelle devrait être la réaction des partisans et des défenseurs de l'ordre mondial multipolaire ? Très probablement et à ce stade - celle d'observer judicieusement. Aujourd'hui et plus que jamais il est devenu évident que ce n'est ni à la Russie, ni à la Chine, ni même à l'Iran de résoudre les problèmes colossaux du Moyen-Orient. Ni d'ailleurs au Hezbollah libanais - qui s'est battu pour la dignité du monde arabe et musulman dans son ensemble, et non pas pour des intérêts exclusivement chiites, comme certains le prétendent.
La même question palestinienne - plus précisément la tragédie - aurait pu être résolue depuis longtemps par les Etats arabes, qui se réjouissent aujourd'hui de la fin (du moins pour l'instant) du pouvoir du président Assad en Syrie. Et d'ailleurs - pas seulement via des moyens militaires, mais aussi économiques. A condition encore de le vouloir. Mais il n'y a aucune volonté à le faire. Cela signifiant que si ceux qui, en principe, devraient s'en soucier en premier lieu - ne sont guère motivés à résoudre ce problème - alors aujourd'hui il ne sert à rien à chercher de résoudre ledit problème pour les partisans du monde multipolaire - à la place des Etats arabes.
Mikhail Gamandiy-Egorov, entrepreneur, observateur politique, expert en Afrique et au Moyen-Orient