27/12/2024 chroniquepalestine.com  11min #264568

 Gaza : chaque heure qui passe est une heure de génocide de trop

L'ultime résistance des médecins de l'hôpital Kamal Adwan et le « Serment d'Hippocrate »

26 décembre 2024 - Des Palestiniens pleurent la mort de cinq journalistes tués par les forces coloniales israéliennes après qu'une frappe aérienne ait visé leur véhicule garé devant l'hôpital Al-Awda dans le camp de réfugiés de Nuseirat, dans le centre de Gaza. Les journalistes - Ayman Al-Jadi, Faisal Abu Al-Qumsan, Mohammed Al-Lada'a, Ibrahim Al-Sheikh Ali, et Fadi Hassouna- travaillaient pour la chaîne Al-Quds Today, et leur camionnette était clairement identifiée par de grands panneaux « Presse ». Selon le Syndicat des journalistes palestiniens, au moins 193 journalistes ont été assassinés par Israël à Gaza depuis octobre 2023 - Photo : Yousef Al-Zanoun / Activestills

Par  Tareq S. Hajjaj

Depuis 75 jours, les médecins de cet hôpital du nord de Gaza résistent aux tentatives de l'armée israélienne de les évacuer de force, eux et leurs patients. Face à la mort, les médecins refusent toujours de partir, même si l'armée intensifie ses attaques.

Les patients tentent de dormir à l'intérieur de l'hôpital Kamal Adwan, dans le nord de la bande de Gaza. Mais juste à l'extérieur, ils peuvent voir un  robot télécommandé transportant des explosifs envoyés par l'armée israélienne. Ce n'est qu'une question de temps avant que la bombe n'explose.

Des chars et des bulldozers circulent toute la journée autour de l'hôpital et devant ses entrées. Le bruit des explosions et des balles ne s'arrête pas.

À l'intérieur de l'hôpital, la panique est permanente. À chaque nouvelle explosion ou fusillade, les patients fuient d'une aile à l'autre de l'hôpital, s'entassant dans les étroits couloirs de l'hôpital pour dormir comme des sardines, en espérant qu'ils seront en sécurité.

Telle est la réalité aujourd'hui à l'hôpital Kamal Adwan de Beit Lahia, l'un des derniers hôpitaux semi-fonctionnels du nord de la bande de Gaza. Depuis 75 jours, l'hôpital est assiégé par l'armée israélienne, qui a interdit l'entrée de nourriture, de médicaments et d'eau, tout en coupant périodiquement les communications à l'intérieur de l'hôpital, empêchant les médecins et les patients de communiquer avec le monde extérieur. Sans parler des bombardements incessants.

Ces derniers jours, l'armée a intensifié ses attaques contre l'hôpital.

Selon des témoins, l'armée israélienne a déployé des robots télécommandés qui s'approchent des portes de l'hôpital, des zones environnantes et de sa cour, et y déposent des boîtes remplies d'explosifs qui sont ensuite déclenchés à distance. L'armée israélienne a attaqué l'hôpital des dizaines de fois au cours des dix derniers jours, et en plus des explosifs télécommandés, l'armée a tiré des balles réelles et des obus sur l'hôpital, et a également utilisé des drones et des quadcopters dans ses attaques.

« Hier, nous avons passé une nuit éprouvante que personne ne peut imaginer. À l'aube, l'unité de soins intensifs a été violemment et directement prise pour cible, a déclaré le Dr Muhammad Barid à Mondoweiss depuis l'intérieur de l'unité de soins intensifs de l'hôpital, mardi 24 décembre.

« Certains des effets sont encore présents. Des obus sont tombés et ont déclenché des incendies à l'intérieur du service. Le service est surchargé de cas car l'unité de soins intensifs de l'hôpital Kamal Adwan est le seul service fonctionnant dans le nord de la bande de Gaza », a-t-il déclaré.

Le Dr Barid souligne la triste réalité à laquelle sont confrontés les patients de l'unité de soins intensifs, en insistant sur le fait que la plupart d'entre eux dépendent fortement de ventilateurs et nécessitent des soins constants de la part du personnel médical.

L'unité de soins intensifs, conçue pour accueillir seulement 16 patients, traite actuellement 47 personnes. En raison du manque de fournitures et d'un personnel à bout de souffle, les patients ne reçoivent un traitement qu'une fois par jour au lieu des trois fois habituelles, tandis que les patients dont les plaies s'infectent ne reçoivent qu'un seul changement de pansement sans autre soin.

Les patients et le personnel médical dépendent du peu de matériel qui a pu entrer dans l'hôpital par l'intermédiaire d'organisations humanitaires et de délégations médicales, malgré le siège incessant.

Ahmed Al-Barawi, un homme blessé allongé dans l'hôpital, raconte les expériences horribles qui l'ont empêché de se rétablir. Il explique que les circonstances désastreuses auxquelles il est confronté - en raison de l'insuffisance des traitements et du manque de fournitures médicales essentielles - ont transformé l'hôpital en quelque chose de méconnaissable.

« Ce n'est un hôpital que de nom. L'occupation [israélienne] nous a privé des soins les plus élémentaires », a-t-il déclaré. « Nous souffrons quotidiennement de l'insuffisance des fournitures médicales et ne recevons que les premiers soins. Pendant ce temps, les bombardements et les tirs continus sur l'hôpital ajoutent à notre désespoir », explique M. Al-Barawi.

Il détaille les événements de la veille, le 23 décembre, lorsque l'hôpital et ses environs ont été pris pour cible 𝕏 plus de dix fois. Selon lui, des générateurs électriques ont été incendiés, des bâtiments ont été endommagés et des patients ont été blessés par des portes et des vitres brisées.

« Hier, ils ont placé un 𝕏 robot à côté de l'hôpital et l'ont fait exploser. Nous avons dû quitter nos lits et avons passé toute la nuit dans les couloirs. Les bombardements et les tirs étaient omniprésents. »

Al-Barawi poursuit : « L'hôpital est devenu un lieu où les gens meurent plutôt que d'y être soignés », ajoutant qu'il y a pénurie non seulement de médicaments, mais aussi de nourriture et d'eau.

« Nous exhortons le monde à prêter attention, à se tenir à nos côtés, ne serait-ce qu'une fois, et à nous aider à lutter contre cet ennemi et ce siège - la douleur que nous éprouvons est insupportable pour n'importe quel être humain. Nous sommes des humains, si vous savez ce que signifie l'humanité, et non les animaux que l'occupation israélienne prétend que nous sommes ».

 Nord de Gaza : les Israéliens détruisent les derniers hôpitaux en service, en tuant médecins et patients

Le Dr Barid exprime sa profonde frustration face à l'absence de réponse internationale aux  appels lancés depuis des mois par les médecins de l'hôpital pour faire cesser les attaques de l'armée.

« Il n'y a aucune justification qui donne à quiconque le droit de cibler de tels endroits. Nous avons lancé des appels répétés au monde entier pour qu'il assure la protection des hôpitaux, mais malheureusement, personne n'a répondu. Il n'y a plus de messages à envoyer. Grand merci au monde entier », conclut-il avec sarcasme.

Nous respecterons notre serment de médecin

L'état des lieux actuel à l'hôpital Kamal Adwan met en évidence la situation désastreuse à laquelle sont confrontés les personnels qui assurent les soins de santé et les patients dans toute la bande de Gaza. Ce qui était autrefois des lieux de soins a été transformé en zones de guerre par Israël.

Depuis le 5 octobre, l'armée israélienne mène une campagne de nettoyage ethnique dans le nord de la bande de Gaza, dans le cadre du «  plan du général ».

En commençant par Jabalia, l'armée a imposé un siège paralysant visant à affamer les habitants, tout en intensifiant ses attaques militaires. Depuis, l'armée a étendu le siège et les attaques à toutes les zones du nord, telles que Beit Lahia et Beit Hanoun, forçant les habitants à se rendre au sud, vers la ville de Gaza. On estime que sur les 200 000 habitants du nord de la bande de Gaza présents en octobre de cette année, il n'en reste que quelques milliers.

Selon les habitants, une partie de la stratégie de l'armée pour forcer les gens à quitter le nord consiste à paralyser davantage le système de santé déjà dévasté. Tout au long du siège, l'armée a intensifié ses attaques contre les équipes de défense civile et les premiers intervenants, en bombardant leurs avant-postes et en attaquant leurs équipes, rendant ainsi impossible le sauvetage ou le traitement des blessés.

L'hôpital Kamal Adwan, le dernier à fonctionner dans le nord de Gaza, est devenu l'une des principales cibles des opérations militaires israéliennes.

Selon les médecins de l'hôpital, en 75 jours, l'armée israélienne a tué 17 membres du personnel médical de l'hôpital, en a blessé plus de 50 autres et a arrêté 46 personnes dans l'enceinte de l'hôpital.

Le docteur Hussam Abu Safiya, directeur de l'hôpital, qui a lui-même  été visé par les balles de l'armée israélienne, affirme que les attaques contre l'hôpital sont injustifiées. Il a fait remarquer que l'armée israélienne avait déjà effectué une descente dans l'unité de soins intensifs de l'hôpital en novembre 2023, et qu'aucune preuve n'avait alors été trouvée pour justifier les affirmations d'Israël selon lesquelles les hôpitaux étaient utilisés par le Hamas ou d'autres groupes armés.

L'armée israélienne est « consciente de son objectif [l'hôpital], car il n'y a pas d'autres établissements fournissant de tels soins dans le nord de la bande de Gaza », déclare le Dr Abu Safiya, décrivant le ciblage de l'hôpital comme violent et terrifiant, le comparant à une zone de guerre.

« Je ne sais pas pourquoi nous sommes bombardés de la sorte. Il est clair que les bombardements ont été effectués dans le but de tuer, si l'on en croit l'intensité des tirs sur les murs », déclare Abu Safiya.

« Il s'agit d'une situation des plus dangereuses, et nous avons demandé au monde entier, et nous continuons à le faire, une protection internationale. »

« Ce que nous voulons, c'est neutraliser l'hôpital contre les bombardements et les attaques. Cet établissement fournit des services humanitaires et n'accueille que des patients, des accompagnateurs, des blessés et du personnel médical. Je ne sais pas pourquoi nous sommes bombardés de la sorte », déclare-t-il.

Depuis le début de l'invasion par l'armée israélienne du nord de la bande de Gaza, au début du mois d'octobre, le Dr Abu Safiya a demandé instamment que des mesures soient prises pour protéger la vie des patients et aider les blessés. Mais en l'absence de réaction internationale, l'armée israélienne a continué d'imposer un siège étouffant à l'établissement dans le but de chasser les patients et les médecins, ainsi que tous les habitants qui refusent de quitter le nord de la bande de Gaza.

« Depuis 75 jours, nous demandons au monde entier d'assurer la protection internationale du système de santé. Il s'agit de lois établies par les conventions de Genève, qui stipulent la protection du système de santé », explique le Dr Abu Safiya.

« Où sont ces lois ? Quel péché avons-nous commis dans cet hôpital pour être bombardés et tués de cette manière ? »

Alors que le Dr Abu Safiya parle, deux explosions massives se font entendre en arrière-plan : « C'est le cas jour et nuit ; nous sommes laminés par ces bombes. Les éclats d'obus volent pendant que nous parlons devant le monde entier. Nous sommes bombardés toute la journée et toute la nuit de cette manière, que ce soit autour de l'hôpital ou à l'intérieur. »

Malgré les conditions horribles qui règnent à l'hôpital, les médecins de Kamal Adwan insistent sur leur  attachement au  serment qu'ils ont prêté au début de leur carrière médicale, en s'engageant à fournir des soins à ceux qui en ont besoin.

Ils sont déterminés à rester dans l'hôpital, refusant de le quitter quelles que soient les circonstances.

« Nous partirons lorsque le dernier Palestinien quittera le nord de la bande de Gaza », a déclaré le Dr Abu Safiya avec défi.

« Nous  resterons et nous servirons ceux qui sont ici. Il s'agit d'une mission humanitaire et notre message au monde est que nous fournissons des soins humanitaires et que nous ne devons pas être entravés. Nous nous sommes engagés à fournir des soins à ceux qui en ont besoin, et nous remplirons notre serment de médecins ici à l'hôpital Kamal Adwan ».

Mohammed Al-Sharif a contribué à ce reportage depuis l'intérieur de l'hôpital Kamal Adwan à Beit Lahia, au nord de Gaza.

Auteur :  Tareq S. Hajjaj

* Tareq S. Hajjaj est un auteur et un membre de l'Union des écrivains palestiniens. Il a étudié la littérature anglaise à l' université Al-Azhar de Gaza. Il a débuté sa carrière dans le journalisme en 2015 en travaillant comme journaliste/traducteur au journal local  Donia al-Watan, puis en écrivant en arabe et en anglais pour des organes internationaux tels que Elbadi,  MEE et  Al Monitor. Aujourd'hui, il écrit pour  We Are Not Numbers et  Mondoweiss.Son compte  Twitter.

25 décembre 2024 -  Mondoweiss - Traduction :  Chronique de Palestine

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