17/01/2025 mondialisation.ca  11min #266387

 Le Hamas : Nous avons délivré notre réponse sur l'accord de cessez-le-feu

Un cessez-le-feu ne mettra pas fin au programme génocidaire d'Israël

Par  Tariq Kenney-Shawa

Steven Witkoff, le nouvel envoyé de Donald Trump au Moyen-Orient, n'a pas fait de la dentelle lorsqu'il a informé les Israéliens qu'il arriverait samedi dernier pour rencontrer le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. Lorsqu'on lui a dit que sa visite coïncidait avec le Shabbat, c'est-à-dire que le Premier ministre ne serait pas disponible avant le soir, Witkoff  a clairement fait savoir que la fête juive ne saurait interférer avec son emploi du temps. Netanyahu, conscient des enjeux, s'est donc rendu à son bureau dès l'après-midi pour rencontrer l'envoyé. Celui-ci s'est ensuite envolé pour le Qatar dans le but de faire pression pour un accord de cessez-le-feu à Gaza.

On ne sait que peu de choses sur les détails de leur conversation, mais il est clair que Witkoff a réussi à faire bouger Netanyahou plus en une seule rencontre que toute l'administration Biden en plus de 15 mois. Le 15 janvier, Israël et le Hamas ont, en effet, convenu d'un accord de cessez-le-feu en plusieurs phases qui prévoit l'échange d'otages israéliens contre des prisonniers et captifs palestiniens, ainsi qu'un retrait total par Israël de Gaza.

Il est trop tôt pour dire si cet accord sera valable. La longue tradition israélienne de  violation des cessez-le-feu , conjuguée aux  exigences de certains des ministres israéliens de poursuivre le génocide, nous donne des raisons d'être sceptiques. Mais la nouvelle de la trêve a  apporté un soulagement indescriptible à des millions de personnes à Gaza, confrontées à une campagne d'annihilation depuis plus d'un an.

Si le cessez-le-feu à Gaza est maintenu, ce sera le résultat concret de la dynamique introduite par la nouvelle administration Trump – un rappel de la facilité avec laquelle Washington peut influencer les actions d'Israël s'il le souhaite réellement. Le président Joe Biden, aveuglé par son engagement envers un sionisme mythique qui n'existe que dans son imagination, n'a pas voulu voir à quel point la guerre était non seulement moralement grotesque, mais aussi préjudiciable aux intérêts américains et israéliens dans la région. À bien des égards, le génocide israélien à Gaza et sa campagne de déstabilisation régionale sont   devenus aussi la guerre de l'administration Biden .

Trump n'est pas soumis aux mêmes contraintes idéologiques et se préoccupe bien plus de ce qu'il peut tirer de telle ou telle relation. Trump a cherché à conclure un accord de cessez-le-feu non seulement parce qu'il constituerait un coup de pub massif – il peut se vanter à raison d'avoir résolu un problème que Biden n'a jamais pu résoudre – mais surtout parce qu'il permettra à son administration de se consacrer à d'autres priorités, comme la négociation d'un  accord de normalisation entre Israël et l'Arabie saoudite .

En d'autres termes, pour le président élu, un cessez-le-feu n'est pas une question de principe ou de moralité ; il s'agit d'une transaction. Alors que Biden a laissé tranquillement le génocide israélien à Gaza entraver un large éventail d'intérêts américains et régionaux, Trump, au contraire, est déterminé à éliminer tous les obstacles qui pourraient se dresser sur le chemin vers la réalisation de son programme plus large.

Le président élu et son entourage ont cependant également fait savoir qu'ils veilleraient à ce que Netanyahou, pour sa coopération, ait un retour sur investissement. Si le Premier ministre israélien parvient à un cessez-le-feu, même si ce n'est que pour la première phase, il s'attendra à une compensation – ​​et celle-ci prendra la forme d'un nouveau déplacement massif de la population palestinienne de Gaza et de Cisjordanie.

Un sac cadeaux troqué contre un cessez-le-feu

Il ne faut pas pour autant accorder trop de crédit à Trump. Les moyens de pression qu'il est prêt à utiliser pour influencer la conduite d'Israël n'ont pas vraiment changé. À notre connaissance, Trump n'a jamais menacé de conditionner l'aide militaire à Israël. Il n'a pas non plus indiqué qu'il pourrait reconsidérer la pratique de son prédécesseur consistant à ignorer le droit international afin de soustraire Israël à toute responsabilité sur la scène mondiale.

Certains diront que  les menaces de Trump et l'  effondrement de plusieurs  fronts de résistance dans la région ont forcé le Hamas à faire des concessions lors du processus de négociation. Mais ce n'est pas le Hamas qui avait besoin d'être convaincu – il avait déjà accepté les propositions de cessez-le-feu antérieures, remontant à mai 2024, qui se distinguaient peu de l'accord actuel,. En fin de compte, c'est Israël qui avait besoin d'être motivé, et Witkoff a probablement signalé à Netanyahou que, même s'il ne partageait pas la fidélité aveugle de Biden à Israël, Trump ferait en fait plus pour récompenser une coopération.

Le fait même que Netanyahou ait jusqu'à présent décidé de ne pas saboter cet accord de cessez-le-feu montre qu'il est convaincu de pouvoir obtenir quelque chose de significatif en retour. Les médias israéliens 𝕏 rapportent déjà que le « sac à cadeaux » de Trump à Netanyahou, en échange d'un accord de cessez-le-feu, pourrait inclure une longue liste de gâteries, allant de la levée des sanctions contre le logiciel espion Pegasus du groupe israélien NSO et contre  les colons israéliens violents , à l'octroi de la bénédiction de Washington à un vol de terres à grande échelle en Cisjordanie ou à  une annexion pure et simple , et à l'autorisation ou même à la facilitation d'une attaque directe contre l'Iran.

Mais il ne s'agit pas seulement de ce qu'Israël obtient en échange d'un cessez-le-feu. Il s'agit aussi de ce qu'il a déjà reçu.

Depuis qu'Israël a rejeté pour la première fois, il y a huit mois, l'accord presque identique dont le Hamas avait accepté le principe, son armée a massacré des dizaines de milliers de Palestinien.ne.s et décimé de vastes pans de la bande de Gaza. C'était le prix à payer pour qu'Israël atteigne ses véritables objectifs : non pas l'élimination du Hamas ni la libération des otages – dont beaucoup ont été  tués pendant qu'Israël tergiversait sur un cessez-le-feu – mais la destruction et la «  réduction » de Gaza et la refonte du Moyen-Orient.

Les faits sur le terrain à Gaza dressent aujourd'hui un tableau que nous ne pouvons encore pleinement appréhender. Les forces israéliennes ont démoli des quartiers entiers afin d'  élargir la zone tampon qui encercle la bande de Gaza, d'élargir le corridor de Netzarim qui divise le territoire en deux et, en fin de compte, de découper l'enclave en vue d'un futur contrôle définitif. Ce faisant, elles ont saisi  plus de 30 pour cent du territoire de Gaza d'avant le génocide, tout en rendant une grande partie du reste inhabitable.

Entre-temps, Israël a largement mené à bien ce qu'il a baptisé le  « Plan du Général » , à savoir le nettoyage ethnique de l'ensemble du nord de Gaza, au-dessus de Gaza City.  Beit Hanoun ,  Beit Lahiya et  Jabalia , des villes qui abritaient autrefois plus de 300 000 personnes, ont été réduites en ruines, ceci dans le cadre d'une campagne visant à dépeupler la région et à consolider le contrôle israélien, jetant ainsi les bases de  la construction de colonies juives .

Ailleurs, Israël a resserré son front avec le Hezbollah, et la chute d'Assad lui a permis de  s'emparer de nouvelles terres sur les hauteurs du Golan et sur les pentes orientales du mont Hermon/Jabal A-Shaykh. Pendant ce temps, en Cisjordanie, les attaques de colons contre les Palestinien.ne.s, soutenues par l'État, ont  augmenté en fréquence et en brutalité, tandis que l'Autorité palestinienne se montre partenaire à part entière dans la  répression croissante par l'armée israélienne de la résistance à Jénine, Naplouse et Tulkarem.

De toute évidence, Netanyahou a permis à l'accord de cessez-le-feu d'avancer, sachant que la scène était prête pour qu'Israël tourne son attention vers l'annexion de la Cisjordanie, la confrontation avec l'Iran et la consolidation de son avenir en tant qu'État forteresse assiégé.

Consolider une nouvelle réalité

Même si l'accord de cessez-le-feu ne survit pas au-delà de la période initiale de 42 jours, il sauvera sans aucun doute d'innombrables vies et donnera aux Palestinien.ne.s une chance de respirer, de manger, de faire leur deuil et de recevoir des soins médicaux. Mais si l'approche progressive de l'accord est censée rendre difficile le non-respect par Israël, tout dépend, en fait, de sa mise en œuvre effective. Pour l'instant, la seule chose susceptible de s'opposer à la reprise des massacres, une fois le cessez-le-feu en vigueur, serait le réveil d'une communauté internationale qui abandonne le peuple palestinien depuis plus d'un an.

Les principaux membres de la coalition d'extrême droite de Netanyahou ont  déjà prévenu qu'ils n'accepteraient rien de moins qu'une poursuite de l'offensive israélienne contre Gaza après la fin de la première phase de l'accord, même aux dépens des otages restants. Et après s'être attribué le mérite d'avoir obtenu le cessez-le-feu, rien n'indique que Trump tiendra Israël responsable ou fera pression sur Netanyahou pour qu'il applique les deuxième et troisième phases de l'accord.

Si le cessez-le-feu peut mettre un terme à l'effusion de sang, il cimente aussi une nouvelle réalité : Gaza est devenue une prison fragmentée et inhabitable. La grande majorité de la population de Gaza a été regroupée dans des camps de concentration hautement sécurisés et surveillés dans le sud et le centre de la bande de Gaza, où sa survie dépend des caprices d'Israël.

Le génocide ne se fait pas uniquement avec des bombes et des balles, et il ne s'arrête pas lorsque les armes se taisent. La maladie, la malnutrition et les traumatismes – non traités par un système de santé réduit en ruines – continueront de faire des victimes pendant des années, tandis qu'il faudra des décennies pour rendre la terre à nouveau habitable après la dévastation et les dégâts environnementaux. Et Israël ne va pas en rester là: il a créé les conditions d'un nettoyage ethnique complet et permanent de Gaza, guidé par la maxime sioniste vieille de plusieurs siècles qui prescrit « maximum de terres, minimum d'Arabes ».

Ce cessez-le-feu réduira l'intensité de la tuerie israélienne, mais il risque d'ouvrir la voie à une nouvelle phase éprouvante du génocide en cours, dont nul n'a encore pleinement saisi l'ampleur – une nouvelle phase pleinement soutenue par la nouvelle administration Trump. Le nettoyage ethnique de Gaza ne sera sans doute pas mené d'un seul coup, mais plutôt dans le cadre d'un processus au coup par coup qui prendra forme à mesure que nous appréhenderons l'ampleur de la destruction systémique par Israël de tout ce qui a pu soutenir jusqu'à là la vie dans la bande de Gaza.

Quel que soit l'avenir, nous devons nous accrocher aux  mots du regretté Refaat Alareer : « En tant que Palestiniens et Palestiniennes, quoi qu'il advienne, nous n'avons pas échoué. Nous avons fait de notre mieux. Et nous n'avons pas perdu notre humanité… Nous n'avons point cédé à leur barbarie. »

Cet article a été publié en partenariat avec The Nation. Lisez-le  ici .

Tariq Kenney-Shawa est chercheur en politique américaine à Al-Shabaka, un groupe de réflexion et réseau politique palestinien. Il est titulaire d'une maîtrise en affaires internationales de l'université Columbia et d'une licence en sciences politiques et études du Moyen-Orient de l'université Rutgers. Les recherches de Tariq se sont concentrées sur des sujets allant du rôle du récit dans la perpétuation de — et la résistance à — l'occupation, à l'analyse des stratégies de libération palestiniennes. Ses travaux ont été publiés dans Foreign Policy, +972 Magazine, Newlines Magazine et le New Politics Journal, entre autres. Twitter : @tksshawa.

Tariq Kenney-Shawa

Article original en anglais  :  972+ Magazine

Traduction : BM pour  Agence média Palestine

Image en vedette : Des Palestiniennes pleurent la mort du journaliste Ahmed Al-Shayyah, tué par une frappe aérienne israélienne peu après l'annonce de la conclusion d'un accord de cessez-le-feu, à l'hôpital Nasser de Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, le 16 janvier 2025. (Abed Rahim Khatib/FLASH90)

La source originale de cet article est  972mag.com

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