publié le 20/01/2025 Par Chris Hedges
Depuis plus de vingt ans, moi-même et une poignée d'autres - Chris Hedges and Sheldon Wolin: Can Capitalism and Democracy Coexist? Full Version , Chris Hedges interviews Noam Chomsky , Chalmers Johnson, Barbara Ehrenreich et Ralph Nader - sonnons l'alerte sur un danger essentiel : l'aggravation des inégalités sociales et la dégradation continue de nos institutions démocratiques - y compris les médias, le Congrès, les syndicats, les universités et les tribunaux - risquent inévitablement de conduire les États-Unis vers un système autoritaire ou fasciste chrétien. Mes ouvrages - Les Fascistes américains (2007), L'Empire de l'illusion : la mort de la culture et le triomphe du spectacle (2009), La mort de l'élite progressiste (2010), Jours de destruction Jours de révolte (2012) écrit avec Joe Sacco, Les Récompenses de la Rébellion (2015) et États-Unis : tournée d'adieu (2018) - sont une suite de plaidoyers appelant à prendre cette déliquescence américaine au sérieux. Et après toutes ces années, je ne me réjouis absolument pas d'avoir eu raison...
« Les colères des laissés-pour-compte de l'économie, les craintes et les inquiétudes d'une classe moyenne aux abois et en proie à l'insécurité, et le sentiment anesthésiant d'isolement qui accompagne la disparition des communautés, seront les éléments déclencheurs d'un dangereux mouvement de masse », écrivais-je dans Les Fascistes américains en 2007 :
« Si ces exclus ne sont pas réinsérés dans la société, s'ils finissent par perdre tout espoir de trouver de bons emplois stables et des perspectives pour eux-mêmes et leurs enfants - en bref, la promesse d'un avenir meilleur - alors le spectre du fascisme américain s'abattra sur la nation. Ce désespoir, cette perte de confiance, cette absence d'avenir, les ont jetés dans les bras de ceux qui leurs promettaient des miracles et des rêves de gloire apocalyptiques. »
Le président élu Donald Trump n'annonce pas l'avènement du fascisme. Il annonce l'effondrement du vernis qui masquait la corruption de la classe dirigeante et son simulacre de démocratie. Il est le symptôme et non la pathologie. Le recul des valeurs démocratiques fondamentales a commencé bien avant Trump, ce qui a ouvert la voie à un totalitarisme américain. La désindustrialisation, la déréglementation, l'austérité, les entreprises prédatrices - dont celle des soins de santé - échappant à tout contrôle, la surveillance à grande échelle de tous les Américains, les inégalités sociales, un système électoral gangrené par une corruption juridiquement légitimée, des guerres interminables et vaines, la plus grande population carcérale au monde, mais surtout des sentiments de trahison, de stagnation et de désespoir, forment un mélange toxique qui culmine dans une haine ancillaire de la classe dirigeante et des institutions qui ont été déformées pour servir exclusivement les ultrariches et les puissants. Et les Démocrates sont aussi coupables que les Républicains.
« Trump et sa coterie de milliardaires, de généraux, de gens à moitié cinglés, de fascistes chrétiens, de criminels, de racistes et de pervers moraux jouent le rôle du clan Snopes dans certains des romans de William Faulkner », ai-je écrit dans États-Unis : tournée d'adieu :
« Le clan Snopes a occupé le vide du pouvoir dans un Sud en décomposition et a pris implacablement le contrôle des élites aristocratiques dégénérées, autrefois esclavagistes. Flem Snopes et son immense famille - qui compte un tueur, un pédophile, un bigame, un pyromane, un handicapé mental qui copule avec une vache et un parent qui vend des billets pour assister à ce spectacle bestial - sont des représentations romanesques de la racaille aujourd'hui élevée au plus haut niveau du gouvernement fédéral. Ils incarnent la pourriture morale libérée de ses chaînes par un capitalisme sans entrave. »
« Bien qu'exact, le terme habituel d'amoralité n'est pas suffisamment précis et ne nous permet pas de situer les Snopes, comme il se doit, dans un contexte historique », a écrit le critique Irving Howe. « Le plus important est peut-être de dire qu'ils sont ce qui vient après : ce sont des créatures qui émergent de la dévastation, avec de la bave encore au coin des lèvres » :
« Qu'un monde s'effondre, dans le Sud ou en Russie, et voilà qu'apparaissent des personnages à l'ambition démesurée qui se frayent un chemin depuis le bas de l'échelle sociale, des hommes pour qui les exigences morales ne sont pas tant absurdes qu'incompréhensibles, des fils de charretiers ou de moujiks venus de nulle part et qui prennent le pouvoir par la seule démesure de leur force monolithique.Ils deviennent présidents de banques locales et présidents de comités régionaux du parti, et plus tard, un peu lissés, ils se frayent un chemin jusqu'au Congrès ou au Politburo. Pilleurs sans aucune inhibition, il ne leur est pas nécessaire de croire au code officiel de la société qui s'effondre ; il leur suffit d'apprendre à en imiter les bruits. »
Le philosophe politique Sheldon Wolin a qualifié notre système de gouvernance de « totalitarisme inversé », un système dans lequel l'ancienne iconographie, les symboles et le langage ont été conservés, mais qui a cédé le pouvoir aux entreprises et aux oligarques. À présent, il est temps de passer à la forme la plus familière du totalitarisme, celle qui est dominée par un démagogue et une idéologie fondée sur la diabolisation de l'autre, l'hypermasculinité et la pensée magique.
Le fascisme est toujours l'enfant bâtard d'un libéralisme en faillite. Ainsi, écrivais-je dans États-Unis : tournée d'adieu :
« Nous vivons dans un système judiciaire à deux vitesses, un système qui fait que les pauvres sont harcelés, arrêtés et emprisonnés pour des infractions absurdes, comme la vente de cigarettes à la sauvette - ce qui a valu à Eric Garner de mourir étouffé par la police de New York en 2014 - alors que des crimes d'une ampleur épouvantable commis par les oligarques et les entreprises - depuis les marées noires jusqu'aux fraudes bancaires à hauteur de centaines de milliards de dollars, qui ont fait disparaître 40 % de la richesse mondiale - sont sanctionnés par de timides contrôles administratifs, des amendes symboliques et des mesures exécutoires qui permettent à ces riches contrevenants de bénéficier d'une immunité contre toute poursuite pénale. »
Les utopies du néolibéralisme et du capitalisme mondial ne sont qu'une vaste escroquerie. La richesse mondiale, au lieu d'être répartie équitablement, comme le promettaient les partisans du néolibéralisme, a afflué vers le haut, dans les mains d'une élite oligarchique et rapace, alimentant les pires inégalités économiques depuis l'époque des barons voleurs. Les travailleurs pauvres, qui se sont vu privés de leurs syndicats, dont les droits ont été supprimés et pour qui les salaires ont stagné ou baissé au cours des 40 dernières années, ont été précipités dans une pauvreté chronique et dans le sous-emploi.
Leur vie, comme l'a décrit Barbara Ehrenreich dans Nickel and Dimed, n'est qu'une longue et stressante course contre la montre. La classe moyenne se volatilise. Les villes qui autrefois étaient productrices et offraient des emplois en usine sont aujourd'hui des friches industrielles. Les prisons débordent. Les entreprises ont orchestré la destruction des barrières commerciales, ce qui leur permet de dissimuler 1 042 milliards de dollars de bénéfices dans des banques à l'étranger pour éviter de payer des impôts.
Le néolibéralisme, alors qu'il promettait de construire et d'étendre la démocratie, s'est empressé de supprimer les réglementations et de vider les systèmes démocratiques de leur substance pour créer de véritables léviathans au service des grandes entreprises. Les étiquettes « libéral » et « conservateur » n'ont aucun sens dans l'ordre néolibéral, preuve en est la candidate Démocrate à la présidence Kamala Harris, qui 'A true patriot;' Kamala Harris thanks Liz and Dick Cheney for endorsing her , un criminel de guerre qui a quitté ses fonctions avec une côte de popularité de 13 %. Si Trump attire les foules, c'est parce que, bien que vulgaire et clownesque, il ridiculise la faillite de cette mascarade politique.
« Le mensonge permanent est le summum du totalitarisme », ai-je écrit dans États-Unis : tournée d'adieu :
« La vérité n'a plus d'importance. Seul compte ce qui est "conforme". Dans les tribunaux fédéraux, des juges incultes et incompétents sont au service de l'idéologie "conforme" des entreprises et des mœurs sociales rigides de la droite chrétienne. Ils méprisent la réalité, y compris la science et l'État de droit. Ils cherchent à bannir ceux qui vivent dans un monde fondé sur la réalité et défini par l'autonomie intellectuelle et morale.Les régimes totalitaires favorisent toujours les brutes et les imbéciles. Ces idiots au pouvoir sont dénués de toute véritable philosophie politique et de tout objectif. Ils se contentent de clichés et de slogans, pour la plupart absurdes et contradictoires, dans le but de légitimer leur avidité et leur soif de pouvoir. Cela vaut aussi bien pour la droite chrétienne que pour l'ensemble des tenants du libre marché et de la mondialisation. Cette fusion entre les entreprises et la droite chrétienne est l'union de Godzilla et de Frankenstein. »
Les chimères véhiculées sur nos écrans - y compris le personnage fictif de Trump dans The Apprentice - ont remplacé la réalité. La politique est burlesque, comme l'a illustré la campagne insipide de Kamala Harris peuplée de célébrités. C'est de la poudre aux yeux fabriquée par une armée de conseillers, de publicitaires, de services de communications, de promoteurs, de scénaristes, de producteurs de télévision et de cinéma, de techniciens vidéo, de photographes, de gardes du corps, de conseillers en garde-robe, de préparateurs physiques, de sondeurs, d'annonceurs publics et de nouvelles personnalités de la télévision. Notre culture est ainsi inondée de mensonges.
« Le culte du moi domine notre paysage culturel », écrivais-je dans L'Empire de l'illusion :
« Ce culte présente les traits classiques des psychopathes : charme superficiel, grandiloquence et suffisance, besoin de stimulation permanente, propension au mensonge, à la tromperie et à la manipulation, incapacité à éprouver des remords ou de la culpabilité. Telle est, bien sûr, l'éthique promue par les entreprises. C'est l'éthique du capitalisme sauvage. C'est la croyance erronée selon laquelle la personnalité et l'avancement personnel, assimilés à l'individualisme, sont synonymes d'égalité démocratique.En fait, la personnalité, définie par les marchandises que nous achetons ou consommons, est devenue une compensation pour notre perte d'égalité démocratique. Dans un contexte de culte du moi, nous avons le droit d'obtenir tout ce que nous désirons. Nous pouvons tout faire, même rabaisser et détruire ceux qui nous entourent, y compris nos amis, pour gagner de l'argent, être heureux et devenir célèbre. Une fois la célébrité et la richesse acquises, elles deviennent leur propre justification, avec leur propre moralité. La manière dont on y parvient n'a aucune importance. Une fois qu'on y est parvenu, ces questions ne se posent plus. »
Cet ouvrage commence au Madison Square Garden lors d'une tournée de la World Wrestling Entertainment. J'avais compris que le catch professionnel servait de modèle à notre vie sociale et politique, mais je ne savais pas qu'il donnerait naissance à un président.
« Les rencontres se déroulent selon des rituels codifiés », dans ce qui aurait pu être une description d'un rassemblement en soutien à Donald Trump :
« Ils sont l'expression publique des sentiments négatifs et d'un désir fervent de vengeance. Plus que les combats de catch proprement dits, ce sont les détails et les sagas qui se cachent derrière chaque rencontre qui déchaînent la frénésie des foules. Ces combats ritualisés offrent à ceux qui sont entassés dans les arènes un exutoire temporaire et enivrant de leur vie quotidienne. Le fardeau des problèmes réels est transformé en combustible pour une pantomime à haute énergie. »
La situation ne va pas s'améliorer. Les outils permettant d'étouffer toute dissidence ont été mis en place. Notre démocratie s'est effondrée il y a des années. Nous sommes en proie à ce que Søren Kierkegaard appelait « la maladie qui mène à la mort » - le désespoir qui engourdit l'âme et conduit à l'avilissement moral et physique. Tout ce que Trump doit faire pour établir un État policier à l'état pur, c'est d'appuyer sur un interrupteur. Et L'Empire de l'illusion se conclut par ces mots :
« Plus la réalité se dégrade, moins la population aux abois veut en entendre parler, et plus elle cherche une diversion dans des pseudo-événements sordides, des ruptures de célébrités, des ragots et des futilités. C'est là la débauche d'une civilisation mourante. »
Texte traduit et reproduit avec l'autorisation de Chris Hedges.
Source : Scheerpost - 23/12/2024