Dans quelques semaines, Trump ne pourra peut-être plus faire pression sur Netanyahou, mais pour des raisons différentes de celles de Biden.
Source: Responsible Statecraft, Paul R. Pillar
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
L'accord de cessez-le-feu concernant la bande de Gaza peut être accueilli comme un modeste répit après les immenses souffrances endurées par les habitants de ce territoire au cours des 15 derniers mois.
L'assaut militaire israélien sur la bande de Gaza a fait plus de 46 600 morts selon le décompte officiel. Ce décompte sous-estime probablement de plus de 40 % le nombre réel de morts, la majorité d'entre eux étant des femmes, des enfants et des personnes âgées.
Ce chiffre s'ajoute à toutes les autres souffrances liées aux opérations militaires en cours. On dénombre plus de 111 265 blessés, dont certains souffrent de handicaps qui changent leur vie, dans un contexte de destruction massive du système de soins de santé par Israël.
Selon l'accord Israël s'engage également à autoriser l'entrée dans la bande de Gaza d'un plus grand nombre de camions transportant l'aide humanitaire qui fait cruellement défaut. La libération d'un certain nombre d'otages israéliens pris par le Hamas lors de l'attaque d'octobre 2023 compte également parmi les contreparties. Plusieurs centaines de Palestiniens emprisonnés par Israël seront également libérés. Ces derniers peuvent également être considérés comme des otages. En effet, même si certaines des personnes concernées ont été condamnées à des peines d'emprisonnement, de nombreux Palestiniens incarcérés par Israël sont détenus indéfiniment sans inculpation, au secret et sans représentation légale.
Au-delà de ces mesures encourageantes, l'accord qui vient d'être conclu ne permet guère d'espérer des progrès tangibles vers la paix et la stabilité dans cette partie du monde. Certes, la suspension des opérations militaires met un terme à certaines souffrances immédiates, mais elle n'efface pas les terribles dégâts qui ont transformé ce qui était déjà une prison à ciel ouvert en un terrain vague en très grande partie inhabitable. L'accord semble prévoir un retrait israélien des principaux centres de population et du corridor de Netzarim, permettant en principe aux familles de la partie nord de la bande de Gaza de rentrer chez elles, mais beaucoup ne retrouveront que des décombres.
L'accord présente tous les signes d'une pause qui sera seulement temporaire. Le cessez-le-feu est prévu pour une durée de six semaines, toute prolongation dépendant du succès de futures négociations. Une deuxième et une troisième phase sont envisagées, au cours desquelles les deux parties libèreraient d'autres otages et l'armée israélienne se retirerait davantage, tandis qu'un plan de reconstruction serait élaboré, mais pour l'instant, ces phases ne sont que des esquisses en termes d'objectifs, et non un véritable accord de principe. En bref, les négociateurs sont parvenus à un accord à court terme tout en éludant les questions les plus difficiles.
Il n'y a guère de raisons d'être optimiste quant aux chances de succès des négociations de suivi et au fait que les bombes ne recommenceront pas à tomber. Le Hamas a été suffisamment ébranlé pour que ses dirigeants considèrent très certainement qu'une prolongation indéfinie du cessez-le-feu sert leurs intérêts, mais il continuera à refuser d'abandonner tous ses arguments de négociation, à savoir les otages israéliens restants, sans obtenir d'autres concessions israéliennes en retour. Les plus grands obstacles à la prolongation du cessez-le-feu se trouvent du côté d'Israël, alors que le climat politique et stratégique va dans le sens d'une poursuite de la guerre pour une durée indéterminée.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou avait des raisons personnelles et politiques de maintenir Israël en état de guerre. En poursuivant le combat, il retardait le moment où il devra faire face aux conséquences des accusations de corruption portées contre lui et à l'inévitable enquête officielle relative aux échecs politiques qui pourraient avoir contribué à l'attaque d'octobre 2023 par le Hamas. Son contrôle du pouvoir dépend également du maintien de sa coalition avec des extrémistes de droite dont la vision de la politique concernant Gaza se résume à l'élimination complète de la population palestinienne qui y vit.
Le personnage le plus en vue de la droite dure, le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir, a menacé de quitter le gouvernement en raison de son opposition personnelle à un cessez-le-feu dans la bande de Gaza. Netanyahou pense probablement qu'il peut subtilement concilier les pressions contradictoires qu'il subit en alliant le regain de soutien qu'il obtiendra grâce au retour de certains des otages israéliens et à la conclusion d'accords privés avec Ben-Gvir et son collègue d'extrême droite, le ministre des Finances Bezalel Smotrich. Dans le cadre d'un tel arrangement, il serait envisagé qu'après le cessez-le-feu temporaire qui permettrait de ramener quelques otages, l'assaut militaire israélien contre Gaza reprenne.
Cette reprise pourrait avoir lieu après l'expiration du cessez-le-feu de six semaines et l'échec des négociations sur les phases deux et trois. Mais Israël pourrait aussi trouver des prétextes pour reprendre l'assaut plus tôt. Netanyahou a un lourd passé de non-respect des accords internationaux, à commencer par le mémorandum de Wye River conclu lors de son premier mandat de Premier ministre en 1998, qui prévoyait des retraits partiels de Cisjordanie qu'Israël n'a jamais mis en œuvre. Plus récemment, Israël a violé de manière répétée et à grande échelle l'accord de cessez-le-feu avec le Liban conclu en novembre dernier.
Les deux protagonistes des interminables négociations concernant la bande de Gaza continueront à ré-écrire l'histoire à leur avantage, mais le changement de cap qui a permis de parvenir à un accord aujourd'hui, plutôt qu'il y a quelques mois, est essentiellement à trouver du côté israélien. Netanyahou a insisté à plusieurs reprises sur le fait que le Hamas devait être « détruit » si on voulait que la guerre à Gaza prenne fin. Négocier avec quelqu'un que l'on a juré de détruire est depuis toujours un oxymore, mais aujourd'hui, le gouvernement de Netanyahou est parvenu à un accord négocié avec un Hamas qui n'est pas du tout détruit.
La politique américaine, les relations israélo-américaines et le changement d'administration à Washington expliquent la position israélienne. Le scénario qui s'est déroulé est le chapitre le plus récent de l'alliance politique entre Netanyahou et Donald Trump, et entre la droite israélienne et le Parti républicain.
Netanyahou a aidé Trump - son candidat favori aux élections américaines - en maintenant la guerre de Gaza en ébullition et en compromettant ainsi les chances du ticket Démocrate ; puis Trump ayant été élu sans encombre, en retirant la marmite bouillante du feu au moment même où Trump prend ses fonctions. Le passé qui nous vient spontanément à l'esprit est l'accord conclu par William Casey avec l'Iran pour que les otages américains restent détenus jusqu'à la victoire de Ronald Reagan sur Jimmy Carter lors de l'élection de 1980.
La déclaration de Trump, du 7 janvier, promettant que « l'enfer se déchaînera » si le Hamas ne libère pas les otages israéliens, n'était pas de nature à modifier les conditions de la négociation, dans la mesure où l'enfer décrit parfaitement ce que tout le monde dans la bande de Gaza, y compris le Hamas, était déjà en train de vivre. Néanmoins, indépendamment de cette réalité et des efforts déployés par l'administration Biden sortante pour s'attribuer le mérite de l'accord de cessez-le-feu, Trump pourra affirmer que c'est lui qui a permis à l'accord d'être conclu.
La possibilité existe toujours qu'une reprise de la guerre à Gaza devienne, d'ici quelques semaines, un problème pour Trump, comme elle l'a été pour Biden. Mais deux grands paramètres inciteront le président Trump à ne pas exercer de pression sur le gouvernement israélien afin que celui-ci renonce à relancer la destruction et le nettoyage ethnique dans la bande de Gaza. Le premier est la relation entre Trump et sa base politique évangélique domestique, laquelle soutient inconditionnellement la plupart des actions d'Israël. D'autre part, son allié Netanyahou lui a fait une grande faveur avec sa gestion des négociations de cessez-le-feu, et Trump doit maintenant lui rendre la pareille.
Le nouveau conseiller à la sécurité nationale de Trump adopte donc une position tout à fait conforme à celle d'Israël, s'exclamant : « le Hamas doit être détruit ».
Un tel scénario pour les mois à venir montre bien que le nouvel accord de cessez-le-feu ne contribue en rien à réduire les conflits à long terme dans la partie du monde où se trouve Gaza, aussi longtemps que les habitants de la bande de Gaza et les autres Palestiniens se verront refuser le droit à l'autodétermination.
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Paul R. Pillar est maître de conférence non résident au Centre d'études de sécurité de l'université de Georgetown et chargé de recherches non résident au Quincy Institute for Responsible Statecraft. Il est également chercheur associé du Geneva Center for Security Policy.
Source: Responsible Statecraft, Paul R. Pillar, 16-01-2025
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises