08/02/2025 journal-neo.su  7min #268306

 Yalta 1945 - Entre coopération et rivalité : quelles leçons pour l'ordre mondial d'aujourd'hui ? Partie 1

Yalta 1945 - Entre coopération et rivalité : quelles leçons pour l'ordre mondial d'aujourd'hui ? Partie 2

 Ricardo Martins,

Alors que les tensions mondiales s'intensifient, un nouvel accord dans l'esprit de Yalta est-il envisageable ? Cette section examine pourquoi une coopération entre grandes puissances reste improbable en 2025 et s'il existe encore un chemin, même étroit, vers la diplomatie et la stabilité dans un monde profondément divisé.

Un nouvel accord de type Yalta ? Peu probable dans le climat actuel

L'éventualité d'un nouveau compromis de type Yalta en 2025 semble hautement improbable en raison de plusieurs facteurs aggravants :

La crise ukrainienne et l'expansion de l'OTAN

L'implication des États-Unis et de l'Union européenne dans l'évolution politique de l'Ukraine, couplée à l'opération militaire spéciale russe de 2022, a exacerbé les tensions. L'expansion de l'OTAN, perçue par la Russie comme une menace directe, a entraîné une militarisation accrue et une hostilité mutuelle.

Le conflit en Ukraine a considérablement aggravé les tensions entre la Russie et les nations occidentales.  L'aspiration de l'Ukraine à rejoindre l'OTAN, mise en avant par les déclarations récentes du président Volodymyr Zelensky sur la nécessité d'intégrer l'Alliance ou d'envisager un réarmement nucléaire pour dissuader la Russie, est devenue un point de discorde majeur. La Russie considère l'expansion orientale de l'OTAN comme une menace existentielle, ce qui a conduit à une militarisation croissante et à une confrontation accrue entre les parties.

Sanctions et guerre économique

Les nations occidentales ont imposé de lourdes sanctions économiques à la Russie, visant explicitement à affaiblir le pays. Le Premier ministre britannique  Keir Starmer a appelé à des mesures économiques encore plus strictes contre Moscou, insistant sur la nécessité d'accroître la pression économique pour accélérer la fin de la guerre en Ukraine.

Ces sanctions ont certes fragilisé l'économie russe, mais elles ont également renforcé la perception, à Moscou, d'une hostilité systémique de l'Occident, réduisant ainsi les chances d'une résolution diplomatique du conflit.

Cette semaine, les responsables de l'UE finalisent le 16ᵉ paquet de sanctions. Cependant, après que les sanctions ont dévasté les principales économies de l'UE,  Bruxelles envisage un retour au gaz russe.

Méfiance et polarisation idéologique

Contrairement à 1945, lorsque Roosevelt, Churchill et Staline ont trouvé un terrain d'entente malgré leurs divergences idéologiques, les dirigeants actuels semblent enfermés dans une hostilité rigide. Le climat géopolitique actuel est marqué par une profonde méfiance, positions antagonistes et une division idéologique exacerbée.

Alors que l'après-guerre mondiale avait permis aux grandes puissances de négocier malgré leurs différences, les dirigeants d'aujourd'hui adoptent des postures résolument antagonistes. L'Occident perçoit la Russie comme une menace à contrer plutôt que comme un acteur avec lequel il faudrait négocier, ce qui réduit encore davantage les perspectives d'un compromis.

L'attitude des dirigeants de l'UE qui refusent de négocier avec Poutine en est une illustration frappante. Cependant, l'arrivée de Donald Trump sur la scène politique a bouleversé cette dynamique en adoptant une approche plus pragmatique.

Actuellement, le champion de cette polarisation et de cette  rhétorique belliciste est le secrétaire général de l'OTAN, Mark Rutte, qui prononce des discours incendiaires sur le désir de la Russie d'envahir l'Europe, bien que les ressources matérielles et humaines nécessaires fassent défaut.

L'absence d'une menace unificatrice

La conférence de Yalta a été motivée par la nécessité de vaincre un ennemi commun - l'Allemagne nazie. En revanche, le paysage international actuel ne présente aucune menace suffisamment consensuelle pour obliger les grandes puissances à collaborer.

Aujourd'hui, la compétition géopolitique et les intérêts divergents dominent l'agenda, rendant toute percée diplomatique similaire à Yalta peu probable.

La diabolisation de la Russie dans le discours occidental

Le conflit en Ukraine a conduit à une série de ruptures culturelles, académiques et économiques avec la Russie à travers toute l'Europe, affectant artistes, universitaires et figures culturelles russes. Voici quelques exemples concrets :

Sphère culturelle :  Des spectacles russes ont été annulés et des appels à cesser toute collaboration avec des institutions culturelles russes ont émergé, notamment la fin du partenariat avec le musée de l'Ermitage à Amsterdam.

Sphère académique : En l'espace de deux semaines après le début de l'opération spéciale en Ukraine, toutes les collaborations entre universités et instituts de recherche russes et européens ont été suspendues, sans aucun débat. Cela inclut l'annulation d'un cours consacré à Dostoïevski en Italie.  Aux États-Unis, une controverse a éclaté sur l'opportunité ou non de couper tout lien avec les institutions académiques russes.

Sphère économique : De nombreux boycotts ont visé les entreprises russes et biélorusses, touchant divers secteurs et entraînant un isolement économique accru.

Ces décisions, bien qu'adoptées comme des prises de position politiques contre le gouvernement russe, ont également affecté des individus et des institutions qui n'ont aucun lien direct avec le conflit.

Ce phénomène a contribué à l'émergence d'une mentalité de type « nous contre eux », nourrissant une russophobie généralisée, surtout au niveau des médias dans leurs débats télévisés. Ceux qui avaient une position nuancée ou non conforme à la russophobie n'étaient pas invités à participer aux débats.

Dans ce contexte, une percée diplomatique comparable à Yalta reste hautement improbable.

Quelles perspectives pour l'avenir ? Existe-t-il un espoir de coopération ?

Même si un nouvel accord de type Yalta semble hors d'atteinte, la diplomatie reste la seule voie viable pour stabiliser les relations internationales. Voici quelques pistes envisageables :

Repenser le principe de sécurité indivisible : Plutôt qu'un modèle basé sur la domination, un cadre sécuritaire prenant en compte les préoccupations mutuelles pourrait permettre de rétablir la confiance.

Rétablir le dialogue diplomatique : Il est urgent de rouvrir les canaux de communication entre la Russie et les puissances occidentales, en particulier en Europe, afin d'engager une collaboration fructueuse en vue d'un avenir pacifique et coopératif.

Reconsidérer le rôle de l'OTAN : Si l'expansion de l'OTAN continue de générer des conflits, il conviendrait d'envisager des alternatives sécuritaires, voire d'envisager sa dissolution.

Miser sur une coopération économique et culturelle : La reconstruction des liens économiques et académiques pourrait atténuer l'hostilité et renforcer la confiance sur le long terme.

En somme, le monde de 2025 est bien différent de celui de 1945. Pourtant, l'histoire montre que même les adversaires les plus acharnés peuvent trouver un terrain d'entente lorsque leurs intérêts convergent. Le véritable défi aujourd'hui est de savoir si les dirigeants mondiaux sauront dépasser leurs rigidités idéologiques au profit d'une coopération pragmatique.

Sans cela, le monde risque de s'enfoncer davantage dans la division et le conflit, au lieu de renouer avec l'esprit de Yalta qui visait à garantir une paix durable.

Ricardo Martins, Docteur en sociologie, spécialiste des politiques européennes et internationales ainsi que de la géopolitique

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