08/02/2025 mondialisation.ca  43min #268344

La guerre contre Gaza : La fin de l'empathie et le dernier Homo occidentalis

Par  Amir Nour

"La mort de l'empathie humaine est l'un des premiers signes et le plus révélateur d'une culture sur le point de sombrer dans la barbarie"

(Hannah Arendt)

"Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres"

(Antonio Gramsci)

"L'homme qui voudra gouverner des hommes devra, plus que jamais, avoir une âme d'apôtre et des entrailles de père"

(Malek Bennabi) (1)

Un « Meilleur des mondes » dystopique devenu réalité

A présent que l'année 2024 a touché à sa fin, il est loisible de réfléchir plus pleinement au génocide infligé par Israël au peuple de Gaza. Ma réflexion, exposée dans une série d'articles commencée il y a un an, est en fait un accompagnement d'une guerre qui, dès son déclenchement le 7 octobre 2023, apparaissait à bien des égards très différente de toutes les expéditions militaires israéliennes précédentes contre la population palestinienne. Ce contraste m'a convaincu (2) de l'appeler « la guerre pour mettre fin à toutes les guerres de Gaza ». J'avais également prédit que cette guerre aurait des conséquences durables et de grande envergure au regard de son potentiel à remodeler l'ensemble du Moyen-Orient, à exacerber davantage les tensions internationales et à provoquer une conflagration qui pourrait s'étendre au-delà d'une partie du monde qui a connu plus que sa part d'humiliations pendant plus d'un siècle.

Etant donné qu'une série d'événements majeurs semble confirmer la justesse de mon argumentation, loin d'en tirer satisfaction, je répéterai dans cette conclusion ce que j'avais anticipé dans l'introduction.

Gaza est aujourd'hui presque entièrement détruite et sa population subit un génocide sans précédent (3). Jusqu'à ses ultimes jours au pouvoir, l'administration américaine sortante a soutenu le massacre israélien par tous les moyens possibles. Le « cadeau d'adieu » (4) Président Joe Biden à Israël de 8 milliards de dollars (5) ventes d'armes est un pas de plus vers la réalisation du rêve sioniste d'un « Grand Israël », qui s'étendrait au-delà des frontières de Gaza et de la Cisjordanie pour incorporer des portions de territoire du Liban et de la Syrie, au prix de rivières de sang. À l'appui de cet objectif, huit législateurs israéliens ont récemment envoyé une lettre au ministre de la Défense Israel Katz appelant leur gouvernement d'extrême droite à intensifier le siège du camp de concentration de Gaza. Affirmant que la stratégie de l'armée israélienne n'était pas adéquate pour vaincre le Hamas, la lettre exigeait que l'armée utilise des sièges, la destruction des infrastructures et la liquidation physique de toute personne ne hissant pas le drapeau blanc pour purger le nord de Gaza de ses résidents, tout en insistant sur le fait que cette politique devrait être mise en œuvre dans d'autres parties de l'enclave (6) singulièrement étranglée.

De plus, aux yeux du nouveau président américain Donald Trump, un tel châtiment collectif n'est pas assez sévère. Comme si les Palestiniens pouvaient être brutalisés davantage que par le « crime de crimes » auquel ils sont soumis depuis plus d'un an, le Président élu a menacé le Hamas qu'il aurait « l'enfer à payer » si les otages n'étaient pas libérés avant sa prise de fonctions le 20 janvier 2025. Les responsables, a-t-il averti, « seront touchés plus durement que quiconque ne l'a été dans la longue et riche histoire des États-Unis d'Amérique ». Comme il fallait s'y attendre, Benyamin Netanyahou a remercié Trump pour son « fort soutien ». Pendant ce temps, l'ensemble du Moyen-Orient est dans un état de chaos et les flammes de la guerre se sont étendues au Liban, au Yémen, à l'Irak, à l'Iran et à la Syrie.

Sur la scène mondiale, la violence n'a jamais été aussi élevée depuis la fin de la guerre froide. Selon l'Institut norvégien de recherche sur la paix d'Oslo (7), il n'y a jamais eu autant de conflits armés dans le monde qu'en 2023 : 59 conflits étatiques et 75 conflits non étatiques ont été enregistrés dans 34 pays, dont beaucoup ont été provoqués et/ou alimentés par les puissances occidentales en Afrique et au Moyen-Orient, soit le plus grand nombre de conflits depuis le début de la collecte de données en 1946. En outre, le Président élu américain envisage un programme expansionniste visant le Panama, le Groenland et même le Canada pour des acquisitions potentielles, y compris au moyen de l'annexion, et en janvier 2024, « l'horloge de l'Apocalypse », qui met en garde contre le risque de guerre nucléaire depuis sa création en 1947, est réglée à minuit moins 90, son niveau le plus dangereux depuis la crise des missiles de Cuba en Octobre 1962.

Tirant la sonnette d'alarme, le Secrétaire général de l'ONU, António Guterres, a averti le Conseil de sécurité que près de huit décennies après l'incinération d'Hiroshima et de Nagasaki, les armes nucléaires représentent un danger évident pour la paix et la sécurité internationales, avec une puissance, une portée et une furtivité croissantes. Ce, alors que les États qui les possèdent sont absents de la table des négociations, et certaines déclarations ont soulevé la perspective d'un déchaînement de l'enfer nucléaire.

« Près de huit décennies après l'incinération d'Hiroshima et de Nagasaki, les armes nucléaires représentent un danger évident pour la paix et la sécurité mondiales, augmentant en puissance, en portée et en furtivité. Les États qui les possèdent sont absents de la table des négociations et certaines déclarations ont évoqué la perspective de déclencher l'enfer nucléaire »(8).

Pour le pape François, la possession de ces armes est « immorale » ; les Hibakusha, survivants d'Hiroshima et de Nagasaki, plaident pour un monde débarrassé de ces armes ; et pour Hollywood, où le film « Oppenheimer » a donné une image vivante de la dure réalité de l'apocalypse nucléaire, cette « folie nucléaire » doit cesser. Selon les termes de Guterres, « l'humanité ne peut pas survivre à une suite d'Oppenheimer ».

De toute évidence, ces appels ont du mal à trouver un écho favorable auprès des grandes puissances. Récemment, l'ex-Président russe et actuellement vice-président du Conseil de sécurité de la Russie Dmitri Medvedev, et le président Poutine ont averti que les provocations de l'Ukraine et de ses alliés occidentaux pourraient entraîner une guerre nucléaire. Leurs avertissements sont intervenus peu de temps après que le Président Biden a donné le feu vert à l'Ukraine pour utiliser des missiles à longue portée ATACMS de fabrication américaine pour frapper une installation d'armement russe dans l'Oblast de Briansk. Moscou perçoit cette provocation comme une réponse à l'envoi de milliers de soldats nord-coréens en Russie.

En réalité, ces développements capitaux sont le reflet d'un soulèvement mondial nourri par des fractures croissantes au sein des nations et entre elles : Occident contre Orient, Occident collectif contre Sud global, gauche contre droite, noirs contre blancs, hommes contre femmes, vieux contre jeunes, modernité contre tradition, irréligieux contre croyants, religion contre spiritualité, infox contre vraies nouvelles, et la liste n'est pas exhaustive. Notre époque est également celle d'une forte polarisation de la société, où des « hommes forts » autoproclamés accèdent au pouvoir dans un nombre croissant de pays pour devenir un élément central de la politique mondiale (9) et où les opinions tranchées et les vues radicales prospèrent, au milieu des progrès vertigineux de la science et de la technologie et d'une surcharge d'informations sans précédent.

En Occident en général et aux États-Unis en particulier, depuis au moins deux décennies, un grand nombre d'ONG, de penseurs, de politologues et de militants sociaux ont averti que l'inégalité sociale croissante et l'érosion constante des institutions démocratiques conduiraient inévitablement au populisme, à des États autoritaires et, plus généralement, à ce que Larry Diamond de l'Université de Stanford appelle la « récession démocratique ». Et dans les pays du Sud, cette évolution négative a donné lieu à une prolifération d'appels et un soutien de plus en plus fort à l'adoption de formes de démocraties non occidentales qui soient plus en phase avec leurs réalités historiques, politiques, économiques et socio-culturelles.

Par conséquent, dans la collision entre la propagande de l'establishment et le scepticisme déclaré des « complotistes » de tous bords – autrefois tolérés comme des excentriques inoffensifs, mais maintenant considérés comme de dangereux « nouveaux hérétiques » (10) qui doivent être éloignés de la vue du public – le débat nuancé se perd et la confusion règne en maîtresse.

Fondamentalement, ces évolutions déconcertantes dont nous tenterons d'analyser les principaux ressorts dans les paragraphes qui suivent, sont la résultante d'un long processus historique ayant sa source philosophique et idéologique à l'époque de la Renaissance et au Siècle des Lumières en Europe. Il s'agit en l'occurrence d'un anthropocentrisme porté à son zénith ; autrement dit de la croyance exaltée et aveugle en l'homme du futur, un « homme augmenté », idéalisé à l'extrême, voire divinisé, dès lors qu'il est appelé à devenir omniscient et omnipotent, grâce aux progrès de la science et de la technologie.

« La fin de l'histoire » ressuscitée à Gaza

Selon toute vraisemblance, une des principales conséquences imprévues de la guerre contre Gaza et du désastre humanitaire qu'elle a engendré est qu'elle fournit un élément de réponse important à la question controversée de Francis Fukuyama qui, étonnamment, n'a été suffisamment mise en évidence ni par les tenants de la thèse de la « fin de l'histoire », ni par ses opposants. Cela concerne plus précisément la deuxième partie de son questionnement, à savoir : la liberté et l'égalité politiques et économiques qui caractérisent l'état de choses à la présumée « fin de l'histoire » peuvent-elles faire advenir une société stable dont on peut dire que l'homme est, enfin, pleinement satisfait ? Ou bien alors la condition spirituelle du « dernier homme » de l'histoire, « privé de débouchés pour sa quête de maîtrise », le conduira-t-elle inévitablement à se plonger lui-même et le monde avec lui dans le chaos et l'effusion de sang inhérents à l'histoire ? (11)

Depuis plus de deux siècles maintenant, une tradition de pensée tenace, allant des premiers « positivistes » comme Auguste Comte et Friedrich Nietzsche aux « athées » contemporains tels que Richard Dawkins, Christopher Hitchens, Daniel Bennett et Sam Harris, en passant par les post-humanistes dont les chefs de file sont l'Israélien Yuval Noah Harari et le Suédois Nick Bostrum, postule que la modernisation rendrait toutes les religions obsolètes et fantasme sur un monde libre, démocratique, laïc et matériellement supérieur où la raison et la science guideraient l'humanité vers un avenir brillant et heureux. L'illustration la plus parlante de ce courant de pensée en est peut-être ce que déclarait en 1895 le politicien français Jean Jaurès :

« Ce qu'il faut sauvegarder avant tout, ce qui est le bien inestimable conquis par l'homme à travers tous les préjugés, toutes les souffrances et tous les combats, c'est cette idée qu'il n'y a pas de vérité sacrée, c'est-à-dire interdite à la pleine investigation de l'homme ; c'est que ce qu'il a de plus grand dans le monde, c'est la liberté souveraine de l'esprit ; c'est qu'aucune puissance ou intérieure ou extérieure, aucun pouvoir, aucun dogme ne doit limiter le perpétuel effort et la perpétuelle recherche de la race humaine (…) ; c'est que toute vérité qui ne vient pas de nous est un mensonge ; c'est que, jusque dans les adhésions que nous donnons, notre sens critique doit rester en éveil, et qu'une révolte secrète doit se mêler à toutes nos affirmations et à toutes nos pensées ; c'est que si l'idée même de Dieu prenait une forme palpable, si Dieu lui-même se dressait visible sur les multitudes, le premier devoir de l'homme serait de refuser l'obéissance et de le traiter comme l'égal avec qui l'on discute, mais non comme le maître que l'on subit» ! (12)

C'est ainsi que les adeptes de cette « nouvelle religion » ont régulièrement décrété la mort de la foi. Certains sont allés jusqu'à proclamer la « mort de Dieu », tandis que d'autres n'ont pas hésité à disserter sur rien de moins que les « funérailles de Dieu ». (13)

Le débat sur cette question aussi fascinante que lancinante de philosophie morale et politique – plus précisément celle de savoir si l'homme peut raisonnablement jouir d'une liberté illimitée au nom de ses droits individuels ; et si une telle liberté sans restrictions est compatible avec ses responsabilités vis-à-vis de la société et de la nature – a déjà eu lieu par le passé, en particulier il y a un siècle, sous les auspices de deux des plus grands philosophes de tous les temps : le Russe Fiodor Dostoïevski et l'Allemand Friedrich Nietzsche, qui continuent d'être influents à ce jour. Bien que leurs chemins ne se soient jamais croisés et qu'ils puissent être considérés comme des personnalités opposées – Nietzsche était l'un des plus véhéments critiques du Christianisme, alors que Dostoïevski était un romancier-philosophe aux fortes racines chrétiennes orthodoxes – de nombreux chercheurs ont vu une parenté intellectuelle entre eux. Il en est ainsi surtout parce qu'ils étaient tous deux opposés au rationalisme moderne, croyant fermement que son influence corrosive aurait de graves implications pour la civilisation et finirait par détruire toutes les convictions morales, religieuses et métaphysiques, précipitant ainsi la plus grande crise de l'histoire de l'humanité.

C'est lors d'une visite qu'il avait effectuée, en 1862, au Crystal Palace de Londres – construit en grande partie à partir de matériaux provenant de la première des expositions universelles, organisée dans la capitale de l'empire britannique en 1851 – que Dostoïevski perçut que cette « Grande exposition universelle des travaux de l'industrie de toutes les nations » incarnait les caractéristiques spécifiques de la modernité. Mais il y voyait aussi un symbole de la stérilité de la société moderne ; car en répondant à tous les besoins et désirs de l'homme, la culture moderne le mettra à l'abri de la douleur mais ne le libérera pas réellement. Au contraire, elle le transformera en un « consommateur automate », le « dispensera de l'exercice de la liberté » et, au final, le rendra « imaginativement imbécile ».

Quant à Nietzsche, il dit que le Christianisme est « la pratique du nihilisme (qui) persuade les hommes du néant ! Bien entendu, on ne dit pas ‘néant' mais ‘au-delà' ou ‘Dieu' (…) Quand on place le centre de gravité de la vie non pas dans la vie mais dans ‘l'au-delà' – dans le néant – on prive la vie de son centre de gravité » (14). Pour le philosophe allemand, une fois que l'existence de Dieu est niée et que le Christianisme et le nihilisme sont vaincus, la liberté et la créativité humaines deviennent illimitées. C'est alors seulement que son « Surhomme » (Übermensch) 15) peut advenir pour être le créateur de nouvelles valeurs, et ainsi combler le vide créé par la mort de Dieu (c'est-à-dire le déclin général de la foi en Occident). Le Surhomme est opposé au « dernier homme » qui est le symbole de l'homme moderne, l'homme qui se contente d'être à l'aise et ne cherche rien de grand. Dans un passage de son livre « De la généalogie de la morale », il écrit :

« Le rapetissement et le nivellement de l'homme européen sont notre plus grand danger, car ce spectacle fatigue… Aujourd'hui, nous ne voyons rien qui veuille devenir plus grand, nous pressentons que tout va s'abaissant, s'abaissant toujours, devient plus mince, plus inoffensif, plus prudent, plus médiocre, plus insignifiant, plus chinois, plus chrétien – l'homme, il n'y a pas de doute, devient toujours ‘meilleur'… Tel est le funeste destin de l'Europe… Désormais le spectacle qu'offre l'homme fatigue – Qu'est-ce que le nihilisme, sinon cela ? ».

Nietzsche avait aussi fait montre d'une rare clairvoyance, voire de prescience, lorsqu'il proclama : « Je connais mon sort. Un jour, mon nom sera associé au souvenir d'une chose immense : une crise sans équivalent sur terre, le plus profond choc des consciences, une décision prise contre tout ce qui avait été cru, exigé, consacré jusqu'alors. Je ne suis pas un homme, je suis de la dynamite » (16). Il s'agissait vraisemblablement d'une allusion à la montée de l'idéologie suprémaciste et expansionniste du nazisme qui se profilait à l'horizon et aux crimes contre l'humanité à grande échelle dont cette idéologie allait se rendre coupable lors des deux Guerres mondiales. Ironiquement, en 1889, peu après sa rencontre virtuelle avec Dostoïevski, Nietzsche a souffert d'une dépression psychotique qui a duré jusqu'à sa mort en 1900. En fait, selon une étude publiée dans Acta Psychiatrica Scandinavia en décembre 2006, la mort de Nietzsche n'était pas due à une paralysie générale, également appelée maladie de Bayle, comme on l'a longtemps cru, mais à une dégénérescence lobaire frontotemporale, ou dégénérescence frontotemporale, laquelle est une démence chronique.(17)

Mais tout en s'accordant sur le diagnostic de la « maladie » de la modernité, les deux philosophes divergèrent sur le « remède » et proposèrent deux voies diamétralement opposées : Nietzsche indiquait une voie « au-delà de Dieu », tandis que Dostoïevski proposait une solution qui ramène l'homme « à Dieu ».

Plus tard, l'euphorie suscitée par la fin de la Deuxième Guerre mondiale et le développement socio-économique significatif accompli sous l'effet notamment de la mise en œuvre du Plan Marshall en Europe occidentale durant les « Trente Glorieuses », ont eu pour effet de relancer la problématique de l'impact profond du progrès scientifique et technologique tant sur l'homme que sur l'environnement. A ce jour, ce débat est loin d'être résolu, en particulier s'agissant du rôle clé que l'Occident a joué et continue de jouer sur cette voie enthousiasmante mais périlleuse.

Il va sans dire qu'il ne saurait être question ici de remettre en cause ou de dénigrer la science et la technologie moderne – originaires en grande partie de l'Occident – ​​qui ont produit des succès remarquables et rendu des services inestimables à l'humanité tout entière dans presque tous les domaines de l'activité humaine.

En revanche, l'on peut aussi bien voir ce progrès comme un dilemme ou une bénédiction mitigée, et se demander s'il ne semble pas possible, au milieu de nos vies numériques, que le triomphe le plus sombre et le plus furtif de la Silicon Valley ait été de fusionner des technologies personnelles qui améliorent notre efficacité avec des technologies personnelles qui altèrent notre humanité (18); et si nous avons toujours le contrôle de ce rythme rapide de développement afin de garantir que nous – et les puissants futurs superordinateurs quantiques et la super intelligence artificielle – puissions orienter la recherche de manière à récolter les bénéfices du progrès technologique incessant tout en évitant ses pièges et travers potentiels.

Les choses étant ce qu'elles sont, l'humanité se trouve aujourd'hui au cœur d'un raz-de-marée de changements. Les astrologues attribuent les bouleversements de l'époque actuelle à « l'ère du Verseau » (19) et certains auteurs ingénieux et visionnaires comme Malek Bennabi (20), Alexandre Soljenitsyne, Jonah Goldberg et Yuval Noah Harari estiment qu'il s'agit d'un symptôme de la transition vers la prochaine étape de l'histoire de l'humanité.

Le lauréat du prix Nobel de littérature Alexandre Soljenitsyne a traité ce sujet avec éloquence dans un discours historique prononcé en 1978 (20)– à une époque où la Guerre froide battait son plein, et seulement quatre ans après avoir été déporté vers l'Ouest depuis son Union soviétique alors communiste. Il a observé que dans les sociétés occidentales la défense des droits individuels avait atteint des extrêmes tels que la société dans son ensemble était devenue sans défense contre certains individus ; et que la liberté destructrice et irresponsable avait trouvé un espace illimité. Une telle inclinaison de la liberté vers le mal, a-t-il dit, « s'est produite progressivement, mais elle est née avant tout d'un concept humaniste et bienveillant selon lequel il n'y a pas de mal inhérent à la nature humaine (…) La lutte pour notre planète, physique et spirituelle, une lutte aux proportions cosmiques, n'est pas une vague question d'avenir ; elle a déjà commencé. Les forces du Mal ont commencé leur offensive ; vous pouvez sentir la pression, et pourtant vos écrans et vos publications sont remplis de sourires prescrits et de verres levés. Quid de cette joie ? ».

Le philosophe russe s'est ensuite demandé comment un rapport de forces aussi défavorable a pu se produire et comment l'Occident a pu décliner de sa marche triomphale à sa maladie (actuelle). L' « erreur » selon lui devait être à la racine, à la base même de la pensée humaine des siècles passés, qui « est devenue la base du gouvernement et des sciences sociales et pourrait être définie comme un humanisme rationaliste ou une autonomie humaniste : l'autonomie proclamée et imposée de l'homme par rapport à toute force supérieure ». En conséquence de cette nouvelle façon de penser, la civilisation occidentale s'est fondée sur la tendance dangereuse à vénérer l'homme et ses besoins matériels, et tout ce qui dépasse le bien-être physique et l'accumulation de biens matériels, toutes les autres exigences humaines et caractéristiques de la nature plus subtile et supérieure ont été « laissées en dehors de la zone d'attention des systèmes étatiques et sociaux, comme si la vie humaine n'avait aucun sens supérieur ».

En concluant son discours magistral, Soljenitsyne a mis en garde contre un désastre imminent qui est en cours depuis un certain temps, à savoir la calamité d'une conscience humaniste déspiritualisée et irréligieuse. Il a avancé la proposition que si le monde n'est pas arrivé à sa fin, il s'approche d'un tournant majeur de l'histoire, et que si nous voulons sauver la vie de l'autodestruction, il faut un essor spirituel par lequel les humains devront s'élever à un nouveau niveau de vision. Cette ascension « sera semblable à l'ascension vers la prochaine étape anthropologique. Personne sur Terre n'a d'autre voie que celle de l'ascension ».

De son côté, Jonah Goldberg soutient que l'Amérique (États-Unis) et d'autres démocraties sont en danger parce qu'elles ont perdu la volonté de défendre les valeurs et les institutions qui soutiennent la liberté et la prospérité. Dans la conclusion de son livre, il affirme que l'idée de Dieu a rétréci dans la société et dans nos cœurs et que cela a eu un impact considérable sur la société. Une telle évolution négative, explique Goldberg, crée une ouverture à toutes sortes d'idées ; ce qui concorde avec la célèbre citation attribuée à Gilbert Keith Chesterton : « Lorsque les hommes choisissent de ne pas croire en Dieu, ce n'est pas qu'ils ne croient plus en rien, ils deviennent alors capables de croire en n'importe quoi » (22).

Même Francis Fukuyama semble avoir quelque peu gagné en lucidité au cours des années qui ont suivi la parution de son article original. Dans une interview en 2021 (23), l'historienne politique norvégienne Mathilde C. Fasting l'a interrogé sur le déclin du nombre de démocraties dans le monde, ainsi que sur la dégradation des structures démocratiques au sein des démocraties établies, notamment aux États-Unis et au Royaume-Uni. A sa question de savoir si « nous assistons à des ‘contre-vagues temporaires', pour citer Samuel Huntington, ou plutôt à des renversements fondamentaux qui démentent l'optimisme d'avant le millénaire », Fukuyama s'est contenté de dire : « Je ne pense pas que vous puissiez répondre à cette question à ce stade ».

Le sénateur Bernie Sanders a néanmoins partiellement répondu à cette question récemment, tout au moins en ce qui concerne ses volets politique et économique en fournissant des détails et des statistiques ahurissants (24). Les États-Unis, a-t-il déclaré, se transforment rapidement en deux Amériques : l'une composée de moins d'un millier de milliardaires qui disposent d'une richesse et d'un pouvoir sans précédent, et l'autre, où vit la grande majorité, composée de « dizaines de millions de familles qui ont du mal à mettre de la nourriture sur la table, à payer leurs factures et à craindre que leurs enfants aient un niveau de vie inférieur au leur ». Dans ce pays singulièrement inégalitaire, les trois hommes les plus fortunés (Elon Musk, Jeff Bezos et Mark Zuckerberg, dont les avoirs combinés s'élèvent à 955 milliards de dollars) possèdent plus de richesse que la moitié la plus pauvre du pays, soit plus de 165 millions de personnes ! En y ajoutant la richesse des autres milliardaires américains, les 1 % les plus riches possèdent désormais plus de richesse que les 90 % les plus pauvres ; et l'écart entre les très riches et le reste de la population se creuse, puisqu'ils s'approprient près d'un quart des revenus du pays chaque année – une inégalité que, selon les mots du lauréat du prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz, même les riches finiront par regretter, car « il y a une chose que l'argent ne semble pas avoir achetée : la compréhension que leur sort est lié à la façon dont vivent les 99 % restants ». Tout au long de l'histoire, nous le rappelle-t-il, « c'est quelque chose que les 1 % les plus riches finissent par apprendre. Trop tard » (25).

De surcroît, jamais auparavant dans l'histoire américaine si peu de conglomérats médiatiques – tous détenus par la classe des milliardaires – n'ont eu autant d'influence sur le public : on estime que six énormes sociétés de médias possèdent désormais 90 % de ce que le peuple américain voit, entend et lit. Cette poignée de sociétés « détermine ce qui est ‘important' et ce dont nous discutons, et ce qui est ‘sans importance' et ce que nous ignorons ». Les ultra-riches, explique Sanders, achètent également le gouvernement et sapent la démocratie américaine. Au cours du cycle électoral de 2024, souligne-t-il, « A eux-seuls, 150 milliardaires ont dépensé près de 2 milliards de dollars pour acheter des politiciens qui soutiennent leur programme et pour battre des candidats qui s'opposent à leurs intérêts particuliers ». Ces milliardaires – qui ne représentent que 0,0005 % de la population américaine – ont ainsi représenté 18 % du total des dépenses de campagne. Ce n'est pas « la démocratie. Ce n'est pas une personne, un vote. Ce n'est pas ce que ce pays est censé représenter », a déploré Sanders, et paraphrasant le Président Abraham Lincoln qui avait parlé d'un « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple », il en tire la conclusion que « aujourd'hui, nous avons un gouvernement de la classe des milliardaires, par la classe des milliardaires, pour la classe des milliardaires ».

En définitive, n'est-il pas permis de se poser les questions cruciales suivantes : le « Surhomme » (Übermensch) de Nietzsche (26) n'est-il pas le même homme imaginaire que l' « Homme de Vitruve », symbole allégorique emblématique de l'humanisme, de la Renaissance, du rationalisme, et de « L'homme au centre de l'Univers » dessiné par le génial mais mystérieux Léonard de Vinci dont le 500e anniversaire de la mort a été commémoré en grande pompe dans de nombreux pays occidentaux en 2019 ? (27) N'est-ce pas que ce « fou » qui déclarait « Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et nous l'avons tué ! » (28) est l'expression d'un anthropothéisme impérissable qui, du « Prométhée » mythologique grec à l' « Homo Deus » des transhumanistes contemporains comme Elon Musk, devenu ministre dans le gouvernement de Donald Trump, est poursuivi aujourd'hui encore avec plus d'obstination et infiniment plus de connaissances scientifiques et de moyens technologiques, dans une quête insensée, voire suicidaire d'un homme-dieu « fabriqué » dans les laboratoires des « Silicon Valley » du monde « développé » ? Et tout compte fait, ne vivons-nous pas dans un « Meilleur des mondes », presque exactement comme l'imaginaient le Russe Evgueni Zamiatine et les Britanniques Aldous Huxley et George Orwell au siècle dernier, où des concepts tels que la modernité, la laïcité, le développement et le progrès ne sont rien de plus que des vues utopiques, des chimères anciennes qu'une minorité de puissants capitalistes continue de présenter à la majorité comme des idéaux à poursuivre ?

Nihilisme, fin de l'empathie et destin de la civilisation occidentale

Comme nous l'avons signalé précédemment, l'antagonisme de l'Occident avec la Chine est aujourd'hui essentiellement de nature économique et concernera demain les termes et conditions de la gestion – avec elle et d'autres puissances émergentes – du monde politiquement. Quant aux divisions entre l'Occident collectif d'une part, et les sphères russe et islamique d'autre part, elles résident d'abord et avant tout dans des divergences culturelles fondamentales et anciennes.

Dostoïevski et Soljenitsyne n'aimaient pas l'Occident parce qu'ils considéraient qu'il corrompait l'âme de la Russie, et en cela ils étaient loin d'être les seuls. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que le Président Poutine considère « Les Frères Karamazov » comme son roman préféré. Il n'est pas étonnant non plus que le philosophe politique Alexandre Douguine, surnommé « le cerveau de Poutine » dans les médias étrangers, pense que « l'Occident, dans sa forme contemporaine, représente un phénomène antichrétien, dénué de tout lien avec les valeurs du Christianisme ou l'adhésion à la croix chrétienne. Il est essentiel de reconnaître que lorsque le monde islamique entre en conflit avec l'Occident il ne s'engage pas dans un conflit avec la civilisation du Christ, mais plutôt avec une civilisation antichrétienne que l'on peut qualifier de civilisation de l'Antéchrist »(29). Ce qui est, en revanche, quelque peu surprenant mais très significatif, c'est l'information selon laquelle le roman de Dostoïevski « Nuits blanches », écrit en 1848, est devenu le classique le plus vendu de l'année 2024 au Royaume-Uni. Les éditions Penguin ont connu une croissance avec d'autres livres de l'auteur russe au cours des dernières années, « y compris son roman le plus consistant et le plus stimulant, Les Frères Karamazov, dont les ventes ont presque triplé depuis 2020 » (30).

Les divergences sont autrement plus prononcées s'agissant des relations entre la civilisation judéo-chrétienne occidentale et le monde de l'Islam. Elles touchent à des considérations essentielles relevant de visions du monde différentes. Malek Bennabi les a superbement résumées au siècle dernier en faisant remarquer que : « lorsqu'il est abandonné à sa solitude, l'homme se sent assailli d'un sentiment de vide cosmique. C'est sa manière de remplir ce vide qui déterminera le type de sa culture et de sa civilisation, c'est-à-dire tous les caractères internes et externes de sa vocation historique ». Il a estimé qu'il y a essentiellement deux manières de le faire : « soit regarder à ses pieds, vers la terre, soit lever les yeux vers le ciel. L'un peuplera sa solitude de choses matérielles, avec un regard dominateur voulant posséder. L'autre peuplera sa solitude d'idées, avec un regard interrogateur en quête de la vérité ». C'est comme cela que naissent, dit-t-il, deux types de culture : « une culture d'empire aux racines techniques, et une culture de civilisation aux racines éthiques et métaphysiques ». Il explique ensuite que pour chacun de ces deux types de civilisation, « le point de défaillance s'explique par l'excès de son noyau, c'est-à-dire : l'excès de matérialisme pour le premier et l'excès de mysticisme pour le second ». Et c'est ainsi que « l'adoption par la civilisation occidentale d'un matérialisme immodéré, tant capitaliste que communiste, a conduit à une destruction systématique du tissu moral de ses sociétés, entraînant progressivement le monde que cette civilisation a fini par dominer totalement dans une situation où l'humanité est de plus en plus submergée par les objets » (31).

Si les dirigeants occidentaux et leurs conseillers veulent réellement comprendre la psyché islamique en vue de concevoir des politiques plus respectueuses des peuples composant cette partie importante de la civilisation mondiale, ils gagneraient beaucoup à s'inspirer des idées résumées par Robert Nicholson dans un éditorial écrit en 2021 en relation avec le retrait américain d'Afghanistan. Choisissant un titre accrocheur (32), Nicholson soutient que malgré son investissement de « milliards de dollars, de dizaines de milliers de vies humaines et de deux décennies de guerre », l'Occident n'a pas réussi à comprendre que « la politique se trouve en aval de la culture, et la culture en aval de la religion ». Son « aveuglement (était) motivé par un noble désir de voir les humains comme des êtres égaux et interchangeables pour qui la foi et la culture sont des ‘accidents de naissance'. Mais ces accidents sont des vérités non négociables pour des centaines de millions de personnes qui préfèrent mourir plutôt que de s'en séparer ».

Le point de vue de Nicholson rejoint celui de Samuel Huntington en ce que les sociétés islamiques appartiennent à une civilisation distincte qui résiste à l'imposition de valeurs étrangères par la force. En effet, dans son œuvre majeure « Le choc des civilisations » Huntington soutient que « l'Occident a gagné le monde non pas par la supériorité de ses idées, de ses valeurs ou de sa religion (à laquelle peu de membres d'autres civilisations se sont convertis), mais plutôt par sa supériorité dans l'application de la violence organisée. Les Occidentaux oublient souvent ce fait ; les non-Occidentaux ne le font jamais ». Il a également averti que pour préserver la civilisation occidentale face au déclin de la puissance de l'Occident, il est dans l'intérêt des États-Unis et des pays européens de reconnaître que leurs interventions dans les affaires d'autres civilisations « est probablement la source la plus dangereuse d'instabilité et de conflit mondial potentiel dans un monde multi-civilisationnel ».

Huntington a raison. Les non-Occidentaux n'oublient pas, et les Palestiniens doivent en faire autant. C'est précisément la raison pour laquelle, dans ses mémoires récemment publiées, l'ancien Ministre algérien des Affaires étrangères Ahmed Taleb-Ibrahimi – citant son propre père Cheikh Bachir Ibrahimi qui avait identifié les fronts où la lutte anticoloniale devait se dérouler, selon la formule des « 3 M » : les Militaires, les Missionnaires et les Marchands – est d'avis qu'un quatrième « M », le front de la Mémoire, doit être utilisé dans le combat contre le sionisme. A cette fin, il a lancé un appel à l'adresse des jeunes d'Algérie et de tous les pays musulmans pour la structuration d'un musée dédié à la mémoire de la Nakba palestinienne. Semblable au musée israélien de l'Holocauste « Yad Vashem », une telle institution, dit-il, rappellerait avec une grande valeur pédagogique « les horreurs des périodes sombres de l'histoire de l'humanité » tout en remettant l'art et la culture « en conformité avec l'éthique et la morale ». Les musées contemporains qui incarnent la vision de Taleb-Ibrahimi sont, en autres, les musées des peuples autochtones des Amériques, la Maison des esclaves sur l'île de Gorée au Sénégal et le Musée de la bombe atomique à Nagasaki.

Dans le cas de Gaza, la meilleure expression de l'impact de la foi islamique sur ses adhérents a sans doute été fournie par Nour Jarada, une psychologue travaillant avec Médecins du Monde France. Parlant de la vie quotidienne dans une enclave rythmée par la guerre elle dit :

« Personne ne sait de quoi est fait le futur. Mais ce que je sais, c'est que les oppressions prennent toujours fin un jour. Comme l'écrivait le poète Abu al-Qasim al-Shabi : ‘S'il arrive au peuple, un jour, de vouloir vivre, il faudra bien que le destin réponde'. Et comme Dieu le promet dans le Coran : ‘A côté de la difficulté est, certes, une facilité !' Malgré tout ce que nous endurons, nous nous accrochons à notre force et notre résilience. Chaque jour, nous mettons de côté notre peine pour endosser nos rôles et tendre la main à ceux qui nous entourent. Venir en aide à ceux que le monde a oubliés donne un sens et un but à nos vies. Pourtant, j'ai aussi découvert en moi une résilience que je n'aurais jamais imaginé posséder. J'ai enduré la peur, le déplacement, la perte, les larmes et un chagrin inimaginable. J'ai fait face à tout cela patiemment, même quand je n'avais pas le choix. À travers tout cela, j'ai été porté par ma foi inébranlable, la conviction qu'il y a une raison à tout, même si Dieu seul le sait. Nous croyons en Dieu. Chaque épreuve que nous rencontrons porte en elle une sagesse que notre esprit ne peut pas comprendre. Nous confions notre cœur à Dieu, même lorsque l'épreuve semble au-delà de nos capacités humaines. Cette foi m'a poussée à persévérer, à continuer à travailler, à me battre et à soutenir ceux qui m'entourent ».(33)

Etant donné que les mêmes causes produisent les mêmes effets, il faudrait s'attendre à ce que l'histoire se répète une fois de plus ; et ce qui s'est passé en Afghanistan se produira aussi, tôt ou tard, au Moyen-Orient, même si les circonstances et les modalités auront leur propre caractère. Et comme le pense Nicholson, l'Occident doit se concentrer « sur la guérison de la maladie spirituelle qui nous a aveuglés en premier lieu, sur la récupération de notre propre sens de la civilisation et sur la réorientation de nos priorités en conséquence ». Cette réflexion rappelle celle du philosophe et historien arabe du XIVe siècle Abd ar-Raḥmān Ibn Khaldoun qui, dans sa « Muqaddimah » ou Prolégomènes, écrivit : « Parfois, lorsque l'empire est dans la dernière période de son existence, il déploie (soudainement) suffisamment de force pour faire croire aux gens que sa décadence a pris fin ; mais ce n'est que la dernière lueur de la mèche d'une bougie qui est sur le point de s'arrêter de brûler. Lorsqu'une lampe est sur le point de s'éteindre, elle émet soudain un éclat de lumière qui laisse supposer qu'elle se rallume, alors que c'est le contraire qui se produit ».

Dans le même esprit, la chroniqueuse du Guardian Nesrine Malik a observé que la destruction de Gaza par Israël est devenue « juste un aspect de la vie (qui) semble dire : oui, c'est le monde dans lequel nous vivons maintenant. Habitue-toi à ça » ! La dépréciation de la vie palestinienne implique de séparer nos vies des leurs, de séparer les mondes juridique et moral en deux – l'un dans lequel nous existons et méritons d'être libérés de la faim, de la peur et de la persécution, et l'autre dans lequel d'autres ont démontré une qualité qui montre qu'on ne leur doit pas la même chose. Une fois qu'on vous apprend à cesser de vous identifier aux autres sur la base de leur humanité, le travail de la nécropolitique (34) est terminé ». Soulignant que le caractère sacré de la vie humaine est ce qui nous sépare de la barbarie, Malik conclut que : « Le résultat final (de la barbarie) est un monde dans lequel lorsque l'appel pour venir en aide aux personnes dans le besoin sonne, personne ne sera capable d'y répondre ».(35)

Pour sa part, Omer Bartov, professeur israélo-américain d'études sur l'Holocauste et le génocide à l'Université Brown de New Jersey, dit que la guerre d'Israël contre Gaza combine des actions génocidaires, un nettoyage ethnique et l'annexion de la bande de Gaza ». Il avertit que l'impunité d'Israël est susceptible de mettre en danger l'ensemble de l'édifice du droit international. Il s'agit, dit-il, d'un « échec moral et éthique total de la part de ces mêmes pays qui prétendent être les principaux protecteurs des droits civils, de la démocratie et des droits de l'homme dans le monde ».(36)

Et pourtant, à contre-courant d'un consensus mondial émergent autour de la justesse de la cause palestinienne et de la condamnation du génocide à Gaza, les États-Unis continuent d'armer Israël ; le Royaume-Uni insiste sur le fait qu'il reste un « allié fidèle » d'Israël ; l'Allemagne persiste dans son soutien diplomatique et militaire à Israël ; et la France a déclaré que Netanyahou bénéficie de l'immunité parce qu'Israël n'est pas membre de la Cour Pénale Internationale. La déclaration de la France n'est pas seulement une trahison de son soutien passé au statut de Rome de la CPI qu'elle a aidé à négocier en 1998, elle impliquerait une extension de l'immunité au Président Poutine, une perspective que l'Occident rejette catégoriquement.

Comment expliquer un tel comportement incompréhensible de la part de ces gouvernements ? En sus des considérations stratégiques, politiques et économiques examinées précédemment, les éléments d'information suivants peuvent fournir quelques clés pour aider à démêler cet écheveau.

La philosophe politique germano-américaine Hannah Arendt a écrit un jour : « La mort de l'empathie humaine est l'un des signes les plus précoces et les plus révélateurs d'une culture sur le point de tomber dans la barbarie ». Dans la même veine, dans un discours prononcé lors de sa campagne pour l'élection présidentielle de 2008 Barack Obama avait déclaré : « Le plus grand déficit que nous ayons dans notre société et dans le monde en ce moment est un déficit d'empathie », une lacune bien plus préoccupante que son déficit fédéral abyssal.(37) Et au Royaume-Uni, une enquête YouGov (38) de 2018 a révélé que 51 % des personnes interrogées dans ce pays seraient préoccupées par le déclin de l'empathie, estimant que la capacité des Britanniques à ressentir, comprendre et partager les sentiments des autres et à se mettre à la place d'autrui a diminué, contre seulement 12 % qui pensaient qu'elle avait augmenté. Une confirmation de ce phénomène a été apportée par les conclusions du rapport de 2019 du Forum Economique mondial, une puissante organisation dirigée par Klaus Schwab, chantre s'il en est du globalisme. La quatrième révolution industrielle, lit-on dans ce rapport, est marquée par un flou entre l'humain et la technologie dont le résultat a été « une augmentation de la solitude, une polarisation croissante et un déclin correspondant de l'empathie ».(39)

Une telle situation est tout sauf un phénomène nouveau dans la sphère occidentale, comme l'a documenté Christopher Powell dans son livre (40) où il a traité de questions centrales comme, par exemple, « Pourquoi les plus grands meurtres de masse de l'histoire de l'humanité ont-ils eu lieu au cours des cent dernières années ? » et « Pourquoi les colonisateurs européens ont-ils si souvent nié l'humanité des colonisés ? ».

La terre natale de Nietzsche, Arendt et Schwab – l'Allemagne dans ses versions impériale, nazie et fédérale – en est un exemple probant. Depuis la conférence de Berlin de 1884-1885 au cours de laquelle les États européens se sont arrogé le « droit » de dépecer le continent africain et les génocides qu'elle a commis peu après en Namibie et en Tanzanie, et jusqu'aux crimes contre l'humanité de la Seconde Guerre mondiale, la philosophie raciale de l'Allemagne enseignait que les Aryens étaient la race maîtresse et que certaines autres races étaient des « Untermensch » (sous-hommes). Cette philosophie s'est ensuite traduite par une politique de persécution impitoyable des populations que le Troisième Reich a eu à contrôler ou subjuguer (Juifs, Noirs, Slaves, Tsiganes, personnes handicapées, témoins de Jéhovah, etc.) au moyen de l'eugénisme, la stérilisation, l'euthanasie et le travail forcé dans des dizaines de milliers de sites d'incarcération, dont plus de 1000 camps de concentration. Quant à l'Allemagne fédérale d'aujourd'hui, son manque total d'empathie envers les Palestiniens n'a d'égal que son soutien inconditionnel et multiforme à Israël. Cela a même poussé les Chanceliers Angela Merkel et Olaf Scholz à déclarer à plusieurs reprises qu'un tel soutien avait la force d'une « raison d'État », c'est-à-dire d'une « transgression inavouée de la loi au nom d'un impératif supérieur de sécurité »(41). Un fait divers ayant fait le buzz sur Facebook en 2015 illustre parfaitement cette désorientation de la boussole morale (42) de l'Allemagne : Le 7 septembre 2015, un compte Facebook était rempli d'images d'un homme debout sur un pont, crachant sur une foule de réfugiés syriens traversant la frontière entre l'Allemagne et le Danemark, leur disant de rentrer chez eux et qu'ils n'étaient pas les bienvenus. Les commentaires d'internautes horrifiés soulignaient l'immoralité de son comportement et son manque d'empathie devant la souffrance de ces réfugiés. Cette situation d'ensemble de l'Allemagne a incité l'écrivaine et militante indienne Arundhati Roy à s'interroger : « Qui aurait imaginé que nous vivrions assez longtemps pour voir le jour où la police allemande arrêterait des citoyens juifs pour avoir protesté contre Israël et le sionisme et les accuserait d'antisémitisme ? »(43).

Pascal Bruckner avait avancé l'idée que l'Occident était capable de bien des abominations, mais qu'il était le seul à savoir se distancier de sa propre barbarie, et avait exprimé le vœu de voir d'autres régimes, d'autres civilisations s'inspirer de son exemple en disant : « Le plus grand cadeau que l'Europe puisse faire au monde, c'est de lui offrir l'esprit d'examen qu'elle a conçu et qui l'a sauvé de tant de périls. C'est un cadeau empoisonné, mais essentiel à la survie de l'humanité » (44). Dans les faits, il y a grosso modo trois catégories d'examinateurs de l'Occident par rapport à ses méfaits à travers l'histoire, que ce soit pour les crimes passés d'esclavage, de génocide et de colonisation, ou pour les agressions actuelles contre d'autres peuples et l'exploitation illégale de leurs richesses, y compris la tragédie palestinienne : il y a ceux qui reconnaissent les malfaiteurs et leurs mauvaises actions et appellent au pardon et à la rédemption (45) ; ceux qui admettent certains des pires crimes commis tout en recherchant d'autres « réalisations positives » susceptibles d'aider à dissoudre les crimes et à absoudre les coupables (46) ; et enfin ceux qui, purement et simplement, mythifient et glorifient les bourreaux tout en rejetant la faute sur les victimes en les culpabilisant de leur statut de victime.(47)

Bien avant Bruckner, c'est Malek Bennabi, un musulman algérien, qui vivait alors sous le joug du colonialisme français, qui a peut-être prodigué les meilleurs conseils à l'Occident et aux dirigeants mondiaux. Ayant observé la crise de la civilisation occidentale, son aboutissement dans une impasse, et la perte des motivations de son existence, il a déclaré que « la nouvelle civilisation ne doit être ni une civilisation d'un continent orgueilleux, ni celle d'un peuple égoïste, mais d'une humanité mettant en commun toutes ses potentialités » (48). Reconnaissant le pouvoir transformateur du fait européen dans le monde, il a appelé l'Europe – (l'Occident dans le jargon d'aujourd'hui) – à s'intégrer dans la conscience mondiale que sa civilisation a créée. Il a ensuite exprimé sa conviction que l'histoire continuera à se faire avec l'Europe :

« Pour le bien comme pour le mal, son choix a encore une importance mondiale (…) Nous ne devons pas laisser l'Europe se replier sur son axe, se retirer du monde pour bouder l'humanité qu'elle ne peut plus dominer. Il faut lui montrer (à l'Occident) que sa sécurité ne dépend pas de la puissance, mais du développement de sa conscience dans la dimension d'autrui et de son génie en harmonie avec les tendances actuelles et un intérêt humain supérieur ». Et parce qu'il était convaincu qu'on ne pouvait pas « s'engager dans l'ère œcuménique avec les complexes légués par le colonialisme », il a plaidé pour l'exigence universelle selon laquelle : « Une grande pitié pour soi-même et pour tout ce qui est humain doit inspirer ceux qui gouvernent en sachant que sous la plus grande perversion il y a toujours une possibilité de rédemption, et sous l'apparence de la force, il y a toujours une grande faiblesse qui résume les faiblesses humaines. Le pouvoir requiert de plus en plus les plus hautes qualités morales. L'homme qui voudra gouverner des hommes devra, plus que jamais, avoir une âme d'apôtre et des entrailles de père ».

Amir Nour

Article publié initialement en anglais :  The War on Gaza: The End of Empathy and the Last Western Man, Global Research, le 19 janvier 2025.

Traduction : El Watan

Notes :

(1) Malek Bennabi, « L'Afro-Asiatisme, conclusions sur la Conférence de Bandoeng », Le Caire, Misr S.A.E, 1956.

(2) Ces articles sont accessibles à travers le lien suivant :

 Amir Nour, Author at Global ResearchGlobal Research – Centre for Research on Globalization

En français :  La guerre contre Gaza : Un nouvel ordre mondial en devenir?;  La guerre contre Gaza: Un nouvel ordre mondial en devenir? Deuxième partie.

(3) Le 26 janvier 2024, la Cour internationale de justice (CIJ) a estimé qu'il était plausible qu'Israël commettait un génocide à Gaza ; Le 21 novembre 2024, la Cour pénale internationale (CPI) a émis des mandats d'arrêt à l'encontre du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et de l'ancien ministre israélien de la Défense Yoav Gallant pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre ; Le 5 décembre 2024, Amnesty International a publié un rapport de 296 pages détaillant le génocide d'Israël à Gaza ; et le 19 décembre 2024, Human Rights Watch a publié un rapport de 179 pages détaillant ce génocide. Voir John J. Mearsheimer, « The Moral Bankruptcy of the West », John's Substack, 24 Décembre 2024

(4) Chris Hedges, «Genocide: The New Normal », The Chris Hedges Report, 6 Janvier 2025.

(5) Ce montant est à ajouter aux 17,9 milliards de dollars d'aide militaire à Israël fournis entre Octobre 2023 et Octobre 2024, en plus des 3,8 milliards de dollars que les États-Unis versent à Israël chaque année. En somme, il s'agit d'un record absolu pour un seul exercice financier.

(6) Noa Spiegel, « Israeli Lawmakers Call on Military to Destroy Food, Water and Power Sources in Gaza », Haaretz, 3 Janvier 2025.

(7) Siri Aas Rustad, « Conflict Trends: A Global Overview, 1946–2023 », PRIO, 2024.

(8) António Guterres, « Nuclear Warfare Risk at Highest Point in Decades, Secretary-General Warns Security Council, Urging Largest Arsenal Holders to Find Way Back to Negotiating Table », Nations Unies, 18 Mars 2024.

(9) Gideon Rachman, « The Age of the Strongman: How the Cult of the Leader Threatens Democracy Around the World », The Bodley Head, London, 2022.

(10) Andy Thomas, «The New Heretics: Understanding the Conspiracy Theories Polarizing the World», Watkins, London, 2021.

(11) Lire mon article intitulé « La guerre contre Ghaza : Un nouvel ordre mondial en devenir ? (1ere partie) », El Watan, 26 Décembre 2024.

(12) Jean Jaurès, « Discours du 11 Février 1895 », Journal officiel, 1895, p. 275.

(13) Andrew Norman Wilson, « God's Funeral: The Decline of Faith in Western Civilization », W.W. Norton, 1999.

(14) Friedrich Nietzsche, « Antichrist », Alfred A. Knopf, New York, 1931.

(15) Lire mon article intitulé « La quête éperdue de l'Übermensch : De l'Humanisme de la Renaissance à la Naissance de l'Homme Robot », Réseau International, 9 Février 2019.

(16) Friedrich Nietzsche, « Ecce Homo: How One Becomes What Ones Is », T. N. Foulis, London, 1911. Rédigé en 1888, c'est le dernier ouvrage original de Nietzsche. Il fut publié à titre posthume en 1908. Ecce homo est une locution latine signifiant « voici l'homme » ; c'est la parole prononcée par Ponce Pilate lorsqu'il présenta Jésus de Nazareth à la foule pour le juger et le mettre à mort.

(17) M. Orth and M. Trimble, « Friedrich Nietzsche's mental illness–general paralysis of the insane vs. frontotemporal dementia », Acta Psychiatrica Scandinavia, Décembre 2006.

(18) Franklin Foer, « World Without Mind: The Existential Threat of Big Tech », Penguin Publishing Group, 2017.

(19) Lire à ce sujet : Emmanuelle Ringot, « Qu'est-ce que l'ère du Verseau, ce bouleversement astrologique imminent ? », Marie Claire, 14 juin 2021.

(20) Amir Nour, « Vers la réalisation de la ‘perspective bennabienne' de la finalité de l'Histoire ? », Algerienetwork.com, 10 Août 2017.

(21) Aleksandr Solzhenitsyn, « A World Split Apart », Harvard Commencement Address, 8 Juin 1978.

(22) Jonah Goldberg, « Suicide of the West: How the Rebirth of Tribalism, Populism, Nationalism, and Identity Politics Is Destroying American Democracy », Crown Forum, 2018.

(23) Voir : « Francis Fukuyama and Mathilde Fasting present ‘After the End of History'», YouTube, 8 Juin 2021.

(24) Bernie Sanders, « Sen. Bernie Sanders: Two Americas, the people vs. the billionaires », Fox News, 27 Décembre 2024.

(25) Joseph Stiglitz, « Of the 1%, by the 1%, for the 1 percent », Inequality, 31 Mars 2011.

(26) Lire à ce sujet : The Vigilant Citizen, « The Meaning of the Cryptic Messages on The Economist's ‘The World in 2019' Cover », 20 Décembre 2018.

(27) Voir : Amir Nour, « La civilisation moderne à l'épreuve », Réseau International, 4 Août 2019.

(28) Friedrich Nietzsche, « Le Gai Savoir », 1882.

(29) Alexandre G. Douguine, « My vision for the new world order and Gaza war », Al Majalla, 7 Novembre 2023.

(30) John Self, « Why Generation Z Loves Dostoevsky », Financial Times, 31 Décembre 2024.

(31) Malek Bennabi, « Le Musulman dans le monde de l'économie », 1972.

(32) Robert Nicholson, « The Unconquerable Islamic World », The Wall Street Journal, 19 Août 2021.

(33) Nour Z. Jarada, « Journal d'une Gazaouie : « Nous sommes morts de toutes les morts possibles », 31 Décembre 2024.

(34) Achille Mbembe, « Necropolitics », Duke University Press, 2019. Dans cet essai, Mbembe théorise la généalogie du monde contemporain, un monde en proie à des inégalités toujours croissantes, à la militarisation, à l'inimitié, à la terreur et à une résurgence des forces racistes, fascistes et nationalistes déterminées à exclure et à tuer.

(35) Nesrine Malik, « A new terror has entered the Gaza war: that it is ushering in an age of total immorality », The Guardian, 29 Juillet 2024.

(36) Democracy Now! : « "Total Moral, Ethical Failure": Holocaust Scholar Omer Bartov on Israel's Genocide in Gaza », 30 Décembre 2024.

(37) Lire également à ce sujet: Judith Hall & Mark Leary, « The U.S. Has an Empathy Deficit », Scientific American magazine, 17 Septembre 2020.

(38) The Week Staff, « Is Britain experiencing an ‘empathy crisis'? », 4 Octobre 2018.

(39) Global Risks, « Decline in Human Empathy Creates Global Risks in the ‘Age of Anger' », 8 Avril 2019.

(40) Christopher Powell, « Barbaric Civilization: A Critical Sociology of Genocide », McGill-Queen's University Press, 2011.

(41) Enzo Traverso, « Gaza devant l'histoire », Lux Editeur, 2024.

(42) Matthiesen, N., & Klitmøller, J., « Encountering the stranger Hannah Arendt and the shortcomings of empathy as a moral compass », Theory and Psychology, Aalborg Universitet, Danemark, 2019.

(43) Arundhati Roy, « No Propaganda on Earth Can Hide the Wound That Is Palestine: Arundhati Roy's PEN Pinter Prize Acceptance Speech », The Wire, 11 Octobre 2024.

(44) Pascal Bruckner, « En prônant le désamour de soi, nous nous fermons aux autres », dans « L'histoire de l'Occident, déclin ou métamorphose ?», le Monde Hors-série, 2014.

(45) Entre autres, les auteurs français : Emmanuel Todd qui, dans son livre « La défaite de l'Occident » (2024), a consacré un post-scriptum sous le titre « Nihilisme américain : la preuve par Gaza » ; Didier Fassin qui a écrit un livre sur « L'étrange défaite : le consentement à l'écrasement de Gaza » (2024) ; et François Martin qui a écrit un essai intitulé « Le temps des fractures : l'Occident contre le reste du monde » (2024).  

(46) Entre autres : l'auteur français Gilles Kepel qui considère que les attaques du 7 octobre 2023 sont un « pogrom » qui a produit « Le soulèvement du monde » (2024), et le commentateur politique britannique Douglas Murray qui, dans son livre « The War on the West : How to Prevail in the Age of Unreason » (2022) estime que ces dernières années, une guerre culturelle est menée sans remords contre toutes les racines de la tradition occidentale et contre tout ce que la tradition occidentale a produit de bon.

(47) Comme le professeur britannique Nigel Biggar dont le livre « Colonialism : A Moral Reckoning » (2023) est jugé scandaleux par beaucoup, et le Français Jean-François Colosimo pour qui les empires russe, ottoman, perse, chinois et indien du 19ème siècle sont de retour et se soulèvent contre « L'Occident, ennemi mondial n°1 » (2024).

(48) Malek Bennabi, « Les conditions de la renaissance », Editions En-Nahdha, Algiers, 1949.

(49) Dès 1956, Bennabi parlait de la réalisation d'une « grande mutation humaine » par laquelle « l'humanité, qui avait franchi avec le néolithique le premier niveau de son histoire en s'élevant au niveau des civilisations, doit maintenant passer au deuxième niveau de son histoire en s'élevant au niveau de la civilisation de l'homme œcuménique ».

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Amir Nour : Chercheur algérien en relations internationales et chercheur associé au Centre canadien de recherche sur la mondialisation (CRG). Il est l'auteur notamment des livres « L'Orient et l'Occident à l'heure d'un nouveau Sykes-Picot » et « L'Islam et l'ordre du monde », parus respectivement en 2014 et 2021 aux éditions Alem El Afkar, Alger.

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