Par Seymour Hersh, le 11 février 2025
Un président assoupi au volant a orchestré des désastres dans le monde et provoqué le retour de Trump à la Maison Blanche - cette fois avec Elon Musk.
Nous en sommes maintenant à trois semaines de la deuxième présidence de Donald Trump, et il a virtuellement confié le ministère du Trésor et plus d'une douzaine d'autres ministères et agences à Elon Musk et à son équipe de jeunes charognards du numérique. Ils sont en train de bafouer la Constitution tout en collectant des données économiques et des renseignements sur tout ce qui leur tombe sous la main, y compris vraisemblablement les détails sur les nombreuses relations d'affaires de Musk avec Washington depuis les coulisses du gouvernement. On peut même entendre Trump, qui a soixante-dix-huit ans, envisager de briguer un troisième mandat. Pourtant, de nombreux Américains, y compris des membres du Congrès, saluent ce chaos.
La clé du succès de Trump, comme nous le savons tous, fut la disparition de Joe Biden, dont les défaillances physiques et mentales ont été dissimulées au public américain pendant, on le sait maintenant, deux ans avant son désastreux débat avec Trump en juin dernier. Ce n'est que là que le Parti démocrate a fait face aux réalités, et a contraint Biden à renoncer à la campagne.
La famille et l'équipe dirigeante de Biden ont occulté la vérité jusqu'à ce qu'il soit trop tard pour organiser une convention publique et choisir un nouveau candidat. En fin de compte, Kamala Harris n'a pas été la meilleure option, mais la seule qui s'offrait à nous.
La presse américaine a également échoué.
J'ai eu mon premier aperçu de ce qui clochait dans la Maison Blanche de Biden à l'automne 2022, alors que je faisais des recherches et écrivais un article sur le rôle des États-Unis dans la destruction du gazoduc - un article publié ici en février 2023. L'article portait notamment sur la décision prise précédemment par le président de lancer un avertissement public au président russe Vladimir Poutine de ne pas attaquer l'Ukraine. Lors d'une conférence de presse télévisée à la Maison Blanche le 7 février 2022, l'avertissement s'est assorti de la promesse de détruire un gazoduc récemment achevé, le Nord Stream 2, sur le point d'acheminer d'énormes quantités de gaz naturel bon marché de la Russie vers l'Allemagne.
Poutine a ignoré la menace et a envahi l'Ukraine le 24 février. Sept mois plus tard, le 26 septembre, Nord Stream 2 et un gazoduc plus ancien, Nord Stream 1, ont été détruits par des mines posées par deux plongeurs de la marine américaine, parfaitement formés à leur travail en mer Baltique.
En septembre 2023, j'ai publié un article de synthèse qui dénonçait le déni persistant de la Maison Blanche quant à son rôle dans le sabotage du gazoduc. L'Allemagne et certains pays d'Europe se débattaient avec la pénurie de gaz bon marché et le gouvernement allemand déboursait des centaines de milliards d'euros en subventions aux ménages et aux entreprises pour les aider à se chauffer. Certains journaux ont consciencieusement repris les instructions du gouvernement - des services de renseignement - à Washington et à Berlin à propos d'un yacht de 15 mètres, qui aurait été loué par des Ukrainiens munis de faux passeports qui seraient impliqués dans le sabotage de l'oléoduc.
Ce n'est que récemment que je me suis rendu compte que j'aurais dû être plus attentif aux dernières lignes de mon premier article. "Ce fut une belle histoire de camouflage. Le seul défaut fut la volonté de le faire"., avais-je alors cité un responsable des renseignements impliqué dans l'affaire.
L'opération avait réussi sur un seul point : trois des mines placées sous l'eau ont fonctionné et le monde entier a assisté au spectacle déconcertant d'énormes quantités de méthane remontant à la surface. Les plongeurs n'ont pas disposé de suffisamment de temps sous l'eau - une immersion trop longue pourrait être fatale - pour poser la quatrième mine prévue.
Je sais aujourd'hui ce que j'avais besoin de savoir il y a deux ans.
Biden montrait des signes de délabrement - pertes de mémoire et chutes occasionnelles - bien avant que Poutine ne se mette à menacer l'Ukraine et à déployer des forces russes le long de la frontière ukrainienne. La communauté du renseignement américain a reçu l'ordre - le terme consacré est "mission" - de préparer un plan pour le 1er février 2022 en vue de la destruction des gazoducs Nord Stream. La Central Intelligence Agency a fait son travail et, en étroite collaboration secrète avec la communauté des forces spéciales norvégiennes, disposait de mines et d'une équipe, étant entendu que si Poutine attaquait et que la guerre était déclenchée, l'ordre de détruire les gazoducs serait immédiat. Poutine allait savoir qui avait fait le coup.
Cet ordre n'a pas été donné. Au lieu de cela, la Maison Blanche - le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan étant le contact désigné - a demandé à l'unité de mettre au point un mécanisme capable de déclencher les mines, une fois posées, par le biais d'un sonar à basse fréquence. Il a fallu des mois de recherche et de planification, mais tout était en place en septembre 2022, sept mois après le début de la guerre en Ukraine, et c'est à ce moment-là que l'attaque a été ordonnée.
Elle a été déclenchée, m'a-t-on dit, par crainte que le chancelier allemand Olaf Scholz, confronté à un hiver sans gaz russe bon marché, ne panique et n'ordonne la réouverture des gazoducs.
Ces dernières semaines, je suis revenu sur l'histoire des gazoducs et j'ai réalisé que j'avais appris, et ignoré, beaucoup de choses de mes sources de renseignement et d'autres sources sur les dysfonctionnements de Biden depuis le début de l'année 2022. J'ai compris très tôt, au cours de mes six décennies de reportages sur les États-Unis en temps de guerre et hors temps de guerre, que les présidents américains sont invariablement fascinés et obsédés par les capacités de la CIA et d'autres agences du renseignement à faire efficacement avancer les choses. J'ai appris au cours de conversations privées avec des gens haut placés ou proches du pouvoir que rien ne plaît plus aux présidents, après une dure journée passée à supplier en vain les membres du Sénat et de la Chambre des représentants de voter comme ils le souhaitent, que de se promener dans la roseraie de la Maison-Blanche avec le chef de la CIA et d'obtenir satisfaction, qu'il s'agisse de battre un adversaire politique, ou d'éliminer un ennemi ou une menace étrangère.
Barack Obama tenait ses réunions du mardi avec les hauts responsables de la CIA et donnait son avis sur le sort de tel ou tel terroriste présumé. Bien entendu, on comptait souvent des victimes collatérales. En janvier 2020, Donald Trump a célébré publiquement sa décision d'autoriser l'assassinat du général iranien Qassim Soleimani après son arrivée, via un vol commercial en provenance de Damas, pour une visite diplomatique à Bagdad. Neuf autres personnes, dont de nombreux fonctionnaires ou agents de sécurité irakiens, ont été tuées dans le convoi de deux voitures qui a rejoint l'avion. Soleimani était le commandant de la force Qods de l'Iran, désignée comme une organisation terroriste par les États-Unis et l'Union européenne. "Le monde est un endroit plus sûr sans ces monstres", a alors déclaré Trump.
Bien entendu, lorsqu'il s'agit d'opérations secrètes de ce type, la responsabilité incombe toujours au président.
Mais comme me l'a dit l'un des responsables de l'opération, cette règle ne s'appliquait pas lorsqu'il s'est agi pour Biden de freiner Poutine dans l'opération ukrainienne. Le président "n'était plus dans le coup intellectuellement au moment où les Russes ont envahi le pays", a-t-il déclaré. L'hostilité de M. Biden à l'égard du débit constant de gaz russe vers l'Allemagne était déjà notoire lorsqu'il traitait certaines questions liées au pétrole et au gaz en tant que vice-président de M. Obama. Comme je l'ai écrit en 2023, Biden, Sullivan, le secrétaire d'État Antony Blinken et la sous-secrétaire d'État aux questions politiques Victoria Nuland ont été publiquement les ardents opposants à Nord Stream 1 et 2. L'inquiétude relative à l'influence économique du gaz et du pétrole russes bon marché acheminés vers l'Europe de l'Ouest est un des thèmes de la politique étrangère américaine depuis l'administration de John F. Kennedy.
M. Sullivan, probablement avec l'approbation de M. Biden, a organisé une série de réunions secrètes à la fin de l'année 2021 pour bloquer le fonctionnement des gazoducs. Ces réunions ont vite abouti à une solution : les gazoducs pourraient être détruits par des mines placées par un groupe hautement qualifié de plongeurs formés par la marine, dont les compétences en matière de désobstruction des ports et des fonds sous-marins ont été qualifiées d'exceptionnelles pendant des décennies par les commandements de la marine dans le monde entier.
Un groupe trié sur le volet d'officiers supérieurs du renseignement américain et de plongeurs de la marine, travaillant en étroite collaboration avec des alliés de longue date en Norvège - les services de renseignement et la communauté maritime norvégiens collaborent avec la CIA dans le cadre d'opérations secrètes depuis des décennies - a trouvé le site adéquat en mer Baltique, les mines adaptées et les plongeurs compétents pour mener à bien l'opération au début de l'année 2022. Les alliés des Américains en Suède et au Danemark ont été informés du plan d'attaque et de l'entraînement intensif requis.
Le 7 février 2022, moins de trois semaines avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie, Biden a reçu Scholz à la Maison Blanche. Interrogé sur Nord Stream 2, Biden a déclaré : "Si la Russie envahit [l'Ukraine], il n'y aura plus de Nord Stream 2. Nous y mettrons fin".
On m'a dit que les Américains sur le terrain ont accepté cette mission en croyant travailler en soutien à un président américain résistant au dirigeant russe et garantissant à Poutine que ses propos étaient sincères.
"Notre mission a été conçue pour dissuader la Russie d'entrer en guerre en Ukraine", m'a dit un fonctionnaire américain impliqué, "et nous avions les moyens de faire exploser les gazoducs. C'était notre mission, pour montrer à Poutine que notre président ne plaisante pas. Et regardez ce qui s'est passé".
Il fait référence à l'invasion russe et à l'ordre de faire sauter les mines, qui n'a été donné que sept mois plus tard.
Les plongeurs sont venus et repartis, puis revenus et de nouveau repartis - un plan alternatif visant à faire exploser le gazoduc au cours d'un exercice de l'OTAN au début du printemps en mer Baltique n'a jamais été autorisé. Le responsable concerné a déclaré un jour : "Nous avons reçu le message de le faire à la date de notre choix". Pour finir, les mines ont été placées à 80 mètres de profondeur en mer Baltique, et ont pu être déclenchées par un signal à basse fréquence connu de quelques initiés seulement.
À la fin du mois de septembre, l'ordre de faire sauter les explosifs a été donné à un avion de la marine norvégienne qui volait à quelques centaines de mètres de la surface. L'avion a donc largué le dispositif de sonar à basse fréquence, la connexion a fonctionné - les Américains s'en sont beaucoup inquiétés - et les mines ont explosé, créant un impressionnant nuage de méthane et une grande confusion. Les États-Unis ont nié avec insistance toute implication. Ceux qui ont autorisé la frappe - on ne sait pas encore - ont attendu la fin du mois de septembre pour déclencher le dispositif.
Récemment, le fonctionnaire concerné m'a dit - peut-être pour dire maintenant ce qu'il n'aurait pas osé me dire lorsque Biden était en fonction - que "des réunions ont eu lieu" entre les responsables norvégiens, Sullivan et Blinken sur la planification du sabotage du gazoduc, mais de façon à ce que "jamais le président ne soit impliqué dans l'affaire".
Biden et son équipe de politique étrangère ont maintenant quitté leurs fonctions sans admettre avoir joué un quelconque rôle dans la destruction des gazoducs Nord Stream. Les gouvernements allemand, danois et suédois ont réagi à la destruction du Nord Stream en promettant des enquêtes approfondies qui n'ont abouti à rien. Il y a près d'un an, le Danemark et la Suède ont déclaré vouloir clore leurs enquêtes et transmettre leurs conclusions aux autorités allemandes, qui n'ont à ce jour délivré qu'un seul mandat d'arrêt visant un Ukrainien dont le nom n'a pas été dévoilé.
Quatre jours après le sabotage de l'oléoduc, M. Sullivan a été interrogé sur les explosions lors d'une conférence de presse à la Maison-Blanche. L'auteur de la question a fait remarquer que M. Biden avait qualifié les attentats d'"acte délibéré de sabotage" et déclaré que les Russes "diffusent des mensonges et des informations erronées". Cela signifie-t-il, a-t-on demandé à Jake Sullivan, que la Russie est "probablement responsable de cet acte de sabotage" ?
La réponse hypocrite de Jake Sullivan, que j'ai déjà citée, mérite d'être répétée, étant donné son rôle direct et précoce dans le sabotage :
"Tout d'abord, la Russie a fait ce qu'elle fait souvent lorsqu'elle est responsable de quelque chose, c'est-à-dire accuser quelqu'un d'autre d'être à l'origine du sabotage. Nous l'avons constaté à plusieurs reprises au fil du temps."Mais le président a également été clair aujourd'hui sur la nécessité de poursuivre l'enquête avant que le gouvernement des États-Unis ne soit prêt à attribuer une responsabilité dans cette affaire... Nous devrons donc attendre le résultat d'une série d'inspections matérielles, de la collecte de renseignements et de la consultation de nos alliés pour parvenir à une décision définitive. Et nous déciderons alors de la marche à suivre".
Après examen du dossier, je peux attester que les États-Unis n'ont rien entrepris de tel.
Et j'aurais dû écrire alors ce que à quoi je pensais : une exégèse de l'incapacité de Biden à assumer la présidence. Je reconnais avoir entendu d'autres informateurs sur les troubles dont souffre le président. C'était en septembre 2022.
Mais qui aurait pu prévoir à l'époque que Trump reviendrait avec son nouvel acolyte Elon ? Pas le parti démocrate. Et moi non plus.
NORD STREAM AND THE FAILURES OF THE BIDEN ADMINISTRATION
We are now three weeks into the second presidency of Donald Trump, and he has virtually handed the Department of the Treasury and more than a dozen other Cabinet departments and agencies to Elon Musk and his team of young digital vultures. They are in the process of trampling over the Constitution while collecting economic data and intelligence on everything in their sights, presumably including the details on Musk's extensive business dealings with Washington from inside the government. There is even talk from Trump, who is seventy-eight years old, about his seeking a third term. Yet many in America and even in Congress applaud the chaos...
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14 hours ago · 302 likes · Seymour Hersh