Par Jessica Buxbaum*, le 14 février 2025
Le 5 janvier 2025, Yuval Vagdani, réserviste de l'armée israélienne, a fui le Brésil alors qu'il était en vacances après qu'un juge fédéral du pays a ouvert une enquête pour crimes de guerre impliquant Vagdani pour participation à la démolition de maisons dans la bande de Gaza assiégée.
Le juge brésilien a utilisé un outil juridique appelé "juridiction universelle" pour poursuivre Vagdani. La juridiction universelle permet aux gouvernements de poursuivre des individus pour des crimes graves, quel que soit le lieu où ils ont été commis. L'affaire elle-même faisait suite à une plainte déposée par la Fondation Hind Rajab (HRF), un collectif juridique basé en Belgique qui poursuit les auteurs, complices et instigateurs de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité en Palestine. Depuis sa création, la fondation a déposé plus de 30 plaintes contre des membres de l'armée israélienne, des hauts responsables aux militaires de rang inférieur, dans le monde entier, et a déposé une plainte auprès de la Cour pénale internationale (CPI) contre 1 000 soldats israéliens (dont certains ont la double nationalité française, américaine, canadienne, britannique et néerlandaise) pour crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide à Gaza.
Suivi des crimes de guerres
Les plaintes de HRF sont principalement basées sur des informations publiées par des soldats israéliens eux-mêmes sur les réseaux sociaux, et qui les impliquent dans des crimes de guerre potentiels, tels que la destruction et l'occupation d'infrastructures civiles palestiniennes et le pillage d'effets personnels.
"Jamais auparavant nous n'avons vu une organisation militaire nationale comme les FIO [Forces d'occupation israéliennes] publier leurs crimes",
a déclaré l'avocat principal de HRF, Haroon Raza, à MintPress News.
"Ils s'estiment supérieurs. La seule façon de publier ce genre de choses, c'est quand on pense avoir raison, car l'autre camp, en tant que peuple, est inférieur".
Mais HRF n'est pas la seule organisation à vouloir demander des comptes aux soldats israéliens. Un compte X appelé "Israel Genocide Tracker" documente les activités des soldats israéliens à Gaza et au Liban, ainsi que les lieux où ils passent leurs vacances. Les médias téléchargés sur la plateforme montrent des soldats israéliens faisant exploser des propriétés privées, vandalisant des maisons, s'amusant dans des hôpitaux abandonnés, et allant même jusqu'à rire et fumer à côté d'un détenu palestinien aux yeux bandés.
En Nouvelle-Zélande, des militants du Palestine Solidarity Network, Aotearoa (PSNA) ont lancé ce qu'ils ont appelé une " hotline du génocide" pour repérer les soldats israéliens en vacances dans le pays.
John Minto, le président national du réseau, a déclaré à MintPress News que l'organisation a fait pression sur le gouvernement néo-zélandais pour qu'il suspende les visas de tout soldat israélien ayant servi dans l'armée depuis octobre 2023 et de tout citoyen israélien ayant une adresse dans une colonie israélienne illégale, mais a déclaré que les législateurs n'ont pas réagi à leurs démarches.
"Notre gouvernement n'a absolument rien fait", a déclaré M. Minto. "Il ne condamnera aucun des crimes de guerre d'Israël. Nous avons donc estimé qu'il fallait lancer une initiative de la société civile concernant ces soldats"."Là où notre gouvernement n'agit pas, la société civile le fait", a ajouté M. Minto.
Selon certaines informations, la Nouvelle-Zélande aurait modifié ses exigences en matière de visa, obligeant les visiteurs israéliens à faire état de leur service militaire lors de la procédure de demande. Cependant, le ministère de l'Immigration du pays a démenti ces informations, affirmant que ses procédures n'ont pas changé.
M. Minto a déclaré que malgré la requête du Commissaire néo-zélandais aux droits de l'homme, Stephen Rainbow, de fermer la hotline, celle-ci est toujours active et a reçu plus de 200 appels depuis son lancement le 22 janvier 2025. M. Minto a déclaré que l'objectif est ensuite de placarder des affiches à l'extérieur des lieux où logent les soldats israéliens, d'organiser des manifestations devant ces logements et de distribuer des tracts aux clients.
"Si nous savons que des soldats israéliens sont là, [alors nous] saisissons toutes les occasions de leur dire qu'ils ne sont pas les bienvenus ici", a déclaré M. Minto.
En réponse aux attaques de plus en plus fréquentes dont les soldats israéliens sont la cible à l'étranger en raison de leur participation à la guerre d'Israël à Gaza, l'armée israélienne a renforcé les restrictions de la couverture médiatique de ses soldats en janvier. Selon les nouvelles règles, les journalistes interviewant des soldats du grade de colonel ou inférieur ne sont pas autorisés à publier leur nom complet et leur visage, ni à les associer à une opération de combat spécifique. En outre, les militaires détenant plusieurs nationalités doivent dissimuler leur visage et ne pas divulguer leur nom lors des interviews.
Lors de l'annonce de ces nouveaux protocoles, le lieutenant-colonel Nadav Shoshani, porte-parole de l'armée israélienne, a déclaré que les soldats ne sont pas autorisés à publier sur les réseaux sociaux des images provenant de zones de guerre en vertu des règles militaires existantes, "même en sachant que c'est imparfait, car notre armée regroupe un grand nombre d'effectifs".
Avant même qu'un tribunal brésilien n'ordonne une enquête sur le réserviste israélien Vagdani, le Cyber Directorate en Israël mettait déjà en garde les soldats servant à Gaza contre toute publication sur les réseaux sociaux, et les invitait à préserver la confidentialité de leur profil après qu'un soldat démobilisé a partagé des photos prises sur le théâtre des opérations. Ces images ont incité des militants à publier son identité alors qu'il était en vacances à Prague.
"[La directive] ne dit pas de ne pas commettre de crimes, seulement de ne pas les publier",
a déclaré M. Raza, de la HRF, en soulignant qu'il est désormais trop tard.
"Tout a déjà été sauvegardé", a déclaré M. Raza, faisant référence aux bases de données de la HRF et d'autres organisations, qui sauvegardent les informations qu'elles soient encore en ligne ou non.
Comment les gouvernements appliquent (ou non) la loi
Ayant longtemps échappé à toute responsabilité internationale pour les violences incessantes qu'il exerce sur les Palestiniens, Israël est désormais sous le feu des projecteurs du monde entier.
Le 21 novembre 2024, la Cour pénale internationale (CPI) a émis des mandats d'arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et l'ancien ministre israélien de la Défense Yoav Gallant pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre qui ont été commis lors de la guerre d'Israël contre Gaza. Les pays signataires de la CPI sont légalement tenus de mettre en œuvre ses décisions, mais ils restent divisés sur la question de savoir s'ils respecteront ou non les mandats.
Selon Just Security, une publication en ligne spécialisée dans la sécurité nationale, plus de 30 des 125 pays parties à la CPI ont promis de se conformer à la décision de la Cour, dont le Canada, le Royaume-Uni, le Chili, la Jordanie et l'Afrique du Sud. Parallèlement, 13 pays, également signataires de la CPI, ont annoncé qu'ils ne s'y conformeraient pas, qu'ils ne se sont pas engagés à respecter les mandats ou ont exprimé des critiques à l'égard de la décision de la CPI, notamment l'Australie, L'Italie, la Suède, l'Argentine, la Hongrie et l'Autriche.
Certains pays ont également récemment changé d'avis, comme l'Allemagne, qui a fait volte-face en passant de la suggestion de ne pas se conformer aux mandats à l'indication qu'elle respecterait la loi. D'autre part, la France a laissé entendre qu'elle pourrait ne pas arrêter Netanyahu, faisant valoir qu'il bénéficie de l'immunité, Israël n'étant pas signataire du Statut de Rome.
"Ces immunités s'appliquent au Premier ministre Netanyahu et aux autres ministres concernés et devront être prises en considération si la CPI demande leur arrestation et leur mise à disposition",
a annoncé le ministère français des Affaires étrangères.
Les États-Unis, qui ne sont pas membres de la CPI et ont largement financé la guerre d'Israël à Gaza, ont récemment sanctionné la Cour - en invoquant les mandats d'arrêt contre Netanyahu et Gallant - alors que le président Donald Trump entamait son second mandat. Ces sanctions peuvent entraver les enquêtes en cours, en compliquant les déplacements des fonctionnaires de la CPI et l'accès aux fonds ou en dissuadant la coopération avec les enquêtes de la CPI.
Le 19 juillet 2024, la Cour internationale de justice (CIJ) a jugé que l'occupation par Israël de la bande de Gaza et de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, est illégale et doit prendre fin "le plus rapidement possible". La Cour a également jugé qu'Israël doit mettre fin à toute nouvelle activité de colonisation, verser des réparations aux Palestiniens et a confirmé que certaines des politiques d'Israël dans les territoires palestiniens occupés (TPO) s'apparentent à de l'apartheid.
Suite à la décision de la CIJ, le Parlement bruxellois a adopté une résolution le 3 février 2025, imposant un embargo sur les armes et des restrictions commerciales à Israël. La résolution est maintenant soumise à la Commission européenne, au Haut Représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, et au gouvernement fédéral belge pour approbation finale.
Toujours en réponse à la décision de la CIJ, l'Irlande a décidé de relancer son Occupied Territories Bill, qui criminalise le commerce entre le pays et les colonies israéliennes dans les territoires palestiniens occupés. Le projet de loi a été présenté en 2018, mais s'est enlisé en raison d'allégations selon lesquelles il serait contraire au droit commercial de l'UE, auquel l'Irlande, en tant qu'État membre de l'UE, est tenue de se conformer. L'Irlande et la Belgique sont toutes deux signataires de la CPI et ont déclaré qu'elles se conformeraient aux mandats d'arrêt de la CPI contre Netanyahu et Gallant.
Aux Pays-Bas, une coalition d'organisations de la société civile palestinienne et néerlandaise a poursuivi l'État en octobre 2024 pour ne pas avoir prévenu le génocide, ce à quoi les Pays-Bas, en tant que signataire de la Convention sur le génocide, sont légalement tenus.
"Pourtant, malgré des preuves de plus en plus nombreuses, les avertissements des experts de l'ONU, et l'avis consultatif le plus récent de la CIJ, le gouvernement néerlandais continue d'exporter des armes et des produits à usages multiples vers Israël, contribuant ainsi à de graves violations des droits de l'homme à Gaza",
a déclaré dans un communiqué de presse Law for Palestine, l'une des parties soutenant l'affaire.
Plus récemment, le 31 janvier 2025, des représentants de neuf pays se sont réunis à La Haye, aux Pays-Bas, pour créer le Groupe de La Haye, une initiative internationale dont l'objectif est de tenir Israël responsable de ses actes en vertu du droit international. Les membres fondateurs (le Belize, la Bolivie, la Colombie, Cuba, le Honduras, la Malaisie, la Namibie, le Sénégal et l'Afrique du Sud) ont annoncé leurs objectifs communs dans une déclaration initiale faisant référence à l'avis de la Cour internationale de justice et aux mandats d'arrêt de la Cour pénale internationale à l'encontre de responsables israéliens.
Le groupe s'est engagé à faire respecter les mandats d'arrêt de la CPI, en veillant à leur application vis-à-vis des responsables israéliens. Il a également soutenu l'interdiction des livraisons ou transferts d'armes, de munitions et d'équipements connexes à Israël dans les cas où on peut clairement craindre leur utilisation en violation du droit international. En outre, le Groupe de La Haye s'est engagé à empêcher l'accostage de navires dans ses ports si l'on peut penser que ces navires transportent du carburant ou des armes à destination d'Israël.
"Cette décision découle de l'urgence, compte tenu des crimes continuels d'Israël contre les Palestiniens, des violations du droit international et des attaques plus générales contre le droit international et le principe de responsabilité, comme nous l'avons vu sous l'administration américaine précédente et qui ont été accélérées par la nouvelle administration américaine",
a déclaré James Schneider de Progressive International, qui a organisé la réunion historique, à MintPress News, en référence aux sanctions de la CPI de Trump.
Si, au départ, la résistance de l'opinion publique à Israël et le soutien au peuple palestinien à la suite de l'attaque de 2023 contre le Hamas sont restés modestes, a fait remarquer M. Raza, cette attitude a maintenant changé plus d'un an plus tard.
« Finalement, Amnesty [International] et toutes les autres organisations ont pris conscience de leurs responsabilités",
a déclaré M. Raza, rappelant le rapport de décembre 2024 du groupe de défense des droits de l'homme concluant qu'Israël commet un génocide.
"On peut clairement observer des violations des droits de l'homme ou des crimes contre l'humanité, etc., qui ont même conduit à qualifier légalement ce génocide."On constate, notamment grâce aux décisions de la CIJ, que les choses commencent à bouger doucement" ajoute M. Raza.
Un précédent a eu lieu et la communauté internationale ne ferme plus les yeux sur les crimes israéliens. Pour la première fois, Israël pourrait ne pas échapper à ses responsabilités.
"Ceux qui ont commis des crimes de guerre en Israël ont peur" déclare M. Raza."Nous les avons littéralement poussés dans leurs retranchements, ce qui n'était jamais arrivé jusqu'à présent. Les soldats, les sous-officiers, les capitaines, etc. ont toujours pensé qu'ils pourraient partir en vacances en Europe et dans d'autres endroits exotiques, et c'est désormais terminé. Je pense qu'ils commencent à réaliser qu'ils seront poursuivis en justice où qu'ils soient". - Haroon Raza.
* Jessica Buxbaum est une journaliste basée à Jérusalem pour MintPress News, couvrant la Palestine, Israël et la Syrie. Son travail a été présenté dans Middle East Eye, The New Arab et Gulf News.