Hugo Doc, Paris, février 2024, 195 pages,
par Jacques Hogard
ancien colonel parachutiste de la Légion étrangère
Recension (*)
Rien n'est plus difficile, mais aussi plus néessaire, que de retracer à chaud les causes d'un conflit armé dans un environnement médiatiquement très engagé. C'est ce qu'a tenté, et à notre avis très largement réussi, l'auteur de cet ouvrage en recourant à de très nombreuses sources et en pratiquant une approche multi-sectorielle intégrant l'histoire, la sociologie, l'économie, les relations internationales dans une perspective stratégique globale. L'auteur, Jean-Jacques Hogard, ancien colonel de l'armée française, a participé à l'Opération turquoise au Rwanda, en 1994, il a été chargé du commandement des opérations spéciales au Kosovo en 1999, puis il a pris sa retraite dès l'an 2000 à l'âge de 45 ans. Son livre est divisé en trois parties intitulées respectivement : Le retour de la guerre en Europe, Les causes de cette tragédie et La guerre perdue de l'OTAN contre la Russie et ses conséquences.
Première partie
Le retour de la guerre en Europe.
L'auteur rappelle que la Russie n'est plus l'Union soviétique et que, loin d'être hostile à l'Occident, en 1992 elle avait demandé, en vain, son adhésion au Conseil de l'Europe et que, en 2000, au début de sa présidence, Poutine avait même envisagé l'adhésion de la Russie à l'OTAN, mais que, au fil des années, cette dernière s'était progressivement attachée la plupart des pays qui avaient été membres du Traité de Varsovie avec l'URSS. La clé de compréhension de l'évolution internationale intervenue depuis la disparition de l'URSS doit être recherchée non point dans un improbable impérialisme russe, mais dans l'hégémonisme mondial américain tel que théorisé dans l'ouvrage fondamental du stratège étatsunien Zbigniew Brzezinski Le grand échiquier, dont l'original anglais est paru en 1997.(1) Jacques Hogard se réfère volontiers à son expérience professionnelle de témoin de l'intervention militaire de l'OTAN, la bras armé de Washington, contre la Bosnie-Herzégovine, en 1992-3 puis contre la Yougoslavie, plus précisément la Serbie en 1999, interventions décidées en violation flagrante de la Charte de l'ONU et du droit international.
Les événements survenus en Ukraine au début du XXIe siècle s'inscrivent dans cette perspective, à commencer par la tentative de Révolution orange, avortée en 2004, puis avec les événements de Maïdan en 2013 qui débouchèrent en 2014 sur ce que Hogard tient pour un coup d'Etat organisé des mouvements d'extrême droite bénéficiant de l'appui de Washington. En l'occurrence, c'est à visage découvert que la Sous-secrétaire d'Etat américaine, Victoria Nuland, intervint allant jusqu'à annoncer publiquement que les Etats-Unis avaient investi cinq milliards de dollars pour détourner l'Ukraine de la Russie.(2) Au président pro-russe Viktor Ianoukovitch succéda le président pro-occidental Volodymyr Zelensky et l'une des premières mesures du nouveau pouvoir fut de "désofficialiser" la langue russe qui figurait au côté de l'ukrainien comme langue officielle de l'Etat ukrainien. S'ensuivirent huit années de guerre de 2014 à 2022 entre Kiev et les autonomistes russophones du Donbas aux portes de la Russie, avec des milliers de morts. La France et l'Allemagne tentèrent bien d'intervenir en suscitant les Accords de Minsk 1, puis 2, entre l'Ukraine et la Russie qui, notamment, attribuaient la Crimée à la Russie, mais comme devaient le reconnaître a posteriori Angela Merkell et François Hollande à leurs yeux "la signature de ces accords n'avait d'autre but que de gagner du temps pour faciliter la montée en puissance militaire de l'Ukraine."(3)
Jacques Hogard ne s'étend guère sur le sort de la Crimée dont il ne signale pas qu'elle avait été rattachée à l'Empire russe dès le XVIIIe siècle et qu'elle avait été donnée par la Russie à l'Ukraine en 1954. Il signale en revanche que, dès le début de la dislocation de l'URSS, le 20 janvier 1991, eut lieu en Crimée le premier des référendums des composantes de l'URSS dans lequel les Crméens furent appelés à choisir leur rattachement à Kiev ou à Moscou, et qu'ils choisirent massivement la seconde option. Après la déclaration d'indépendance de l'Ukraine en décembre 1991, la Crimée proclama son indépendance le 5 mai 1992 et le 6 mars 2014 le Parlement de la Crimée organisa un nouveau référendum lors duquel les Criméens optèrent massivement pour leur rattachement à la Russie. Bien sûr, l'Ukraine ne reconnut pas la validité de ces décisions.(4)
Le déclenchement de l'"opération spéciale", c'est-à-dire l'entrée en guerre de la Russie contre l'Ukraine est l'aboutissement de la dégradation des relations entre l'Occident et la Russie que pouvait laisser présager la continuelle extension de l'OTAN vers l'est, aux frontières de la Russie. Jacques Hogard écrit que cette guerre aurait pu être évitée si seulement la France et l'Allemagne, qui en étaient les initiateurs et les garants, avaient tenu leur rôle et qu'elle aurait pu être arrêtée dès le mois de mars 2022, lorsque Russes et Ukrainiens entreprirent de négocier sous l'égide de la Turquie, si les Américains et l'OTAN ne s'y étaient pas vigoureusement opposés."(5) De ces diverses erreurs découlent des pertes colossales en vies humaines et en destructions matérielles causées par la guerre.
L'auteur aborde les problèmes, combien complexes, de la désinformation sur ce conflit en se référant à l'ancien officier de renseignement français Vladimir Volkoff et aux sociologues et futurologues américains Alvin et Heidi Toffler et il conclut la première partie de son livre par le passage suivant du géo-politologue français Pierre-Emmanuel Thomann, daté de mai 2023, attribuant à Washington la responsabilité du sabotage du gazoduc Nord Stream 2 en septembre 2022 :
"Les gouvernements concernés, Berlin et Paris en particulier, sont en état de sidération complice. Leur silence sur cette affaire, ou bien le brouillage des pistes, appuyés par les médias dominants et les pseudo-experts qui passent en boucle sur les plateaux télévisés pour relayer les narratifs atlantistes, s'explique simplement : ils ne peuvent révéler à leurs peuples que leurs soi-disant allié principal, Washington, a commis un acte de guerre contre ses propres intérêts puisque ce serait démontrer que le conflit en Ukraine est une guerre provoquée et entretenue par Washington, non pas seulement contre la Russie mais contre l'Europe tout entière. Tout le discours sur la soi-disant unité occidentale et transatlantique serait irrémédiablement fissuré." (5)
Deuxième partie
Les causes de cette tragédie. Les causes profondes
L'histoire de l'Ukraine à travers les siècles : un espace disputé entre Est et Ouest.
Jacques Hogard n'entreprend pas de relater l'histoire de l'Ukraine mais seulement d'en évoquer deux épisodes qui lui paraissent pertinents pour expliquer le drame en cours.
Le premier de ces épisodes se situe autour du neuvième siècle du premier millénaire de notre ère avec la naissance de la nation russe et du premier Etat russe...à Kiev ! Cette ville est restée la capitale de la première Russie pendant quelques siècles, y compris après l'invasion mongole du XIIIe siècle et ce n'est qu'au XVe siècle, en 1480, que Moscou devint la capitale de la Russie jusqu'à ce qu'elle soit supplantée par Saint-Petersbourg à l'initiative du tsar Pierre-le-grand en 1712. D'après l'auteur, dans l'imaginaire russe actuellement encore, l'Ukraine n'est pas vraiment un pays étranger, nombre d'anciens Russes célèbres et de dirigeants de l'URSS, à commencer par Khrouchtchev étaient ukrainiens. D'ailleurs dans la Russie actuelles, beaucoup de familles comportent des composantes ukrainiennes et il en va de même, mais inversement, pour nombre de familles ukrainiennes. Toutes ces circonstances démographiques, sans doute importantes en psychologie sociale, sont sans conséquences en matière de souveraineté au regard du droit international, ce que Jacques Hogard omet de mentionner.
Le second de ces épisodes est la vassalisation de l'Ukraine par les Anglo-saxons qui est une des causes profondes de la tragédie en cours.
Il s'agit là d'un phénomène tout récent puisqu'il est postérieur à l'indépendance de l'Ukraine qui date de 1991. D'après l'auteur, elle découle de la stratégie américaine si bien énoncée par Zbignev Brzezinski et, dans sa mise en oeuvre, les Américains ont toujours pu compter sur la fidélité empressée du Royaume-Uni. En témoigne notamment un tweet du journaliste français Geoges Malbrunot du 9 avril 2022 que cite l'auteur : "La visite de Boris Johnson à Kiev confirme la place de Londres comme premier allié de l'Ukraine. Les unités d'élite des forces spéciales britanniques SAS sont présentes en Ukraine depuis le début de la guerre, de même que les Deltas américains, confirme un service français du renseignement." (6)
L'initiative prise par la Turquie au printemps 2022 avait fait espérer un prompt arrêt des hostilités. Mais le Secrétaire d'Etat américain Blinken et le Premier ministre britannique Johnson se sont employés à les torpiller comme le relate l'a déclaration suivante d'un des principaux conseillers du président Zelensky, Davyd Arakhamia : "La guerre aurait pu prendre fin au printemps 2022 si l'Ukraine avait accepté la neutralité, a déclaré à la télévision ukrainienne celui qui dirigeait à Istanbul la délégation ukrainienne. L'objectif de la Russie était de faire pression sur nous pour que nous soyons neutres. C'était l'essentiel pour eux : Ils étaient prêts à mettre fin à la guerre si nous acceptions la neutralité, comme l'a fait autrefois la Finlande. Et que nous nous engagions à ne pas adhérer à l'OTAN."(7)
Cette vassalisation est notamment économique, comme en témoigne l'implication dans le monde des affaires ukrainiennes, connu pour son haut degré de corruption, de Hunter Biden, le fils du Président des Etats-Unis et plusieurs autres membres de sa famille. (8)
Il est possible que cette vassalisation porte également sur des laboratoires de recherches biologiques selon l'interprétation que l'on fait de la déclaration que fit l'incontournable sous-secrétaire d'Etat américaine Victoria Nuland qui annonça, le 7 mars 2023, que son pays "travaillait avec les Ukrainiens sur les manières d'éviter que des matériaux liés à la recherche puissent tomber aux mains des forces russes si elles devaient s'en approcher... l'Ukraine dispose d'installations de recherches biologiques, et nous sommes assez inquiets de la possibilité que les Russes tentent d'en prendre le contrôle." (9)
En rapport avec cette idée de vassalisation, mais relevant de l'impérialisme économique classique, l'auteur attache une grande importance à la question des terres arables d'Ukraine, l'une des plus fertiles du monde. Sur cette question, il se réfère principalement au rapport d'un think tank américain manifestement non conformiste, dénommé Oakland Institute, daté de mai 2023, intitulé Guerre et spoliation : la prise de contrôle des terres agricoles ukrainiennes. Cette problématique est loin d'être marginale car l'Ukraine est non seulement le grenier de l'Europe, mais plus encore celui d'une partie plus vaste du monde en Afrique et en Asie. Après la réforme agraire très controversée intervenue en 2020, donc après Maïdan, la situation se présente comme suit : sur les quelques 33 millions d'hectares de terres arables parmi les plus fertiles du monde, 28 % sont entre les mains d'oligarques et d'intérêts étrangers, principalement américains et européens, mais aussi d'autres pays, tel le fonds souverain d'Arabie saoudite. Tandis que les petits propriétaires astreints à une économie de guerre, sinon au service armé, subsistent dans la difficulté, les oligarques et les intérêts étrangers ont poursuivi et intensifié l'industrialisation de leur secteur de l'agriculture ukrainienne fondé sur des prélèvements massifs d'énergie fossile, d'engrais synthétiques et d'emprunts contractés à l'étranger au point que l'Ukraine est devenu dernièrement le troisième débiteur du Fonds monétaire international. (10)
Mais parmi les causes profondes du déclenchement de la guerre par la Russie le 24 février 2022, il y a aussi une forte composante socio-psychologique imputable aux déceptions successives que lui ont values ses relations avec l'Occident en général et les Etats-Unis en particulier depuis la fin du siècle dernier.
L'auteur signale l'article substantiel que publia, le 12 juillet 2021, Vladimir Poutine sur les racines communes de l'Ukraine et de la Russie et sur l'hostilité sans précédent que le Gouvernement de Kiev manifesta envers la Russie depuis les événemnts de Maïdan de 2014 et son option délibérément pro-occidentale. Le Président Poutine n'en concluait pas que l'Ukraine ne pouvait pas être un Etat indépendant, mais il estimait inacceptable qu'elle constituât une barrière entre l'Europe et la Russie, voire une tête de pont de l'OTAN contre la Russie.(11) Jacques Hogard rappelle le précédent du retournement soudain de l'Occdent contre la Libye de Kadhafi en 2011, celui de la dénonciation par le Président François Hollande, en 2014, du contrat de construction en France de deux porte-hélicoptères, alors que 400 marins russes étaient arrivés en France pour prendre la livraison du premier des deux, dénonciation opérée ensuite des pressions insistantes des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne.(12)
Y a-t-il, pour autant, opposition irréductible entre Occident et Orient : un choc de civilisation entre l'Europe occidentale et la Russie ? L'auteur diagnostique des orientations différentes sur certains thèmes importants, mais pas vraiment de choc de civilisation. Il y a bien opposition sur certains certains comportements entre la société russe de ce début du XXIe siècle et les sociétés occidentales. La première comporte un retour de la religion, mais principalement à une variante traditionnelle du christianisme et une condamnation de l'ultra-libéralisme en matière sexuelle qui prévaut en Occident. Pour ce qui est des relations internationales, depuis Thomas Paine au XVIIIe siècle, les Etats-Unis seuls s'y distinguent par un messianisme politique qui est à l'origine de leurs nombreuses interventions militaires : Amérique centrale, Vietnam, Congo, Afghanistan, Irak, Syrie, Liban, Yougoslavie, Palestine...(13)
Pour en revenir à l'entrée en guerre de la Russie contre l'Ukraine, l'objectif de dénazification de l'Ukraine avancé par Moscou n'a pratiquement jamais été pris au sérieux en Occident. Jacques Hogard en est bien conscient. Selon lui, certes, l'idéologie nazie n'a jamais été majoritaire en Ukraine au XXI siècle, mais elle n'en a pas mois inspiré plusieurs partis ou mouvements nationalistes antirusses très virulents tels Svoboda, Pravi Sektor, Azov, Aïdar et ce pour deux raisons. L'idéologie néonazie se réclame des fondateurs du nationalisme ukrainiens qui se joignirent à la guerre du IIIe Reich contre l'URSS dans la seconde Guerre mondiale, comme l'attestent les 80'000 volontaires Ukrainiens qui constituèrent la division SS Das Reich. Mais par delà la seconde Guerre mondiale, elle reste marquée par la famine consécutive à la répression soviétique de la paysannerie, dans le début des années 1930, qui causa la mort de quelques 3,5 millions d'Ukrainiens. Un génocide que les Ukrainiens appellent Holodomor. L'auteur relève que les responsables n'en étaient pas tous russes, Staline lui-même étant georgien et Kaganovitch ukrainien, et que cette répression ne frappa pas les Ukrainiens en tant que tels, mais la paysannerie soviétique, puisqu'elle entraîna aussi la mort de 1,5 million de paysans russes et de 1,5 million de paysans kazaks.(14)
Quelle est la part de responsabilité de l'OTAN dans le déclenchement des hostilités entre la Russie et l'Ukraine ? Telle est la question fondamentale qu'aborde l'auteur dans la fin de la deuxième partie de son livre. C'est d'ailleurs la partie de son ouvrage que Jacques Hogard a manifestement le plus travaillée. Il nous fait découvrir un Boris Eltsine beaucoup plus avisé et ferme sur les principes que nous le pensions et un Bill Clinton obstiné dans la poursuite de l'hégémonisme américain du XXe siècle. L'auteur apprécie beaucoup le diplomate américain George F. Kennan (1904-2005), l'initiateur et théoricien de la politique d'endiguement du communisme soviétique en 1947, mais aussi l'opposant déterminé à l'extension à l'est de l'OTAN dès 1998, nonobstant l'option inverse des Etats-Unis. Il relate, avec force citations, l'évolution des relations entre Boris Eltsine et Bill Clinton, d'abord bonnes, ensuite tendues et finalement exécrables précisément à cause du problème de l'extension à l'est de l'OTAN. Le clash final eut lieu le 5 décembre 1994 à Budapest lors d'un sommet de la CSCE lors duquel Eltsine réaffirma catégoriquement : "Notre attitude vis-à-vis des plans d'élargissement de l'OTAN, notamment de la possibilité que les infrastructures progressent vers l'est demeure et demeurera invariablement négative." (15) Clinton revint à la charge encore l'année suivante en dépêchant à Moscou le vice-président Al Gore auquel Eltsine répondit : "Je ne vois qu'une humiliation pour la Russie si vous continuez...Pourquoi voulez-vous faire çà ? Nous avons besoin d'une nouvelle structure pour la sécurité paneuropéenne, pas des anciennes... Mais si j'acceptais que les structures de l'OTAN s'étendent vers celles de la Russie, cela constituerait de ma part une trahison envers le peuple russe."(16)
La fin de cette deuxième partie est consacrée à des événements dont Jacques Hogard a vécu les premières conséquences, à savoir la guerre de Yougoslavie et ses suites. "Le 24 mars 1999, Clinton téléphona à Eltsine pour lui dire que, face à la mauvaise volonté des Serbes, les pays de l'OTAN avaient décidé de bombarder la Serbie sans l'accord des Nations Unies, car « ils n'avaient plus le choix.»" S'ensuivirent trois mois de bombardements de la Serbie dans une Yougoslavie en voie d'éclatement, la création de l'Etat du Kosovo "reconnu par seulement la moitié de la planète, régulièrement accusé d'être un Etat mafieux et dont le président est le seul au monde accusé d'avoir trempé dans un trafic d'organes". (17)
Telles sont, en résumé, les principales causes et quelques précédents qui ont débouché sur la guerre d'Ukraine. "Un des premiers effets de cette guerre voulue de longue date par les Etats-Unis et déclenchée sur le sol d'Ukraine est d'avoir provoqué le renforcement du "partenariat russo-chinois " et d'avoir fait émerger les BRICS comme une puissance nouvelle avec laquelle les ex-gendarmes du monde vont devoir compter désormais." (18)
Troisième partie
La guerre perdue de l'OTAN contre la Russie et ses conséquences
L'issue de cette guerre voulue par Washington, entérinée par l'OTAN et déclenchée par le Kremlin, est sinon certaine du moins très probable, pour Jacques Hogard ainsi que pour plusieurs autres auteurs, y compris quelques anciens militaires haut-gradés français qu'il cite : la débâcle ukrainienne est d'une telle ampleur que la défaite de Zelensky, des Etats-Unis et de l'OTAN ne fait guère de doute.
C'est, bien sûr, l'Ukraine qui est la grande perdante de cette guerre. Elle y a perdu plusieurs centaines de milliers d'hommes d'après Gérard-François Dumont, démographe que cite l'auteur, sans compter "les nombreux blessés souffrant de lourds handicaps limitant leurs capacités professionnelles, le fait qu'une partie des Ukrainiens qui sont allés se réfugier dans les pays occidentaux se soient installés dans une nouvelle vie et, en conséquence, ne retournent pas vivre en Ukraine." (19) Jean-Pierre Vettovaglia, ancien ambassadeur de Suisse, va jusqu'à avancer que, compte tenu aussi des pertes territoriales qui l'attendent, "en trente ans exactement, l'Ukraine aura perdu près de la moitié de sa population."(20) Selon l'ancien ambassadeur de France, Maurice Gourdaut-Montagne, il y aura nécessairement une partition de l'Ukraine car "les Russes vont rester sur le littoral de la mer d'Azov, incluant Marioupol ; ils vont rester jusqu'à Kherson et l'embouchure du Dniepr et conserver la Crimée."(21)
Partisan d'une grande Europe englobant la Russie comme l'avait voulue le général de Gaulle, mais comme le propose aussi le président hongrois Viktor Orban, Jacques Hogard est très sévère sur la réintégration de la France dans le commandement intégré de l'OTAN imposée en 2009 par le président Sarkozy ainsi que sur l'aggravation de la dépendance de la France à l'égard des Etats-Unis imposée sous la présidence de François Hollande. Dans sa perspective stratégique, la disparition de l'OTAN et de l'Union européenne est très souhaitable et devrait permettre d'établir des relations pacifiques à l'échelle continentale qui ne présenteraient plus pour la Russie la menace implicite que nolens volens lui inspire l'OTAN.
Bien conscient des incertitudes considérables, inhérentes à l'issue dramatique pour l'Ukraine et problématique pour l'Occident que comporte la victoire de la Russie, l'auteur écrit dans sa conclusion : "Pour ma part, j'ai voulu dans cet ouvrage faire part de ma conviction, acquise depuis fort longtemps, sur le terrain d'abord, lors de deux moments très forts de ma vie militaire, au Rwanda en 1994, puis au Kosovo en 1999, que les Etats-Unis, bien que se coiffant de l'auréole de toutes les vertus, de gardien et promoteur des droits de l'Homme, de la démocratie universelle, ne luttaient en réalité avec détermination et cynisme que pour leurs intérêts propres, qu'ils soient économiques, politiques, géopolitiques ou stratégiques. L'idée d'une Europe unie et prospère leur est, en particulier, insupportable. D'où leurs efforts, constants, colossaux et non dénués de résultats, hélas, pour isoler la Russie de l'Europe de l'Ouest, y compris en sabotant sans aucun remord les intérêts économiques, en particulier au plan énergétique, de leurs fidèle vassal et allié, l'Allemagne."(22)
(*) Recension par Ivo Rens. Janvier 2025.
(1) Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard. New York, Basic Books, 1997 ( ISBN 0-465-02726-1)
(en français) Zbigniew Brzezinski, Le grand échiquier. L'Amérique et le reste du monde, Bayard, coll. Actualité, 1997.
(2) Jacques Hogard, La guerre en Ukraine, pp.26 et 27. Outre Victoria Nuland, les sénateurs John McCain et Chris Murphy ont également fait une apparition publique à Kiev en décembre 2013, aux côtés d'Oleh Tyahnybok, un leader de l'opposition d'extrême droite ukrainienne (parti Svoboda), pour exprimer leur soutien au mouvement EuroMaidan. Signalons enfin que le ministre canadien des Affaires étrangères, John Baird a suivi l'exemple américain et s'est rendu à Kiev pour se mêler aux manifestants.
Sources: "Top U.S. official visits protesters in Kiev as Obama admin. ups pressure on Ukraine president Yanukovich", CBS News, December 11, 2013. Mike Madden, "Ukraine : Interviewer Victoria Nuland ou comment ne rien comprendre à la crise", Les crises, 27 janvier 2022.
(3) Ibidem, p. 47 et seq.
(4) Ibidem, p. 50.
(5) Ibidem, p.55.
(6)Ibidem, p. 71
(7) Ibidem, p.84
(8) ) Ibidem, pp.86,7
(9) Ibidem, p. 89
(10) Ibidem, p.96
(11) Ibidem, p. 98
(12) Ibidem, p. 99
(13)) Ibidem, pp 105,6
(14) Ibidem, pp.114,5
(15) Ibidem, p.119. CSCE est le nom ancien de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
(16) Ibidem, pp 121,2
(17) Ibidem, p. 128
(18) Ibidem, p. 132
(19) Ibidem, p. 138
(20) Ibidem, p. 140
(21) Ibidem, p. 152
(22) Ibidem, pp 185,6