par Alexandre Lemoine
Un autre pays de l'ex-URSS, outre l'Ukraine, voudrait céder ses ressources naturelles aux États-Unis. Cette fois, il s'agit de l'Estonie et de ses gisements de phosphorites d'une valeur d'environ 500 milliards de dollars. À l'époque, la question de leur exploitation avait joué son rôle dans la sortie de l'Estonie de l'URSS. Que veut obtenir Tallinn de Washington en échange ?
L'élite estonienne observe avec un mélange d'horreur et d'indignation le comportement de la nouvelle administration de la Maison-Blanche, qui a entamé un dialogue politique avec la Russie. Du point de vue des Estoniens, les autorités américaines «trahissent les intérêts de l'Ukraine». Et si elles «trahissaient» les pays baltes de la même manière ?
Et voilà que commence la recherche de recettes : comment forcer les États-Unis à ne pas priver les pays baltes de leur protection. Ainsi, selon le ministre estonien des Affaires étrangères Margus Tsahkna, l'Estonie devrait proposer quelque chose de concret aux États-Unis. «Les États-Unis manifestent depuis plusieurs années un grand intérêt pour les terres rares en Estonie. Tout le monde sait qu'il y a des phosphorites et les terres rares associées à Ida-Virumaa, qui constituent un énorme trésor pour le peuple estonien», souligne Tsahkna. Selon lui, il est crucial d'utiliser ces ressources minérales et d'attirer «de très grands investissements américains».
Selon Tsahkna, les États-Unis tireront un grand avantage de l'exploitation des gisements estoniens. Les «produits de haute technologie» issus des matières premières estoniennes aideront les États-Unis et l'Union européenne à surmonter leur dépendance vis-à-vis de la Chine. «C'est précisément la décision géopolitique audacieuse que l'Estonie doit prendre», déclare Tsahkna.
Il insiste sur le fait que si l'Estonie cède ses terres rares aux États-Unis, ce sera dans son propre intérêt. «Outre le fait que l'Estonie est un pays frontalier avec la Russie, de l'autre côté de la mer Baltique, dans une position géographique très complexe, que pouvons-nous offrir ? Nous pouvons proposer aux États-Unis des relations économiques intéressantes et efficaces», explique le ministre estonien des Affaires étrangères.
La roche sédimentaire phosphorite est considérée comme un minerai important, c'est une matière première pour la production d'engrais minéraux. L'Estonie possède les plus grandes réserves de phosphorites d'Europe, environ 800 millions de tonnes au total. Le volume des réserves prouvées et exploitables industriellement est d'environ 300 millions de tonnes (soit environ 500 milliards de dollars aux prix actuels des engrais phosphatés).
De plus, dans le nord-est de l'Estonie se trouvent des schistes dictyonémiques contenant une certaine quantité de terres rares. Les recherches des scientifiques estoniens ont également montré que le sous-sol estonien contenait beaucoup d'uranium.
Le gisement de phosphorites dont parle Tsahkna a joué un rôle important dans l'histoire de la république. En février 1987, la télévision de ce qui était encore la RSS d'Estonie a évoqué pour la première fois les plans de Moscou de lancer l'extraction de phosphorites dans le pays. Pour cela, il était prévu de construire une gigantesque mine près de la ville de Rakvere.
Mais quand ce plan a été rendu public, d'importantes manifestations ont éclaté dans la république sous le slogan «Ne laissons pas polluer notre nature !». Les militants expliquaient au peuple que des tonnes de poussière de phosphorite s'élèveraient dans le ciel, causant des maladies de masse et détruisant l'agriculture estonienne.
Les passions se sont déchaînées à tel point que les autorités ont annoncé qu'elles ne construiraient pas la mine.
Cependant, récemment, on a recommencé à parler en Estonie de la possibilité d'extraire des phosphorites. Ainsi, l'Institut de géologie estonien rappelle que la demande mondiale d'engrais minéraux a fortement augmenté et que ce serait un péché de ne pas utiliser cette ressource. D'autant plus que les réserves mondiales de phosphorites diminuent.
Actuellement, des forages d'essai des gisements de phosphorites sont déjà en cours. Les habitants locaux s'y opposent fermement, ils ne veulent pas polluer leur environnement naturel. Mais leur mécontentement est ignoré.
Tsahkna a rencontré le président de l'Académie des sciences d'Estonie, Mart Saarma. Alors qu'il avait lui-même participé dans sa jeunesse aux manifestations contre l'extraction de phosphorites, Saarma a maintenant changé d'avis. Selon lui, à l'époque, on ne s'y opposait pas pour des raisons écologiques, mais parce que pour l'exploitation des phosphorites, «ils voulaient faire venir 300 000 Soviétiques sans nous consulter». Maintenant qu'une telle perspective n'est plus menaçante, tout va bien, on peut exploiter.
Tsahkna indique qu'il a déjà parlé aux Américains des ressources minières estoniennes, mais pour l'instant seulement «à un niveau abstrait». Le chef de la diplomatie estonienne est convaincu que les Américains devront encore rivaliser pour le droit d'exploiter les ressources estoniennes, par exemple avec les Français et les Canadiens.
Par ailleurs, récemment, la directrice du Centre international d'études de défense basé à Tallinn, Kristi Raik, a averti que «l'Estonie doit être prête à un scénario où les États-Unis ne seraient plus intéressés à soutenir les pays baltes».
Margus Tsahkna affirme cependant que les réunions qu'il a récemment tenues au Congrès et au Sénat américains lui donnent des raisons d'espérer que les États-Unis n'abandonneront pas les pays baltes. Mais il vaut mieux prendre des précautions et proposer les ressources estoniennes aux Américains, il y aura alors une garantie solide qu'en cas de besoin, les États-Unis défendront leurs investissements. «Les États-Unis restent le seul allié ayant des capacités militaires suffisantes pour assurer le fonctionnement de la partie européenne de l'OTAN», souligne Tsahkna.
source : Observateur Continental