Par Pepe Escobar, le 19 février 2025
Ça n'a jamais censé être Yalta. Bien que Yalta 2.0 puisse éventuellement se produire.
Lors du défilé du Jour de la Victoire à Moscou le 9 mai prochain, célébrant les 80 ans de la fin de la Grande Guerre patriotique et de la défaite de l'Allemagne nazie, Poutine en tant qu'hôte, et Xi Jinping en tant qu'invité de marque, seront en ville. Donald Trump pourrait l'être aussi. Pourquoi ne pas les faire tous monter à bord d'un vol pour la Crimée, et organiser un Yalta 2.0 à Yalta, où ailleurs ?
Eurythmics, Annie Lennox, Dave Stewart - Sweet Dreams (Are Made Of This) (Official Video) , pour citer les métaphysiciens pop Eurythmics. En attendant, il n'y a eu ni Yalta, ni même Reykjavik : il y a eu 4 heures et demie de discussions au palais royal d'Al-Diriyah, dans la vallée de Wadi Hanifa. La Russie et les États-Unis se sont enfin assis pour discuter entre adultes, pour la première fois en trois ans.
Une bonne dose d'excitation s'est fait sentir, liée au "travail de normalisation des relations diplomatiques" des parties concernées. Jusqu'à il y a trois mois, sous l'administration du Cadavre de la Maison Blanche et de son Secrétaire au Génocide, cette possibilité était aussi improbable qu'une météorite s'écrasant sur Terre (cela arrivera, mais pas dans un avenir proche).
Le secrétaire d'État américain, Marco Rubio, a accompli l'exploit surhumain de ne pas échouer devant le puissant Lavrov, le plus grand diplomate de la planète. Lavrov et Rubio ont convenu de mettre en place un mécanisme de consultation pour éliminer les "points de friction" (terminologie américaine) dans les relations entre Washington et Moscou, et coopérer sur les "questions d'intérêt géopolitique communes", selon le département d'État. Les BRICS pourraient ne pas en faire partie.
L'élimination des "points de friction" peut facilement être interprétée comme un code pour Trump 2.0 qui tente de trouver comment sortir du précédent tsunami de sanctions et de guerre économique qui n'a produit au final qu'un retour de flamme spectaculaire.
Comme on pouvait s'y attendre, les Américains ont souligné qu'"une unique réunion ne suffira pas à résoudre le conflit ukrainien". Bien sûr que non. Le conseiller présidentiel Yuri Ushakov a indiqué que Poutine prendra lui-même la décision de l'ouverture des "négociations avec les États-Unis sur l'Ukraine", et désignera les négociateurs russes.
Lavrov a complètement réfuté l'existence d'un plan en trois étapes sur l'Ukraine, prévoyant un cessez-le-feu, des élections et la signature d'un accord final. Ayant soigneusement examiné le dossier en l'état, Lavrov a toujours soutenu que les États-Unis étaient "peu enclins à la négociation".
L'envoyé spécial de Trump, Steve Witkoff, rayonnait de satisfaction :
"Nous n'aurions pas pu imaginer un meilleur résultat après cette session". Eh bien, Witkoff a certainement suivi l'argent - la priorité absolue de Trump - lorsque lui et la délégation américaine ont été extrêmement "surpris" d'apprendre que "les entreprises américaines ont perdu 300 milliards de dollars en quittant la Russie", comme l'a révélé le PDG du Fonds d'investissement direct russe, Kirill Dmitriev.
Comme pour le fiasco des BRICS, il semble que l'équipe Trump n'ait pas non plus fait ses devoirs du côté des affaires.
Comment la guerre géoéconomique a été gagnée
À en juger par ce qui s'est passé à Riyad, il est trop tôt pour crier victoire, Washington sous Trump 2.0 ayant déclaré que l'Ukraine - et son minable narco-Führer - sont finis. Une Ukraine moribonde survivra sous une forme ou une autre, mais on ne sait pas du tout à quoi ressemblera cette Ukraine post-conflit.
La Russie, quant à elle, est à l'avant-garde de la conception d'un nouvel ordre mondial. Un nouveau Grand Jeu est en train de se mettre en place, à des années-lumière de la recette originale britannique du XIXe siècle, et beaucoup plus proche de l'idée que l'on se faisait d'un Nouveau Grand Jeu au début des années 2010, lorsque les Chinois ont lancé le concept des Nouvelles Routes de la Soie.
Lorsque Washington et la Russie proclament désormais qu'ils "tiennent compte de leurs intérêts mutuels", cela signifie implicitement que l'Empire du Chaos perd de son influence et qu'il est désormais contraint de s'asseoir à la table des négociations et d'écouter (Lavrov a souligné en effet que les deux parties s'étaient écoutées).
Lorsque les deux délégations soulignent qu'il est très compliqué de programmer une rencontre personnelle entre Trump et Poutine, cela peut certainement être interprété comme un code indiquant que l'État profond américain sera contraint de faire passer ce qui est de facto une défaite stratégique sans appel pour une guerre par procuration ratée.
Au-delà du flot proverbial de commentaires sur les véritables motivations de Trump pour ce rapprochement avec la Russie, qui évoquent même les délices d'un voyage allégorique sur tapis volant - au son de Steppenwolf et de Steppenwolf - Magic Carpet Ride (Version 1969) -, il est tout à fait possible qu'il ne s'agisse que d'un voyage fictif.
Ou de quelque chose de bien plus sinistre, comme l'éventualité d'un Trump préparant la populace européenne à une nouvelle Grande Guerre contre la Russie avant 2030, sous les yeux des Américains.
Ce qui est certain, c'est que Trump veut normaliser les relations avec la Russie pour arrêter de perdre de l'argent en Ukraine - en laissant payer leurs pots cassés aux boucs émissaires européens - et se concentrer sur le véritable enjeu : la guerre technologique et géoéconomique avec la Chine, que Pékin a déjà remportée à plusieurs niveaux sans lancer un seul HIMARS, se concentrant plutôt sur les réalisations du plan Made in China 2025.
Quant aux larbins de l'UE, que Trump abhorre, ils se sont réunis à Paris pour un contre-sommet glorieusement inutile : la Ligue des perdants, pour discuter, bien entendu, de leurs guerres éternelles et de la manière dont ils vont envoyer leurs forces de "maintien de la paix" - qu'ils n'ont pas, avec des armes qu'ils n'ont pas - en Ukraine.
Le cabot qui se fait passer pour le Premier ministre britannique promet d'envoyer des "troupes au sol", tandis que Medusa von der Lüge, la mégère toxique, continue de vociférer dans son plus bel accoutrement de chihuahua belliciste enragé. Même d'autres canidés enragés, comme la Pologne, aux côtés des barbons que sont l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne, ont dit "non" à l'avalanche britannique.
En l'état actuel des choses, ce qui s'est passé à Riyad n'était qu'une première étape, une sorte de réconciliation entre États-Unis et Russie, comme lors de la longue période de détente de la fin des années 1960 et du milieu des années 1970 : Gorbatchev-Reagan en 1986-1989 et Gorbatchev-Papa Bush en 1989-1991 (qui s'est soldée par l'effondrement de l'URSS), et Medvedev-Obama en 2009 (par la destruction de la Libye).
Donc, pour l'instant, rien n'est joué. À part ce que les forces russes continuent de semer sur les champs de bataille de Novorossiya. Ces nouveaux faits sur le terrain vont aggraver la situation pour les Américains, car les négociations ultrasensibles avec l'Ukraine dureront encore quelques mois.
Laissons le dernier mot à un Lavrov plein de sagesse :
"Lorsque les intérêts nationaux convergent, il faut tout faire pour unir nos efforts, dans l'intérêt de projets mutuellement bénéfiques, tant dans la sphère géopolitique que dans les affaires économiques".
Lavrov est convaincu que les Américains "comprennent désormais mieux notre position".
En sera-t-il ainsi, ou s'agira-t-il simplement d'un nouvel épisode d'une émission de téléréalité sans fin ? Que le nouveau Grand Jeu débute enfin !