
Pourquoi les fédéraux m'ont-ils interrogé ?
Par Max Blumenthal, le 26 février 2025
Un agent fédéral m'attendait peu après ma descente d'un vol international. J'ai alors eu droit à une brève, mais inquiétante séance de questions-réponses.
Alors que je m'approchais de la file d'attente des douanes à l'aéroport international de Dulles, tôt dans la matinée du 24 février, un homme m'a interpellé : "M. Blumenthal ?". Il s'est présenté comme un agent des douanes et de la protection des frontières et m'a emmené dans une salle de contrôle annexe immense, où il m'a soumis à une séance d'interrogatoire aussi bizarre que déroutante.
Je venais de rentrer d'un voyage en famille au Nicaragua, au cours duquel je n'avais participé à aucun événement politique. Mais les questions de l'agent laissaient entendre que les autorités fédérales ne s'intéressaient guère à ma visite au Nicaragua, un pays qui se trouve être gouverné par un système de type socialiste figurant sur la liste des cibles de Washington.
Alors que ma famille et moi suivions l'agent le long d'un interminable couloir, il s'est tourné vers moi et m'a dit : "J'ai vu votre dernière apparition dans l'émission Judge Napolito [sic]". Il faisait référence à Andrew Napolitano, ex-animateur de Fox News et ancien juge fédéral, qui anime une émission quotidienne en direct à laquelle participent d'anciens hauts gradés de l'armée et des services de renseignement, ainsi que des journalistes qui, comme moi, s'opposent aux récits officiels sur la sécurité nationale. Presque toutes mes apparitions dans l'émission de Napolitano, "Judging Freedom" ont porté sur les guerres meurtrières d'Israël à Gaza, au Liban et au-delà, au cours des 16 derniers mois.
Lorsque j'ai demandé à l'agent s'il avait apprécié mon entretien avec le juge, il a haussé les épaules et refusé de donner son avis. Essayait-il simplement de me préparer à notre séance de questions-réponses, ou me signalait-il officieusement que Big Brother était en train de me regarder ? "Ce n'est qu'un échange amical", a-t-il insisté lorsque nous sommes entrés dans la vaste salle de contrôle annexe. "Vous n'êtes pas ciblé, ou quoi que ce soit d'autre".
Debout devant un bureau métallique, l'agent m'a demandé de remplir un questionnaire avec des informations personnelles et des détails sur mon voyage. Une fois le formulaire rempli, il a retourné le document et m'a montré une liste manuscrite de quelques noms. "Connaissez-vous l'une ou l'autre de ces personnes ?"
Deux d'entre elles étaient des noms anglophones : Nicole Smith et Susan Benjamin. Les trois autres étaient des noms musulmans extrêmement courants. Comme l'agent ne m'a pas autorisé à photographier la liste, je n'ai pu en retenir qu'un seul : Muhammad Khan. Je ne connaissais aucun des noms de cette liste. Et la seule Nicole Smith qui me venait à l'esprit était le mannequin décédé dans des circonstances étranges à l'âge de 39 ans. J'ai donc dit à l'agent que ces noms ne m'évoquaient rien.
Je n'aurais évidemment pas aidé l'agent même si j'avais eu un lien personnel avec l'un des noms de la liste. Des militants et des journalistes qui ont subi des interrogatoires similaires m'ont appris que les agents fédéraux posent souvent des questions ineptes ou fallacieuses pour faire parler leur interlocuteur, puis tentent de le manipuler ou de le piéger afin de l'impliquer dans un délit.
[John Kiriakou : Sachez vos droits. Ne parlez pas aux policiers des l'aéroports]
En fait, la Cour suprême des États-Unis a statué que la police est habilitée à mentir pour obtenir des aveux de la part de suspects. Si des agents du gouvernement veulent soumettre des citoyens américains comme moi à un interrogatoire prolongé, ils doivent respecter les procédures constitutionnelles et nous permettre d'être assistés d'un avocat.
Libre de partir
Après avoir passé plusieurs minutes dans un petit bureau, l'agent est revenu pour nous informer que nous pouvions partir. Alors que nous sortions de la salle de contrôle et que nous nous dirigions vers la zone de retrait des bagages, un employé de l'aéroport originaire d'Afrique de l'Ouest s'est approché de moi à bord de sa voiturette-laveuse, m'a serré la main et m'a demandé de prendre un selfie. Comme l'agent fédéral, il était apparemment au courant de ma contribution journalistique, mais la voyait d'un œil beaucoup plus favorable.
En attendant nos bagages, ma femme, Anya Parampil, a pris conscience d'un élément troublant. Elle a découvert que Susan Benjamin est le nom de naissance de notre amie Medea Benjamin, cofondatrice de Code Pink, et l'une des militantes anti-guerre les plus connues de la planète.
Le lendemain, j'ai informé Medea de ma mésaventure à Dulles et lui ai demandé si elle avait vécu quelque chose de similaire. Elle m'a dit qu'à une époque, elle était harcelée par les autorités fédérales chaque fois qu'elle sortait du pays. Le F.B.I. a envoyé un agent pour l'accueillir à l'aéroport à son retour d'un voyage à l'étranger et l'a appelée à plusieurs reprises pour tenter, en vain, de solliciter un "rendez-vous". Elle a déclaré que le harcèlement avait cessé après qu'elle ait déposé une série de plaintes, mais mon expérience lui a fait craindre que cela ne recommence.
Bien que j'aie été autorisé à retourner dans mon pays après une brève séance de questions-réponses avec un agent fédéral poli, je considère que cet incident est un acte de harcèlement politique et semble indiquer une aggravation du harcèlement à l'encontre des journalistes et des activistes ayant exprimé des points de vue anti-guerre et antisionistes.
Je ne peux que spéculer sur l'objectif ultime des fédéraux, mais je connais plusieurs militants anti-guerre qui ont vu des agents du F.B.I. se présenter à leur porte au cours des derniers mois pour leur poser des questions sur l'Iran et sur des personnes portant des noms musulmans ou arabes. Juste à côté de Dulles, le F.B.I. a perquisitionné le domicile d'une famille palestinienne américaine dont la fille est une militante de la solidarité avec la Palestine à l'université George Mason.
Plus largement, dans le cadre des Five Eyes, dans les États européens vassaux qui ne bénéficient pas des mêmes protections que les Américains en matière de liberté d'expression, des journalistes comme Ali Abunimah, Asa Winstanley et Richard Medhurst ont fait l'objet de descentes de police, ont été emprisonnés et ont même été poursuivis au pénal pour les opinions qu'ils ont exprimées sur Israël et la Palestine.
Mon collègue de The Grayzone, Kit Klarenberg, a été arrêté par des policiers britanniques chargés de la lutte contre le terrorisme et interrogé pendant des heures au sujet de son travail journalistique sur les machinations de Londres en Ukraine et au-delà.
Un autre de nos collaborateurs, Jeremy Loffredo, a passé plusieurs jours dans une prison israélienne et a été expulsé après que les autorités l'ont abusivement accusé d'"assistance à un ennemi en temps de guerre" pour son journalisme en territoire occupé.
Au Canada, le militant Yves Engler vient d'être libéré après avoir passé cinq jours en prison après qu'une militante sioniste fanatique, Dahlia Kurtz, l'a accusé d'"incitation à la haine" pour l'avoir qualifiée de "fasciste". Pendant ce temps, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu voyage sans aucune difficulté de Berlin à Washington, malgré un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) pour avoir organisé des crimes de guerre effroyables dans la bande de Gaza assiégée.
L'expérience que j'ai vécue à l'aéroport international de Dulles n'est rien en comparaison de ce qu'un nombre croissant de journalistes et de militants ont enduré dans les États de l'OTAN sous gestion sioniste. Néanmoins, il est essentiel de documenter des événements comme ceux-là et de se préparer à de futures confrontations qui pourraient ne pas être aussi "amicales".
* Rédacteur en chef de The Grayzone, Max Blumenthal est un journaliste primé et l'auteur de plusieurs livres, dont les best-sellers Republican Gomorrah, Goliath, The Fifty One Day War et The Management of Savagery. Il a produit des articles pour un grand nombre de publications, de nombreux reportages vidéo et plusieurs documentaires, dont Killing Gaza. Blumenthal a fondé The Grayzone en 2015 pour mettre en lumière l'état de guerre perpétuelle de l'Amérique et ses dangereuses répercussions intérieures.