10/03/2025 reseauinternational.net  10min #271213

Pour répondre à Gail Tverberg

par Patrick Reymond

 Un nouvel article de Gail vient de paraitre. J'aurais quelques observations à y ajouter.

• Les sources d'énergie dont les approvisionnements sont insuffisants sont le pétrole (en particulier le diesel et le kérosène) et le charbon. Le diesel et le kérosène sont surtout utilisés dans les transports longue distance et dans la production alimentaire. Le charbon est surtout utilisé dans les activités industrielles.

De fait, une part écrasante de la production charbonnière sert à fabriquer de l'électricité, et on doit rejoindre la loi de Pareto, 80% pour l'électricité, 20% pour le reste. Sinon 90-10 (de mémoire), le petit reste étant surtout la sidérurgie. L'industrie, si elle utilise beaucoup le charbon, le fait en passant par le stade de... l'électricité.

La consommation de gaz, elle est plus variée, 1/3 industriel, 1/3 électricité, 1/3 usages domestiques. En fait, dans moults pays, la voiture électrique est surtout une nouvelle forme de locomotive.

Le Kérosène utilisé dans les avions est une activité à 90% futile, et le développement de l'aviation avait été rendu possible justement par l'abondance du kérosène. La ressource en pétrole a créé des besoins.

Ce sont les finances des gouvernements qui commencent à s'effondrer très tôt.

De fait, comme pour les mines, ce sont les gisements les plus prometteurs qui sont exploités prioritairement. Et les investissements publics ou privés obéissent aux mêmes règles. On va vers des investissements de moins en moins productifs, jusqu'à arriver aux faillites. C'est valable pour toutes les activités de la société, pour les états, c'est un peu plus long. De plus, pour les états ayant une histoire pluriséculaire, la faillite, c'est la règle, le XIXe siècle faisant exception avec la production massive d'or et d'argent. La quantité d'or pendant cette période est multipliée par 100.

• Les politiciens eux-mêmes ne comprennent pas. Les populations, pas davantage, et en plus, ni les uns, ni les autres ne veulent comprendre. Trop douloureux. On est là aussi, dans un rapport 80-20, et on attribue ses effets à d'autres causes. Le premier effet d'un manque d'énergie, c'est le chômage, le sous-emploi ou, comme on dit aux USA «not in labour force», pas dans la force de travail... Les salaires insuffisants aussi, sont une cause de l'éloignement du travail. Le salaire salarié ne couvre simplement pas les frais qu'il occasionne.

• La ligne supérieure de la figure 1 indique que l'économie mondiale a progressivement appris à utiliser moins de pétrole par rapport à la population. Avant que les prix du pétrole ne commencent à monter en flèche en 1973, on brûlait du pétrole peu raffiné pour produire de l'électricité. Cette consommation de pétrole pourrait être éliminée en construisant des centrales nucléaires ou des centrales électriques au charbon ou au gaz naturel. Le chauffage des habitations était souvent assuré par des livraisons de diesel aux ménages. Les usines utilisaient parfois du diesel comme carburant pour les processus effectués par les machines. Beaucoup de ces tâches pourraient facilement être converties en électricité.

Évidemment, on a très peu pensé à faire réellement des économies d'énergies parce que cela nous déconnecterait du marché réputé si bienfaisant. Toutes les politiques menées visaient surtout à nous garder solvables. Il a fallu pas loin de 50 ans d'évolution des normes de construction pour arriver à la maison passive. Et pour retomber sur la question du charbon, la crise de 1973 a donné un second souffle au charbon.

Les prix ne sont pas assez élevés pour que les producteurs augmentent leur production.

Ne pas oublier, aussi, que les producteurs ont changé. L'Arabie saoudite de 1960 avait 6 millions d'habitants, avec des habitudes de vies assez frustes, le Venezuela de 1930 avait, lui, 3 millions d'habitants, se contentant de très peu. De plus, les générations ont changé, et le luxe d'hier est devenu le normal d'aujourd'hui. Les besoins de ces nations, et leur masse critique ont changé. C'est pour cela que ce qui fut envisagé, l'intervention militaire des USA an Venezuela se révèle impossible ou très risqué. Alors qu'en 1930 un coup d'état organisé par une petite armée était très facile à fomenter. La simple masse de la défense militaire vénézuélienne, 2 millions de soldats, rend le calcul très aléatoire, même si 90% se débandent. Les 10% restants rendent la noix incroquable.

• En ce qui concerne la nourriture, il faut noter que jusqu'à récemment, une part notable de la population était capable de se nourrir au moins partiellement elle-même. Les aliments carnés aussi, était souvent obtenus avec les déchets non consommables par les humains : cochons et poules. Ce niveau, même dans les pays développés pouvait être très importants, 70% de la population dans la France de 1939 était ou paysan, ou cultivait un jardin. À noter que cela nécessite aussi une véritable culture personnelle pour y être efficace. Seul, la bourgeoisie était uniquement dépendante des circuits économiques officiels, et cela a duré jusqu'au début des années 1970 et l'arrivée à l'âge adulte d'une génération n'ayant connu que l'abondance.

• Pour les distillats moyens, on est dans une adaptation incessante et un équilibre entre la demande, qualifiée à tort de «demande», et l'offre ou production. C'est sûr que c'est beaucoup plus facile de s'adapter quand on a des excédents, que quand les quantités disponibles régressent. Il faut alors des faillites dans biens des secteurs de la société, pour ajuster l'un et l'autre.

• Pour ce qui est de la rivalité Grande-Bretagne Allemagne avant 1914, je dirais aussi qu'un des détonateurs du conflit de 1914 a été le Bagdadbahn, chemin de fer de Berlin à Bagdad, et la tentative d'accès des allemands aux pétrole du moyen orient, au moment où la marine militaire britannique passait du charbon au pétrole. D'abord parce que la signature (les fumées) des navires était moindre, ensuite parce que les quantités étaient insuffisantes, surtout si l'on considère à l'époque l'importance de la marine militaire britannique (2 370 000 tonneaux, contre 980 000 à celle de l'Allemagne, et 780 000 pour la France). Naturellement, approvisionner une telle masse est une gageure qui inquiétait beaucoup l'amirauté, et que l'appétit allemand dans l'empire ottoman indisposait. C'était, pour l'empire britannique, vital, et si les empires allemands et russes pouvaient se détruire mutuellement dans une guerre bien juteuse, les vœux de Mackinder auraient été exaucés et l'hégémon britannique assuré. Raison pour laquelle l'ambassadeur britannique en 1914 propose au kaiser la neutralité française et les mains libres à l'est. C'est l'état-major allemand qui refusera. Quant au bilan humain de la première guerre mondiale, en Perse et dans l'empire ottoman, il dépasse sans aucun doute le montant des pertes militaires du conflit. Les famines ont tué plus énormément. Pour la Perse, certains disent le 1/3 ou 1/2 de la population, de 6 à 8 millions de personnes. Pour un pays neutre qu'on a présenté comme à l'écart de la Première Guerre mondiale.

• Une autre limite énergétique à laquelle nous sommes confrontés est celle du charbon. N'oublions pas, non plus, le problème de la qualité, nonobstant celui des quantités. En effet, le charbon produit est de plus en plus brun et de moins en moins noir, c'est à dire que si les quantités ont bien progressé, sa valeur énergétique est très dégradée. En bref, c'est de la merde, tout juste bon à fabriquer de l'électricité.

• Une autre limite énergétique à laquelle nous sommes confrontés est celle du charbon. Raison pour laquelle les médias nous abreuvent de réchauffement climatique. On fait simplement l'impasse sur l'impossibilité grandissante de trouver de nouvelles ressources pour compenser celles qui disparaissent.

• Ce qui va mal tourner. La dette. En fait, sauf pour les USA qui sont une création récente, la banqueroute est loin, très loin, d'être un risque, c'est beaucoup plus risqué de vouloir rembourser la dette, d'abord parce que la monnaie, c'est la dette, qu'ensuite si on réduit la dette, on détruit la masse monétaire. Et là, on rentre dans les zones de turbulence. De fait, l'usage du moyen âge qui perdure en France jusqu'en 1547, c'est que la dette périt avec le roi. Ensuite, à la mort d'Henri II en tournoi (1559), cet usage n'est pas reconduit, la dette, est colossale avec 43 millions de livres et des économies tous azimuts sont décidées, et 6 mois plus tard, le pays sombre dans les guerres appelées improprement «guerres de religion». En fait, les soldats licenciés suite à la fin des guerres d'Italie (120 000), ont été licenciés sans pensions, et quand ils n'eurent plus d'argent, ils recommencèrent la guerre. Civile cette fois, pour 40 ans. Louis XVI aussi refusa la banqueroute, elle eut lieu en 1797 (banqueroute des 2/3), entretemps les rois de France de 1560 à 1789 firent faillite au moins 10 fois. Celle qui eût lieu sous Louis XIII se fit sous la menace royale d'un massacre des financiers s'ils ne renonçaient pas à leurs créances.

À noter que Louis XIII avait déjà fait massacrer son Premier ministre, Concino Concini, et qu'il n'était pas réputé pour sa clémence mais pour son caractère rancunier et sa raideur à punir et à faire exécuter. En fait, c'est sous son règne que l'ordre commence à régner dans le royaume : «On m'a dit que le premier devoir des rois était la miséricorde. En fait, le premier devoir d'un roi, c'est de punir les méchants», chose qu'il assuma sans aucun état d'âme. La menace faite à l'encontre des financiers avait été prise très au sérieux par ceux-ci, et apparemment entre leur tête et leur pognon, ils choisirent en un clin d'œil de garder la première. De fait, historiquement, se débarrasser de la dette n'est aucunement un problème.

• Le principal problème sous-jacent est qu'il faut en réalité une offre croissante de produits énergétiques à bas prix pour faire avancer l'économie.

La croissance existait avant les énergies fossiles. Elle est notée dès 1576 dans la controverse entre Jean Bodin et Jean de Malestroit qui donne naissance aux sciences économiques. Mais c'est nettement plus lent, 0.5% par an est exceptionnel, dans les «pré-révolutions industrielles», le plus souvent, c'est 0.25%. Mais, à long terme, cela donne des résultats quand même appréciables.

Souvent paralysé par des structures économiques inadéquates, certaines ne connaissent même pas de «croissance». Mais les politiques s'en ressentent. Tout est plus lent, faute de moyens, ce qui n'empêche pas quand même, de nettes niches de croissances. La France du XVIe siècle est foisonnante d'activité économique, stimulée par les ventes de produits artisanaux voir, déjà, manufacturé à L'Espagne et à l'Allemagne, dont elle absorbe les métaux précieux. J'ai vu, un très vieux métier à tisser marqué «Izieu 1513».

• L'économie mondiale semble se diriger vers une réorganisation majeure. En fait, cette réorganisation est commencée depuis 1973, avortement, chômage, migration des industries. L'avortement n'a pas été donné pour «donner des droits aux femmes», mais pour sauver la peau des gens au pouvoir. Le DOGE de Trump et Musk me semble d'ailleurs plus une lutte anti-corruption, une corruption aux allures phénoménales qu'une tentative impossible de sauver les meubles. En tous cas, ça peut donner une chose intéressante, des boucs émissaires, comme par exemple, les Clinton, devenus riches à millions (on dit 250), sans jamais avoir approché le million de dollars de gains annuels...

• La simplification globale ?

Trump veut faire passer son pays d'un statut de puissance hégémonique à celui d'un «primus inter pares», le premier d'entre ses pairs (avec la Russie, l'Inde et la Chine), mais, même cette ambition à mon avis arrive trop tard. Il a, en effet, peu de chances d'être le premier. Mais il ne manquera pas de se présenter comme tel. Russie et Chine seront sans doute tellement contents de le voir abandonner la prétention de vouloir dominer le monde, qu'ils lui abandonneront sans doute quelques avantages dont il puisse se prévaloir. Chine et Russie géraient en fait, le déclin américain en voulant éviter un affrontement direct pouvant dégénérer.

Le déclin énergétique du monde a entrainé le déclin de sa puissance dominante, et le mieux que Washington puisse faire, c'est de gonfler l'Inde au stade de 4ème géant, ce qui procurerait à long terme plus de soucis à Pékin, que son affrontement avec Washington. En fait, Pékin sera si content que Trump admette la défaite de l'Amérique, même s'il tente de le présenter pour autre chose, que des gestes de bonne volonté ne sont pas à exclure.

source :  La Chute

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