par Nouvelle Aube
La chaîne suisse RTS a dévoilé, dimanche soir, l'usage par l'armée coloniale française de l'arme chimique prohibée contre des civils algériens, pendant l'occupation qui avait duré plus de 130 ans.
Il s'agit d'un documentaire de 53 minutes intitulé «Algérie, sections armes spéciales» qui révèle pour la première fois, depuis l'indépendance de l'Algérie en 1962, l'usage de ce type d'armes par la colonisation française.
Pourtant, la France était parmi les 135 Nations ayant signé le Protocole de Genève de 1925 contre ces armes.
Ce film révèle pour la première fois comment l'armée française a fait usage de gaz chimiques interdits durant la guerre d'Algérie.
«Avec la torture et le déplacement des populations, la guerre chimique est le dernier élément d'une série de brèches dans les engagements internationaux de la France que celle-ci a bafoués pour mener sa guerre coloniale. De 1954 à 1959, la France coloniale n'a pas hésité à gazer, notamment dans les zones montagneuses difficiles d'accès, des populations sans défense», précise le documentaire.
Se basant sur les souvenirs et les archives personnelles de soldats français, de combattants ou de civils algériens, Claire Billet, la réalisatrice du film, a pu mettre au jour un dossier gardé secret pendant près de 70 ans.
La réalisatrice s'est appuyée aussi sur les travaux de l'historien Christophe Lafaye, engagé dans un mémoire d'habilitation de recherche consacré à ce sujet.
Ce dernier, en dépit de nombreux obstacles administratifs, a exhumé plusieurs documents qui décrivent comment la décision politique a été prise, en mars 1956, comme en atteste un courrier du commandant supérieur interarmées de la 10e région militaire (qui couvre l'Algérie) au secrétaire d'État aux Forces armées (terre), Maurice Bourgès-Maunoury, intitulé : «Utilisation de moyens chimiques».
«Le colonel des armes spéciales m'a rendu visite. Il m'a annoncé qu'il avait obtenu votre accord de principe relatif à l'utilisation des moyens chimiques en Algérie», écrivait alors l'officier français.
Le film documentaire revient aussi sur le compte-rendu d'une réunion tenue, en septembre 1956, à l'état-major des Armées qui atteste de l'existence »d'une politique générale d'emploi des armes chimiques en Algérie».
Le but d'infecter les grottes où se refugiaient les »insurgés» - que les documents de l'époque qualifiaient de »hors la loi»-, était, selon le film, de faire prisonniers ou tuer leurs occupants, et les rendre impraticables.
Le documentaire rencontre aussi des survivants algériens de la grotte de Ghar Ouchettouh, dans les Aurès (est algérien), »gazée le 22 mars 1959 avec près de 150 villageois à l'intérieur».
Selon Christophe Lafaye, »8 000 à 10 000 gazages ont été conduits pendant toute la guerre». L'historien en a documenté 440, qu'il a fixés sur une carte.
«L'inventaire complet reste à faire. Il a fallu attendre 1993 pour que la France vote l'interdiction définitive des armes chimiques et leur fabrication», souligne aussi le film.
Du napalm
Outre les armes chimiques évoquées dans ce document, une autre arme, du napalm, avait été utilisée en Algérie, selon l'historien français spécialiste de la guerre d'Algérie, Benjamin Stora.
Connue sous l'appellation de BS (Bidons spéciaux), cette arme, également interdite par les conventions de Genève signés par la France, précise l'historien, »a largement été utilisée pendant la Guerre dans les zones montagneuses, faisant des centaines de victimes, dont des enfants, des femmes et des personnes âgées».
Alors que les autorités française tenaient à démentir l'usage de BS, des témoignages français confirment ce que les maquisards algériens dénonçaient.
En 1959, Hubert Beuve-Méry, le directeur du journal Le Monde, a eu la certitude de l'usage de cette arme après s'être entretenu avec le successeur de Robert Lacoste en Algérie, Paul Delouvrier.
Largué par les airs, le napalm enflamme immédiatement la surface sur laquelle il se répand, ce qui le rend particulièrement redoutable dans les régions boisées. Un caporal de l'armée coloniale française avait même décri l'usage du Napalm au même journal.
«Ayant participé à l'encerclement et à la réduction de la ferme où [les «rebelles»] étaient retranchés, je puis vous indiquer qu'ils ont, en réalité, été brûlés vifs, avec une dizaine de civils dont deux femmes et une fillette d'une dizaine d'années, par trois bombes au Napalm lancées par des appareils de l'aéronavale, non loin de Sétif, le 14 août 1959», a-t-il témoigné.
Ces nouvelles révélations s'ajoutent ainsi aux crimes déjà connus et documentés commis par le colonialisme français en Algérie.
Dans son contentieux historique avec la France, l'Algérie réclame notamment la reconnaissance de »l'utilisation de la torture», »des massacres des populations durant les 130 années de la colonisation», »la décontamination des zones où sont effectués les essais nucléaires», ainsi que «la restitution des archives algériennes».
Ce lourd contentieux historiques est, de l'avis de nombreux observateurs et spécialistes des relations algéro-françaises, à l'origine des nombreuses crises chroniques entre les deux pays.
source : Nouvelle Aube