Yorgos MITRALIAS
Quand au début du siècle, le grand écrivain américain Philip Roth réécrivait l'histoire de son pays avec son extraordinaire roman Le Complot contre l'Amérique », en faisant élire président des Etats-Unis le légendaire aviateur pronazi Charles Lindbergh à la place de Franklin Roosevelt, probablement il ne pouvait pas imaginer que la réalité politique des États-Unis d'aujourd'hui présenterait plus que des similitudes avec celle décrite dans son livre. Un livre d'une fiction politique qualifiée pourtant alors de « cauchemardesque », se déroulant 85 ans plus tôt, en 1940 ! Car bien prophétique le roman de Roth l'est quand il fait élire un Lindbergh promettant, comme Trump, la paix. Ou quand, une fois au pouvoir, ce même Lindbergh s'empresse de faire ce qu'est en train de faire Trump avec Poutine : conclure un pacte de non-agression avec Adolphe Hitler...tandis qu'il prend comme ministre à tout faire un nazi notoire, le grand capitaliste constructeur de voitures Henry Ford, là où Trump a pris un autre capitaliste également constructeur de voitures, Elon Musk...
C'est comme si les démons d'un passé qu'on croyait enterré, continuent à hanter notre présent. Et cela pas seulement grâce aux intuitions géniales de Philip Roth. Mais aussi et surtout en raison du passé et de la formation idéologique de ceux qui sont à la fois les têtes pensantes et la garde rapprochée de Trump : le triumvirat de Elon Musk, Peter Thiel et David Sachs ainsi que leur protégé, le vice-président J.D. Vance. Moins connu que Musk, David Sachs a été nommé par Trump « czar responsable de l'Intelligence artificielle et des cryptomonnaies », c'est-à-dire de deux secteurs plus que névralgiques de son administration, tandis que Peter Thiel qui peut se targuer d'avoir « découvert » et senti le premier le potentiel de Trump, a formé idéologiquement, a financé et a propulsé sur la scène politique J.D. Vance, avant de l'imposer comme vice-président de Trump.
Évidemment, le contenu des professions de foi et des actes de ces messieurs suffiraient amplement à les qualifier de néonazis. D'ailleurs, ils s'évertuent eux-mêmes à poser en racistes et suprématistes convaincus et en soutiens et propagandistes de tout ce qu'il y a de néofasciste et surtout de néonazi de par le monde. Toutefois, c'est leur passé commun de Sud-Africains blancs, partisans enthousiastes de l'apartheid et grandis dans des milieux ouvertement nostalgiques du Troisième Reich, qui éclaire bien plus que les sanctions punitives de Trump contre l'Afrique du Sud, en raison de très timides mesures en guise de cette réforme agraire que ses gouvernements successifs n'ont jamais entrepris après la chute de l'apartheid. (1) En réalité, il éclaire la profondeur et la solidité de leurs convictions néonazies. Par exemple, Peter Thiel, le plus formé et influent de trois, a grandi à Swakopmund, une petite ville de l'actuelle Namibie, peuplée de blancs d'origine allemande, qui fêtaient chaque année jusqu'à récemment l'anniversaire... de Hitler et se saluaient dans les rues avec des...Heil Hitler décomplexés !
Alors, ceci étant dit on ne peut que constater qu'on est devant une garde rapprochée de Trump qui brille par ses références clairement nazies et pas du tout en présence des simples « provocateurs » et autres « fous » et « farfelus » ou même des « milliardaires aux idées confuses », comme le prétendent nos médias qui n'arrivent toujours pas à résoudre le prétendu « mystère » des saluts nazis de Elon Musk ! Ce constat n'est pas dépourvu des conséquences terriblement importantes et...effrayantes. D'abord, il fait la lumière sur les agissements présents et à venir, prétendument « chaotiques » et « incompréhensibles » de ce même Trump, leur donnant un sens qui reste caché tant qu'on essaye de les interpréter comme de simples variantes extrémistes de politiques néolibérales et autoritaires qu'on a connu par le passé. Et ensuite, il donne la mesure de la menace mortelle pour l'humanité que représentent les projets et les ambitions du tandem Trump-Vance et du trio maléfique de leur garde rapprochée !
Pour l'instant, une chose est sûre : après les grands chambardements de deux premiers mois de cette seconde présidence de Trump, les Etats-Unis d'Amérique ne sont plus le pays que le monde connaissait depuis la fin de la Première Guerre mondiale en 1918 ! Et vu que ces Etats-Unis font, depuis plus d'un siècle, la pluie et le beau temps du monde entier, c'est ce monde qui se réveille aujourd'hui changé radicalement, métamorphosé et profondément angoissé par des lendemains désormais indéchiffrables !
Inutile de chercher la logique de ces « grands chambardements » de la seconde présidence de Trump à l'aide des habituels outils analytiques. Ce qui donne un sens à l'actuel processus de destruction de la grande démocratie (bourgeoise) nord-américaine ainsi qu'à l'avalanche de décrets présidentiels plus ou moins « incompréhensibles » et déconcertants qui l'accompagnent, c'est qu'ils servent tous un projet qui se moque éperdument des règles établis par les lois, les constitutions ou le droit international. Alors, plus tôt nos gauches comprendront cette vérité première, le mieux sera pour elles et pour le monde entier...
C'est ainsi que ce qui rapproche et même unit des partis ou des dirigeants politiques à première vue assez différents, comme par exemple Trump, Poutine ou Netanyahou n'est pas nécessairement et en premier lieu la communauté de leurs intérêts géostratégiques, impérialistes et autres. C'est surtout et avant tout la communauté de leurs projets profondément antidémocratiques, racistes, obscurantistes, suprématistes, militaristes et violents. Et cette communauté idéologique rapproche non seulement les grands mais aussi les « petits » dirigeants autoritaires et antidémocratiques comme par exemple, le président Serbe Aleksandar Vucic, un fidele de Poutine, qui est devenu un grand pourvoyeur d'armes d'Israel de son ami Netanyahou : sa Serbie vient en 2024 d'augmenter de...3000% ses exportations d'armes vers cet Israël accusé de génocide à Gaza durant cette même année.(2)
Mais attention ! La communauté idéologique des projets et des ambitions de Trump, de Poutine, de Modi ou de Netanyahou ne signifie pas du tout que ces dirigeants et leurs régimes sont « condamnés » à coexister pacifiquement, à se faire la paix en partageant le monde entre eux. En réalité, c'est tout le contraire. Des régimes comme ceux de Trump ou de Poutine et de leurs clones idéologiques, mènent tôt ou tard à la guerre y compris entre eux. À des guerres « fratricides » comme par exemple, celle qui a été évitée de peu au dernier moment en 1934 entre le fascisme italien et le nazisme allemand, quand Mussolini a envoyé urgemment 200 000 de ses soldats à la frontière autrichienne pour empêcher son ami Hitler d'annexer l'Autriche, à l'époque sous influence italienne !...
Alors, mesurons en toute priorité l'extrême gravité de la situation, et agissons en conséquence. Car la condition indispensable pour combattre efficacement son ennemi est de savoir ce qu'il est et ce qu'il a l'intention de te faire...
Notes
1. Voir notre article Quand l'Afrique du Sud des attentes trahies, trahit aussi son héros Dimitri Tsafendas ! : cadtm.org
2. Voir Haaretz : haaretz.com