par le général (2S) Henri Roure
Ce à quoi nous assistons en ce moment est la véritable fin de la guerre froide et la dislocation définitive des blocs. Le pseudo-Occident est sur le point d'éclater, alors que la Russie qui n'est plus «des soviets» se voit offrir une revanche, sans pour autant profiter des circonstances pour rebâtir son ancien empire.
La Russie soviétique, sans combat, avait été défaite entre 1989 et 1991, laissant les États-Unis s'ériger en seule hyper-puissance. Les États-Unis disposaient subitement de la liberté de déployer dans le monde leur hubris.
Cette tentation hégémonique s'est vite traduite par l'imposition de règles à leur seul bénéfice et surtout par des dérives et perversions morales et sociétales instillées par ce que nous appelons l'État profond. Elles avaient pour but d'affaiblir, d'unifier et de standardiser les peuples pour les soumettre au bon-vouloir d'une caste transnationale mais essentiellement anglo-saxonne.
Pendant cette période où les États-Unis tentaient de renforcer leur domination, la Russie se rapprochait des puissances européennes et sous l'impulsion de son président se réorganisait et se reconstruisait. Débarrassée du fardeau de ses satellites et de son idéologie conquérante, elle redevenait naturellement une puissance européenne. En 2000 elle demanda son adhésion à l'OTAN que le président états-unien Bill Clinton rejeta.
Cependant les concepteurs de l'hégémonie étatsunienne, Kissinger, Breszinsky, Kagan... et surtout Wolfowitz, aveuglés par leur orgueil nationaliste, firent une mauvaise analyse. Ils en vinrent à considérer que la Russie résiliente était l'héritière de l'URSS et allait gêner l'établissement de la domination absolue de Washington. Il fallait donc l'anéantir.
Cette erreur est encore courante chez les dirigeants actuels des principaux pays européens qui croient à la menace russe. Constatons simplement que la Russie, après avoir récupéré la Crimée, en trois ans de guerre en Ukraine, n'a conquis que la part de ce pays notoirement russe, le Donbass, terriblement maltraité par les Ukrainiens.
Il est avéré, en effet, que les attaques de l'État ukrainien contre sa population russophone est à l'origine du souhait de celle-ci de demander la protection de la Russie. Par la suite le référendum, expression démocratique éminente, confirma massivement ce désir. Il contrariait le pseudo-Occident qui ne le reconnut pas. Les puissances otaniennes se référaient au principe de l'intangibilité des frontières et récusaient la référence que faisait la Russie à celui du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Ce fut sur cette conception que se fonda la légitimité de l'opération militaire spéciale.
Je note incidemment que le maintien du kaléidoscope des populations au sein des États issus du bloc de l'Est est le résultat de l'imperium soviétique. Moscou, présentement, est sur le point de contribuer à défaire ce que l'URSS avait tissé... Certes d'une certaine manière la Russie est l'héritière de l'URSS. On n'oublie pas soixante-dix ans d'un passé proche parce que le système politique a changé. Mais la Russie d'aujourd'hui débarrassée du marxisme, évolue dans une perspective de développement social et économique à l'instar des pays d'Amérique du nord et d'Europe de l'ouest, ce à quoi ailleurs aspirent la plupart des nations.
Cette vision accusatoire d'une Russie potentiellement belliqueuse a conduit ce pays à trouver des alliés ou des soutiens pour se protéger dans tous les domaines de la vie des peuples. C'est notamment dans ce besoin d'éviter un périlleux isolement qu'elle a contribué à l'émergence des BRICS+.
Nous ne pouvons que constater les conséquences de cette erreur majeure des États-Unis qui ont ainsi contribué sans le vouloir - et même en cherchant le contraire - à l'émergence d'une réunion d'États souverains concurrents et hostiles collectivement au pseudo-Occident 1. La Russie s'est surtout rapprochée de la Chine constituant théoriquement avec elle un énorme ensemble auquel les États-Unis et leurs alliés seraient bien en peine de s'opposer.
Il a fallu la provocation des théoriciens états-uniens de l'application universelle de l'american way of life, approuvée par l'État profond et les néo-conservateurs au pouvoir à Washington, pour que la Russie intervienne en Ukraine par son opération militaire spéciale.
Je rappelle brièvement les faits. Les États-Unis de l'administration conservatrice voyaient comme dernier obstacle à leur domination absolue, une Russie qu'ils présentaient comme dangereuse. Il est vrai que la Russie, par son étendue, est le premier État au monde et qu'elle regorge de ressources !
Ils envisageaient par une stratégie indirecte de la faire totalement s'effondrer, puis de la partager en plusieurs États qui auraient été sous leur contrôle. La Russie d'Europe aurait pu alors se rapprocher d'une UE, déjà soumise par construction aux États-Unis. Victoria Nuland, la CIA et la NSA, ont étayé l'idée que l'Ukraine devait intégrer l'OTAN et l'UE. Cette perspective était évidemment inacceptable pour Moscou qui aurait vu les forces otaniennes à sa frontière sur près de 1400 kilomètres.
Cette provocation s'ajoutait au mensonge de James Baker à Gorbatchev qui promettait que les anciens pays du Pacte de Varsovie ne rejoindraient pas l'OTAN. La Russie se sentant menacée - et elle l'était - a été contrainte d'agir. Elle s'est défendue. Au début du conflit, alors que les protagonistes étaient prêts à engager des pourparlers de paix, les Occidentaux les firent capoter.
Par la suite les accords de Minsk 1 et 2 s'avérèrent des entourloupes européennes pour mieux armer l'Ukraine.
L'irréalisme des États-Unis sous les administrations conservatrices s'avère confondant, tout comme est déconcertante l'attitude de suivisme des Européens. Ce pseudo-Occident a réussi à dresser contre lui une majorité de pays, à renforcer économiquement et militairement la Russie, à mettre en péril l'OTAN et à ruiner certains pays membres de l'UE.
Or cette affaire du côté des Républicains et de M. Trump, récemment élu, a été froidement analysée. La nouvelle administration, réaliste, pragmatique, hostile aux dangereuses dérives de l'État profond, a compris l'inanité de l'agressivité occidentale. Il faut se souvenir que Donald Trump est un homme d'affaires, entouré d'hommes d'affaires. C'est donc un réaliste et un pragmatique. Ce type de guerre n'est rentable qu'un moment. Il est conscient par ailleurs de la situation interne de son pays qui ne favorise pas les actions belliqueuses.
«America first» le slogan qu'il reprend, exprime autant la volonté de maintenir le rôle des États-Unis dans le monde que le souhait de se préoccuper d'abord des populations et des intérêts états-uniens. Par ailleurs le rapprochement entre la Chine et la Russie devenait un vrai danger dans la perspective d'une opposition conflictuelle avec la Chine.
Nous assistons donc à un basculement du monde. Le monde unipolaire, ou plus exactement la volonté d'établissement d'un monde unipolaire, est rejetée rudement au profit d'un monde multipolaire. Cette évolution répond enfin au souhait des nations.
Il est étonnant que cette évolution intelligente de la position des États-Unis, ait abouti à une sorte de découplage avec l'UE. Macron et Stammer et quelques autres dirigeants européens, privés d'un facteur d'unité, mais aussi d'une subordination confortable à Washington et à cette idée d'un monde réuni sous des principes enseignés par leur mentor états-unien, réagissent. Ils fantasment sur la menace russe, se gonflent comme la grenouille de la fable.
Ils imaginent que leurs armées relevant toutes de l'OTAN pourraient aller assurer le maintien de la paix en Ukraine, alors que l'OTAN est considérée par Moscou comme l'agresseur. C'est évidemment d'une absurdité confondante.
Ils décident d'une augmentation spectaculaire du budget d'une Défense européenne et de modalités spéciales pour bizarrement éviter un impact dans les déficits budgétaires, en semblant ignorer au moins deux évidences. Les armées ne peuvent pas être autres que nationales et que, pour monter en puissance, il faut de très nombreuses années. La mobilisation massive relève de temps révolus. Le soldat est un professionnel spécialisé long à former, difficile à recruter et qui coûte cher.
Mais surtout ils occultent le fait majeur : ils n'ont pas la main. Ils ne seront qu'accessoires dans les négociations de paix, si tant est que Russie et États-Unis, désormais engagés dans un processus de paix, les acceptent dans les négociations. La France dans ce contexte nouveau, avec des dirigeants compétents et patriotes, pourrait se débarrasser du fardeau de l'UE et de la soumission à l'OTAN.
De toute évidence la Russie n'est pas menaçante. Elle a même été victime - je dis bien victime - des ambitions et des manœuvres du pseudo-Occident. Dire le contraire n'est que de la vulgaire propagande au travers de mensonges grossiers et répétés.
Face à cette implication guerrière otanienne hypocritement voilée sous le prétexte fallacieux d'aide à l'Ukraine, les puissances européennes ont subi les conséquences de leur perfidie et de leur alignement irréfléchi sur Washington. Toutes sont désormais en crise économique à la suite de l'effet retour des sanctions, unanimement approuvées, contre la Russie. L'Allemagne, pourtant alliée fidèle des États-Unis et première puissance économique du continent, a vu son industrie gravement atteinte.
À des degrés divers les autres États ont été impactés par le renchérissement du prix des hydrocarbures. Il est bien sûr dû à des cheminements terriblement allongés que prennent les approvisionnements en provenance indirecte de Russie et à l'obligation de se fournir en gaz de schiste aux États-Unis. La récession est là...
Quant à la France, il est évident que sa position de grande puissance, non anglo-saxonne - c'est à dire isolée - lui a valu de la part de la Russie des attaques indirectes que la fragilité de sa gouvernance n'a fait que rendre plus efficaces. La Russie ne faisait que réagir à la virulence de l'attitude de Paris.
En Afrique, pourtant un des éléments majeurs de sa dimension géopolitique, la France a perdu pied. Dans au moins quatre États du Sahel, ses forces ont été remplacées par l'Africa corps, anciennement Wagner. Dans d'autres États, sous l'action de la Russie, comme au Sénégal et au Tchad, elle a perdu une grande partie de son rôle traditionnel... Sur son propre sol elle a subi des attaques de cyber guerre ou des menées de déstabilisation dans ses régions ultramarines...
Deux puissances, finalement récolteront des bénéfices de cette guerre. Bien évidemment les États-Unis qui, à moindre frais, vont exploiter les ressources d'une Ukraine neutralisée et vont vendre de l'armement aux Européens restés dans leur délire belliqueux. L'autre gagnant sera de toute évidence la Russie rehaussée au niveau d'une très grande puissance, à l'économie en développement soutenu et ayant conquis avec le Donbass, une région parmi les plus industrieuses. Ce n'est pas le moindre des paradoxes de cette guerre. Elle fut motivée par le souhait d'abattre une puissance regardée comme dangereuse et elle aura abouti à faire renaître une grande puissance...
Quant à l'Organisation européenne elle aura montré ses insuffisances et même sa nocivité. Son existence, dans le monde multipolaire qui se profile, touche très vraisemblablement à sa fin. L'OTAN risque elle aussi de faire les frais d'une prise de conscience. Dans cet heureux contexte la France pourra retrouver sa souveraineté et réorienter ses amitiés.
Je rappelle par quelques citations ce que le général de Gaulle, grand connaisseur de l'histoire et des peuples, disait à propos de la Russie pendant la seconde guerre mondiale et juste après.
À l'égard de la Russie, il a toujours exprimé des propos amicaux, considérant qu'elle pouvait davantage que l'Allemagne, être l'alliée privilégiée de la France.
Trop de griefs historiques opposaient la France et sa voisine immédiate ; beaucoup moins à la Russie. Il l'affirma à plusieurs reprises, tout en considérant comme indispensable un rapprochement avec l'Allemagne. Il affirma ses positions alors que le second conflit mondial se poursuivait.
Le 20 janvier 1942, il évoqua l'alliance franco-russe comme une «nécessité que l'on voit apparaître à chaque tournant de l'histoire». Et pour sceller cette union, il envoya en Russie les aviateurs du groupe Normandie, qui deviendra le régiment «Normandie-Niémen» et se couvrira de gloire jusqu'à la victoire.
Le 8 octobre 1943, à Ajaccio, de Gaulle tira la leçon stratégique et politique de cette libération du premier département de France métropolitaine : «Nous sommes ici au centre de cette mer latine, de cette mer qui est un des chemins vers notre alliée naturelle, la chère et puissante Russie». Qui aujourd'hui dans des gouvernements soumis à l'étranger pourrait prononcer une phrase pourtant d'un grand bon sens ?
Elle prolongeait la pensée de plusieurs écrivains et politiques qui considéraient que la France et la Russie partageaient des intérêts essentiels. Chateaubriand écrivait ainsi que «les ennemis naturels de la Russie sont aussi les ennemis naturels de la France». Sans doute sous-entendait-il le monde anglais et le monde germanique.
Dans Paris libéré, de Gaulle dira, le 12 septembre 1944 : «Notre hommage s'adresse à la Russie soviétique qui, sous l'agression de 1941, vit les armées allemandes s'avancer jusqu'aux portes de Leningrad et de Moscou et pénétrer au fond du Caucase, mais sut trouver dans l'admirable courage de son peuple, les vertus de ses combattants et l'organisation de ses vastes richesses, l'énergie et les moyens nécessaires pour chasser l'envahisseur et briser dans de terribles batailles l'essentiel de sa force guerrière». Au retour de son voyage de novembre à Moscou, où il conclut un pacte d'alliance et d'assistance mutuelle, il décrivit la Russie et la France manifestant «leur volonté d'étroite collaboration dans toutes mesures qui conduisent au statut de l'Europe de demain».
Il pressentit et redouta, une volonté de régir l'après-guerre qui risquait de nuire à l'indépendance des pays libérés des forces nazi, et d'entraîner de nouvelles rivalités qui remettraient en cause la paix chèrement gagnée.
Lors d'une conférence de presse du 25 octobre 1944, il répondit à une question insidieuse : «Je ne crois pas qu'il faille faire un bloc des États de l'Ouest de l'Europe». Il jugea sévèrement les partisans d'une fédération européenne. A Nîmes, le 7 janvier 1951, il affirma : «Pour organiser l'Europe, qu'on la prenne donc comme elle est, c'est-à-dire comme un ensemble formé de peuples très distincts dont chacun a, bien à lui, son corps, son âme, son génie et, par suite, doit avoir ses forces». Il dira aussi après la signature à Paris, le 27 mai 1952, du traité de la C.E.D 2 qu'il s'agissait pour la France d'un «protocole d'abandon», plaçant les forces armées européennes sous l'autorité des États-Unis.
Alors qu'il était revenu au pouvoir, le général de Gaulle invita, en mars 1959, Khrouchtchev à Paris. À cette occasion il dit à son hôte : «La Russie et la France ont eu besoin de se voir,... c'est-à-dire deux nations très anciennes et très jeunes, filles d'une même mère, l'Europe». 3
Sur le sujet de la réunion des pays européens, il me semble utile de le citer dans un entretien avec Alain Peyrefitte 4 :
«Nous avons vécu bien des siècles sans Marché commun. Nous pourrons vivre encore bien des siècles sans marché commun. Nous ferons du libre-échange. Notre expansion industrielle, contrairement à ce que prétendent tous les imbéciles qui pérorent sur l'Europe, n'a pas besoin de Marché commun, elle a besoin du grand large».
J'ajoute que durant le second conflit mondial et dans l'immédiat après-guerre la Russie stalinienne s'est montrée amicale avec la France, rendant ainsi témoignage au général de Gaulle de ses marques de solidarité. Elle fut bien davantage favorable à la France, que ne le fut Roosevelt et son administration qui imaginaient diriger notre pays au travers de l'AMGOT 5 et lui ôter une vaste partie du nord et de l'Est de son territoire pour le fédérer avec des terres de nos voisins sous le nom de Wallonnia.
Ce fut grâce à Staline, à Churchill et à la force de caractère du général de Gaulle que la France fut reconnue comme un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité.
Au bilan de ce vingtième siècle achevé, nous devons admettre en tant que Français que la Russie nous a été bien plus amicale que les États-Unis et plus globalement que le monde anglo-saxon.
Dans notre pays il est désormais temps d'imaginer une autre structuration de la vie politique. Une opposition entre droite et gauche n'a strictement plus aucun sens. En revanche il existe une antinomie entre les partisans d'un univers Wokiste, européiste et unipolaire et les patriotes ou souverainistes, partisans du respect des nations. Ces derniers l'ont emporté aux États-Unis et ailleurs. Il est fort probable qu'ils gagnent en Europe et en France.
Dans ce bouleversement, inévitable, la France doit avoir la sagesse de se tourner à nouveau vers la Russie. La Russie saura oublier les fautes du gouvernement présent. C'est à cette condition et dans un appui mutuel, que ces deux pays pourront influencer le cours du monde. C'est aussi à cette condition que la France pourra mener une guerre légitime sur son sol et ailleurs contre le vrai péril, celui que représente l'idéologie religieuse islamique.
- L'Occident est une civilisation poussant à l'élévation et à la dignité de l'homme en s'appuyant sur une transcendance. Les États qui disent appartenir à l'Occident ne répondent plus à cette définition.
- Communauté Européenne de Défense
- Alain Peyrefitte «C'était de Gaulle» ; éditions Gallimard ; page 267.
- AMGOT Américain Military Government in Occupied Territories