Après plus d'une décennie de guerre civile brutale, instiguée et soutenue par des forces extérieures, la Syrie plonge à nouveau dans un bain de sang.
Cet article explore les racines historiques, religieuses et géopolitiques du conflit et pose la question cruciale : la paix en Syrie est-elle encore possible ?
Nous assistons à un nouvel épisode effroyable de violence extrême en Syrie. Ce qui avait commencé comme des affrontements entre des groupes armés fidèles à l'ancien président Bachar al-Assad et les forces du nouveau régime s'est rapidement transformé en une vague d'exécutions ciblées contre la communauté alaouite.
Certains analystes estiment qu'il s'agit d'un véritable génocide contre cette minorité. Selon CNN, « un observateur de guerre a rapporté qu'au moins 779 personnes avaient été tuées au 5 mars. » Toutefois, le bilan réel pourrait être encore plus lourd. Les partisans du nouveau régime parlent ouvertement de « purification » pour justifier ces massacres.
Cette violence contredit de manière flagrante les promesses du président syrien par intérim, Ahmad al-Sharaa. Ce leader sunnite, ancien affilié à Al-Qaïda*, avait mené la faction qui a renversé Assad à la fin de l'année dernière. Al-Shabab s'était engagé à garantir l'égalité politique et une représentation équitable pour tous les groupes ethniques et religieux. Cependant, face à l'ampleur des massacres, il a rejeté la responsabilité sur les derniers bastions des forces pro-Assad, affirmant qu'ils cherchaient à provoquer des conflits sectaires. Lors d'une interview accordée à Reuters depuis Damas, il a déclaré : « La Syrie est un État de droit... La justice suivra son cours pour tous. »
La présidence intérimaire a mis en place un comité chargé d'enquêter sur ces violences, promettant qu'il « identifiera les raisons, les circonstances et les conditions ayant conduit à ces événements » et que « ceux reconnus coupables de violations contre les civils seront traduits en justice. »
L'Organisation des Nations Unies a appelé à mettre fin aux souffrances en Syrie occidentale, où, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme, « plus d'un millier de civils alaouites ont été tués ces derniers jours lors d'attaques menées par les forces de sécurité et des groupes affiliés au nouveau gouvernement. » Pendant ce temps, les pays européens - politiquement désorientés depuis le départ de l'administration Trump et absorbés par la guerre en Ukraine - tardent à réagir de manière significative. Les États-Unis de Donald Trump, eux, hésitent toujours à intervenir.
Quelle est la suite ?
La situation est bien plus complexe qu'il n'y paraît. La question essentielle demeure : la Syrie peut-elle encore espérer la paix ? Pour comprendre l'ampleur de cette crise, il faut se pencher sur l'histoire et la géographie. Située au carrefour du Moyen-Orient, la Syrie partage ses frontières avec la Turquie au nord, le Liban et Israël à l'ouest et au sud-ouest, l'Irak à l'est et la Jordanie au sud. Cette « sensibilité géographique » a historiquement placé la Syrie au cœur de rivalités géopolitiques entre puissances régionales et internationales.
Dans ce contexte, à moins que les questions fondamentales - notamment l'inclusion politique et la réduction des inégalités économiques - ne soient sérieusement abordées, la stabilisation du pays semble illusoire. Les analystes estiment que les séquelles de cette nouvelle vague de violences ne disparaîtront pas facilement, car les racines du conflit sont profondément ancrées dans le passé syrien.
Rappel Historique
La soi-disant « guerre civile syrienne » a éclaté en janvier 2011 dans le cadre du Printemps arabe. Après 13 ans de conflit sanglant, qui aurait fait entre 500 000 et 600 000 morts, le régime de Bachar al-Assad s'est effondré entre novembre et décembre 2024. Sa chute a été précédée par une perte progressive de contrôle, aggravée par des divisions internes au sein de sa coalition.
Tout au long de la guerre, plusieurs puissances régionales et internationales ont joué un rôle clé. Israël, l'Arabie saoudite et le Qatar ont activement soutenu les factions anti-Assad, tant directement qu'indirectement. À l'inverse, l'Iran et le Hezbollah libanais ont combattu aux côtés des forces loyalistes avec un soutien militaire et diplomatique crucial de la Russie. La Turquie, quant à elle, a adopté une posture ambiguë, soutenant certains groupes rebelles tout en intervenant militairement dans le nord de la Syrie pour contrer les forces kurdes cherchant à établir un État indépendant. Ce jeu d'influences locales, régionales et internationales a transformé le pays en un champ de bataille complexe et fracturé.
Depuis la chute d'Assad, de nombreuses factions politiques et religieuses se disputent le contrôle du pays. Israël, par exemple, bombarde régulièrement les positions pro-Assad depuis 2011 et a profité de l'instabilité syrienne pour renforcer son emprise sur le plateau du Golan. Sur le terrain, le conflit oppose divers groupes armés : des factions ethniques comme les Kurdes, des groupes jihadistes comme Daech (État islamique*) et des milices pro-Assad telles que les Forces de défense nationale.
La Question Alaouite
Pourquoi les Alaouites sont-ils aujourd'hui pris pour cible ? Pour le comprendre, il faut remonter à la naissance de l'islam au VIIe siècle et aux luttes de succession qui ont suivi la mort du prophète Mahomet en 632. Depuis lors, le monde musulman est divisé entre sunnites et chiites, un antagonisme qui a façonné les conflits du Moyen-Orient, notamment en Syrie.
Historiquement marginalisés, les Alaouites représentent environ 10 % de la population syrienne. Bien qu'ils soient affiliés au chiisme, leurs pratiques religieuses intègrent des éléments du christianisme et du zoroastrisme, célébrant à la fois Noël et le Nouvel An persan (Nowruz). Ces particularités leur ont valu d'être considérés comme hérétiques par les sunnites rigoristes, en particulier ceux qui détiennent aujourd'hui le pouvoir à Damas. Cette stigmatisation en fait une cible privilégiée des factions extrémistes sunnites.
L'ampleur de la crise est illustrée par la présence d'environ 7 000 Syriens réfugiés dans la base militaire russe en Syrie, la plupart étant des Alaouites cherchant désespérément à échapper aux persécutions.
Quel Avenir pour la Syrie ?
Prévoir l'avenir du pays relève du défi. Les fractures sectaires profondément enracinées, combinées à des années d'ingérences étrangères (Iran, États-Unis, Turquie, Israël, Russie), rendent un règlement pacifique de plus en plus improbable. La communauté internationale reste réticente à intervenir, tandis que le gouvernement actuel ne semble pas prêt à encourager une véritable réconciliation.
Au final, la crise syrienne est un conflit d'une complexité que le monde extérieur peine à saisir pleinement.
*-organisations interdites en Russie
Ricardo Martins - Docteur en sociologie, spécialiste des politiques européennes et internationales ainsi que de la géopolitique