05/04/2025 elcorreo.eu.org  7min #273972

 Les barrières douanières ne vont pas résoudre les problèmes plus importants

Vendre la dette Us est la meilleure réponse à l'arme Us des droits de douane

🇪🇸

par  Ian Proud*

Dans l'art de la négociation, menacer de faire s'effondrer l'économie étasunienne amènerait Trump à la table des négociations bien plus rapidement qu'une guerre tarifaire.

En menaçant le monde de tarifs douaniers radicaux, le président Trump tente de modifier les lois fondamentales de l'économie par la force de sa volonté. Il n'y parviendra pas.

Plutôt que de riposter par des droits de douane réciproques, les pays en développement devraient vendre la dette US.

L'économiste autrichien Ludwig von Mises a dit un jour que « La théorie de la balance des paiements oublie que le volume des échanges commerciaux dépend entièrement des prix ».

Si les États-Unis affichent un déficit commercial aussi gigantesque (plus de 1 000 milliards de dollars par an), c'est parce qu'ils peuvent acheter des biens étrangers à un coût moindre que s'ils produisaient sur leur territoire. Certains pays peuvent subventionner la production pour faire baisser les prix, d'autres peuvent exporter des biens qui se situent plus bas dans la chaîne de valeur que ceux que fabriqueraient les producteurs étasuniens.

Mais quand on prend un peu de recul, le dollar américain est si puissant qu'il rend les exportations américaines plus chères, indépendamment des distorsions créées par ses partenaires commerciaux. Cela fait partie du privilège exorbitant dont jouit le dollar américain en tant que première monnaie de réserve mondiale, avec 58 % du total des réserves.

Les pays étrangers placent leurs capitaux aux États-Unis parce qu'il s'agit d'un pays stable et sûr, ce qui fait augmenter le prix du dollar sur les marchés des changes parce que la demande est toujours élevée. Un taux de change fort rend les importations étrangères moins chères, ce qui aide à contrôler l'inflation aux Etats-Unis.

Le président Trump souhaite clairement renforcer son soutien dans les régions des Etats-Unis où vivent les cols bleus, en stimulant la création d'emplois dans l'industrie étasunienne traditionnelle, qui a été affaiblie par les importations étrangères pendant de nombreuses années. Mais il ne peut pas avoir deux gâteaux et les manger tous les deux. Il ne peut pas à la fois réduire l'énorme déficit de la balance des paiements des États-Unis - aider les cols bleus - tout en maintenant les États-Unis comme destination de choix pour les capitaux étrangers.

Ce serait défier la logique économique.

Pour simplifier à l'extrême, les Etats unis ont construit leur appareil fédéral pléthorique sur la base d'importations bon marché. Les énormes excédents de la balance courante, que les puissances exportatrices comme la Chine, l'Inde, l'Europe et les pays de l'ANASE ont accumulés, ont généré un torrent de capitaux faciles pour soutenir l'Etat fédéral des Etats-Unis.

Les États-Unis ont une dette d'environ 35 000 milliards de dollars, soit à peu près l'équivalent de la dette détenue par les investisseurs étrangers. Sur cette dette, environ 8 500 milliards de dollars sont sous la forme de bons du Trésor américain, littéralement des prêts au gouvernement américain, un montant similaire étant investi dans la dette des entreprises et le reste étant largement sous forme d'actions.

C'est la raison pour laquelle Trump attaque de plein fouet avec l'initiative DOGE d'Elon Musk. Il veut à tout prix réduire la taille de l'appareil d'État américain, car il sait que le château de cartes fédéral repose sur des sables mouvants fiscaux. Il pense probablement aussi que les travailleurs fédéraux - qui sont confrontés à des suppressions d'emplois massives - sont plus enclins à pencher du côté des démocrates que les ouvriers d'usine.

C'est pourquoi l'idée d'une monnaie des BRICS est aussi terrifiante pour Trump, car les BRICS représentent aujourd'hui 41 % de l'économie mondiale en parité de pouvoir d'achat. Une monnaie des BRICS risque à long terme de rendre le dollar moins attrayant et, par conséquent, plus faible, ce qui entraînerait une hausse de l'inflation.

Car le véritable défi pour les États-Unis n'est pas la dette fédérale elle-même, mais leur capacité à assurer le service de la dette. Le privilège exorbitant, couplé au raz-de-marée massivement désinflationniste de la crise financière mondiale, a inauguré une période d'inflation et de taux d'intérêt historiquement bas.

Cette époque est révolue, comme l'a souligné cette semaine  l'agence de notation Moody's. Les taux d'intérêt étasuniens sont désormais plus élevés, entre 4,25 et 4,5 %, ce qui fait grimper le coût du service de l'énorme dette du pays. La menace qui pèse actuellement sur les États-Unis est l'inflation et ce qu'elle implique pour le service de la dette, si les taux d'intérêt se maintiennent ou voire même augmentent.

Il existe des parallèles avec les années 1970, lorsque l'inflation galopante, déclenchée par un certain nombre de facteurs, dont la crise pétrolière et l'adoption par les États-Unis d'une monnaie fiduciaire, a conduit les taux d'intérêt américains à monter en flèche, à un moment donné, jusqu'à 20 %. Au cours de cette période, les pays étrangers ont retiré leurs investissements et le dollar s'est effondré jusqu'à représenter 45 % du total des réserves de change mondiales.

Et là se trouve le défi de Trump. Il ne peut pas exporter davantage sans un dollar faible, et un dollar faible rendra la dette américaine plus difficile à rembourser.

Les droits de douane ne sont qu'une tentative d'intimidation sur les économies moins développées pour obtenir un avantage politique et économique en faveur des Etats Unis. Ils imposent aux exportateurs étrangers un coût qui n'a rien à voir avec le prix des marchandises, tel qu'il est déterminé par le taux de change à tout moment. Et il n'y a que peu d'intérêt pour un pays à répondre par des droits de douane réciproques, précisément parce qu'il exporte plus vers les États-Unis qu'il n'importe. Sur l'échelle de l'escalade des droits de douane, ils ne seront que perdants.

Mais les pays en développement ont plus de pouvoir qu'ils ne le pensent. Les pays qui exportent plus qu'ils n'importent constituent des stocks de devises qu'ils investissent à l'étranger. L'ampleur des excédents commerciaux de certains pays par rapport aux États-Unis est révélatrice. La Chine a un déficit d'environ 300 milliards de dollars par an, l'UE de plus de 220 milliards de dollars et l'Inde de 37 milliards de dollars. Ces pays/blocs placent tous des volumes importants de leurs capitaux aux États-Unis en raison de la prédominance du dollar.

Plutôt que de combattre les droits de douane par des droits de douane, les pays en développement devraient chercher à se débarrasser de façon massive de leur dette à long terme en bons du Trésor américain et en titres de créance d'entreprises. En vendant leur dette américaine et en la réinvestissant dans les pays en développement, ou en la retranchant, pour gérer l'impact de la réduction des exportations vers les États-Unis, le dollar perdrait de sa valeur.

Les exportations étasuniennes pourraient augmenter. Toutefois, et comme cela s'est produit dans les années 1970, l'inflation deviendrait un risque systémique majeur pour l'économie américaine sur une période de plusieurs années, à mesure que le prix des importations étrangères augmenterait face à l'affaiblissement du dollar. Les taux d'intérêt augmenteraient alors, le gouvernement américain cherchant à soutenir la demande de dollars pour réduire la pression inflationniste. Et cela augmenterait le coût du service de la dette étasunienne.

Dans l'art de la négociation, menacer de faire s'effondrer l'économie étasunienne amènerait Trump à la table des négociations bien plus rapidement qu'une guerre tarifaire. Comme le président américain lui-même pourrait le dire, « sell, baby, sell » (vends, bébé, vends).

Ian Proud* pour ( Strategic Culture Fundation-> strategic-culture.su)

 Strategic Culture Fundation. Moscou, le 28 mars 2025.

*Ian Proud

a été membre du Service diplomatique de Sa Majesté de 1999 à 2023. De juillet 2014 à février 2019, il a été en poste à l'ambassade du Royaume-Uni à Moscou. Il a également été directeur de l'Académie diplomatique pour l'Europe de l'Est et l'Asie centrale et vice-président du conseil d'administration de l'École Angloaméricaine de Moscou.))

Traduit de l'anglais pour  El Correo de la Diáspora par : Estelle et Carlos Debiasi

 El Correo de la Diaspora. Paris, le 4 avril 2025.

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