Par Chris Hedges, le 12 avril 2025
Le gouvernement israélien, soutenu par l'administration Trump, se prépare à expulser tous les Palestiniens de Gaza, une décision qui risque de déclencher un conflit régional.
Israël s'apprête à mener à bien la plus vaste campagne de nettoyage ethnique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Depuis le 2 mars, il a bloqué l'acheminement de toute aide alimentaire et humanitaire à Gaza et coupé l'électricité, de sorte que la dernière usine de dessalement de l'eau ne fonctionne plus. L'armée israélienne a pris le contrôle de la moitié du territoire (Gaza s'étend sur 40 km du nord au sud et sur 7 à 8 km d'est en ouest) et a imposé des déplacements forcés aux deux tiers de la population, transformant ainsi certaines zones en "zones interdites", y compris la ville frontalière de Rafah, désormais cernée par les troupes israéliennes.
Vendredi, le ministre de la Défense, Israel Katz, a annoncé qu'Israël va "intensifier" la guerre contre le Hamas et exercer
"toutes les pressions militaires et civiles, y compris l'évacuation de la population de Gaza vers le sud et la mise en œuvre du plan de migration 'volontaire' du président des États-Unis, Donald Trump, pour les habitants de Gaza".
Depuis sa décision unilatérale de mettre fin au cessez-le-feu le 18 mars, qu'Israël n'a de toute façon jamais respecté, Israël a procédé à des bombardements et des tirs d'artillerie incessants contre des civils, tuant plus de 1 400 Palestiniens et en blessant plus de 3 600, selon le ministère palestinien de la Santé. Selon les Nations Unies, une centaine d'enfants sont tués chaque jour. Dans le même temps, Israël attise les tensions avec l'Égypte pour préparer, j'en ai bien peur, l'expulsion massive des Palestiniens vers le Sinaï égyptien.
Faisant écho à Katz, le ministre des Finances Bezalel Smotrich a déclaré qu'Israël ne lèvera pas le blocus total tant que le Hamas ne sera pas "vaincu" et que les 59 otages israéliens restants ne seront pas libérés.
"Pas même un grain de blé n'entrera à Gaza", a-t-il juré.
Mais personne en Israël ou à Gaza ne s'attend à ce que le Hamas, qui a résisté à la dévastation de Gaza et à des massacres de masse, se rende ou disparaisse.
La question n'est plus de savoir si les Palestiniens seront expulsés de Gaza, mais quand ils le seront, et où ils iront. Les dirigeants israéliens sont apparemment partagés entre une expulsion des Palestiniens vers l'Égypte ou leur transfert vers des pays d'Afrique. Les États-Unis et Israël ont contacté trois des gouvernements d'Afrique de l'Est (Soudan, Somalie et Somaliland) pour envisager la réinstallation des Palestiniens victimes de nettoyage ethnique.
Les conséquences d'un nettoyage ethnique généralisé seront catastrophiques, mettant en péril la stabilité des régimes arabes alliés de Washington et déclenchant des flambées de protestations dans les pays arabes. Cela entraînera probablement la rupture des relations diplomatiques entre Israël et ses voisins, la Jordanie et l'Égypte, déjà proches du point de rupture, et fera basculer la région aux portes de la guerre.
Les relations diplomatiques n'ont jamais été aussi mauvaises depuis la signature des accords de Camp David en 1979. Les ambassades israéliennes au Caire et à Amman sont en grande partie vides, le personnel israélien s'étant retiré pour des raisons de sécurité à la suite de l'incursion du Hamas et d'autres factions armées palestiniennes en Israël le 7 octobre. L'Égypte a refusé d'accepter les accréditations d'Uri Rothman, nommé ambassadeur d'Israël en septembre dernier. L'Égypte n'a pas nommé de nouvel ambassadeur en Israël lorsque l'ancien ambassadeur, Khaled Azmi, a été rappelé l'année dernière.
Les responsables israéliens accusent l'Égypte de violer les accords de Camp David en renforçant sa présence militaire et en installant de nouvelles infrastructures militaires dans le nord du Sinaï, accusations que l'Égypte qualifie de mensongères. L'annexe du traité de paix autorise la présence militaire égyptienne supplémentaire dans le Sinaï.
L'ancien chef d'état-major israélien, Herzi Halevi, a mis en garde contre ce qu'il appelle la "menace sécuritaire" de l'Égypte. Katz a déclaré qu'Israël ne permettra pas à l'Égypte de "violer le traité de paix" signé entre les deux pays en 1979.
Les responsables égyptiens rappellent que c'est Israël qui a violé le traité en occupant le couloir Philadelphi, également connu sous le nom d'axe Salahuddin, qui longe la frontière de 14 km entre Gaza et l'Égypte et est censé être démilitarisé.
"Chaque intervention israélienne le long de la frontière entre Gaza et l'Égypte constitue un acte hostile à la sécurité nationale de l'Égypte",
a déclaré le général égyptien Mohammed Rashad, ancien chef des services du renseignement militaire, au journal arabophone Asharq Al-Awsat.
"L'Égypte ne peut rester les bras croisés face à de telles menaces et doit se préparer à tous les scénarios possibles".
Les responsables israéliens appellent ouvertement au "transfert volontaire" des Palestiniens en Égypte. Avigdor Lieberman, membre de la Knesset, a déclaré que
"déplacer la plupart des Palestiniens de Gaza vers le Sinaï égyptien est une solution pratique et efficace".
Il a opposé la forte densité de population - Gaza est l'un des endroits les plus densément peuplés de la planète - aux vastes "terres inexploitées" du nord du Sinaï égyptien et a noté que les Palestiniens partagent une culture et une langue communes avec l'Égypte, rendant toute déportation ainsi "naturelle". Il a également critiqué l'Égypte au motif
qu'elle "tirerait profit économiquement de la situation politique actuelle", en tant que médiateur entre Israël et le Hamas, et "récolterait les bénéfices des opérations de contrebande à travers les tunnels et le passage de Rafah".
Le think tank israélien Misgav Institute for National Security, composé d'anciens responsables militaires et de la sécurité israéliens, a publié un document le 17 octobre 2023 appelant le gouvernement à profiter de "l'occasion unique et rare d'évacuer toute la bande de Gaza" et de réinstaller les Palestiniens au Caire avec l'aide du gouvernement égyptien. Un autre document divulgué par le ministère israélien du Renseignement proposait de réinstaller les Palestiniens de Gaza dans le nord du Sinaï et de construire barrières et zones tampons pour les empêcher de réintégrer leur territoire.
Toute expulsion se ferait probablement très rapidement par les forces israéliennes, qui rassemblent déjà sans pitié les Palestiniens dans des zones de confinement à Gaza, mènent une campagne de bombardements soutenue contre la population palestinienne prise au piège, et créent des points d'évacuation plus ou moins hermétiques le long de la frontière avec l'Égypte. Il en résulterait une impasse potentiellement dangereuse avec l'armée égyptienne, qui plongerait instantanément le régime égyptien d'Abdel Fattah El-Sisi dans une grave crise après que ce dernier a qualifié de "ligne rouge" tout nettoyage ethnique des Palestiniens à Gaza. Il ne faudrait alors qu'un rien pour déclencher un conflit régional.
Israël a occupé des territoires en Syrie et au sud du Liban, conformément à sa vision d'un "Grand Israël", qui inclut l'occupation de terres en Égypte, en Jordanie et en Arabie saoudite. Il convoite les gisements gaziers maritimes au large des côtes de Gaza et a lancé des projets de construction d'un nouveau canal de contournement du canal de Suez - le canal Ben Gourion, afin de relier le port israélien en faillite d'Eilat, sur la mer Rouge, à la mer Méditerranée. Ces projets nécessitent de vider Gaza de ses habitants palestiniens et de la peupler de colons juifs.
La colère de la rue arabe - une colère dont j'ai été témoin ces derniers mois lors de visites en Égypte, en Jordanie, en Cisjordanie et au Qatar - explosera avec une fureur justifiée si une déportation massive a lieu. Ces régimes, ne serait-ce que pour se maintenir au pouvoir, seront contraints d'agir. Les attaques terroristes, qu'elles soient le fait de groupes organisés ou de "loups solitaires" se multiplieront contre des cibles israéliennes et occidentales, en particulier les États-Unis.
Le génocide fait le bonheur des militants islamiques en quête de nouvelles recrues. Washington et Israël ne peuvent ignorer les conséquences de cette barbarie. Mais ils semblent l'accepter, tentant par pure folie d'anéantir ceux qu'ils ont exclus de la communauté des nations, ceux qu'ils qualifient d'"animaux humains".
Selon Israël et Washington, que se passera-t-il lorsque les Palestiniens seront expulsés d'une terre où ils vivent depuis des siècles ? Comment croient-ils qu'un peuple désespéré, dépossédé de tout espoir, de toute dignité et de tout moyen de subsistance, massacré par l'une des armées les plus sophistiquées de la planète, va réagir ? Pensent-ils que créer un enfer dantesque pour les Palestiniens va endiguer le terrorisme, faire reculer les attentats-suicides et favoriser la paix ? Sont-ils incapables de comprendre la rage qui se propage au Moyen-Orient et la haine que nos actes vont faire naître à notre égard, et pour des décennies ?
Le génocide de Gaza est le plus grave crime de ce siècle. Il reviendra hanter Israël. Il reviendra nous hanter. Il va ramener à nos portes toute la cruauté que nous avons infligée aux Palestiniens.
On récolte ce que l'on sème. Et nous avons semé un champ de mines de haine et de violence.