14/04/2025 journal-neo.su  5min #274895

Charles de Gaulle avait-il raison depuis le début ? La solitude stratégique de l'Europe et la fin des illusions

 Ricardo Martins,

Avec le retour de Trump, l'incertitude qui plane sur l'OTAN et la fin de la protection américaine, l'Union européenne n'a plus de temps à perdre pour atteindre son autonomie stratégique. L'ère des illusions est révolue.

Le bouclier américain s'efface - et l'Europe se retrouve seule

La réélection de Donald Trump a confirmé ce que beaucoup en Europe redoutaient - et que certains espéraient encore nier : le partenariat transatlantique, tel que nous le connaissions, n'est plus garanti. Avec son retour au pouvoir, entouré de figures idéologiquement alignées comme le vice-président J.D. Vance, les États-Unis ont clairement affiché leur position : leur engagement envers l'Europe est conditionnel, minimal et transactionnel.

Durant sa campagne, Trump a repris les mêmes thèmes que lors de son premier mandat, mais avec une conviction accrue. Il a remis en question la volonté des États-Unis de défendre leurs alliés de l'OTAN, laissé entendre un retrait total du soutien à l'Ukraine, et exprimé un profond mépris envers ce qu'il appelle le « parasitisme » européen. Son proche allié J.D. Vance a renchéri, prônant une politique étrangère centrée sur « l'Amérique d'abord », tout en se moquant des efforts européens pour peser sur les choix stratégiques américains.

Ce ne sont pas que des paroles en l'air. Les tensions commerciales s'intensifient. Les menaces de tarifs douaniers sont de retour. L'aide à l'Ukraine est suspendue ou ralentie. Et l'attention de Washington se tourne davantage vers ses divisions internes et sa rivalité avec la Chine. Autrefois partenaire privilégiée, l'Europe n'est désormais plus qu'une région parmi d'autres dans l'ordre mondial - et de plus en plus, une région sans protection.

L'avertissement de De Gaulle : une Europe qui doit être elle-même

Dans ce contexte de bouleversement géopolitique, les mots du général Charles de Gaulle résonnent avec une nouvelle force. Il y a plus de soixante ans, il alertait :

« L'Europe ne doit être le vassal ni des États-Unis, ni de l'Union soviétique. L'Europe doit être elle-même. »

La vision de De Gaulle n'était pas isolationniste, mais souveraine. Il imaginait une Europe des nations, unies par un objectif commun, capables de s'affirmer comme un pôle indépendant sur la scène internationale. Il s'opposait à toute dépendance excessive envers les grandes puissances extérieures, et défendait l'idée d'une Europe capable de protéger ses valeurs, sa culture et sa sécurité, selon ses propres termes.

À son époque, ses avertissements ont été largement écartés. Dans un contexte d'après-guerre marqué par la protection américaine et la menace soviétique, ses propos semblaient idéalistes, voire provocateurs. Mais aujourd'hui, ils apparaissent prophétiques.

Qu'il s'agisse de la nécessité d'une politique de défense autonome, ou du rôle fondamental de l'axe franco-allemand dans la stabilité européenne, la doctrine gaullienne a jeté les bases d'une vision que l'Europe a beaucoup évoquée, mais rarement concrétisée. L'autonomie stratégique est devenue un mot-clé, rarement une priorité réelle. Cette négligence, aujourd'hui, se paie au prix fort.

L'Europe face à la réalité

Trop longtemps, la sécurité et l'influence de l'Europe ont reposé sur des hypothèses confortables. Que les États-Unis défendraient toujours le flanc Est de l'OTAN. Que Washington financerait la dissuasion militaire. Que le commerce transatlantique resterait un pilier stable. Cette ère est terminée.

Les dirigeants, les citoyens et les cercles stratégiques européens - think tanks, instituts de recherche, experts - font désormais face à une vérité difficile : l'Europe est seule. Seules avec sa base industrielle, ses capacités militaires fragmentées, sa dépendance énergétique et son infrastructure numérique encore faible. Seule dans un monde où les grandes puissances agissent en fonction de leurs intérêts, non de valeurs partagées.

Mais paradoxalement, ce moment d'abandon pourrait bien être aussi un moment de maturité. L'Europe n'a plus le choix : elle doit assumer la responsabilité de son avenir. Elle ne peut plus externaliser sa défense, ni différer ses décisions stratégiques à Washington.

L'appel de De Gaulle à une « Europe qui est une civilisation » prend un nouveau sens en 2025. Il ne s'agit plus seulement de traités ou de géographie, mais bien de volonté, de souveraineté et de capacité d'agir.

La voie à suivre : de la parole à l'action

L'Europe doit transformer cette solitude stratégique en opportunité stratégique. Cela implique d'aller bien au-delà des sommets, des déclarations et des discours convenus :

  • Une véritable stratégie commune de défense, avec des investissements concrets dans les capacités, l'interopérabilité, et des structures de commandement partagées. Cela ne doit pas s'opposer à l'OTAN, mais préparer l'Europe à un scénario où l'OTAN faiblirait.
  • Une politique étrangère indépendante, capable de dialoguer et d'agir dans des contextes multipolaires - notamment en Europe de l'Est, au Moyen-Orient et au Sahel, où le désengagement américain s'accentue.
  • Une souveraineté industrielle et technologique, notamment dans les domaines de l'énergie, de la défense, et du numérique, pour réduire les dépendances stratégiques.
  • Un renouveau culturel et civique, pour rappeler aux citoyens européens que la souveraineté n'est pas un repli nationaliste, mais une condition de la démocratie, de la dignité et de la paix.

La fin des illusions est douloureuse, mais nécessaire. L'Europe ne peut plus se permettre le luxe de la naïveté stratégique. Les États-Unis se tournent vers eux-mêmes. La Chine poursuit son ascension. L'ordre international se fragmente.

L'Europe doit maintenant répondre à l'appel de De Gaulle - non par nostalgie, mais par action.

« L'Europe doit être une puissance capable de parler d'une seule voix et d'agir comme une seule entité. »
- Charles de Gaulle

Le temps des discours agréables et des leçons aux autres est révolu. Le temps d'agir, c'est maintenant.

Ricardo Martins - Docteur en sociologie, spécialiste des politiques européennes et internationales ainsi que de la géopolitique

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