20/04/2025 ssofidelis.substack.com  8min #275509

Les maux de fin de règne

Par  Patrick Lawrence pour Consortium News, le 18 avril 2025

Je suis fatigué de lire que le massacre génocidaire perpétré par les Israéliens à Gaza est justifié par la légitime défense.

Je suis fatigué de ne rien lire dans les médias dominants, alors que je suis quotidiennement informé par les médias indépendants, sur le massacre génocidaire perpétré par les Israéliens en Cisjordanie.

Je suis fatigué de ne rien lire dans les médias dominants sur le projet sioniste de construire une version d'Eretz Israël, le Grand Israël, qui n'a jamais existé.

Je suis fatigué des articles sur les colons sionistes dans les territoires occupés sans qu'il soit jamais mentionné qu'ils sont tous des criminels.

J'en ai assez qu'on me dise que le Hamas est une "organisation terroriste", idem pour le Hezbollah, alors qu'il ne s'agit ni plus ni moins que de fronts de libération.

J'en ai marre de lire que le Hamas torture les otages et les faux récits de mauvais traitements provenant de ceux que le Hamas a libérés.

Je suis excédé de ne voir aucune photo dans les médias occidentaux des otages palestiniens hagards et à moitié morts de faim qu'Israël libère de ses prisons en échange d'otages israéliens traités décemment [Ndt : et c'est sans doute une des raisons de la reprise des agressions par Israël sur Gaza et la Cisjordanie, et de la violation du cessez-le-feu, car l'état des prisonniers palestiniens relâchés ne justifient plus l'injustifiable auprès d'une communauté internationale pourtant si complaisante, mais tout de même, comme ce mort vivant relâché des prisons israéliennes, rappelant douloureusement l'aspect des rescapés des camps de la mort nazis - dont les descendants appliquent désormais la recette nazie aux Palestiniens - Libanais, Syriens - au vu et au su de tous].

J'en ai marre du silence de l'Amérique - du gouvernement, de la presse - alors que les colons israéliens et l'armée d'occupation israélienne tirent sur des citoyens américains d'origine palestinienne - deux d'entre eux, ces derniers jours, étaient des enfants, dont l'un est mort.

Je suis écœuré par le silence des médias occidentaux alors que l'armée israélienne prend pour cible, traque et assassine des centaines de journalistes non occidentaux qui rapportent les événements à Gaza.

J'en suis malade de lire sans cesse dans le New York Times que "le ministère de la Santé de Gaza ne fait pas la distinction entre civils et combattants".

J'en ai assez de lire que l'armée sioniste va enquêter sur ses propres crimes de guerre et crimes contre l'humanité.

Je suis indigné de voir que des gens comme Sheryl Sandberg continuent de prétendre que l'article infâme du New York Times, alléguant les abus sexuels du Hamas le 7 octobre 2023 n'a pas été complètement démystifié comme étant de la propagande israélienne systématique.

Je suis écœuré, d'ailleurs, de voir la signature de Jeffrey Gettleman dans le Times, comme si ce voyou notoire n'avait pas déjà discrédité définitivement son journal sioniste lorsqu'il a reproduit les mensonges d'Israël dans son "reportage" intitulé "Screams Without Words" [Cris sans paroles] en décembre 2023.

J'en ai marre d'entendre dire que l'antisémitisme est rampant en Amérique parce qu'il est prétendument "antisémite" de s'opposer au comportement criminel d'une nation qui n'a pas le droit d'exister. J'en ai marre, autant le dire, de me faire traiter d'antisémite selon cette définition abusive.

Je suis choqué de lire que bombarder le Yémen est un acte justifiable alors que les Houthis et les Sud-Africains, eux seuls,  agissent conformément au droit international lorsqu'ils attaquent l'État terroriste sioniste devant les tribunaux et en mer.

Je suis écoeuré d'entendre dire que le meurtrier djihadiste qui a pris le contrôle de Damas l'année dernière est respectable parce qu'il porte un costume au moment opportun, et qu'il n'est pas Bachar al-Assad.

Je suis excédé par l'utilisation incessante du mot "non provoquée" lorsque les médias occidentaux décrivent l'intervention militaire russe en Ukraine.

J'en ai la nausée d'entendre que l'intention déclarée de Moscou de dénazifier l'Ukraine n'aurait aucune légitimité parce qu'"il n'y a pas de nazis en Ukraine".

J'en ai plus qu'assez qu'on me suggère de considérer Volodymyr Zelensky comme autre chose qu'un pantin à la solde de Washington et un escroc notoire inféodé aux nazis "inexistants" en Ukraine.

J'en ai ma claque d'entendre Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, me dire que le président russe Vladimir Poutine n'est ni plus ni moins qu'un tyran déterminé à reconstruire l'empire tsariste, alors qu'en qualité de haut fonctionnaire, elle n'est même pas digne de porter la mallette de Poutine.

J'en ai marre d'entendre les responsables américains et européens affirmer avec hypocrisie que la Russie a l'intention d'envahir toute l'Europe occidentale.

J'en ai assez de lire que la Chine "revendique Taïwan" comme si cette île n'était pas historiquement un territoire chinois. Et assez d'entendre dire que la Chine pourrait "envahir" Taïwan - son propre territoire - à tout moment.

Je suis fatigué de voir des ignorants tels que Pam Bondi, Kash Patel et Kristi Noem - procureur général des États-Unis, directeur du FBI et secrétaire à la Sécurité intérieure - se comporter comme s'ils étaient des gens sérieux, dignes d'occuper certaines des plus hautes fonctions américaines. Sans parler de l'effarant rustre qui les emploie, et de son aide de camp crypto-fasciste.

Hélas, chers lecteurs, il y a tant de choses qui nous écœurent dans le monde aux mains de ceux qui prétendent diriger son hémisphère occidental. Le temps me manque et mes estimés co-rédacteurs ne m'accorderaient pas l'espace nécessaire pour en dresser la liste exhaustive.

Mais nous devons consigner nos malaises, tous sans exception : nos souffrances, notre fatigue, notre nausée collective, nos tsouris ["problèmes", en yiddish] incessants qui ponctuent notre quotidien. Rappelons-les-nous mutuellement chaque fois que l'occasion se présente, car nos maux, en fin de compte, sont le début de nos objections, et nos objections, dans le meilleur des cas, marquent le début de l'action.

Si je devais décrire en quelques mots le fardeau que représente le fait d'être en vie dans la troisième décennie du XXIe siècle, je dirais qu'il découle du gouffre que ceux qui dirigent le monde occidental ont creusé entre nous et la réalité.

Repensez aux différents éléments de ma liste (très partielle) de problèmes. Chacun d'entre eux nous rappelle douloureusement que nous, Occidentaux, avons perdu nos repères, voire notre humanité et notre capacité de raisonnement. Chacun d'entre eux est l'expression de l'état d'irréalité qui nous est infligé.

Ce que nous appelons réalité est empreint de souffrance, comme nous le rappellent les bouddhistes chaque fois que nous leur posons la question, et nous en parlons toujours en ces termes. "Soyons réalistes !", nous disons-nous les uns aux autres, comme s'il s'agissait d'une tâche ingrate que nous préférerions éviter. Mais ne comprenons-nous pas, lorsque la réalité nous est ravie, à quel point ce qui fait la difficulté des choses est précisément ce qui les rend dignes d'être célébrées ?

Les politiciens des deux côtés de la ligne de démarcation internationale, à l'Ouest comme à l'Est, savent très bien mentir et déformer la vérité. Dans le monde que nous avons créé, les hautes sphères ne sont peuplées ni d'anges, ni de rois philosophes (qui, je me surprends à le penser, pourraient bien être notre meilleure issue au chaos actuel). Mais si j'ai bien interprété l'histoire, ce n'est qu'en fin de règne des empires que les sociétés accèdent à ce qu'Hannah Arendt appelait "une atmosphère digne d'Alice au pays des merveilles".

Le pire, lorsqu'on erre dans un tel déni de réalité - ou peut-être le meilleur -, c'est de savoir, même inconsciemment, que cela ne peut pas durer. L'empire américain, à l'origine de toutes nos illusions, ne peut pas continuer indéfiniment à prétendre qu'Israël est innocent, à dépeindre les Russes et les Chinois comme des êtres malveillants, etc.

C'est non seulement impossible à imaginer, mais c'est par définition impossible, tout simplement. C'est impossible selon les lois de l'histoire.

J'en arrive maintenant au cœur de tous nos maux. Nos Sandberg, Zelensky, Gettleman et von der Leyen : voilà quelques-uns des clowns qui peuplent notre époque. Ils sont ce que D.H. Lawrence appelait des "T.I.P.", des personnes temporairement influentes. Mais ils sont là pour nous rappeler que pour revenir à un monde meilleur, quel qu'il soit, il nous appartient de le reconstruire nous-mêmes.

Traduit par  Spirit of Free Speech

* Patrick Lawrence, correspondant à l'étranger pendant de nombreuses années, principalement pour l'International Herald Tribune, est chroniqueur, essayiste, conférencier et auteur. Son dernier ouvrage,  Journalists and Their Shadows, est disponible chez Clarity Press ou  via Amazon. Parmi ses autres livres, citons Time No Longer: Americans After the American Century. Son compte Twitter, @thefloutist, a été définitivement censuré.

 consortiumnews.com

 ssofidelis.substack.com