21/04/2025 reseauinternational.net  12min #275541

 Les États-Unis vont déclassifier 80 000 pages de dossiers sur l'assassinat de John F. Kennedy

Comment la Cia s'est approprié les ambassades des États-Unis dans le monde

par Marc Becker

Les documents publiés récemment dans le cadre des archives JFK révèlent comment la CIA s'est approprié les ambassades des États-Unis dans le monde entier en opération sous la façade du département d'État.

La récente documentation de la collection d'enregistrements sur l'assassinat du président John F. Kennedy ordonnée par une directive présidentielle a révélé jusqu'à quel point l'Agence centrale du Renseignement (CIA) à pénétrer les fonctions du département d'État.

En juin 1961, le conseiller de la Maison-Blanche Arthur Schlesinger Jr. s'est vanté devant le président John F. Kennedy du fait que la CIA avait dans ses ambassades de presque autant de personnes sous couverture officielle que de diplomates réels du département d'État.

Schlesinger a cité des chiffres surprenants : dans la section politique de l'ambassade des États-Unis à Vienne, 16 des 20 personnes qui figuraient sur la liste du service extérieur d'octobre 1960 - une publication trimestrielle du département d'État sur les assignations de personnel - étaient des officiers de la CIA ainsi que plus de la moitié des 31 fonctionnaires impliqués dans les activités d'information.

De même, 11 des 13 fonctionnaires de la section politique de l'ambassade des États-Unis au Chili appartenaient à la CIA. À l'ambassade des États-Unis à Paris, la CIA avait 128 personnes, on avait créé une charge pour les fonctions d'information politique qui, auparavant revenait aux diplomates du département d'État. En fait, les officiers de la CIA avaient commencé à monopoliser le contact avec les personnalités politiques françaises.

Selon Schlesinger, le département d'État avait quelques 3900 fonctionnaires à l'étranger alors que la CIA en avait 3700. En d'autres termes, presque la moitié du personnel politique dans les ambassades des États-Unis était des fonctionnaires de la CIA. Environ 1500 d'entre eux sous couverture du département d'État alors que les 2200 autres opéraient sans doute sous couverture militaire ou sous d'autres organismes dépendant du gouvernement.

La CIA évoquait ses officiers destinés aux ambassades sous couverture diplomatique en utilisant l'euphémisme de «sources américaines contrôlées» (CAS). L'origine du terme est obscure mais selon feu John Prados de l'Archive de sécurité nationale, «il est probablement né pour indiquer que l'information provenait d'un actif des États-Unis, mais il a fini par devenir synonyme de «station de la CIA»». Ce terme faisait partie de la fiction que l'agence a cherché à maintenir pendant des décennies : que «il n'existait pas de station de la CIA».

Dans son mémorandum à Kennedy, Schlesinger signalait que l'accord de la CIA avec le département d'État pour utiliser la couverture diplomatique remontait à la fondation de l'agence en 1947. Au début, il s'agissait d'un arrangement temporaire et strictement limité. La CIA ne devait pas considérer la couverture diplomatique comme une solution facile pour insérer ses officiers à l'étranger mais devait développer ses propres systèmes de couverture et réduire ainsi sa dépendance envers le département d'État. Mais elle n'a jamais cessé d'avoir recours à cette couverture.

La couverture diplomatique offrait de multiples avantages à la CIA, ce qui a conduit l'agence à abandonner ses plans pour créer des systèmes de couverture privés non officiels. Ce système était plus rapide, plus simple, convenait mieux et était plus rentable. Il améliorait la sécurité des opérations et de la communication et garantissait un style de vie plus confortable pour son personnel à l'étranger que si l'agence avait fait les arrangements pour son propre compte.

Tout cela s'est passé au prix d'une ingérence croissante de la CIA dans les fonctions diplomatiques. Dans certains cas, les chefs des stations de la CIA passaient plus de temps dans le pays que les ambassadeurs, avaient un meilleur accès aux fonctionnaires du gouvernement, disposaient de plus de fonds et exerçaient plus d'influence politique. Souvent, le chef de la CIA poursuivait des objectifs différents de ceux des diplomates et excluait même le chef de mission de ses opérations. Pour saper encore plus cette fiction légale, en certaines occasions, tout le monde savait qui étaient les officiers de la CIA.

Malgré ces problèmes, la CIA a maintenu un engagement ferme envers l'expansion de ses opérations CAS comme solution permanente pour placer ses fonctionnaires dans les autres pays. Elle faisait même pression sur le département d'État pour qu'il accorde à son personnel des postes plus importants dans les ambassades.

Schlesinger avait prévenu que, avant que le département d'État ne perde complètement le contrôle de la diplomatie internationale et que les fonctionnaires de la CIA renforcent de façon permanente leur présence dans le service à l'étranger, il était crucial que les ambassades reprennent le contrôle sur les postes de la CIA dans les ambassades. Il suggérait une révision destinée à réduire progressivement le personnel des CAS et à rendre ainsi au département d'État son rôle primordial dans la diplomatie.

Philip Agee

Six mois avant que Schlesinger écrive son mémorandum, le jeune officier de la CIA Philip Agee rejoignait son premier poste : Quito, Équateur. Il apparaît pour la première fois sur la liste du service à l'étranger en janvier 1961, comme attaché adjoint, officier politique de l'ambassade - la couverture diplomatique pour son travail pour la CIA. Son rang était R-huit ou officier de réserve de service à l'étranger (FSR), une catégorie fréquemment attribuée à des officier de la CIA. Les collègues d'Agee à la CIA qui dépendait de la section politique de l'Ambassade était le chef de station (COS) James B. Noland, affecté le14 juillet 1957 avec rang R-6, et l'officier de rapports John E. Bacon, affecté le 29 novembre 1959, avec le rang R-7.

Un autre officier d'opération de la CIA à l'ambassade était Robert J. Weatherwax, conseiller à la sécurité publique dans la mission d'opération des États-Unis (USOM) appartenant au programme de l'administration de coopération internationale (ICE, devenu ensuite l'USAID) également avec le rang R-6. En tant que nouvel employé, Agee avait le rang le plus basses quatre. La liste du service étranger indique comme date d'affectation le 9 novembre 1960, bien qu'en réalité, il ne soit arrivé en Équateur presque un mois plus tard. Apparemment, cette date correspond à celle de son affectation officielle.

Pendant tout le temps où il est resté en Équateur, Agee a été l'un des officiers les moins importants, pas seulement à l'intérieur de la station de la CIA à Quito, mais aussi dans l'ensemble de l'ambassade. Sur une liste de préséance de 26 fonctionnaires et épouses de fonctionnaires de l'ambassade distribuée en juin 1962 - après un an et demi à son poste - Agee occupait la dernière place. Six mois plus tard, en novembre 1962, et après presque deux ans de services, il était toujours à la dernière place, seulement au-dessus du troisième secrétaire et vice-consul John P. Steinmetz, un fonctionnaire adjoint du consulat.

Steinmetz était un FSO-8 «tournant» qui était arrivé à Quito en août. John E. Karkashian, le fonctionnaire du département d'État, chargé des affaires équatoriennes à Washington, le décrivait comme «un jeune très intelligent et compétent qui devrait être un actif pour le personnel». Steinmetz était l'un des trois membres du personnel diplomatique de l'ambassade qui n'était pas marié.

L'ambassade des États-Unis a souhaité la bienvenue à Agee à Tito, comme elle le faisait, avec tout le personnel, que ce soit d'authentique, diplomate ou des agents secrets -par une série de notes destinées au ministère des affaires étrangères. Une lettre du 12 décembre 1960, envoyer une semaine après l'arrivée de Agee informer le ministère de «l'arrivée le 6 décembre de Monsieur Philippe B. F. Agee, attaché Assistanc de cette Ambassade, accompagné de son épouse». L'ambassade demandait qu'on lui expédie le quota diplomatique habituel. Une note manuscrite en marge indiquait «quota accordé janvier 16/61», ce qui confirme qu'il jouissait des mêmes faveurs douanières que tout autre diplomate.

Trois mois plus tard, une seconde lettre informait le ministère de l'enregistrement de Agee et de son épouse Janet. Les formulaires indiquaient le poste de Agee (attaché adjoint), sa date de naissance (19 janvier 1935) et son lieu de naissance (Takoma Park, Maryland). Le département d'État a imité leur passeport diplomatique, le 17 novembre 1960 (numéro 24 356 et 24 355 respectivement) et les visas à diplomatiques correspondant (numéro 81 et 80) le 21 novembre de la même année. Comme d'habitude, la chancellerie équatorienne répondait par un accusé de réception officiel.

Deux semaines plus tard, l'ambassade demandait au ministère d'émettre des permis de conduire diplomatiques et des cartes d'identité diplomatiques pour son nouveau «conseiller assistant» et pour son épouse Janet. La lettre comprenait quatre photos de chacun ainsi que leur description physique (Agee mesurait 1,72 m et avait les yeux bruns ; Janet mesurait 1,65 m et avait les yeux noisette ; tous deux avaient les cheveux bruns et étaient âgés de 25 ans). Des notes manuscrites indiquent que le ministère a délivré les cartes d'identité 08-61 et 09-61 le 12 janvier 1961, et les permis de conduire 09-61 et 10-61 une semaine plus tard.

Agee, comme les autres officier de la CIA, a profité de ses privilèges de diplomate pour importer des articles personnels comme des vêtements et un arbre de Noël. Peu après son arrivée, il a également importé une petite berline Renault de quatre portes, comme le permettait le gouvernement équatorien à d'autres membres de l'ambassade, aussi bien au personnel diplomatique régulier qu'aux officiers de la CIA. Les véhicules devaient être destinés à un usage personnel et non à la revente immédiate. Quand Agee a vendu la voiture, deux ans plus tard, il n'a pas eu à payer de droits de douane. Les officiers avaient aussi l'habitude d'importer régulièrement des liqueurs et d'autres articles de luxe, soi-disant destinés à leurs agents et à d'autres collaborateurs.

Mais que dire de la lingerie féminine et du rouge à lèvres ?

Après plusieurs mois de services d'Agee en Équateur, le conseiller de l'Ambassade de Edouard S. Little écrivait au ministre des Affaires étrangères de l'Équateur, José, Ricardo Chiriboga Villagómez, pour lui demander l'autorisation d'importer sans payer de taxe «un paquet contenant de la lingerie de soi pour dame et du rouge à lèvres à l'usage de Monsieur Philip B. Agee». Étaient-ils destinés à sa femme Janet, à une opération de subordination d'un agent de la CIA où s'agissait-t-il de quelque chose de complètement différent ?

Pendant des années, de nombreuses rumeurs salaces et diffamatoires ont circulé sur Agee, le qualifiant de «coureur de jupons». Le journaliste John Barron, dans son livre «Le KGB aujourd'hui», l'accuse «d'avoir été obligé de démissionner pour divers raisons parmi lesquelles sa consommation irresponsable d'alcool, ses perpétuelles et vulgaires propositions à des femmes de diplomates et son incapacité à gérer ses finances».

Les affirmations de Barron faisaient partie d'une campagne plus large lancée par l'Agence contre lui. Un document que la CIA a diffusé en réponse à une demande en vertu de la loi de liberté de l'information (FOIA) affirme : «Pendant sa carrière à l'agence, Agee a prouvé qu'il était un jeune égoïste, pas très intelligent, mais essentiellement frivole qui ne manifestait aucun intérêt pour la politique et n'avait aucune conviction idéologique. Peut-être son orientation politique était-elle conservatrice de droite». Agee, évidemment, a nié fermement ces accusations en les qualifiant d'attaques destinées à le discréditer, lui et, par extension, à discréditer ses révélations sur les opérations de renseignement.

Les stations de la CIA était plein de machisme toxique, c'est pourquoi il ne serait pas surprenant que Agee ait eu du mal à avoir des relations avec les femmes sur un pied d'égalité. Dans «Inside the Company», à peine mentionne-t-il les assistantes de stations qui, généralement, étaient des femmes jeunes et, par conséquent, avaient tendance à être invisibles dans les enregistrements historiques. Barbara Svegle, une dactylo de la station de Quito qui, au début des années 60, servait de boîte aux lettres à Aurelio Davila Caja, l'un des agents équatoriens de la station, fut une exception.

Mais ce cas était plus l'exception que la règle. Étant donné qu'elles dactylographiaient les câbles et les dépêche sortants, elles lisaient ce qui entrait du siège central et tenaient les registres financiers, l'officier dissident de la CIA John Stockwell a décrit ces aides comme faisant partie d'un petit groupe de personnes «qui savait tout ce que fait la CIA». Mais apparemment, il n'existe ni mémoire ni étude ni débat important sur leur rôle dans les opérations de l'agence, l'historiographie a ignoré leurs activités au détriment d'une compréhension plus complète du fonctionnement interne de la CIA.

Plus étrange encore, et le cas de la secrétaire du sous-chef de station de la CIA Sharon V. Hurley. Dans ses mémoires postérieures, On the Run, Agee raconte qu'il a connu en Allemagne dans les années 70 après avoir quitté l'agence. Il affirme qu'il avait «à peine remarquée» à Quito, bien que «son bureau ait été à une minute de marche par le couloir» du sien.

Le plus insolite de cette histoire est que leurs séjours en Équateur coïncidaient presque exactement. En fait, lors du départ d'Agee en décembre 1963, l'ambassade des États-Unis a inclus Agee et Hurley dans la même dépêche au ministère des affaires étrangères l'informant qu'ils avaient terminé leurs fonctions et qu'ils quittaient le pays.

Une omission dans ses mémoires Inside the Company attire également l'attention : peu avant de quitter le pays, en décembre 1963, Agee avait sollicité l'autorisation de vendre sa Renault de 1959 et d'importer une Triumph TR4. Mais, à peine deux semaines plus tard, il a dû faire marche arrière et vendre la Triumph récemment arrivée à bord du vapeur Salinas. Pourquoi avait-il acheté une nouvelle voiture de sport rouge juste avant de partir ? Est-ce que son départ était inattendu ? Était-ce le signe d'une crise de la cinquantaine précoce ? Comme d'habitude, les révélations des archives posent plus de questions qu'elles n'apportent de réponses.

L'absence de toute mention de son remplaçant en Équateur est encore plus énigmatique. Peu avant son départ, William F. Frederick est arrivé à Quito en tant que nouveau attaché adjoint de la section politique de l'ambassade. Après avoir cité des centaines de noms d'officiers, de dossiers, d'agents et d'autres collaborateurs de la CIA, pourquoi omettre précisément le fonctionnaire qui a pris sa place ? Une fois de plus, les archives révèlent des silences significatifs.

Agee, par contre, achève le chapitre de ses mémoires sur l'Équateur, par une réflexion sur les changements dans la situation du pays depuis son arrivée, trois ans auparavant. Il signale que les officiers en poste précédemment ne reconnaîtraient probablement plus la station car celle-ci avait pris une ampleur considérable et qu'on s'attendait à l'arrivée de plus de personnel. Il mentionne aussi le fait que le budget de la station avait augmenté de façon substantielle.

Bien qu'Agee n'ait jamais utilisé le terme de «source américaine contrôlée» (CAS), la plupart des officiers continuait à opérer sous couverture diplomatique bien que Warren Dean, le chef de la base de Guayaquil, ait eu des plans pour étendre les opérations sous couverture non officiel. Mais, en terme général, plus les choses changeaient, plus elles restaient identiques.

source :  Resumen Latinoamericano via  Bolivar Infos

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