21/04/2025 investigaction.net  9min #275635

 Le pape François est mort lundi matin à l'âge de 88 ans

Le pape François est décédé : la voix des pauvres et la conscience du monde

Marc Vandepitte

Le pape François salue la foule depuis le balcon principal de la basilique Saint-Pierre le 20 avril 2025. (AFP)

Lundi matin 21 avril, le pape François est décédé à l'âge de 88 ans dans sa résidence à la Cité du Vatican. Avec sa mort, le monde perd non seulement un chef de l'Église, mais aussi une boussole morale qui s'élevait contre l'inégalité, la discrimination, la guerre et la destruction du climat.

Un pape venu de la périphérie

Lorsque Jorge Mario Bergoglio fut élu pape en 2013, il venait « presque du bout du monde », comme il l'a lui-même  formulé. Cette phrase unique donna immédiatement le ton : ce pape allait être différent.

Premier jésuite et premier Latino-Américain à occuper le siège de Pierre, il choisit le nom de François - en référence au saint d'Assise, connu pour sa pauvreté et sa solidarité avec les plus petits. Et ce ne fut pas un simple symbole. François se dirigea résolument vers les marges de la société : vers les camps de migrants, les zones de guerre et les sommets climatiques.

Sa décision de ne pas habiter le palais papal mais une chambre simple, d'échanger la papamobile contre une modeste Ford et de remplacer la pompe et le faste par la simplicité n'était pas un coup de communication. C'était un choix de principe. Il voulait être un pape des pauvres, pour les pauvres.

À contre-courant et difficile à classer

François n'était pas un pape typique. Il vivait sobrement, parlait simplement et faisait des déclarations qu'on attendrait plutôt d'un militant que d'un chef religieux. Son comportement provoqua des remous dans les milieux conservateurs, non seulement au sein de l'Église, mais aussi en dehors.

Son message résonna auprès de personnes qui, en général, ont peu d'affinités avec la religion. Cela le rendait populaire auprès des voix progressistes, mais en même temps suspect aux yeux des puissances traditionnelles.

Conservateur sur le micro, radical sur le macro

Et pourtant, le pape François n'était pas un révolutionnaire. Sur le plan micro-éthique - avortement, homosexualité, contraception, genre - il resta fidèle à la doctrine de l'Église. Son ton était conciliant, son style humain, mais la doctrine elle-même resta en grande partie intacte.

Il montra de l'empathie envers les personnes LGBTQ+, comprit les fidèles remariés, parla de miséricorde et de pardon. Mais il ne reconnut pas le mariage homosexuel, condamna l'avortement de manière particulièrement ferme et resta attaché au célibat. Tant que l'Église reste une institution patriarcale, il est difficile d'attendre autre chose.

Là où il fut innovant, c'est sur le plan macro-éthique. Il prit des positions qui sont même jugées trop tranchées par de nombreux dirigeants mondiaux. Il mit le doigt sur les plaies de notre système économique, de la politique migratoire, de notre rapport à la Terre.

Un participant agite un drapeau palestinien lors d'un chapelet en hommage au pape François après sa mort sur la place Saint-Pierre, au Vatican, le 21 avril 2025. (AFP)

Contre la guerre et le militarisme

Au début de la guerre en Ukraine, le pape alla directement à l'encontre de la fièvre guerrière de l'Occident. En mai 2022, il  parla d'"une guerre peut-être provoquée d'une certaine manière, ou pas empêchée". Il évoqua des pays de l'OTAN qui "aboyaient aux portes de la Russie".

Dans  une interview de mars 2024, il déclara que Kiev devait avoir le courage de négocier une fin à la guerre avec la Russie.

Dans son message de Noël de 2023, il attaqua  l'industrie de l'armement. Concernant Gaza, le pape qualifia les attaques d'Israël contre des civils non armés Pope Francis says Israel's Attack On Gaza Is Terrorism | Dawn News English . À plusieurs reprises, il a appelé à un  cessez-le-feu immédiat.

Il est clair que le Vatican n'est pas dépendant de l'industrie de la guerre ni ne danse au rythme de Washington.

Migration : entre humanité et devoir moral

François prit régulièrement la défense des droits des migrants et des réfugiés. Il appela les pays à être plus hospitaliers et plus humains envers les migrants. Il qualifia le refus d'aider les migrants de " péch é grave".

François ramena systématiquement la migration à son essence humaine. Les réfugiés ne sont pas une menace, mais des frères et des sœurs. Il dénonça la militarisation des frontières et l'indifférence des pays riches face au désespoir des personnes en fuite.

Il visita des camps de réfugiés, ramena des réfugiés à Rome et interpella les dirigeants européens sur leur devoir. Non pas en tant que politiciens, mais en tant qu'êtres humains.

Il condamna le racisme et la xénophobie. Il souligna que les réfugiés ne sont pas des "statistiques", mais des personnes avec des histoires et des droits. Il appela à élargir les voies d'accès pour les migrants et plaida pour une "gouvernance mondiale de la migration fondée sur la justice, la fraternité et la solidarité".

Sa vision était claire : la migration n'est pas un problème temporaire, mais une réalité structurelle. Et elle exige une réponse éthique et solidaire, pas des murs ou des refoulements. Ses déclarations courageuses sur cette question contrastent fortement avec celles des politiciens actuels, y compris d'une grande partie de la gauche.

Le capitalisme sous le feu des critiques

Les critiques de François envers le capitalisme étaient inédites pour un pape. Il qualifiait le système économique actuel de "voie sans issue". Dans ses encycliques et discours, il attaquait vigoureusement les inégalités, le pouvoir des marchés et la logique inhumaine du profit avant le bien-être.

Parce que le capitalisme crée de la pauvreté, il s'y opposait avec fermeté. "Nous ne pouvons plus attendre pour résoudre les causes structurelles de la pauvreté, pour guérir notre société d'une maladie qui ne peut conduire qu'à de nouvelles crises. Les marchés et la spéculation financière ne peuvent bénéficier d'une autonomie absolue", disait-il dans  une interview.

Même les riches en prenaient pour leur grade. "Jésus affirme que l'on ne peut servir deux maîtres, Dieu et la richesse." Il plaidait pour une redistribution des richesses, une fiscalité juste et une refondation de nos fondements économiques.

Ses paroles pourraient tout aussi bien venir d'un économiste comme Thomas Piketty ou d'un dirigeant syndical. Les déclarations du pape tranchent avec les cadeaux fiscaux offerts aux riches ces dernières décennies et le refus d'instaurer un impôt sur la fortune.

Pour François, c'était clair : pour lutter contre la pauvreté, il faut s'attaquer au système qui la produit.

Climat : Laudato Si' comme boussole morale

Concernant le climat aussi, le pape remettait en question le système économique et rappelait aux dirigeants mondiaux leur foutue responsabilité.

Avec son encyclique Laudato Si', François a marqué l'histoire. Aucun autre document religieux n'a eu un tel impact sur le débat climatique. Il établissait un lien entre la destruction écologique et l'injustice sociale.

Protéger la planète n'était, selon lui, pas un luxe mais une nécessité morale. Il appelait à faire des choix radicaux, à dépasser les intérêts économiques et les égoïsmes nationaux. La crise climatique, disait-il, est aussi une crise spirituelle.

Il soulignait que le réchauffement climatique aggrave d'autres problèmes sociétaux tels que la santé, l'alimentation, l'eau et la sécurité (inter)nationale. Ces crises nous obligent "à prendre des décisions radicales qui ne sont pas toujours faciles".

Selon lui, nous faisons face à un choix : soit nous nous replions sur nous-mêmes et nous réfugions dans le protectionnisme et l'exploitation, soit nous voyons dans cette crise une opportunité de changement. Seule cette dernière option, selon lui, peut nous mener vers "un horizon plus lumineux".

Mais cela ne peut se faire que sur base "d'un nouveau sens des responsabilités partagées envers notre monde et d'une solidarité effective, fondée sur la justice".

Le pape soulignait que l'humanité n'a jamais disposé d'autant de moyens pour éviter une crise climatique. Mais alors, les dirigeants doivent prendre leurs responsabilités. Malgré toute la belle rhétorique et les nombreuses promesses, ce n'est malheureusement toujours pas le cas.

Pour beaucoup de militants climatiques, François était un allié.

Une vérité dérangeante pour les médias

Le fait que cette facette du pape soit rarement mise en avant dans les médias traditionnels n'est pas un hasard. Ses critiques du capitalisme, de la politique guerrière, de l'hypocrisie migratoire - touchent au cœur même de la pensée néolibérale dans laquelle la plupart des médias sont profondément enracinés.

Les papes précédents, aussi conservateurs soient-ils, recevaient souvent un accueil plus indulgent car ils restaient dans les cadres attendus. François, lui, brisait ces cadres. Et cela le rendait plus difficile à cataloguer.

Dans de nombreux reportages médiatiques, l'attention se portait principalement sur ses positions sur l'avortement ou l'homosexualité - justement les sujets sur lesquels il était le moins novateur. Ses appels les plus radicaux à repenser le monde ont reçu à peine d'écho.

Succession

François n'était pas parfait. Il n'a pas réussi à réformer profondément l'Église, a eu des difficultés à traiter les abus, et a laissé certains dossiers en suspens. Mais il était une voix de clarté morale dans une époque de grande confusion et d'incertitude. La plupart des dirigeants mondiaux pâlissent face à la figure de François.

La période de sede vacante a maintenant commencé. Bientôt, les cardinaux éliront un successeur. La question est de savoir si ce successeur aura, au niveau macro, le même courage que François. Le monde en a besoin.

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