Max Blumenthal
Au cours d'une réunion informelle, le PDG de l'AIPAC a détaillé comment son organisation prépare les plus hauts responsables de la sécurité nationale de Trump et comment l'« accès » de son groupe garantit qu'ils continuent de suivre l'agenda d'Israël.
The Grayzone a obtenu l'enregistrement d'une séance officieuse du Sommet du Congrès 2025 de l'AIPAC, le principal organe de lobbying de l'État d'Israël aux États-Unis. Enregistré par un participant à la table ronde, l'audio présente le nouveau PDG de l'AIPAC, Elliott Brandt, décrivant comment son organisation a cultivé son influence auprès de trois hauts responsables de la sécurité nationale de l'administration Trump - le secrétaire d'État Marco Rubio, le directeur de la sécurité nationale Mike Waltz et le directeur de la CIA John Ratcliffe - et comment elle pense pouvoir obtenir un « accès » à leurs discussions internes.
Dana Stroul, ancienne responsable civile de haut rang chargée des questions du Moyen-Orient au sein du ministère de la Défense de l'administration Biden, s'est jointe à M. Brandt dans le cadre du panel. Mme Stroul a clairement indiqué que la défense des impératifs stratégiques d'Israël au sein du gouvernement américain était une priorité absolue, estimant que Washington devait approfondir sa relation spéciale « mutuellement bénéfique » avec son « partenaire solide » de Tel-Aviv.
Mme Stroul a nié le bain de sang à Gaza comme étant le résultat de tactiques supposées du Hamas qui viseraient à maximiser le nombre d'enfants tués par Israël. Dans le même temps, elle et ses collègues lobbyistes israéliens se sont inquiétés de l'impact de la guerre qui a suivi le 7 octobre sur le soutien de l'opinion publique à l'État juif autoproclamé. Elle s'est montrée particulièrement troublée par les tentatives du sénateur Bernie Sanders de forcer le vote sur les programmes d'aide militaire à Israël qui, selon elle, ne devraient jamais débattus publiquement. Un autre panéliste de l'AIPAC, non identifié, s'est inquiété du fait que les universitaires pro-palestiniens pourraient finir par influencer les systèmes de connaissance de l'IA, entraînant un changement dangereux dans la politique de sécurité nationale, à moins qu'ils ne soient réprimés de manière décisive.
Le sommet du Congrès était empreint d'anxiété, les dirigeants de l'AIPAC ayant demandé aux membres de la base de cacher leur badge lorsqu'ils quittaient l'hôtel Marriott, de peur d'être confrontés à des manifestants anti-génocide. À l'exception d'une poignée de sessions, telles que le discours principal du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, la conférence s'est déroulée en dehors de tout enregistrement.
Alors que les caméras étaient éteintes, la direction de l'AIPAC a fourni des détails inhabituellement francs sur leurs activités. Dans un aveu révélateur, M. Brandt a expliqué comment lui et son organisation de lobbying ont préparé le futur directeur de la CIA et d'autres hauts responsables de Trump à devenir des atouts pro-israéliens.
Les « bouées de sauvetage» de l'AIPAC dans l'équipe de sécurité nationale de Trump
Elliot Brandt a été promu directeur exécutif de l'AIPAC en 2024, ce qui fait de lui l'un des lobbyistes les plus puissants de Washington. Bien qu'il soit largement inconnu du public américain, Elliot Brandt a passé environ trois décennies à nouer des relations au Capitole. Selon lui, c'est la clé pour faire des futurs dirigeants du département de la Sécurité nationale des États-Unis des serviteurs loyaux d'Israël.
Faisant référence au secrétaire d'État de Trump, Marco Rubio, à son directeur de la sécurité nationale, Mike Waltz, et à Elise Stefanik, dont la nomination au poste d'ambassadeur des États-Unis aux Nations unies a été soudainement annulée pour préserver la majorité du GOP (Le Parti républicain) à la Chambre des représentants, M. Brandt a expliqué aux membres de l'AIPAC : « Ces trois personnes ont quelque chose en commun : elles ont toutes siégé au Congrès. »
Après s'être largement appuyés sur des donateurs pro-israéliens pour financer leurs campagnes électorales, « ils ont tous des relations avec les principaux dirigeants de l'AIPAC issus de leurs communautés », a déclaré le PDG de l'AIPAC. « Ainsi les lignes de communication sont bonnes en cas de doute ou de curiosité, nous devons avoir accès aux débats.»
Les commentaires de Brandt corroborent l'affirmation du représentant Thomas Massie selon laquelle chaque membre du Congrès est censé répondre à une « personne de l'AIPAC ».
La référence du directeur de l'AIPAC à l'« accès » de son organisation à des discussions présumées internes sur la sécurité nationale contient des échos inquiétants de scandales d'espionnage passés dans lesquels des employés de l'AIPAC ont été accusés de transmettre des informations classifiées aux services de renseignement israéliens. En 2004, par exemple, le FBI a arrêté un chercheur du Pentagone nommé Larry Franklin, qui avait fourni des documents classifiés relatifs à l'Iran à deux membres de l'AIPAC, Keith Weissman et Steve Rosen, qui ont ensuite transmis les informations aux services de renseignement israéliens. En décembre, le FBI a perquisitionné les bureaux de l'AIPAC et a saisi un ordinateur appartenant au prédécesseur de Brandt, Howard Kohr. En fin de compte, Franklin s'est fait « taper sur les doigts » par le gouvernement, tandis que Weissman et Rosen ont été licenciés par l'AIPAC.
Lors de son intervention au sommet du Congrès de l'AIPAC, M. Brandt a également mentionné le directeur de la CIA, John Ratcliffe, comme un point de contact important. « Vous savez, l'un des premiers candidats que j'ai rencontrés en tant que professionnel de l'AIPAC dans le cadre de mon travail, lorsqu'il était candidat au Congrès, s'appelait John Ratcliffe », a-t-il rappelé. « Il défiait un membre du Congrès de longue date à Dallas. J'ai dit que ce type semblait pouvoir gagner la course et nous sommes allés lui parler. Il avait une bonne compréhension des problèmes et, il y a quelques semaines, il a prêté serment en tant que directeur de la CIA, bon sang ! C'est un gars avec qui nous avons eu l'occasion de parler, donc il y a, il y a beaucoup de - je ne les appellerais pas des bouées de sauvetage, mais il y a des bouées de sauvetage là-dedans.
Un vétéran du Pentagone fait son coming out en tant que lobbyiste israélien
Dana Stroul travaille comme directeur de recherche au Washington Institute for Near East Policy, un groupe de réflexion néoconservateur qui a été fondé à l'origine en tant qu'organe de recherche de l'AIPAC. Mme Stroul a occupé précédemment le poste de sous-secrétaire adjoint à la Défense pour le Moyen-Orient au Pentagone lors de l'administration Biden, en charge de la politique à l'égard de l'Iran, de la Syrie et de pratiquement toutes les autres questions importantes pour Israël.
Lors d'une séance à huis clos à l'hôtel Marriott, devant un public de membres de l'AIPAC, Mme Stroul ressemblait davantage à une lobbyiste israélienne chevronnée qu'à une experte en sécurité nationale américaine, affirmant longuement que tous les programmes d'aide militaire américains à Israël constituaient un avantage net pour l'empire américain, tout en rejetant les atrocités israéliennes bien documentées dans la bande de Gaza assiégée comme étant le résultat de tactiques « intelligentes » du Hamas qui utilisait la population comme des boucliers humains.

Selon un participant au sommet du Congrès de l'AIPAC, Mme Stroul a commencé son intervention en évoquant les heures frénétiques qui ont suivi la nouvelle des attentats du 7 octobre 2023. Convoquée personnellement au travail par le secrétaire à la défense de l'époque, Lloyd Austin, Mme Stroul a décrit comment elle a emmené son enfant à la garderie du Pentagone afin de se consacrer à l'acheminement des munitions pour l'armée israélienne. Elle a déclaré avoir travaillé sans interruption pendant les 48 heures suivantes, aidant le Pentagone à transférer des armes de ses propres stocks vers les bases israéliennes. (Le participant à l'AIPAC n'a pas pu capter sur l'audio davantage des propos de Mme Stroul).
Alors même qu'elle s'assurait qu'Israël dispose de tout ce dont il avait besoin pour transformer Gaza en un paysage lunaire, Mme Stroul a reconnu en privé que l'armée israélienne pourrait commettre des crimes de guerre, selon une série de courriels divulgués par l'agence Reuters. Le 13 octobre 2023, Mme Stroul a envoyé un courriel aux hauts responsables de la Maison Blanche, du département d'État et du Pentagone au sujet d'un appel téléphonique qu'elle venait d'avoir avec le directeur du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) pour le Moyen-Orient, Fabrizio Carboni. « Le CICR n'est pas prêt à le dire en public, mais il tire la sonnette d'alarme en privé sur le fait qu'Israël est sur le point de commettre des crimes de guerre », écrit Mme Stroul. « Leur principal argument est qu'il est impossible qu'un million de civils se déplacent aussi vite. »
Depuis qu'elle a reconnu la probabilité d'atrocités israéliennes, Mme Stroul a apparemment gardé la conscience tranquille en accusant le Hamas d'être responsable des plus de 50 000 civils tués à Gaza par Israël. « Je pense que si vous êtes en Iran, ou si vous êtes les Houthis ou n'importe lequel de ces autres groupes terroristes par procuration, et franchement, probablement les Russes et les Chinois », a-t-elle déclaré aux membres de l'AIPAC lors du sommet du Congrès 2025, « vous regardez la manière dont la communauté internationale a si rapidement tourné la page après le 7 octobre et ce qui est arrivé à Israël et pourquoi Israël est en guerre. Vous en déduisez probablement que c'est une excellente tactique dans les guerres, de mettre autant de civils que possible sur les lignes de front pour qu'ils se fassent simplement tuer. La tactique du Hamas a donc eu des effets stratégiques, car Israël se retrouve isolé sur la scène internationale. C'est une tactique du Hamas à la fois pour terroriser mondialement et aussi pour faire de la propagande et de la désinformation.
M. Stroul a poursuivi en suggérant que l'armée israélienne était supérieure à certains égards à l'armée américaine. « Il s'agit d'une relation mutuellement bénéfique. Il ne s'agit pas seulement de ce que les États-Unis donnent à Israël », a déclaré l'ancienne responsable du Pentagone. « Il s'agit d'un partenaire qui a inversé le scénario de ce qui peut être accompli avec la force militaire d'une manière que l'armée américaine n'a jamais imaginée contre l'Iran et ses mandataires au Moyen-Orient. Nous obtenons autant de renseignements d'Israël que nous lui en donnons. Ils utilisent notre F-35 plus que nous ne l'utilisons... »
Selon elle, Israël a également joué un rôle important de mandataire des États-Unis en appliquant la violence et en subissant des pertes contre ses ennemis supposés : « Une chose que l'on entend et qui, je pense, est commune à l'extrême droite et à l'extrême gauche, c'est qu'ils ne veulent pas que des jeunes hommes, des hommes et des femmes américains, des militaires partent en guerre au Moyen-Orient ou ailleurs. Le moyen d'éviter que de jeunes Américains partent en guerre est donc d'investir dans des partenaires solides capables de se défendre. C'est le cas d'Israël.
Un mois après les commentaires de Mme Stroul à l'AIPAC, le président Donald Trump a relancé l'assaut militaire américain contre le mouvement Ansar Allah au Yémen afin de protéger le transport maritime israélien du blocus de la mer Rouge. La guerre a déjà coûté au moins un milliard de dollars aux contribuables américains, mais n'a pas permis d'obtenir la liberté de navigation.
Comme les autres panélistes de l'AIPAC, Mme Stroul était préoccupée par l'image d'Israël auprès du public américain. Elle a souligné les efforts du sénateur Bernie Sanders pour suspendre l'aide militaire à Israël comme une source particulière d'inquiétude, mais pas nécessairement parce qu'elle pense qu'ils seront couronnés de succès.
« Qu'est-ce qui me préoccupe ? Je pense que tous ceux qui soutiennent cette relation doivent se méfier de la manière dont elle se déroulera parfois. Israël va être confronté à une lutte entre le Congrès et le législatif, et Israël va être pris dans le collimateur. Et je suis inquiète à ce sujet avec ces blocages de l'exécutif », a proclamé Stroul.
La crainte d'un système d'IA pro-palestinien
Interrogé sur sa plus grande préoccupation, un panéliste de l'AIPAC que The Grayzone pas été en mesure d'identifier a pointé du doigt le monde universitaire et les médias sociaux. Selon ce lobbyiste israélien manifestement aguerri, Israël est en train de perdre « la guerre des idées » face à un ensemble de professeurs et d'influenceurs qui exercent un ascendant considérable sur la future génération de l'intelligentsia américaine.
« Imaginez que dans cinq ans, un membre du personnel du Congrès tape dans une IA comme Claude ou GBT (disons GBT-14) : « Est-ce que soutenir Israël est mauvais pour la sécurité nationale américaine ? » La réponse qu'il recevra dépendra des informations disponibles sur internet aujourd'hui, ce qui explique pourquoi il est crucial de contre-attaquer dans la sphère informationnelle », a plaidé le lobbyiste pro-israélien
« Lorsque vous vous désengagez, vous laissez le champ libre à ce type d'informations qui influenceront les décisions en matière de sécurité nationale dans cinq ans. Et d'ailleurs, le Congrès n'est pas à l'abri, car si un membre du Congrès, si son électeur, lit de plus en plus ce type d'informations, cela va fausser la façon dont ils vont faire pression sur lui pour orienter son vote, ou même pour qu'il soit démis de ses fonctions et qu'il soit remplacé par quelqu'un d'autre. Je veux dire que cela commence dans les universités, mais cela ne s'arrête pas là, n'est-ce pas ?
L'AIPAC n'a pas répondu à la demande de commentaire de The Grayzone concernant les déclarations faites lors de la réunion officieuse.
* L'AIPAC ou American Israel Public Affairs Committee est un lobby créé en 1963 aux États-Unis pour soutenir Israël. L'AIPAC est très proche du Likoud (le parti de Benjamin Netanyahou). Il s'appuie sur un réseau de plus de soixante-dix organisations sionistes qui lui sont affiliées, dont les représentants siègent à son comité directeur. Il est considéré comme un des lobbys les plus puissants des États-Unis ayant plus de 5 million de membres.
Source : The Grayzone