25/04/2025 reseauinternational.net  15min #275981

La fausse bannière satanique

par Laurent Guyénot

Les awakes contre les wokes.

Allez, un petit dernier. Demain, j'arrête Satan. Pour ma défense, c'est lui qui est venu me chercher. Quand je l'ai vu arriver dans Les Survivantes il y a bientôt un an, je me suis dit : ça y est, la panique satanique débarque chez nous. Ayant étudié de près ce phénomène quand il est apparu aux États-Unis dans les années 1990, et la controverse des « faux souvenirs» qui s'en est suivie, et étant fasciné par les hypothèses «métapsychiques» qu'il suggère sur la porosité de l'esprit humain, je me suis senti responsable d'apporter un éclairage critique. (Voir  ici,  ici et  ici mes trois articles sur ce film).

Et puis, j'ai compris que le thème de Satan avait une résonnance qui dépasse ce dossier. C'est une Idée (au sens platonicien) dont le champ de rayonnement est considérable. Satan joue un rôle important, bien que souvent tacite, voire subliminal, dans la mentalité complotiste. J'utilise cette expression sans mépris : j'accepte volontiers moi-même l'étiquette de «complotiste» (même si je mets plutôt «complotologue» sur ma carte de visite). L'influence du paradigme satanique (ou pédo-satanique) dans la dissidence, je l'ai moi-même subie, avant de l'analyser de manière critique. Même si - je sais bien - je peux avoir l'air de donner des leçons, je me les donne à moi-même avant tout.

Par ailleurs, je ne prétends pas avoir le fin mot d'histoires extrêmement troublantes comme celle du Pizzagate, sorti il y a dix ans, comme le rappelle  cet article d'Égalité & Réconciliation. Simplement, à y regarder de près, je pense que l'élément de «culte satanique» n'y joue aucun rôle, et serait plutôt de l'ordre du décor, si ce n'est de la fausse piste : les pédophiles sont de grands pervers qui peuvent s'organiser en réseau, mais ils ne sont pas mus par une foi religieuse quelconque.

Il m'est apparu aussi que Satan peut être un outil d'ingénierie sociale, ou, si l'on veut, de «programmation neuro-linguistique de masse». Sans doute l'est-il depuis ses premiers jours, que j'ai raconté dans « Belzébuth pour les Nuls»). Dans mon précédent article, « Satanisme et transsexualisme», je me suis intéressé à l'utilisation de l'esthétique sataniste comme incitation à la transgression des normes et des valeurs. La fonction de ce Satan obscène est d'être non seulement perturbant, mais attractif pour la population des wokes, majoritairement anti-chrétiens.

Ce même Satan a simultanément pour fonction d'être répulsif pour la population des awakes, si l'on désigne ainsi les gens sensibles aux thèmes vulgarisés par QAnon, dont l'un des slogans est The Great Awakening. Les awakes sont, à des degrés divers, chrétiens, de sensibilité eschatologique et messianique ; ils attendent la grande Révélation et le grand Jugement qui mettra les satanistes (démocrates de préférence) au trou. Les wokes contre les awakes, c'est la nouvelle dialectique des contraires mise en place par les maîtres de la triangulation aux États-Unis. Plus les wokes flirtent avec le satanisme, plus les awakes sont obsédés par le satanisme, et se sentent une âme d'exorciste.

Dans cet article, je m'intéresse à l'utilisation de la figure de Satan comme outil politique de manipulation de masse par la terreur. L'essence de la propagande consiste à «diaboliser» l'ennemi, ce qui revient à lui coller l'archétype du diable ou d'un de ses avatars. L'utilisation politique de Satan n'est donc pas une nouveauté. Philippe le Bel s'en servit pour détruire les Templier (c'est de leur procès que date l'apparition de «Baphomet», par déformation probable de Mahomet, que les Templiers étaient accusés de vénérer). Dans Black Magic and Bogeymen, le sociologue britannique Richard Jenkins documente une opération psychologique menée par les services secrets britanniques en Irlande du Nord entre 1972 et 1974, visant à «diaboliser» la guerre civile entre les groupes paramilitaires catholiques et protestants, en plaçant des objets et des inscriptions sataniques dans certaines zones de guerre de Belfast, et en faisant circuler par la presse des rumeurs de messes noires et de sacrifices rituels. L'objectif, partiellement atteint, était, dans une population très religieuse de part et d'autre, de salir l'image de leurs luttes armées. (1)

Les awakes de la mouvance QAnon sont une réaction, en partie contrôlée, au mouvement woke, qui lui-même s'est développé à partir de Black Lives Matter. S'adressant principalement à une population chrétienne évangélique aux États-Unis, le «awakisme» véhicule une vision apocalyptique et millénariste du monde, suffisamment vague pour être adaptable à une mentalité laïque. Autant les wokes voient la vie en arc-en-ciel, autant les awakes la voient en noir et gris foncé. On peut les qualifier de néo-gnostiques, puisque les gnostiques des premiers siècles considéraient le monde physique comme intrinsèquement mauvais, totalement soumis au Prince de ce monde. L'un des articles de foi des awakes les plus engagés est que le monde-le monde occidental tout au moins-est contrôlé par les Satan-Worshipping Pedophiles (SWP). C'est ce que j'ai appelé « la pilule noire», dont le dealer le plus influent en France, il me semble, est l'auteur qui se fait appeler Alexandre Lebreton ( lire ma critique ici).

Faut-il croire aux six millions ?

«Il y a six millions d'enfants victimes de trafic sexuel dans le monde !» Oui, six millions ! C'est la première chose que nous apprend une Operation Underground Railroad: The Fight Against Human Trafficking de Operation Underground Railroad (OUR), l'organisation de Timothy Ballard, le héros mormon sauveur d'enfants, dont le bilan réel est si obscure et controversé qu'il a fallu le fictionnaliser pour le vendre (Ballard est incarné par Jim Caviezel dans Sound of Freedom).

Vous croyez aux six millions ? Ça dépend lesquels, dites-vous ? Mais les ressorts psychologiques de la croyance sont les mêmes : les six millions d'enfants, on préfère y croire, non pas parce qu'on est convaincu par des informations sourcées ou des arguments rationnels, mais parce que la pression morale nous y oblige. Il est question ici d'enfants vendus, violés, et finalement exécutés, ou torturés pour en extraire l'adrénochrome, ou vidés de leurs organes, ou tout ça à la fois. Le Marquis de Sade, à côté, c'est du conte de fée. Ne pas y croire, c'est prendre le risque de protéger les monstres. Plutôt croire n'importe quoi que prendre ce genre de risque. Souffrance infinie exige croyance infinie. Mettre les chiffres en doute (six millions, c'est pas un peu exagéré ?) c'est déjà faire un pas de travers : l'important est d'avoir les deux pieds du côté du bien. Donc allons-y pour «six millions d'enfants victimes de trafic sexuel dans le monde» ! Et allons-y pour 400 000, 600 000 ou 800 000 aux USA chaque année, chiffres validés par nombre d'experts en tweets.

Pour faire sérieux, faisons précis : dans son documentaire 𝕏 Operation Amber Alert diffusé gratuitement quelques jours avant les dernières élections américaines, Ryan Matta avance le chiffre de 437 103 enfants ayant disparu dans des réseaux de trafic sexuels aux États-Unis sous la présidence Biden. Ce chiffre provient en réalité d'une estimation du nombre de prétendus «mineurs» ayant franchi la frontière mexicaine illégalement, en profitant d'une loi interdisant aux gardes-frontières de les refouler, même s'ils n'ont pas de papiers d'identité attestant leur âge. L'État a une obligation légale de garder la trace de ces mineurs, mais n'a pas le moyen de le faire, et a donc officiellement «perdu la trace» de 437 103 enfants. Matta fait un raccourci ridicule en prétendant que tous ces mineurs (réels ou prétendus) ont disparu dans des réseaux mafieux de trafic sexuel. Se présentant en chevalier du Christ porteur de «l'armure de Dieu», Matta répand la mauvaise nouvelle : «Le gouvernement américain [démocrate] a été détourné par un réseau d'élites pédophiles». Avec, toujours, le sous-entendu : Trump va neutraliser ce réseaux et les mettre tous en prison. C'est encore du QAnon.

Selon cette logique, les enfants victimes des réseaux pédophiles en France se compteraient aussi par centaines de milliers. Il faut donc admettre que cette hécatombe nous est cachée par tous les grands médias. Le petit Émile, ou la petite Maëlys il y a huit ans, ne seraient même pas le sommet visible de l'iceberg, mais des gouttes d'eau dans un océan de crimes diaboliques. Est-ce que finalement, on ne nous parlerait pas de ces cas pour nous cacher l'étendue de l'horreur ?

Dans une dissidence où plane parfois un esprit manichéen et sectaire, il est devenu difficile de contester ces chiffres délirants, car on se retrouve alors associé au camp honni des fact-checkeurs. Si la presse mainstream dit que c'est fake, c'est la confirmation que c'est vrai, n'est-ce pas ? Par exemple, si la revue The Atlantic publie un article intitulé « The Great (Fake) Child-Sex-Trafficking Epidemic», inutile de lire les arguments ; il suffit de mentionner que la revue appartient à Laurene Powell Jobs (veuve de Steve Jobs), et qu'il existe une ou deux photos d'elle 𝕏 à côté de Ghislaine Maxwell ! Mais si ces photos prouvent que Laurene Powell Jobs est au service des pédophiles, que prouvent celles-ci ? Ah bon, c'est pas pareil ?

Comme le fait aussi remarquer Yves Rasir, il est dangereux, stratégiquement aussi bien que psychologiquement, de raisonner à partir du postulat que la presse mainstream est toujours l'ennemie de la vérité lorsqu'elle dénonce une théorie du complot. Car c'est un fait qu'il existe un marché des théories du complot, qui fonctionne sur le principe de l'offre et de la demande. En veux-tu, en voilà ! De plus, le marché est délibérément alimenté par des réseaux dont l'objectif est de noyer et discréditer les investigations sérieuses par des théories bidons. Le théorème du gros mensonge, théorisé par un Autrichien moustachu en 1925, s'applique parfaitement : plus le mensonge est gros, plus il est convainquant. Il suffit de le répéter souvent. Pour fonctionner, le mensonge doit avoir un fond de vérité, lequel va être grossi jusqu'au grotesque. Sur la pédophilie d'élites les réseaux mafieux de trafic d'enfants, le fond de vérité ne manque pas.

Les SWP, nouveaux Illuminati reptiliens

La religion étant par définition le domaine de la croyance irrationnelle, elle est particulièrement utile pour court-circuiter l'esprit critique. L'ennemi désigné ne sera donc pas seulement pédophile, il sera aussi sataniste : ce sont les fameux Satan-Worshipping Pedophiles (SWP), ces gens infiltrés dans les hautes sphères de la société, qui vouent secrètement un culte aux puissances infernales en violant et sacrifiant des enfants dans des rites d'une cruauté extrême. On trouve ce thème dans un grand nombre de documentaires de la mouvance awake (explicitement ou non lié à QAnon), comme «Out of Shadows», sorti en 2020, dont j'ai fait la critique ( à lire ici).

L'efficacité de cette campagne peut être mesurée par un  sondage de 2022, selon lequel plus d'un quart des Américains se disant républicains adhéraient aux thématiques de QAnon et approuvaient en particulier l'affirmation suivante : «Le gouvernement, les médias et le monde de la finance aux États-Unis sont contrôlés par un groupe de pédophiles adorateurs de Satan (Satan-Worshipping Pedophiles) qui dirigent un trafic sexuel d'enfants à l'échelle mondiale».

𝕏 Suzie Dawson a, dès 2018, qualifié le mouvement QAnon de 'Pied Piper' operation-soit «opération joueur de flute», en référence à la légende du même nom. Elle entend par là une opération de propagande visant à attirer et agréger par la ruse les opposants à «l'État profond» et les entraîner vers des idées et des comportements contraires aux intérêts qu'ils croient défendre. QAnon leur a dit par exemple de se méfier d'Edward Snowden, ou de ne pas s'inquiéter pour Julian Assange, au moment où il avait plus que jamais besoin de soutien. D'ailleurs en mars 2018, peu avant d'être incarcéré au Royaume Uni et réduit au silence, Assange, interrogé sur la rumeur de QAnon selon laquelle il était secrètement libre, évoquait «une campagne noire de relations publiques amplifiée par des sous-traitants de la CIA pour réduire le soutien à WikiLeaks». Comme le signale  Caitline Johnstone, le compte X de Wikileaks a validé les soupçons d'Assange : «Malheureusement, il est de plus en plus apparent que cette analyse est correcte».

Nous avons aujourd'hui suffisamment de recul pour comprendre que QAnon a été une opération psychologique de grande envergure. Qui est à l'origine de cette manipulation ? L'«État profond», suggère Suzie Dawson. Mais cette expression vague ne dévoile rien.

Faisons d'abord remarquer que le mouvement QAnon a pris de l'ampleur en 2019, au moment où l'affaire Epstein émergeait dans la grande presse. Est-ce que l'un des objectifs aurait été de désamorcer cette affaire explosive, ou plutôt de détourner l'attention de ce qu'elle révèle véritablement : le contrôle du gouvernement américain par les honey traps et le chantage ? Cette opération de prostitution de mineures gérée par Jeffrey Epstein et Ghislaine Maxwell (fille d'un agent du Mossad), qui illustre parfaitement comment l'Occident pourrit par la tête, relève du pédo-yahvisme et non du pédo-satanisme.

Plus largement, tandis qu'un nombre croissant d'analystes sérieux découvre que le gouvernement américain est entièrement contrôlé par un réseau sioniste, qui a intérêt à faire le plus de bruit possible pour couvrir leurs voix par le message alternatif : «le gouvernement américain est contrôlé par un réseau pédo-sataniste» ? À qui a profité cette opération ? C'est toujours la bonne question à se poser. Force est de constater que QAnon et sa mythologie pédo-sataniste a contribué à occulter le contrôle d'Israël sur le gouvernement américain, dans l'opinion populaire «anti-système». Les adeptes de QAnon, tout comme ceux d'Alex Jones, pensent que le 11-Septembre a été orchestré par de méchants Goyim de «l'État profond», et il a fallu des moyens considérables pour le leur faire croire.

C'est pourquoi l'on peut dire que le pédo-satanisme est une fausse bannière d'Israël, au même titre que l'a été le terrorisme islamique.

Il faut aussi tirer la leçon du fait que Trump, qui était censé emprisonner tous les pédo-satanistes démocrates, n'a rien fait de tel, et n'en parle plus. Au lieu de cela, il autorise les vrais criminels à poursuivre le plus grand infanticide de l'histoire en Palestine.

Le satanisme existe-t-il ?

Dans mon précédent article, j'ai cité deux «satanistes» officiels, Anton LaVey et Malcolm Jarry, pour illustrer le fait que le satanisme est du folklore pour Goyim : LaVey et Jarry se trouvent être tous deux des juifs sionistes. Certes, les grands prêtres satanistes ne sont pas tous juifs. Michael Aquino, fondateur du Temple de Set, ne l'est pas. Mais curieusement, c'est un militaire expert en opération psychologique, coauteur en 1980 d'un rapport intitulé  From PSYOP to MindWar.

J'ajoute ici, à titre simplement accessoire, deux arguments logiques contre l'existence du pédo-satanisme. Premièrement, le profil du supposé pédo-sataniste est paradoxal. En effet, le pédophile est mu par des pulsions sexuelles, et non par des croyances religieuses. Le criminel pédophile est un pervers, un prédateur sans foi ni loi, souvent drogué. De telles personnes peuvent s'organiser en réseau s'ils y trouvent un moyen de prédation plus efficace, mais ce ne sont pas des individus capables de faire preuve entre eux d'une quelconque fraternité, comme on en trouve dans une communauté religieuse. Indépendamment de l'absence de preuves, des pédophiles participant collectivement à une messe noire ritualisée ne correspond à aucun profil psychologique crédible.

Deuxièmement, il existe une contradiction logique dans l'existence des cultes sataniques d'élites. Pour croire à Satan, il faut être chrétien, ou être passé par le Christ, et penser à l'intérieur du paradigme chrétien. La personnification du Mal en Satan est le pendant de l'anthropomorphisation de Dieu dans la tradition chrétienne. Alain de Benoist a bien résumé le paradoxe dans un entretien pour la revue Eléments :

«Il ne fait pas de doute que le «satanisme» n'est que du christianisme inversé. Adorer Satan, c'est adorer l'Ange déchu, c'est-à-dire le double négatif du Dieu de la Bible. La contradiction de toute démarche «sataniste», c'est qu'elle ne peut se passer du Dieu auquel elle prétend s'opposer, car dans le cas contraire ses «transgressions» n'auraient aucun sens. À quoi bon blasphémer contre Dieu si l'on est convaincu qu'il n'existe pas ? Quel sens peut avoir la profanation d'une hostie si celle-ci n'est qu'une rondelle de pain azyme ?»

C'est pourquoi, si le satanisme peut exister ponctuellement chez des individus ou des bandes d'individus perturbés et drogués, il n'a aucune chance de correspondre à l'univers mental des élites qui gouvernent le monde. Le caractère fantasmé du culte de Satan pratiqué par les puissants de ce monde est bien illustré par la rumeur bidon du Bohemian Grove, que j'ai déconstruite dans  un article reproduit ici. Qu'Alex Jones et ses pieux disciples y voient un culte du dieu Baal ou Moloch qui «pourrait impliquer» des sacrifices humains, est encore symptomatique de cette assimilation du paganisme au satanisme, fondatrice de la satanologie chrétienne, dont j'ai parlée dans  mon article précédent. (On attend toujours qu'Alex Jones infiltre les réunions du B'nai B'rith.) Cette mythologie se nourrit du vieil antimaçonnisme catholique, qui doit lui-même beaucoup au canular de Léo Taxil.

 Laurent Guyénot

source :  Kosmotheos

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