Par Maria Saadeh
Le Levant est en train d'être purgé de son peuple autochtone, les Syriens ?
Les premiers habitants du Levant sont menacés d'extinction. Le christianisme est en danger de disparition dans le monde.
Le nettoyage ethnique fait-il partie de l'éthique des grandes puissances ?
L'analyste stratégique et philosophe russe Alexandre Douguine n'a pas été convaincant lors de sa récente interview, lui qui est pourtant considéré comme le cerveau de Poutine. Il a fait preuve d'un réalisme politique qui ne tient pas compte de la vision et de la doctrine de la Russie, de sa position stratégique et de ses principes fondamentaux. Surtout que Poutine a obtenu ce qu'il voulait de sa guerre avec les États-Unis en échange de concessions.
Les déclarations de Douguine semblaient se soumettre à la realpolitik, justifiant la règle de la force au détriment des arguments humanitaires et diplomatiques, au mépris des droits de l'homme et du droit international. Il a rejeté ces principes comme des outils politiques obsolètes, arguant que le monde fonctionne désormais sur le troc et le commerce des ressources au détriment des peuples et des sociétés. Il est même allé jusqu'à rationaliser le nettoyage ethnique en Palestine, affirmant qu'il n'avait aucun rapport avec les obligations morales des grandes puissances. Mais qu'en est-il de l'épuration ethnique dans l'ensemble de la région ?
C'est généralement le camp le plus faible qui parle de réalisme politique car il est obligé de tirer le meilleur parti d'options limitées et de se soumettre à la règle des puissants. Ou bien, ce sont les gens qui ont renoncé à leurs idéaux pour s'assurer la victoire ou maintenir leur position dans un accord politique que l'histoire jugera. Je ne m'attendais pas à cela de la part du théoricien de Poutine, que beaucoup voyaient comme un leader, un tsar et un sauveur de ce qui reste de l'humanité. Non, nous ne nous attendions pas à cela de la part du théoricien du président Poutine, le leader dont nous avions espéré qu'il nous apporterait la prospérité et un nouvel équilibre dans le monde.
Pendant ce temps, l'ancien Premier ministre français Dominique de Villepin, dont le sens moral ne s'est jamais démenti, s'est exprimé avec clarté.
Je n'oublierai jamais son discours historique au Conseil de sécurité des Nations unies en 2003 contre la guerre en Irak, un discours qui a coûté cher à la France. Après la mise en scène théâtrale à la Maison Blanche de la réunion entre Trump et Zelensky, qui avait humilié l'Union européenne pour courtiser Moscou, De Villepin a déclaré que les États-Unis n'étaient plus l'allié de l'Europe. On peut se poser la question suivante : si l'Europe avait adopté la position honorable de la France en 2003, la destruction totale aurait-elle été épargnée à l'Irak et à la région ? L'Europe aurait-elle préservé sa dignité devant son peuple et le nôtre, au lieu de voir discréditée ?
Zelinsky est un acteur mineur mis en place par les Américains pour défier le tsar Poutine. Il s'agissait d'humilier Poutine en le confrontant à une marionnette soutenue par l'UE et manipulée par les Etats-Unis. Les États-Unis ont-ils réussi à provoquer Poutine et à retirer à la Russie sa position stratégique en Méditerranée, en la forçant à abandonner ses bases en Syrie et son rôle stratégique dans la protection de ses intérêts vitaux, la défense de sa doctrine et la préservation de son influence historique à l'Est ? Ont-ils entamé des négociations avec la Russie au sujet de l'Ukraine et promis que l'Ukraine ne rejoindrait pas l'OTAN ? Pourtant, il semble clair aujourd'hui que l'OTAN pourrait bien disparaître, et peut-être même aussi l'Ukraine. Pourquoi la Russie a-t-elle abandonné ses principes et l'Orient ?
Nous craignons que la Russie n'ait perdu sa boussole morale, tout comme l'Union européenne avant elle.
La trahison géopolitique de la Syrie et du Levant
Si la Russie sympathise avec le peuple palestinien mais ne se battra pas pour défendre la Palestine parce que « ce n'est pas sa guerre », si « la politique aujourd'hui ne tient plus compte des questions humanitaires », si « le nettoyage ethnique est permis aux grandes puissances » et si la Russie a l'intention de se retirer de la Syrie sous prétexte que ce n'est pas une priorité – et que les nations islamiques, elles-mêmes, n'ont pas défendu Gaza – alors il est certain que la Russie a soit perdu son chemin, soit été forcée de quitter le Nouveau Moyen-Orient, livrant la région au sionisme mondial. La Russie a justifié ce retrait par le réalisme politique, faisant fi de sa doctrine géopolitique et, plus important encore, sa doctrine religieuse et culturelle orthodoxe, qui lie étroitement l'État à l'Église. Cette doctrine a longtemps préservé les valeurs religieuses, sociales et familiales de la Russie face au libéralisme occidental.
L'Europe a elle aussi commis une grave erreur historique en s'alliant au sionisme mondial et aux États-Unis pour faire la guerre à l'Orient – le Levant – et le diviser, de Sykes-Picot jusqu'à la destruction et au démantèlement de cette région, berceau des religions et des civilisations. L'Europe a participé au plan de fragmentation et de destruction de l'Orient, y compris de son seul État véritablement laïc, qui protégeait encore les premiers Syriens et les chrétiens d'Orient, porteurs de l'héritage et de la culture du Levant. Cette culture, qui illuminait le monde de ses valeurs humaines, a été annihilée en même temps que les valeurs de l'Église catholique qui avaient façonné l'Europe et servi de fondement à sa pensée juridique, culturelle et intellectuelle. Aujourd'hui encore, le Vatican est confronté au risque d'effondrement social en Occident et porte une responsabilité morale et éthique dans la défense des causes humanitaires, à commencer par la protection de la famille.
Si ces valeurs humaines n'avaient pas été fondamentales pour les sociétés orientales et occidentales, la rencontre historique de 2016 à Cuba entre le pape François et le patriarche Kirill n'aurait jamais eu lieu. Cette rencontre, qui avait une dimension politique et religieuse, a été un jalon historique dans la redéfinition du rôle de l'Église dans le monde moderne et dans la promotion des valeurs humaines et morales face à l'effondrement des principes sociétaux et à la désintégration de la cellule familiale, fondement même de la cohésion sociétale. Le rôle de l'Église dans les relations internationales a également été souligné ainsi que sa position sur les conflits géopolitiques. L'un des aspects politiques clés de cette réunion a été la reconnaissance du rapprochement russo-européen malgré leurs différences, ainsi que le rôle des Églises orientales et occidentales dans la protection des chrétiens d'Orient, des chrétiens du Levant, en particulier en Irak et en Syrie. Cette rencontre a effectivement légitimé le rôle de la Russie dans la région.
Sans cette doctrine humaine chrétienne commune à l'Orient et à l'Occident, les sociétés ne seraient pas restées soudées par la foi.
Une région assiégée : le nettoyage ethnique et religieux systématique du Levant
Je m'excuse, M. Douguine, mais la Russie ne devrait pas se contenter de sympathiser avec les Palestiniens – elle doit déployer ses armées pour défendre sa foi. La Russie doit défendre son Église mère, qui a vu le jour en Palestine, terre sacrée du Christ, berceau des civilisations et des valeurs. La Russie doit défendre sa profondeur stratégique en Syrie, car en défendant la Syrie, elle protège sa sécurité nationale, idéologique, régionale et stratégique. Protéger la Palestine, la Syrie et l'ensemble de la région du nettoyage ethnique est une obligation humanitaire, éthique et politique pour toute grande puissance qui respecte ses valeurs. Ce n'est pas seulement la responsabilité des nations islamiques.
C'est une erreur stratégique de déléguer la défense de la Palestine, dont la terre est judaïsée, aux pays musulmans. La défense de la Palestine et de son peuple ne doit pas souffrir des préjugés religieux ; faire de l'occupation territoriale de la Palestine une question religieuse insoluble est une erreur historique. Il faudrait, au contraire, que les églises chrétiennes du monde entier, tant en Orient qu'en Occident, s'unissent pour la libération de la Palestine, qui est le pays du Christ. Les États ne doivent pas être construits sur des bases religieuses.
L'apathie et l'indifférence des grandes puissances face au nettoyage ethnique et religieux en cours en Palestine, en Syrie, au Liban et en Irak montrent qu'elles ne sont pas dignes de diriger le monde. Toute puissance qui ne défend pas sa doctrine, ses principes et son histoire – quitte à utiliser la force pour restaurer l'ordre mondial – n'est rien d'autre qu'un animal dans la jungle qui finira par être dévoré, ce qui conduira à l'effondrement mondial.
L'Orient ne vit pas un simple épisode de nettoyage ethnique. La Palestine n'est pas seulement la terre du Christ et le berceau du christianisme ; elle est le prolongement de civilisations millénaires. Alep, la plus ancienne ville habitée, a 12 000 ans, tandis que Damas, la plus ancienne capitale habitée, a 9 000 ans. Les habitants de cette région ont transmis un vaste héritage culturel et civilisationnel bien avant le judaïsme, le christianisme et l'islam. Ils ont assimilé toutes les cultures qui ont traversé la région, faisant de cette région la source de la civilisation du monde arabe et du monde occidental. C'est pourquoi ses habitants – les premiers habitants de la Syrie – portent les gènes d'une civilisation qui a éclairé l'humanité.
Le Levant est le prolongement historique, naturel, organique et civilisationnel à la fois de l'Orient et de l'Occident. Il est le seul à porter l'héritage de l'humanité dans un tissu social unifié, et il ne peut être sauvegardé que par des États laïques dont les constitutions s'élèvent au-dessus de la discrimination religieuse et sectaire. Les États ne se construisent pas sur la religion, mais sur le droit et la justice humaine.
Capitale maronite d'Alep, le 26 novembre 2021. Source : Vatican News.
Comme l'a dit André Parrot,
« Tout homme civilisé dans ce monde a deux patries : celle où il est né et la Syrie ».
Tout dirigeant mondial qui porte véritablement cette culture et cet héritage doit mettre fin à ces mensonges et ces horreurs.
L'hypocrisie de l'intervention occidentale et la chute de l'État laïque
Savez-vous pourquoi nous défendons la Palestine ?
Le monde se réjouit aujourd'hui de la chute d'un État laïc qui a non seulement protégé les chrétiens de Syrie, mais aussi sauvegardé le christianisme dans le monde entier. Il n'était pas seulement un défenseur de l'islam modéré, mais il enseignait au monde la véritable essence de l'Islam. Aujourd'hui, il est remplacé par un « émirat religieux » – non, plutôt par des factions terroristes qui gouvernent au nom de la religion, même si l'Islam n'a rien à voir là-dedans. Leur mission est de vider cet Orient de ses habitants d'origine et de démanteler sa société, qui porte son héritage, pendant que les soi-disant « grandes puissances » gardent le silence sur le nettoyage ethnique en Palestine et en Irak depuis des décennies.
Savez-vous pourquoi nous défendons la Palestine ? Pourquoi tant de nations et de peuples libres ont défendu la Palestine ? Ce n'est pas parce qu'elle est islamique, ni parce qu'elle est chrétienne, mais parce qu'elle est la terre du peuple syrien autochtone – la source de votre propre civilisation. Nous la défendons pendant que les dirigeants internationaux restent silencieux sur le nettoyage ethnique planifié contre le peuple de cette terre, qui a porté la culture et les valeurs de l'humanité.
Des Palestiniens font la queue pour aller chercher de l'eau dans un camp de réfugiés à Gaza. (Photo : Mahmoud Ajjour, Chronique de Palestine)
Nous défendons la Palestine parce que nous nous défendons nous-mêmes et que nous défendons notre survie. Nous défendons la souveraineté des nations, le droit des peuples à vivre sur leur terre, à déterminer leur propre destin et leur droit fondamental à la vie. Nous défendons toutes les religions divines, en les protégeant des distorsions et de l'exploitation politique. Nous défendons la souveraineté du droit et la légitimité internationale dans un monde qui s'effondre sous le poids de la cupidité, du pouvoir et de la richesse. Nous, les peuples et les sociétés libres, défendons l'humanité et la dignité humaine où qu'elle soit – même celles de votre propre peuple – parce que l'humanité est indivisible.
Mais en ce qui vous concerne, lorsque vous acceptez le nettoyage ethnique du peuple syrien du Levant – les premiers habitants du monde, les porteurs de l'héritage historique mondial, la source de votre spiritualité et de votre culture – vous provoquez la chute de vos propres nations et déshonorez vos propres peuples. Vous avez cédé la terre à ceux qui finiront par vous trahir, comme ils ont trahi les autres auparavant. Par cet acte, vous scellez le destin du soi-disant « nouveau Moyen-Orient » en le purgeant de ses habitants d'origine, des gens qui ne se battent pas seulement pour leur propre survie, mais aussi pour la vôtre et pour la survie de l'humanité tout entière.
Il semble que le monde ait désespérément besoin de réorienter la science politique et de reformuler les concepts fondamentaux pour une nouvelle génération de dirigeants mondiaux, des dirigeants qui comprendront la puissance de l'histoire, le rôle des sociétés dans le façonnement de la politique ainsi que les véritables enjeux des gains et des pertes et des grandes questions stratégiques.
Une Europe qui a perdu son identité
Vous rendez-vous compte que les valeurs chrétiennes qui ont façonné vos peuples viennent de la culture et des valeurs que la Syrie cultive depuis des milliers d'années ? Que le Christ est le messager de cette culture mère et que le christianisme dans le monde entier n'est qu'une extension de la culture originelle de la Syrie ? Savez-vous que l'islam s'est répandu à partir de la Syrie après avoir été modelé par sa culture de paix et de respect d'autrui, plutôt que par la violence ? Et savez-vous que les premiers Juifs de Syrie, qui ont été déplacés de force de la région par une décision internationale dans les années 1980, étaient parmi les plus fervents opposants à l'épuration ethnique et au meurtre au nom de la religion ? Ils croyaient fermement que les nations ne devaient pas être construites sur une doctrine religieuse ou sur l'exclusion des autres, mais sur la coexistence – un élément essentiel de la culture syrienne depuis des milliers d'années.
L'Occident au miroir de l'Orient chrétien
Pourtant, vous déplacez ces habitants pour faire venir des extrémistes et des radicaux du monde entier, que vous faites passer pour des personnes religieuses. Pire encore, vous leur donnez la légitimité et l'autorité dont ils ont besoin pour anéantir ce qui reste du peuple syrien d'origine, celui qui a enrichi la Méditerranée de sa civilisation, de ses industries et de ses arts. Ils étaient les marins qui naviguaient sur la Méditerranée à l'époque phénicienne. Les Syriens ont construit Rome et contribué à la civilisation italienne, comme Apollodore de Damas, et ont joué un rôle majeur dans le commerce de la Méditerranée, les échanges culturels et commerciaux dans les empires romain et byzantin. Ils ont répandu le christianisme – la culture, la philosophie, les arts et les sciences syriens – dans le monde occidental.
C'est sur les premiers Syriens que l'État omeyyade s'est appuyé pour diffuser la riche culture, les arts et les sciences de la Syrie dans l'ensemble du monde islamique. Ils ont construit Al-Andalus, la civilisation de l'Espagne, qui a prospéré dans ses arts, son architecture et ses réalisations intellectuelles, parce qu'elle était, à la base, une civilisation syrienne. L'Empire ottoman a hérité de la Syrie sa culture, son commerce et ses industries et, aujourd'hui encore, dans sa cupidité et sa soif de pillage, il continue d'en vouloir davantage. La Syrie, terre du Christ, a inspiré les tsars russes à se voir comme les sauveurs de l'humanité ; elle a façonné l'histoire et l'identité orientale de la Russie.
Aujourd'hui, les Syriens continuent d'exceller dans tous les pays où ils ont émigré ou trouvé refuge. L'Allemagne peut peut-être en témoigner : les médecins les plus éminents du pays sont aujourd'hui d'origine syrienne. Un héritage authentique impacte les civilisations.
Aujourd'hui, seul le plus fort peut survivre ! Est-ce sur le seul langage de la force que se construisent les grandes nations ?
Il semble que la culture superficielle des cow-boys se soit emparée de vos héritages culturels et religieux. Vous les bradez pour du pétrole, du gaz et des minerais rares. Vous êtes tous en train de détruire l'humanité, en livrant l'ancien et noble peuple de Syrie à l'abattoir, tout comme Judas a livré le Christ, l'architecte même de vos civilisations et vos valeurs.
Aujourd'hui, nous avons honte, et toute l'humanité devrait avoir honte, que vous ayez donné à des terroristes le pouvoir de gouverner les villes les plus anciennes et les plus historiques du monde. Quel genre de personnes êtes-vous ? Comment peut-on être aussi ignorant de sa propre histoire et aussi inhumain ?
Vous vous êtes tous unis pour faire tomber la Grande Syrie, la Syrie sacrée, la Syrie de Palestine et du Liban, la Syrie de Jérusalem, de Beyrouth, de Damas, d'Alep, de Jaffa et d'ailleurs.
Je n'ai pas oublié Sarkozy et Blair lorsqu'ils ont appelé les chrétiens syriens à se réfugier en Occident au début de la guerre contre la Syrie en 2011. Pourtant, ils ont été incapables de protéger les chrétiens d'Europe eux-mêmes, comme l'a reconnu le pape du Vatican. De plus, ils ont nommé de soi-disant représentants du peuple syrien, des personnages qui ont passé toute leur vie en Occident et non en Syrie. À l'époque, leur rhétorique sectaire et raciste et leur politique du deux poids, deux mesures m'ont choquée et j'ai décidé d'affronter cette logique méprisante. Nous sommes d'abord des Syriens, bien avant d'être des chrétiens depuis des milliers d'années. Nous appartenons à cette terre, pas à une religion ou à une secte, et la culture chrétienne que nous avons répandue dans le monde est la culture originelle de la Syrie.
C'est pourquoi je suis entrée au Parlement en 2012 – moi, une Syrienne chrétienne indépendante de Damas, la capitale de l'histoire – pour déclarer haut et fort :
Nous, les Syriens, nous parlons en notre nom, vous, vous prêchez la démocratie et la liberté, mais vous vous emparez de notre voix et vous nommez des représentants. Je suis entrée au Parlement pour défendre, au sein de cette plate-forme légitime, le concept d'« État », seul garant de la survie d'un peuple, contre ceux qui cherchaient à le détruire comme ils avaient détruit l'Irak auparavant. Je suis entrée pour défendre la terre à laquelle nous appartenons, dont nous portons la culture. Je suis entrée pour défendre mon identité, ma survie, mon existence, non pas parce que je suis chrétienne, mais parce que je suis syrienne, porteuse de milliers d'années de civilisation que vous n'avez pas comprises jusqu'à présent. Pour moi, c'était une question de survie, le seul moyen d'exister.
Mais vous, malheureusement, vous ne connaissez pas votre propre histoire, et les positions et les politiques de l'Europe lui coûteront cher. Qu'a gagné la France en abandonnant ses intérêts historiques et son influence en Syrie ? Qu'a gagné l'Italie en perdant une partie de son commerce organique avec la Syrie et la Méditerranée ? Qu'a gagné l'Espagne à rompre ses liens avec ses racines historiques ? Et que gagnera la Russie à céder Damas ?
Est-ce l'éthique des grandes puissances de trahir leurs alliés ?
La manipulation américaine de l'OTAN et de l'Union européenne
Oui, Dominique de Villepin avait raison de dire que les Etats-Unis ne sont plus les alliés de l'Europe. Et je vous dis aujourd'hui que l'Europe n'a plus rien à voir avec celle qui reconnaissait autrefois ses racines méditerranéennes. Elle n'a pas su protéger sa culture, ses sociétés, son commerce et les valeurs occidentales pour lesquelles elle s'est battue. Où est l'Allemagne aujourd'hui, avec ses usines et sa grandeur industrielle ? N'aurait-il pas été préférable qu'elle traite avec la Russie, qu'elle sécurise son gaz et son pétrole à partir de son environnement socio-économique naturel ? Mais au lieu de cela, les États-Unis ont pris le contrôle de ses décisions politiques, la forçant à payer plusieurs fois ce qu'elle aurait autrement payé pour des années encore. La haine envers la Russie a consumé les esprits européens, et maintenant Trump vous dit : « Débrouillez-vous seuls, car je vais maintenant devenir l'allié de la Russie – cette même Russie avec laquelle je vous interdisais autrefois de coopérer, en la diabolisant dans vos esprits. »
C'est cette même rhétorique de la haine qui a empoisonné vos esprits et vous a poussés à vous unir contre le soi-disant « diable ». Votre guerre n'était pas seulement contre le régime syrien, elle était contre l'État syrien lui-même. Vous n'avez pas intégré les conséquences de son effondrement. C'est l'État laïque qui est tombé, et avec lui, la seule sauvegarde de notre survie et de notre tissu social originel – vos racines organiques – qui porte dans ses gènes la culture et la civilisation de l'humanité. Elle est inscrite dans le patrimoine de l'humanité, dans ses repères historiques, ses symboles religieux et ses lieux sacrés, qui tous appartiennent à l'ensemble de l'humanité.
Lorsque nous avons défendu l'État en tant qu'entité garantissant la protection de nos sociétés, c'est parce que nous avons compris qu'il est le fondement de notre existence, alors que vous ne savez rien de la politique de notre région, de son peuple et de son histoire. Vous n'avez pas su voir qu'elle recelait en son sein votre propre origine civilisationnelle, votre profondeur culturelle et vos intérêts organiques qui sont directement liés à sa stabilité. Votre propre sécurité nationale et régionale est liée à l'équilibre des pouvoirs dans cette région.
Mais sachez que tous les individus, toutes les entités et toutes les nations qui ont vendu ou troqué le Levant – le berceau des civilisations – pour un projet douteux, quelle que soit la richesse qu'il promet, seront rejetés par l'histoire.
Car la véritable prospérité ne se construit pas sur la haine, la guerre et l'hypocrisie.
Est-ce l'éthique des grandes puissances, M. Douguine, de poignarder leurs alliés dans le dos ?
Alors que l'Europe bouillonnait d'hostilité à l'égard de la Russie, les États-Unis ont fait de l'OTAN leur bras armé pour remodeler le Moyen-Orient et établir une contre-force contre votre influence dans la région. Dans le même temps, ils se sont appuyés sur les votes des pays européens aux Nations unies et au Conseil de sécurité pour légitimer leurs guerres. Mais une fois leurs guerres terminées et la Syrie – un axe central dans la région – tombée, les États-Unis ont tourné le dos à leurs alliés européens, forgeant désormais une alliance avec la Russie, sans même s'assurer que leurs anciens alliés recevaient leur part du butin. Au lieu de cela, ils leur ont fait supporter les coûts astronomiques du financement de la défense de l'Ukraine.
Aujourd'hui, l'OTAN n'a plus lieu d'être, ni les Nations unies, et il n'y aura donc plus de fonds qui leur seront alloués. Tout le monde a mordu à l'hameçon, alors qu'allez-vous faire maintenant ?
Les grandes puissances ne trahissent pas leurs alliés stratégiques parce que les constantes stratégiques ne changent pas. C'est une mauvaise politique de changer sans cesse de couleurs, de déguisements et d'alliances en fonction d'intérêts temporaires, sans tenir compte de l'histoire, des civilisations des nations et de la dignité de l'humanité.
Il n'est pas surprenant que certains soi-disant « leaders » du monde contemporain manifestent ouvertement leur hypocrisie sur la scène de l'histoire. Nombreux sont ceux qui sont passés maîtres dans l'art de fabriquer, d'armer, de financer et d'entraîner le terrorisme. Hillary Clinton elle-même l'a ouvertement admis dans les médias, et en 2020, le sénateur Richard Black a clairement confirmé que « les États-Unis ont commencé à collaborer avec Al-Qaïda et ISIS en 2011, les utilisant comme armée par procuration en Syrie pour renverser le régime et faire mourir le peuple syrien de faim et de froid. »
De plus, certains pays européens ont ouvertement approuvé ce terrorisme et cette criminalité. En 2013, Laurent Fabius, alors ministre français des affaires étrangères, a ouvertement déclaré : « Jabhat al-Nusra fait du bon travail ».
Et aujourd'hui, ils ont tous conspiré pour amener ces mêmes extrémistes au pouvoir dans l'une des nations les plus anciennes et les plus riches en histoire du monde, assassinant au passage son peuple authentique.
Un appel à une réévaluation mondiale
Les États-Unis ne peuvent pas dicter l'avenir du monde
Oui, le rapprochement entre les États-Unis et la Russie, deux grandes puissances responsables de la sécurité et de la paix internationales, en partenariat avec d'autres puissances mondiales, en particulier lorsque nous assistons à la montée en puissance des BRICS et de l'Organisation de coopération de Shanghai peut se comprendre au niveau géopolitique. De même, nous pouvons comprendre que de nouvelles alliances se forment en fonction des intérêts des pôles oriental et occidental. Mais ce qui est incompréhensible, c'est que la victoire passe par une poignée de main russo-américaine qui n'est qu'une démonstration de puissance au détriment de la paix des peuples.
Chacun sait que les États-Unis n'ont pas d'alliés, mais seulement des intérêts, poursuivis au détriment des nations et de la dignité humaine. Je ne sais pas si la force brute, la tromperie, le terrorisme, l'incitation, la haine et la politique des faits sur le terrain sont vraiment le langage des grandes puissances. Celui qui tourne le dos à ses alliés aujourd'hui pour vous serrer la main vous tournera le dos demain si quelqu'un lui offre davantage.
Malheureusement, l'approche américaine à l'égard de ses alliés ignore l'histoire et les civilisations. Ils ne comprennent pas l'impact de l'histoire sur les intérêts stratégiques, ni ne se soucient de la géographie, des relations organiques ou de la valeur des sociétés et de leur évolution, autant d'éléments fondamentaux de la science politique. Les États-Unis croient qu'ils peuvent concevoir et façonner le monde à leur guise. Même le système capitaliste mondial qu'ils dirigent est un système fasciste qui ne tient pas compte du bien-être des sociétés et des conditions nécessaires à une vie durable sur cette planète. Il ne reconnaît pas que ceux qui défient la nature finiront par subir sa colère.
Malgré leurs vastes groupes de réflexion et leurs immenses ressources financières, les États-Unis n'ont pas la clairvoyance nécessaire pour changer l'ordre naturel des choses. Tout plan visant à remodeler le Moyen-Orient de force sera le début de l'effondrement du système mondial lui-même, car ceux qui n'ont pas d'histoire ne comprennent pas le pouvoir de l'histoire sur les sociétés.
Nous l'avons répété à maintes reprises depuis 2011, et nous le répétons encore : Ce qui menace notre Levant menacera inévitablement la Méditerranée, le monde, la paix et la sécurité internationales. Ceux qui ont créé les monstres terroristes ne pourront pas les éliminer. Vous avez armé, entraîné et soutenu des groupes sous la bannière de la religion pour renverser la Syrie, mais à partir de la Syrie, vos systèmes commenceront à s'effondrer, car vous avez perdu toute crédibilité auprès de vos propres peuples.
L'esprit des dirigeants des grandes puissances devrait être consacré à la construction de la grandeur de l'humanité, et non à la soi-disant grandeur des États-Unis, qui consolident leur pouvoir par des guerres, le meurtre de nations et le pillage de leurs ressources. Les vraies grandes puissances travaillent pour leur propre peuple et pour les peuples du monde entier, en s'opposant à l'oppression et à la tyrannie, en respectant les croyances et en encourageant la paix entre toutes les nations. L'éthique de la politique des grandes puissances est indivisible.
Nous nous tournons avec respect et conviction vers les grandes puissances qui se situent du côté honorable de l'histoire – dont la Russie – pour son adhésion à sa doctrine sacrée, qui continue de lui rappeler sa responsabilité historique envers son peuple, sa civilisation profondément enracinée et le monde dans son ensemble. Ceci est d'autant plus crucial que l'Occident s'est écarté de son chemin historique, a perdu sa boussole et a perdu la confiance de sa propre population.
Quant à ceux qui prétendent être les protecteurs du christianisme au Levant, ils doivent d'abord comprendre que seuls des États laïques et civils – qui protègent toutes les religions divines de la manipulation – peuvent véritablement garantir la survie des sociétés, des civilisations et des croyances.
À la Russie impériale orthodoxe, au Vatican, qui appelle à une Europe catholique, et à ceux qui, aux États-Unis d'Amérique, l'État de la démocratie, défendent les nobles valeurs, savez-vous ce qui se passe aujourd'hui en Syrie ? Êtes-vous au courant du plan de nettoyage ethnique qui a commencé à Gaza, puis au Liban, et qui se déroule maintenant en Syrie ? Cela n'est-il vraiment qu'un dommage collatéral ?
Et si, aujourd'hui, l'Orient et l'Occident s'unissaient, laissant derrière eux les rancœurs nationales, les préjugés, les montagnes de haine, non seulement pour sauver l'humanité, mais aussi pour préserver la dignité de vos propres peuples devant l'histoire ? Car la paix véritable ne peut être obtenue que par le partenariat, le respect mutuel et la défense des valeurs humaines.
Nous nous trouvons aujourd'hui à un moment critique de l'histoire, dans un monde au bord de l'effondrement. Cela exige une réévaluation des alliances et un réalignement vers le bon côté de l'histoire, afin de préserver l'humanité, les valeurs et les ressources naturelles de la planète au service de l'humanité tout entière.
La voie de la stabilité mondiale
Un appel à un nouveau leadership
Le monde ne trouvera pas d'équilibre tant que les Juifs de Syrie ne seront pas revenus dans leur patrie pour défendre leurs racines en tant que Syriens appartenant à cette terre, défendre le tissu social dont ils sont issus, et non une idéologie sioniste qui détruit le monde aujourd'hui, justifie le nettoyage ethnique et religieux, et permet les crimes contre l'humanité.
Le monde ne trouvera pas d'équilibre tant que l'islam modéré de Syrie ne sera pas rétabli – l'islam qui a été façonné par cette terre, modelé par sa culture et sa civilisation, et qui, à partir de là, s'est répandu et étendu dans le monde entier. Un islam qui défend la dignité humaine, parle de pardon et d'amour, et non l'islam extrémiste et djihadiste qui déshumanise les autres, incite à la violence et justifie l'asservissement des femmes et le meurtre des enfants au nom de la religion.
Ni le monde entier, ni le monde chrétien ne trouveront l'équilibre si vous ne protégez pas le Levant – la terre des religions divines et des premiers Syriens – non pas au nom de la religion, mais au nom de la culture et des valeurs que vous portez dans votre héritage, votre histoire et vos doctrines politiques. Les nations civilisées et les grandes nations opèrent en fonction de leur responsabilité civilisationnelle dans le monde ; sans cela, vous vous transformerez en cadavres vivants, vous battant les uns contre les autres pour des minéraux, du pétrole et du gaz – autant de ressources qui appartiennent aux peuples du monde et qui devraient faire leur prospérité.
Le monde ne trouvera pas l'équilibre sans de nouveaux dirigeants, des dirigeants qui façonnent l'histoire et en comprennent bien les leçons, des dirigeants qui construiront le nouvel ordre mondial avec justice.
Le Tsar peut-il restaurer la gloire de la Russie et de l'Orient ?
De Villepin peut-il revenir pour faire revivre l'héritage et l'histoire de la France après que la France et l'Union européenne ont abandonné leur rôle historique ?
Aujourd'hui, la Chine a le vent en poupe, tandis que les États-Unis sont au plus bas, en termes de puissance et de crédibilité. Le monde entier en est témoin. Les grandes puissances qui se respectent ne font pas basculer le monde dans des bains de sang et des guerres sans fin.
L'équilibre du monde et son nouvel ordre seront écrits dans le sang des Syriens.
Que ceux qui ont des oreilles entendent.
Et ceux qui défient la nature seront bannis par la nature elle-même.
Maria Saadeh
Article publié initialement en anglais : Syria and the Levant
Traduction : Dominique Muselet pour Mondialisation.ca
Image en vedette : Capture d'écran. ©Michael Swan/CC-BY-NC-ND/FlickR. « Notre tristesse est de voir une riche et belle chrétienté sur le point de disparaître. »
Notre tristesse est de voir une riche et belle chrétienté sur le point de disparaître.
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Maria Saadeh est architecte consultante en Syrie et ancienne membre du parlement syrien. Voir le blog de l'auteur à l'adresse raiakhar.com.
La source originale de cet article est Mondialisation.ca
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Par Maria Saadeh