Par Robert Inlakesh, le 25 avril 2025
La guerre de Netanyahu ne se limite pas à Gaza, à la Cisjordanie occupée, au Liban, à la Syrie, au Yémen et à l'Iran, elle s'étend également aux institutions israéliennes, aux partis d'opposition et aux derniers vestiges de dissidence interne. Aujourd'hui, les plus hauts responsables politiques de l'État occupant mettent en garde contre une guerre civile ouverte.
Alors que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu prétend mener son peuple vers une "victoire totale" destinée à "changer le visage du Moyen-Orient", il mène en réalité son pays vers l'autocratie et précipite son effondrement interne.
"Nous nous préparons aux prochaines étapes de la guerre - sur sept fronts", a déclaré le Premier ministre israélien début mars, avant la violation du cessez-le-feu à Gaza. Mais il n'a pas tenu compte des luttes intestines qui font rage dans son propre pays, sans issue apparente.
Poursuivi pour corruption, Netanyahu a œuvré à la centralisation du pouvoir en purgeant la dissidence et en plaçant les structures gouvernementales sous son contrôle direct. Cette stratégie a exacerbé les tensions avec les services du renseignement et l'establishment militaire israéliens, déclenchant des troubles internes aussi violents que l'escalade militaire au Moyen-Orient.
Un coup d'État judiciaire
Avant l'opération "Al-Aqsa Flood" le 7 octobre 2023, la coalition au pouvoir de Netanyahu a activement poussé à des "réformes" judiciaires destinées à neutraliser la Cour suprême d'Israël. En l'absence de constitution formelle, la Cour suprême est le dernier rempart contre les excès du pouvoir exécutif. Le démantèlement de cette institution était un objectif majeur pour Netanyahu et ses alliances d'extrême droite.
À l'époque, le président Isaac Herzog avertissait déjà qu'une guerre civile était imminente. Des manifestations hebdomadaires ont éclaté à Tel-Aviv et dans Jérusalem occupée. Les manifestants redoutaient une refonte théocratique de l'État qui mettrait fin à sa laïcité.
Même les services du renseignement et des forces armées israéliens se sont joints à l'opposition et, en mars 2023, la Histadrout, le principal syndicat de l'État d'occupation, a appelé à une grève générale. De nombreux soldats ont même refusé de servir.
Si la guerre contre Gaza a temporairement mis en veilleuse cette crise interne, Netanyahu s'est empressé de rétablir son emprise dès que l'attention du public s'est portée ailleurs, accusant les chefs des services du renseignement d'avoir échoué dans leur mission tout en poursuivant la purge de ses rivaux.
Consolidation du pouvoir grâce à la crise
Les réformes judiciaires israéliennes, qui ont divisé la société en 2023, ont eu pour objectif de limiter les pouvoirs de la Cour suprême. Israël ne dispose pas de Constitution et a plutôt calqué son système sur celui du précédent mandat britannique et des forces ottomanes qui gouvernaient la Palestine.
La Cour suprême a donc longtemps contribué à faire obstacle aux tentatives des politiciens des coalitions au pouvoir de modifier fondamentalement la nature de l'État, jouant ainsi un rôle de garde-fou pour le gouvernement.
Les modifications proposées par Netanyahu à ce système, qu'il serait plus juste de qualifier de refonte du système judiciaire, permettraient à sa coalition de légiférer à nouveau, d'influencer la manière dont les juges de la Cour suprême sont choisis et de limiter considérablement les pouvoirs de cette dernière en matière d'annulation des lois.
On peut citer à titre d'exemple le " projet de loi sur le caractère raisonnable", initialement adopté en juillet 2023, qui visait à empêcher la Cour suprême d'annuler les décisions gouvernementales jugées "extrêmement abusives".
Dans l'ensemble, le gouvernement de coalition d'extrême droite israélien, composé de partis religieux extrémistes, est perçu comme cherchant à utiliser la réforme judiciaire pour introduire une série de lois qui feront d'Israël un État théocratique.
Naturellement, de nombreux Israéliens au sein de l'armée, des agences du renseignement, des partis politiques et de l'élite financière se sont inquiétés de ces bouleversements fondamentaux affectant la nature de leur pays et de ses institutions, déclenchant ainsi de vives réactions contre Netanyahu.
Au début du génocide de Gaza, Israël a formé un gouvernement d'état d'urgence, comprenant un grand nombre de hauts responsables issus de tous les horizons politiques. Sous le choc de l'échec soudain du commandement sud d'Israël et obsédés par la suite des événements, tous ont laissé de côté la question de la réforme juridique, du moins pour un temps.
Cependant, des signes révélateurs laissaient présager que la crise intérieure était loin d'être réglée, Netanyahu s'empressant de rejeter la responsabilité de l'échec du 7 octobre sur les dirigeants de ses propres services de renseignement, déclenchant ainsi des dissensions internes que ses excuses tardives n'ont pas suffi à contenir.
En juin 2024, la figure de l'opposition Benny Gantz et l'ancien chef militaire Gadi Eisenkot ont démissionné du cabinet, provoquant l'effondrement du fragile gouvernement d'union nationale, pavant la voie à Netanyahu pour relancer son programme de consolidation du pouvoir, initialement présenté sous le couvert d'une réforme judiciaire.
En novembre 2024, le ministre de la Défense, Yoav Gallant, également sous le coup d'un mandat d'arrêt et qui s'était opposé à plusieurs reprises à Netanyahu, a été contraint de démissionner. Il a été remplacé par Israel Katz, un proche de longue date du Premier ministre, mais peu expérimenté. Son ancien rival, Gideon Saar, a quant à lui été nommé ministre des Affaires étrangères, une manœuvre stratégique pour coopter la dissidence.
Remaniement du commandement israélien
Le même mois, deux proches collaborateurs du Premier ministre israélien ont été inculpés pour atteinte à la sécurité de l'État en transmettant des informations classifiées directement à Netanyahu, sans passer par les voies officielles. Ces révélations ont été rendues publiques à la suite du scandale des "Bibi Files", une série de documents compromettants dissimulés pendant des mois et soumis à une interdiction de publication imposée aux médias israéliens.
Selon Haaretz, "le cercle restreint de Netanyahu est empêtré dans plusieurs procédures" et le journal rapporte en détail comment le Premier ministre s'est protégé de toute responsabilité directe grâce à un cercle de fidèles étroitement contrôlé, créant ainsi ce que le journal décrit comme "une zone d'immunité pour lui-même, et un écran de collaborateurs et de conseillers qui le protègent des soupçons les plus récents".
Les enquêtes du Shin Bet se limitant à des fuites sélectives et la police israélienne étant efficacement neutralisée par l'ombre menaçante du ministre de la Sécurité d'extrême droite Itamar Ben Gvir, Netanyahu restait intouchable. Ben Gvir a brièvement démissionné durant la trêve des opérations à Gaza, avant de réapparaître lorsque le bras de fer entre Netanyahu et le chef du Shin Bet, Ronen Bar, a repris.
Alors que le pays s'enfonce dans une impasse institutionnelle, Netanyahu a confié la responsabilité des négociations avec le Hamas sur le cessez-le-feu et la libération des prisonniers à son proche confident, Ron Dermer. Cette décision a privé le Mossad et le Shin Bet de leur rôle traditionnel dans ce type de négociations, transformant de fait le bureau du Premier ministre en épicentre de tous les engagements diplomatiques à haut risque. Il s'agit d'un coup d'État discret, la dernière manœuvre de Netanyahu pour renforcer son pouvoir.
Il a ensuite remplacé le chef d'état-major sortant par Eyal Zamir, un allié de longue date qui occupait auparavant le poste de secrétaire militaire. Dès son entrée en fonction, Zamir a initié des changements radicaux au sein du haut commandement de l'armée israélienne, le restructurant afin de mieux l'aligner sur la doctrine de guerre "sur sept fronts" de Netanyahu.
Peu après, le porte-parole de l'armée Daniel Hagari, l'un des rares fonctionnaires à bénéficier encore d'une large confiance, a été évincé. Hagari s'était opposé au Premier ministre durant la guerre à Gaza. En novembre 2023, les sondages montraient que seuls 4 % des Israéliens faisaient confiance à Netanyahu, tandis que 73,7 % soutenaient Hagari. Malgré les tensions persistantes, la popularité du porte-parole est restée stable, scellant finalement son destin politique.
La guerre du renseignement
Le 21 mars, Netanyahu a tenté de limoger le chef du Shin Bet, Ronen Bar, intensifiant ainsi sa lutte pour le pouvoir avec les chefs des services du renseignement intérieur. Ce limogeage, annoncé dans un contexte de surveillance accrue liée au scandale des "Bibi Files", a déclenché des manifestations massives et a été temporairement bloqué par la Cour suprême.
Bar, pour sa part, a fait valoir que son licenciement a été ordonné sans motif légitime, mais le gouvernement a invoqué un "manque de confiance, qui ne permet pas de créer un environnement de travail productif" pour justifier le licenciement du chef des services de renseignement.
La procureure générale israélienne Gali Baharav-Miara a ensuite jugé que le licenciement de Bar constituait un "conflit d'intérêts", entraînant sa propre révocation. En réponse, le président de l'Association du barreau israélien, Amit Becher, a exigé que le ministre de la Justice Yariv Levin suspende la procédure de licenciement.
La destitution de Bar a coïncidé avec la résurgence du scandale du " Qatargate", rapporté pour la première fois par le journaliste Bar Peleg du journal Haaretz. Cette affaire concerne des collaborateurs de Netanyahu qui auraient été payés pour mener une campagne de relations publiques en faveur du Qatar alors qu'ils étaient sous contrat avec le bureau du Premier ministre - un signe supplémentaire de la corruption qui gangrène l'État.
Lorsque la Cour suprême est intervenue pour suspendre le licenciement de Bar, la rhétorique anti-justice a repris de plus belle au sein de la coalition d'extrême droite de Netanyahu. La campagne de longue date visant à neutraliser le pouvoir judiciaire israélien a été remise à l'ordre du jour.
Vers l'autoritarisme
La stratégie de Netanyahu est désormais claire : purger la dissidence, nommer des fidèles et consolider son pouvoir en semant le chaos. Comme le dit le journaliste israélien Uzi Baram, on assiste à une véritable " bataille pour l'âme d'Israël". L'ancien Premier ministre Ehud Olmert a lancé un avertissement encore plus sombre, prédisant que les "hooligans", enhardis par la rhétorique de Netanyahu et armés par le ministre de la Sécurité Itamar Ben Gvir, pourraient bientôt prendre d'assaut les studios de télévision, comme ils ont menacé de le faire avec le pouvoir judiciaire.
"Lentement et silencieusement, Netanyahu mène Israël vers un point de non-retour", a averti un autre ancien Premier ministre, Ehud Barak. "Le point de rupture démocratique surviendra de manière imprévisible, à un stade où nous ne pourrons plus y mettre un terme".
Le chef de l'opposition et ancien Premier ministre Yair Lapid met désormais en garde contre des assassinats politiques en Israël. La semaine dernière, il a lancé cet avertissement inquiétant :
"Je tiens à lancer un avertissement fondé sur des informations claires provenant des services du renseignement : nous nous dirigeons vers une nouvelle catastrophe. Cette fois-ci, elle viendra de l'intérieur. Le niveau d'incitation à la violence et de folie est sans précédent. Il y aura des assassinats politiques ici. Des Juifs vont tuer des Juifs".
Par ailleurs, environ 100 000 réservistes israéliens ont refusé de se présenter à leur poste. L'opinion publique dans son ensemble reflète un profond malaise : selon le journal Maariv, 60 % des Israéliens pensent désormais qu'une guerre civile est un danger réel.
Des centaines d'anciens agents du Mossad, de réservistes de l'armée et d'anciens responsables ont signé une lettre exigeant un échange de prisonniers avec le Hamas. Il s'agit de la dernière tentative pour enrayer les dérives autoritaires. Les fidèles de Netanyahu ont donné l'ordre de licencier ces anciens agents.
Alors que la guerre fait rage à l'étranger, Netanyahu mène désormais son combat le plus acharné "à la maison" contre les institutions mêmes qui ont autrefois forgé l'État d'occupation.
Traduit par Spirit of Free Speech
Savage Minds
The Myth of Conquest
To conquer a place is to fundamentally subdue its population. This must be clearly differentiated from "occupation," a specific legal term that governs the relationship between a foreign "occupying power" and the occupied nation under international law, particularly the...
a day ago · 46 likes · Ramzy Baroud