03/05/2025 francesoir.fr  8min #276781

Aux origines de la folie humaine

Patrick Dupuis

L'omniprésence de la folie, de la perversion et de la violence pose un problème grave à l'humanité et menace la survie de la population restée saine, heureusement encore majoritaire, qui tente sans succès de comprendre tout en essayant de se préserver.

La littérature regorge de phrases énigmatiques qui ont trait à ce mystère :

« Comprendre, seulement comprendre, comment de tels monstres sont possibles » (S. Beckett, Malone meurt).

Avec parfois des éclairs de génie :

« Ils sont mauvais, parce qu'ils ne savent pas qu'ils sont bons. S'ils savaient qu'ils étaient bons, ils ne violeraient pas la petite fille » (F. Dostoïevski, Les Possédés).

Faute d'explication objective sur l'origine de ce qu'on nomme « le Mal », les récits mythiques ou religieux ont tenu lieu d'explication jusqu'à une époque récente.

Or voilà que depuis deux décennies, de nombreuses publications neuroscientifiques (principalement aux USA) sont venues enfin nous éclairer sur ce phénomène énigmatique, en mettant en évidence le rôle prépondérant de la maltraitance infantile, et en particulier des abus sexuels, dans la genèse de la pathologie mentale dans son ensemble (dépression, addiction, phobie, schizophrénie, etc.).

Curieusement, on ne trouve chez nous en France aucun commentaire sur ces multiples publications, comme si ce sujet était chez nous tabou ou interdit. Il s'agit en fait d'une véritable censure, la même qu'eut sans doute à subir Sigmund Freud lorsqu'il découvrit cette réalité insoutenable en 1897 et qui l'obligea à opérer une véritable inversion accusatoire en faisant porter la culpabilité incestueuse à l'enfant lui-même, pourtant à l'évidence victime des adultes. Ce fut la fameuse théorie dite du « complexe d'Œdipe ». L'enfant qui dénonçait un inceste devenait ainsi officiellement un affabulateur, siège de fantasmes incestueux, tout comme ceux qui de nos jours dénoncent des horreurs réelles commises par les élites perverses sont taxés de « complotisme ».

Cette théorie inversée, qui transforme la victime en coupable, a eu de nombreux effets délétères sur le plan intellectuel et sociétal. En effet, puisque l'enfant était déclaré incestueux, cela signifiait non seulement qu'il était sexualisé dès le départ (ce que démentent les données hormonales actuelles), mais aussi que la malignité et la perversité étaient inhérentes à la nature humaine, et que seule une répression sociale pouvait amender cette nature profondément « perverse polymorphe » du petit d'homme. Une variante « naturaliste » de cette théorie fut le mythe jungien de « la Bête en nous » ou du « Saurien », qui attribuait la perversité à une nature bestiale archaïque, cruelle et incontrôlable, qui serait cachée sous des couches de civilisation.

À côté de cette hypothèse endogène du Mal, il existait une autre version mythique qui attribuait le Mal à un élément exogène introduit par effraction dans l'être humain. Mais là encore, deux versions s'opposaient :

1. Le mythe biblique du « péché originel » qui consiste à « céder à la tentation » d'un tentateur pervers extérieur : l'être humain victime de la séduction est ici estimé coupable d'avoir lui-même introduit le Mal en lui par faiblesse (victime de son propre désir). Il y a consentement à la séduction du « Malin » dans la mesure où Ève n'a pas dit non, selon l'adage « qui ne dit mot consent ». Croquer la pomme est supposé être un acte volontaire et libre. La culpabilité réelle, celle du prédateur, est ignorée par le mythe.

2. Le mythe de la « possession démoniaque » : ici le Mal s'introduit par une intrusion violente qui se fait sans le consentement de la personne. Comme dans le mythe du Vampire, c'est ici Satan qui s'empare d'une victime innocente pour la rendre à son tour maléfique et prédatrice. Il s'agit ici d'un processus de transformation ou de métamorphose monstrueuse totalement passive où la culpabilité de la victime n'a pas sa place. La monstruosité se transmet passivement dans une totale impuissance et innocence de la victime. La destruction psychologique entraînée par l'agression va détruire chez la victime toute humanité, toute empathie, ce qui lui permettra désormais d'effectuer à son tour des actes monstrueux sans en ressentir ni honte, ni regret, ni culpabilité.

Cette dernière version est celle qui se rapproche le plus des faits réels, à ceci près que l'introduction du Mal dans l'âme fragile et innocente de l'enfant se fait par une intrusion sexuelle par un adulte qui a lui-même été perverti sur le même mode. Elle se fait le plus souvent par une séduction rusée et insidieuse, et non par la contrainte physique comme dans le viol. L'enfant est tétanisé, incapable de réagir, c'est pourquoi il en ressentira plus tard de la honte et de la culpabilité. Le prédateur quant à lui ne se sent pas coupable de ses actes (comme on le voit dans tous les procès de pédocriminels), alors que paradoxalement, il se sent coupable et honteux de ce qu'on lui a fait subir à lui-même, au point de ne jamais oser en parler. C'est d'ailleurs cette culpabilité injuste et obsédante d'ancienne victime qui le hante et qui détruit chez lui toute humanité, toute sensibilité à la souffrance d'autrui.

On voit que le mécanisme de la propagation du Mal est donc celui d'une inoculation, suivie d'une transmission ou d'une contamination, comme c'est le cas dans l'infestation et la contagion microbiennes. Le mythe du vampire est particulièrement parlant, car il comporte trois éléments qu'on retrouve fréquemment dans l'abus sexuel :

1. le prédateur est un mort-vivant (un être détruit) ;

2. la morsure (le viol) survient le plus souvent la nuit quand la victime est endormie ;

3. la victime est susceptible de devenir à son tour un prédateur sur le même mode, si elle n'est pas secourue par un adulte fiable qui lui sert de « tuteur de résilience ».

C'est ce phénomène de répétition qu'a précisément décrit Freud dans ses « Études sur l'hystérie » publiées en 1895, avec une exactitude presque parfaite.

Tout cela resta occulté pendant plus d'un siècle, sous la pression du lobby psychanalytique, particulièrement virulent en France. Il fallut attendre les années 1980 pour qu'un sociologue américain de l'Université du New Hampshire, David Finkelhor, redécouvre l'ampleur et la gravité du phénomène de la violence sexuelle faite aux enfants. Une autre étude célèbre (connue sous le nom de ACE Study) menée en 1998 par Vincent Felitti, Professeur de médecine à l'Université de Californie, sur 17 000 patients, révélait le rôle majeur joué par les expériences traumatiques infantiles dans la genèse de la pathologie mentale.

Mais ce n'est véritablement qu'à partir des années 2000, avec l'avènement des nouvelles techniques d'imagerie cérébrale comme l'IRMf ou l'optogénétique, que les chercheurs en neurosciences purent enfin établir la preuve objective des effets délétères produits par ces événements infantiles sur les structures cérébrales et neuronales (*).

Je ne citerai parmi ces innombrables publications que les plus emblématiques d'entre elles, qui mettent en évidence principalement deux choses :

1. L'impact traumatique provoque des lésions des connexions neuronales qui relient le Cortex Préfrontal, pôle régulateur, au Striatum, qui est le pôle exécutif. Cette déconnexion du cerveau limbique archaïque (sous-cortical) de son régulateur naturel (cortical) entraîne une dérégulation généralisée des pulsions, des émotions, des actes et des comportements qui caractérisent la psychopathologie dans son ensemble.

2. L'impact traumatique déclenche une série de réactions biochimiques dans le cerveau, notamment en modifiant l'expression des gènes chargés de réguler le stress et l'humeur. Ces modifications dites « épigénétiques » vont entraîner des perturbations mentales considérables et durables, sous forme par exemple d'anxiété ou d'agressivité, de dépression ou d'hyperactivité, qui vont perdurer la vie durant et retentir en cascade sur les générations suivantes par l'intermédiaire de ces processus épigénétiques.

Les chercheurs en psychologie utilisent quant à eux des méthodes d'enquête et de recensement qui permettent d'établir des liens de corrélation statistiques entre les événements infantiles et le devenir des patients à l'âge adulte. La remarquable étude de Paul Bebbington (2011) de l'University College de Londres, qui établit un lien causal entre abus sexuel infantile et schizophrénie, marque par exemple, un tournant dans l'histoire de la psychiatrie, bien que restant ignorée de la communauté scientifique dans sa majorité.

D'innombrables autres publications attribuent à cette même cause les addictions, la dépression, le suicide, l'anxiété, les phobies, les agressions sexuelles, les troubles alimentaires, les difficultés relationnelles, bref l'ensemble de ce que l'institution psychiatrique nomme abusivement « maladies mentales ». Parmi ces études, une des plus récentes est celle de Jennie Noll (2021) de l'Université de Rochester (USA) intitulée Child Sexual Abuse as a Unique Risk Factor for the Development of Psychopathology.

L'abus sexuel des enfants y est enfin reconnu comme une cause à part entière et une cause majeure de la pathologie mentale, en dehors des autres formes de maltraitances infantiles comme la négligence affective ou la violence physique, dont les conséquences sont plus réparables ou compensables.

Toutes ces découvertes arrivent alors même qu'une vague de dévoilements et de révélations d'abus sexuels déferle sur la planète entière, confirmant la réalité et la gravité du phénomène.

Pourtant, en France, rien ne semble bouger en dehors de quelques soubresauts vite engloutis dans l'actualité quotidienne. La pathologie mentale reste la chasse gardée des Institutions Officielles que sont la Psychiatrie et la Psychanalyse, qui veillent au grain pour que le mythe de l'Inconscient et celui de la Maladie mentale restent opérants, et que les violences sexuelles faites aux enfants restent un phénomène mineur et marginal dont il n'y a pas lieu de se préoccuper outre mesure.

Patrick Dupuis a travaillé comme médecin généraliste pendant 23 ans en zone rurale. Diplômé de Sexologie de l'Université Paris XIII en 1998, il a exercé la sexologie clinique pendant 13 ans à Périgueux. Il est l'auteur d'une théorie traumatique de la pathologie mentale intitulée Théorie des impensables, par opposition à la Théorie freudienne de l'Inconscient.

(*)

V.J. Felitti, R.F. Anda, The Adverse Childhood Experiences Study (1998)

C. Liston, Stress-induced alterations in Prefrontal Cortical Dendritic Morphology (2006)

A.F.T. Arnsten, The effects of stress exposure on Prefrontal Cortex : translating basic research into successful treatments for post-traumatic stress disorder (2015)

B. McEwen, Stress effects on Neuronal Structure (Hippocampus, Amygdala and Prefrontal Cortex) (2016)

J. Shonkoff, The lifelong effects of early childhood adversity and toxic stress (2011)

 francesoir.fr

newsnet 2025-05-03 #14750
seule une répression sociale pouvait amender cette nature profondément « perverse polymorphe » du petit d'homme.

cette dénomination est toujours exacte, l'enfant n'a pas développé son empathie ; il supporte d'autant mieux la douleur.

ici le Mal s'introduit par une intrusion violente qui se fait sans le consentement de la personne.

si, il y a un consentement, mais non-éclairé ; une manipulation

Le prédateur quant à lui ne se sent pas coupable de ses actes (comme on le voit dans tous les procès de pédocriminels), alors que paradoxalement, il se sent coupable et honteux de ce qu'on lui a fait subir à lui-même, au point de ne jamais oser en parler..

oui voilà, c'est un déplacement

C'est d'ailleurs cette culpabilité injuste et obsédante d'ancienne victime qui le hante et qui détruit chez lui toute humanité, toute sensibilité à la souffrance d'autrui.
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