Par Georgia Gee & Dikla Taylor-Sheinman, le 28 avril 2025
Harcelés et chassés à plusieurs reprises de leurs terres, les agriculteurs de Wadi Al-Rakhim ont finalement pu moissonner leurs récoltes vendredi dernier, mais uniquement par "chance".
Le matin du 25 avril, Aamer et Muhammad Al-Huraini se sont rendus sur leurs champs de blé à Wadi Al-Rakhim, une petite communauté palestinienne de Masafer Yatta, dans le sud de la Cisjordanie. Le blé n'était pas encore mûr pour la récolte, mais c'était leur seule chance de le sauver.
Les incursions quotidiennes des colons israéliens, qui descendent des avant-postes voisins et font paître leurs moutons sur les terres palestiniennes privées, ont contraint la communauté à récolter avec plus d'un mois d'avance, accompagnée d'une douzaine de militants israéliens et internationaux.
Après ce que beaucoup ont décrit comme "la saison des olives la plus dangereuse de tous les temps" en Cisjordanie l'année dernière, la récolte du blé, autre pilier de la subsistance et de la culture rurales palestiniennes, est confrontée à une menace similaire. Comme des dizaines d'autres communautés de la zone C, sous contrôle militaire et civil total d'Israël, les Palestiniens de Wadi Al-Rakhim vivent dans la peur du harcèlement et des attaques des colons israéliens.


"Ils débarquent chez nous et détruisent nos récoltes, nos stocks de blé et nos oliviers", a déclaré Aamer Al-Huraini à +972. "Avant le 7 octobre, il y avait déjà de sérieux problèmes avec les colons. Mais ensuite, ils ont profité de la confusion et des tensions pour essayer de tout prendre",
a ajouté son frère Muhammad. Pendant plus d'un an, depuis le début de la guerre à Gaza jusqu'en janvier 2025, aucun membre de la famille Huraini n'a pu accéder à ses terres.
Vendredi dernier, la famille n'en était pas à sa première tentative de récolte ce mois-ci. Une semaine plus tôt, des colons de la colonie voisine de Susya les ont chassés de leurs terres avant de tenter de brûler leurs récoltes. Le même jour, dans le village voisin d'Al-Rakeez, des colons ont tiré sur Sheikh Saeed Rabaa, 60 ans, qui a dû être amputé d'une jambe.


Vendredi matin, la moisson semblait à nouveau compromise. De jeunes colons sont arrivés en bande, accompagnés d'une douzaine de moutons qui ont dévoré le blé. Ils ont piétiné les cultures, malmené les moissonneurs et brisé des téléphones. D'autres colons, vêtus de tenues de camouflage militaires, sont arrivés peu après avec des fusils d'assaut et les ont pointés sur les Palestiniens et les militants.
Deux heures plus tard, l'armée israélienne était sur place. Après avoir salué les colons d'un geste, le commandant a discrètement reconnu que la terre appartient bien aux Palestiniens et a ordonné aux colons de battre en retraite. Ceux-ci se sont retirés à la périphérie du village, à cheval et en tracteur, tandis que la récolte a pu reprendre.


"Avoir pu récolter [quelque chose] est une grande victoire", a déclaré Adam Rabea, responsable des territoires palestiniens pour l'organisation Rabbis for Human Rights. "Je travaille dans toute la Cisjordanie, et ce que nous avons vu représente en quelque sorte une victoire".
Une fois la récolte terminée, quatre hommes de la famille Al-Huraini se sont agenouillés dans le champ, face au sud, pour faire leur prière de l'après-midi. Il leur restait encore un champ à moissonner.
Avant de rentrer en bus à Jérusalem, les militants solidaires ont partagé le thé, le café et le pain avec les Al-Huraini. En se quittant, ils ont convenu tacitement qu'avoir pu moissonner ce jour-là était un pur coup de chance. Le lendemain, comme prévu, 𝕏 les colons sont revenus.
Traduit par Spirit of Free Speech
* Georgia Gee est une journaliste d'investigation qui couvre les questions relatives aux droits humains, aux abus environnementaux et à la surveillance. Ses travaux ont été publiés dans la presse écrite, sous forme de podcasts et de documentaires, notamment pour The Intercept, Foreign Policy et l'Organized Crime and Corruption Reporting Project. Elle a précédemment été chargée de recherche pour Ronan Farrow au New Yorker et à HBO, et rédactrice pour l'Organized Crime and Corruption Reporting Project.
* Dikla Taylor-Sheinman est membre du programme Shatil Social Justice Fellow du magazine +972. Actuellement basée à Haïfa, elle a passé l'année dernière à Amman et les six années précédentes à Chicago.