Xavier Azalbert, France-Soir
Mayotte après Chido : une crise de négligence et de promesses non tenues
Résumé : le cyclone Chido, qui a ravagé Mayotte en décembre 2024, a révélé la négligence de la France envers son département le plus pauvre. Le refus d'Emmanuel Macron d'accepter l'aide internationale et ses propos méprisants envers les Mahorais ont suscité l'indignation, tandis que la promesse de François Bayrou de reconstruire en deux ans sonne creux. Le processus de reconstruction parait entravé par des délais irréalistes, l'exclusion des entrepreneurs locaux et des soupçons de mauvaise gestion liés aux alliés de Macron, comme Bouygues. Les crises préexistantes de Mayotte — pauvreté, infrastructures défaillantes, immigration incontrôlée — compliquent la reprise. La loi d'urgence de février 2025 offre peu de secours, privilégiant les entreprises étrangères et des solutions temporaires. En mai 2025, la reconstruction stagne, laissant les habitants dans l'incertitude.Français, exigeons transparence, autonomisation locale et responsabilité pour rompre le cycle de négligence qui frappe Mayotte depuis des décennies.
Edito : vous vous en rappelez certainement : le 14 décembre 2024, Mayotte, archipel de l'océan Indien et département français d'outre-mer, a été dévasté par le cyclone Chido. Ce territoire, déjà le plus pauvre de France, a vu ses infrastructures réduites à néant, plongeant ses habitants dans une détresse sans précédent.
Deux jours après la catastrophe, Emmanuel Macron aurait refusé l'aide internationale proposée par les Comores, Madagascar et les États-Unis, invoquant la souveraineté d'un « grand pays ». Cette décision a suscité l'indignation des Mahorais, certains déclarant : « Son Président n'est pas à la hauteur de cette grandeur, du moins de ce qu'il en reste. »
Ces frustrations sont partagées par la population locale. Aïssa, enseignante à Mamoudzou, a déclaré à France Info : « Nous nous sentons abandonnés. Nos enfants étudient sous des bâches, et l'aide promise n'arrive jamais. » Des responsables communautaires, comme l'Association des Femmes Mahoraises, critiquent également l'absence de consultation des habitants dans la planification de la reconstruction, révélant un fossé entre Paris et les besoins de Mayotte.
Le 19 décembre 2024, lors d'une visite officielle à Mayotte, Emmanuel Macron a répondu à la colère des habitants par des propos rapportés comme méprisants : « Si ce n'était pas la France, j'peux vous dire que vous seriez dix mille fois plus dans la merde ! »
Comme dans Les Tontons Flingueurs, où Lino Ventura lance à Francis Blanche : « Les cons, ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît », ces mots, s'ils sont avérés, trahissent une déconnexion des technocrates parisiens. Macron, formé à l'ENA, incarne cet archétype d'élites déconnectées, dirigeant le pays avec une arrogance qui ignore la réalité du terrain.
Le 30 décembre 2024, le Premier ministre François Bayrou s'est rendu sur place, promettant une reconstruction en deux ans, un objectif qualifié de tromperie manifeste. Bayrou, souvent critiqué pour son immobilisme, notamment dans des affaires passées où il n'aurait pas dénoncé des faits graves en tant que dépositaire de l'autorité publique (1), n'a proposé aucun plan concret, alimentant le scepticisme des Mahorais. Sa visite, marquée par des gestes hypocrites, semble davantage motivée par le protocole que par une réelle volonté d'agir, surtout quand on connaît son goût pour les privilèges financés par le contribuable depuis des décennies.
La vulnérabilité de Mayotte découle de décennies de négligence. Avant Chido, l'archipel souffrait de pénuries d'eau chroniques, avec 30 % des ménages sans accès fiable, et d'un système de santé avec un lit d'hôpital pour 1 000 habitants, soit la moitié de la moyenne nationale. Ces problèmes systémiques, aggravés par un chômage élevé (35 % en 2023), amplifient l'impact du cyclone et compliquent la reconstruction.
Reconstruire des infrastructures publiques — écoles, hôpitaux, bâtiments administratifs — nécessite un long processus
Élaboration d'un cahier des charges (6 mois), consultation d'architectes pour permis et plans (6 mois)(2), publication des appels d'offres (6 mois, comme illustré par une offre de juillet 2024 à janvier 2025), sélection des entreprises (6 mois), démarrage des travaux (6 mois), et construction (1 à 2 ans selon la complexité). Même en optimisant, cela prendrait 3 à 5 ans, sans compter les routes, les ports, aéroports et réseaux électriques. Mayotte manque cruellement d'entreprises et d'ouvriers qualifiés pour répondre à cette demande.
Au 4 mai 2025, aucun appel d'offres public post-cyclone n'a été publié (3), selon un dirigeant d'entreprise locale de BTP. Des mesures temporaires, comme des salles de classe modulaires à Pamandzi, ont vu le jour, mais les grands projets d'infrastructure restent au point mort. Les habitants signalent des pénuries persistantes de matériaux, 80 % des approvisionnements importés étant retardés en raison des dégâts au port, selon l'entrepreneur local Ali Madi.
La loi d'urgence pour Mayotte, adoptée le 24 février 2025
Elle vise à accélérer la reconstruction, reconstruire les écoles, faciliter les dons et accompagner la population. Cependant, elle dispense uniquement les constructions temporaires (ex. : classes démontables) des autorisations d'urbanisme, sans répondre aux besoins structurels comme les routes, les ports, l'aéroport et les supports du réseau électrique. De plus, les impératifs de sécurité et d'équipement excluent les petites entreprises mahoraises des grands marchés publics, qui risquent d'être attribués à des firmes étrangères.
Pour reconstruire efficacement, la France pourrait adopter une approche locale. Donner la priorité aux entrepreneurs mahorais, même pour de petits projets, stimulerait l'économie et renforcerait la confiance. Simplifier les contrôles migratoires, comme proposé par la députée Estelle Youssouffa, pourrait apaiser les tensions sociales sans mesures punitives. Enfin, un comité de surveillance transparent, incluant des représentants mahorais, garantirait une utilisation efficace des fonds, évitant les écueils passés.
Sur le plan financier, la reconstruction soulève des soupçons de mauvaise gestion.
L' Établissement Public Foncier et d'Aménagement (EPFA) de Mayotte, géré sous l'égide de l'EPF Normandie depuis 2017, est critiqué pour son inefficacité. Des milliards d'euros ont été engloutis sans améliorer significativement les infrastructures, laissant Mayotte dans un état lamentable avant même Chido. Ce schéma rappelle l'Agence France Développement, dont les pratiques opaques à Madagascar font l'objet de nombreuses interrogations. Plus de détails sur la loi d'urgence pour Mayotte et ses incongruités sont apportés en note (4). Et certains seront de nature à froncer plus d'un sourcil.
Un exemple frappant est le barrage de Volobe à Madagascar, financé à hauteur de 600 millions d'euros par la France, alors que Colas Madagascar, filiale du groupe Bouygues, estimait le coût à 520 millions. Ces 80 millions d'écart alimentent les soupçons de rétrocommissions (5), un schéma récurrent dans les grands projets publics. Le projet, lancé en 2016, a déjà connu des « difficultés » en 2020, liées à une utilisation « inopportune » des fonds. « Inopportune » au point que même les banques internationales ne veulent pas s'engager à travers un audit. Son achèvement est prévu pour 2028 au plus tôt soit 12 ans après son lancement ! De plus, le déboisement autour du site risque de boucher les turbines, un problème environnemental aggravant les doutes sur la gestion du projet.
Il reste dès lors encore au minimum trois ans de plus à l'Agence France Développement pour continuer à facturer des avant-projets et autres projets accessoires, selon l'alignement des planètes, aux frais, du contribuable français.
Bouygues, proche de Macron et d'autres dirigeants depuis des décennies, bénéficie régulièrement de contrats publics, une pratique qui s'inscrit dans une longue tradition d'influence. Le groupe, comme d'autres (Bolloré, Pinault, Arnault), a soutenu financièrement les campagnes présidentielles de Macron (2017, 2022), Hollande (2012), Sarkozy (2007), Chirac (1995, 2002), Mitterrand (1981, 1988) et Giscard (1974), tout en pariant sur les favoris des sondages pour sécuriser des avantages.
Aussi, je m'interroge, les 80 millions d'euros de plus, qu'il y a entre le coût total du chantier indiqué par la Colas Madagascar et les 600 millions d'euros qu'Emmanuel Macron a mis sur la table, ne sont-ils pas, en fait, des dessous-de-table ? Les fameuses « rétrocommissions » souvent incluses dans ce type de contrat, à savoir, en droit pénal, d'éventuels détournements de fonds publics pour lesquels leurs auteurs principaux, politiciens et grands patrons, ne sont jamais poursuivis par la justice.
Et, la loi d'urgence n'aborde pas les problèmes structurels de Mayotte : pauvreté endémique, insécurité galopante et immigration clandestine massive, qui plombent l'archipel économiquement et socialement. « Reconstruire Mayotte » risque de se limiter à restaurer un statu quo lamentable, celui d'un territoire négligé par les gouvernements successifs. Une mesure controversée encadre la vente de tôles jusqu'à fin 2025 pour éviter la reconstruction des bangas (bidonvilles), mais 98 % des habitations restent sans toit, selon Ambdilwahedou Soumaila, maire de Mamoudzou.
Dix semaines après la loi, aucun projet de refondation économique, éducative ou sociale n'a été déposé.
La transformation de l'EPFA en coordinateur des travaux, calquée sur le modèle de la reconstruction de Notre-Dame, suscite des inquiétudes. Ce précédent, marqué par des dépassements budgétaires de plus de 500 millions d'euros, incite à la vigilance. La personne chargée de superviser la reconstruction de Mayotte devra redoubler de transparence pour éviter les dérives, contrairement à ce qui s'est passé avec Notre-Dame, où des questions sur la gestion des fonds persistent.
Dans un édito précédent, l'interrogation avait été posée : « serait-il possible que ce soit un "fait exprès" que les dirrigeants français aient laissé la situation se dégrader à Mayotter ? » N'a-t-on pas un début de réponse ?
Mayotte mérite mieux que des promesses creuses et des montages financiers opaques. La reconstruction doit s'appuyer sur la transparence, l'implication des Mahorais et une volonté politique de rompre avec des décennies de négligence.
Notes :
1) notamment pour ce qui est de l'article 40, alinéa 2, du code de procédure pénale : l'obligation pour toute personne dépositaire de l'autorité publique (ce qu'est un maire ou un député) de dénoncer au procureur de la République la commission d'un crime ou d'un délit dont cette personne acquiert la connaissance dans l'exercice de ses fonctions. Comme par exemple des actes de violence, sexuelle ou autres, commis dans un lycée privé catholique sur une période de plusieurs décennies durant laquelle la personne dépositaire de l'autorité publique officie. Tel fut le cas de François Bayrou : il était le maire et le député du lieu où ce lycée privé catholique de Bétharram se trouve, durant les 40 ans où des actes de violence sexuelle et autres ont été commis sur une multitude d'élèves.
2) Voici une capture d'écran sur les marchés publics à Mayotte. Nous voyons bien que l'offre démarre le 05/07/2024 et qu'elle s'arrête le 27-01-2025, ce qui fait bien 6 mois.
3) je tiens l'information du dirigeant d'une entreprise locale de BTP, et qui en cela a accès aux offres de marchés publics pour Mayotte.
4) La loi d'urgence s'articule autour des 4 points suivants :
- Accélérer la reconstruction et la réparation des infrastructures
- Reconstruire les écoles
- Faciliter les dons
- Accompagner la population et les entreprises locales
Cependant, premièrement, bien que certes cette loi allège la procédure d'attribution des marchés publics ; officiellement « afinde favoriser la participation des petites entreprises et artisans mahorais dans la reconstruction de l'archipel » ; comme je vous l'ai indiqué plus haut les impératifs de moyens en équipements et en hommes, ainsi que les impératifs de sécurité qui sont imposés aux entreprises du bâtiment, excluent des marchés publics de reconstruction de Mayotte, les petites entreprises mahoraises et les artisans mahorais.
Deuxièmement, bien que la loi a pour objectif affiché « de faciliter le rétablissement des conditions de vie des habitants de Mayotte, qui ont été dégradées par les dégâts causés par le cyclone Chido. », d'une part, cinq mois plus tard l'essentiel des travaux de reconstruction n'a aucunement commencé, et d'autre part la loi n'aborde pas les difficultés qui touchaient Mayotte avant le cyclone.
Or, « reconstruire Mayotte », littéralement, c'est remettre Mayotte dans l'état dans lequel l'archipel se trouvait avant le cyclone Chido, à savoir dans l'état lamentable dans lequel les gouvernements français successifs ont laissé l'archipel depuis 40 ans. Ceci tant pour ce qui est des infrastructures, qu'au niveau économique et social, et aussi en ce qui concerne la lutte contre l'immigration clandestine. Une immigration de masse qui fait que l'archipel est complètement plombé, dorénavant, économiquement et socialement. Ce à quoi il faut ajouter également une insécurité telle, qu'elle ferait passer pour des havres de paix et de tranquillité, les quartiers de la métropole dits « hyper sensibles » ; à savoir ceux où les taux de délinquance et de criminalité sont les plus élevés.
NOTA : à l'initiative des parlementaires, il a été ajouté à la loi que la vente de tôles aux particuliers est encadrée jusqu'à fin 2025 « pour éviter la reconstruction des bangas » (les habitations précaires des bidonvilles). Une initiative polémique : 98% des habitations n'ont toujours pas de toit, a déclaré à la radio Ambdilwahedou SOUMAILA, maire de Mamoudzou, chef-lieu de Mayotte.
Troisièmement, bien qu'en application de la loi du 24 février 2025, un projet de loi de programme de refondation de Mayotte doit être présenté par le Gouvernement, « avec des mesures plus structurelles en matière de développement économique, éducatif et social ainsi qu'en matière de lutte contre l'immigration clandestine », aujourd'hui, à savoir dix semaines plus tard, aucun projet de loi en ce sens n'a été déposé par le Gouvernement.
Et, quatrièmement, bien que la loi autorise le Gouvernement à transformer par ordonnance l'actuel établissement public foncier et d'aménagement de Mayotte (EPFA) en un établissement public pour coordonner les travaux de reconstruction de l'archipel en association avec l'État et les collectivités locales, objectivement, c'est loin, c'est très loin d'être une bonne nouvelle.
En effet, l'établissement public en question, c'est l'établissement public foncier de Normandie : L'EPF de Normandie a été créé le 26 avril 1968 (décret n°68-376). Mais voilà. Il a été modifié ensuite par le décret n° 2018-777 du 7 septembre 2018 (à l'initiative d'Emmanuel Macron et avec Édouard Philippe aux manettes). Et voici ce qu'il en résulte (article 2) :
« Conformément aux dispositions de l'article L.321-1 du code de l'urbanisme, l'établissement est habilité à procéder à toutes acquisitions foncières et opérations immobilières et foncières de nature à faciliter l'aménagement. Il peut aussi effectuer les études et travaux nécessaires à leur accomplissement et, le cas échéant, participer à leur financement.
Ces missions peuvent être réalisées par l'établissement public foncier soit pour son compte ou celui de l'État et de ses établissements publics, soit pour celui des collectivités territoriales, de leurs groupements, ou de leurs établissements publics en application de conventions passées avec eux. Pour les opérations passées pour le compte des collectivités territoriales, de leurs groupements, ou de leurs établissements publics, ces conventions prévoient obligatoirement le rachat des biens dans un délai déterminé et, le cas échéant, la garantie de l'emprunt souscrit. »
C'est à très peu de différences près, exactement la même structure juridique que l'Agence France Développement. Et, hélas, avec les mêmes résultats catastrophiques qu'à Madagascar dont nous avons détaillé les faits dans l'enquête sur les dessous pas très propres de l'AFD.
5) espérons qu'au moins ce barrage, ils ne vont pas le construire « par erreur » en dessous du niveau du lac, comme pour le stade de foot. Au fait. Le déboisement ayant lieu tout autour du futur barrage sur des centaines d'hectares, l'eau sera très chargée en éléments d'encombrement qui ne manqueront pas de boucher les turbines. Mince ! Oui. Encore fois la faute à Pat Chance !