Hôpitaux débordés, soignants à bout de souffle, pénuries de médicaments, le système de santé français est de plus en plus usé par le manque de moyens accordés par les pouvoirs publics et les conséquences néfastes des coupes budgétaires. Il existerait pourtant plusieurs leviers pour redresser la barre.
De prime abord, la santé devrait être considérée par tous comme un droit fondamental à placer en dehors tout contexte marchand. C'est d'ailleurs l'esprit originel de la sécurité sociale. Toutefois, que ce soit dans les milieux de la recherche ou de ceux de la médecine libérale, l'appât du gain prévaut parfois sur le bien commun. Un constat face auquel il devient de plus en plus urgent de lutter.
Les griffes du marché
Lorsque l'on sait que le business du médicament a généré pas moins de 1 413 milliards d'euros en 2023, on comprend très vite pourquoi la volonté de privatisation de notre organisation de santé est si forte, en particulier en France, cinquième marché mondial en la matière.
Et les grands laboratoires n'hésitent d'ailleurs pas à profiter de leur statut de société privée pour gonfler leur chiffre d'affaires, sur le dos des patients, en pratiquant des prix prohibitifs sur les traitements. Dans l'hexagone, il s'agit déjà d'une contrainte puissante sur notre système collectif, mais dans d'autres pays où il n'existe pas de protection pour tous, les conséquences peuvent être terribles.
L'argent avant les gens
De fait, le but premier d'une entreprise privée ne sera jamais celui du bien commun, mais nécessairement et par essence, celui du profit. Or cette orientation entre en conflit clair avec l'aspiration de tous de se faire soigner de manière équivalente et optimale.
Ce cycle commence dès la recherche : un laboratoire aura ainsi bien plus d'intérêt à mettre au point un traitement pour quelque chose de bénin, mais qui touche des milliards de personnes plutôt qu'un médicament contre une pathologie mortelle, mais rare.
En d'autres termes, mieux vaut investir de l'argent dans un produit contre la chute des cheveux que dans un remède contre une maladie génétique frappant un individu sur un million. Et pourtant, d'un point de vue éthique, le choix juste serait de lutter en priorité contre les affections les plus dangereuses.
L'indispensable indépendance de production
Si la question de la recherche est cruciale, celle de la production l'est tout autant. En effet, en manufacturant nos médicaments (mais aussi notre matériel médical) à l'étranger pour réduire leur coût de fabrication, on s'expose à des risques de pénuries en cas de crise. 50 % des substances dites « essentielles » ont même déjà fait l'objet de signalement à ce propos.
Quand on sait qu'en 2018, on estimait que 78 % des médicaments consommés en France étaient conçus à l'extérieur du territoire, il y a de quoi avoir de grandes inquiétudes pour l'avenir du pays. La nation a d'ailleurs pu expérimenter les effets désastreux d'une telle politique durant de la crise du covid-19 lorsqu'elle a connu un grave manque de masques dont la production se déroulait en Asie.
Un corps de métier désespérément débordé
Enfin, au-delà de la question matérielle, la médecine reste bien évidemment dépendante de ceux qui la pratiquent. Or, dans tous les secteurs, la tendance est à la surcharge de travail et au burn-out. De fait, les médecins généralistes déclarent en moyenne exercer entre 52 et 60 heures par semaine.
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Et du côté des patients, le bilan n'est guère plus reluisant puisque l'attente pour se faire soigner devient de plus en plus longue, que ce soit pour avoir un rendez-vous ou lorsque l'on va aux urgences.
Un manque de praticiens alarmant
La principale cause de ce phénomène est sans aucun doute le manque de médecin. Celui-ci s'explique par la politique des pouvoirs publics qui a longtemps limité drastiquement les places dans les écoles de médecine pour qu'il n'existe pas une trop grosse concurrence entre praticiens.
Conséquences, aujourd'hui pas moins de 6,7 millions de Français n'ont même pas de médecin traitant. 63 % de nos concitoyens ont également déjà renoncé à se soigner à cause du manque de personnel, du délai d'attente ou d'une incapacité financière.
Reprendre le contrôle
Pour sortir de cette situation, l'issue passe sans aucun doute par les pouvoirs publics et par une reprise en main démocratique du secteur de la santé. L'urgence est donc d'abord à la relocalisation de notre industrie médicale, éventuellement en procédant à des nationalisations et à la mise en place d'une production d'État des moyens sanitaires.
De la même manière, le développement de laboratoires publics dont la recherche serait contrôlée par le peuple apparaît aussi comme une solution indispensable. Les subventions publiques massives, dont ont bénéficié des entreprises comme Sanofi, devraient, en outre, être soumises à des conditions et des inspections sur leur utilisation. À défaut, c'est bien la nationalisation de l'intégralité du secteur qui pourrait être envisagé afin que chaque euro investi dans la santé le soit pour le bien commun et non pour le profit.
De la même façon, la totalité des soins pourrait être remboursée par la sécurité sociale afin d'éviter qu'une partie de notre argent ne finisse dans les poches de mutuelles privées qui n'ont d'autres vocations que s'enrichir.
Une médecine à deux vitesses
De la même façon, la question des soignants est elle aussi primordiale pour l'avenir. La formation massive à ce métier exige donc que les universités offrent beaucoup plus de places qu'aujourd'hui. En outre, la profession a besoin de retrouver de l'attractivité, notamment pour des postes moins gratifiants comme celui d'infirmière.
On pense certes aux rémunérations, mais il ne faudrait pas se concentrer uniquement sur ce point. En effet, ce sont les conditions de travail elles-mêmes qui posent énormément de problèmes. Comment attirer des gens vers un milieu où exercer dix heures par jour est devenue monnaie courante ?
Le secteur privé et la médecine libérale établissent par ailleurs une médecine à deux vitesses où les plus riches disposent de meilleurs soins que les autres. Un constat qui vaut aussi pour les territoires où les habitants des déserts médicaux ne sont pas logés à la même enseigne que le reste de la population.
En finir avec la médecine privée ?
Pour lutter contre ces phénomènes et en finir avec cette rupture d'égalité, une solution pourrait être de tout simplement réglementer d'avantage voir abolir la médecine privée. Dans ce scénario, chaque soignant deviendrait un fonctionnaire au service du bien commun et s'installerait là où il y en a besoin, sur le même système que les professeurs.
Un nouveau paradigme qui nécessiterait des investissements considérables et la formation de plusieurs dizaines de milliers de médecins. Mais pour autant, la situation pourrait également permettre au pays de récupérer des milliards d'euros grâce à une population mieux soignée, ce qui soulagerait sans aucun doute la sécurité sociale. Des propositions qui mériteraient au moins d'être étudiées et débattues.
- Simon Verdière
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