08/05/2025 les-crises.fr  5min #277240

 Bruxelles avertit Aleksandar Vucic : sa participation au 9 mai à Moscou pourrait compromettre l'adhésion de la Serbie à l'Union européenne

Commémoration de la défaite nazie en Russie : à travers ses menaces et intimidations, l'Ue outrepasse dangereusement ses limites

Le Slovaque Fico s'emporte après que Kaja Kallas a déclaré qu'il y aurait des « conséquences » pour les membres qui participeraient à la commémoration de la défaite nazie.

Source :  Responsible Statecraft, Eldar Mamedov
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Le dernier avertissement de la Haute Représentante de l'UE pour la politique étrangère Kaja Kallas - impliquant des conséquences pour les Etats membres et candidats si leurs dirigeants participent au défilé du Jour de la Victoire à Moscou le 9 mai (dédié à la défaite de l'Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale) - est un rappel brutal de la manière dont l'Union européenne dépasse dangereusement ses limites.

Bien que Kallas n'ait pas menacé de sanctions spécifiques si son avertissement était ignoré, elle a déclaré que toute participation au défilé de Moscou « ne serait pas prise à la légère » par l'UE, suggérant ainsi des répercussions diplomatiques ou politiques sur les pays en désaccord.

Certains dirigeants ont interprété ses propos comme un chantage diplomatique et, comme on pouvait s'y attendre, ils ont suscité des réactions négatives. Le Premier ministre slovaque Robert Fico a réprimandé Kallas et affirmé son intention de participer aux célébrations de Moscou en l'honneur de la défaite du nazisme. « Nous sommes en 2025, pas en 1939 », a déclaré Fico.

La position de Fico reflète un principe fondamental de l'Union européenne : la politique étrangère reste la prérogative des États membres en vertu du Traité sur l'Union européenne (article 24), et non de la bureaucratie de Bruxelles. Le cadre de la politique étrangère de l'UE n'accorde pas au Haut représentant la capacité de sanctionner ou de pénaliser unilatéralement les États membres pour leurs choix en matière de politique étrangère. Dans ce contexte, la déclaration de Kallas peut être considérée comme une tentative d'empiéter sur le droit de la Slovaquie à déterminer ses propres actions en matière de politique étrangère.

L'avertissement de Bruxelles pourrait être particulièrement inquiétant pour la Serbie, dont le président, Alexandre Vucic, a également été invité à Moscou. Contrairement à la Slovaquie, la Serbie n'est pas membre de l'UE, mais elle est candidate. L'UE se comportant de plus en plus comme un bloc géopolitique, elle attend de ceux qui souhaitent la rejoindre un alignement inconditionnel de leur politique étrangère.

La Serbie a longtemps équilibré ses liens entre l'UE et la Russie, une position pragmatique compte tenu de son histoire et de sa géographie. Pourtant, la faction Kallas pousse la nation balkanique à choisir un camp - celui de l'UE - sous peine de risquer son adhésion. L'UE peut utiliser le statut de Belgrade pour lui tordre le bras et l'obliger à se soumettre, ou dresser des obstacles sur son chemin, voire geler complètement le processus.

Il existe un précédent : la suspension du statut de candidat de la Géorgie, apparemment pour cause de recul démocratique, ce qui, selon certains experts, n'est qu'un alibi pour la véritable raison : des représailles pour l'incapacité de Tbilissi à adhérer pleinement aux sanctions de l'UE contre la Russie (cet argument n'est pas dénué de crédibilité étant donné l'obséquiosité avec laquelle l'UE traite l'Azerbaïdjan, la véritable dictature voisine de la Géorgie).

Ce n'est pas de l'intégration, c'est de la coercition. Et, en ce qui concerne la Serbie, il s'agit également d'un jeu dangereux. En criminalisant la participation à un défilé commémorant la défaite de l'Allemagne nazie, l'UE risque de s'aliéner la nation qui a perdu plus d'un million de vies pendant la Seconde Guerre mondiale en luttant contre les nazis. Les menacer aujourd'hui pour un geste symbolique n'est pas seulement un manque de tact : cela peut être perçu en Serbie comme une trahison de sa propre histoire comme prix à payer pour adhérer à l'UE.

Outre les excès de Kallas, l'approche collective de Bruxelles manque manifestement de pragmatisme et de réalisme dans ses relations avec la Russie et, en particulier, pour mettre fin à la guerre en Ukraine. Oui, le président russe Vladimir Poutine utilisera les célébrations à Moscou, en particulier la présence des dirigeants étrangers, comme une vaste séance de photos. Il tentera de faire le lien entre la victoire de l'Union soviétique lors de la Seconde Guerre mondiale et la guerre en Ukraine, qu'il qualifie constamment de « guerre contre les nazis. »

Cela dit, tenter d'imposer un boycott de l'événement à tous les membres et candidats de l'UE ne serait rien d'autre qu'une forme de signe de reconnaissance, sans gain perceptible pour l'UE. Si Kallas et ses alliés craignent en effet de donner une victoire diplomatique à Poutine, leur propre ineptie tendance « faucon » la lui donne déjà. Ils alimentent l'idée, non seulement à Moscou, mais aussi en Europe, que des bureaucrates bruxellois non élus dictent des politiques étrangères à des nations souveraines, au mépris de leurs sensibilités historiques et politiques.

La perspective d'un voyage de Fico et Vucic à Moscou fait écho à la débâcle de Bruxelles face aux précédentes tentatives de diplomatie du Premier ministre hongrois Viktor Orban. Lorsqu'Orban s'est rendu à Moscou en 2024 et a rencontré Poutine, l'UE a tenté de saboter la présidence tournante hongroise du Conseil européen au lieu de s'informer de la position de Moscou sur l'Ukraine.

En outre, lorsque le président américain Donald Trump a entamé ses propres pourparlers avec Moscou, l'UE s'est retrouvée en porte-à-faux alors qu'elle aurait pu utiliser la diplomatie d'Orban, qui avait déjà quelques mois d'avance sur les efforts de Trump.

Et pourtant, l'UE répète la même erreur, en intimidant ses propres membres au lieu d'utiliser leur influence pour au moins explorer les moyens par lesquels l'UE pourrait progresser vers la fin de la guerre en Ukraine, ce que ses propres citoyens attendent et exigent de plus en plus. Comme l'a dit Vladislav Zubok, éminent historien de la Guerre froide et professeur à la London School of Economics, en rejetant la voie de la diplomatie, l'Europe guidée par l'UE, perd de la crédibilité, au lieu d'en gagner, sur la scène politique internationale.

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Eldar Mamedov est un expert en politique étrangère basé à Bruxelles et Non-resident Fellow au Quincy Institute.

Les opinions exprimées par les auteurs sur Responsible Statecraft ne reflètent pas nécessairement celles du Quincy Institute ou de ses associés.

Source :  Responsible Statecraft, Eldar Mamedov, 17-04-2025

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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