De notre correspondant Claude Corse pour France-Soir
Défilé du 9 mai, Moscou
Le défilé du 9 mai plus politique que militaire sur la Place Rouge Le sud global scande "Ura" à Moscou A Moscou, les cérémonies du 80e anniversaire de la grande victoire patriotique du 9 mai, le jour férié préféré des Russes avec Pâques, ont donné lieu cette année à une démonstration de force. La participation de 29 présidents étrangers et Xi Jinping en invité d'honneur sur fond d'émergence d'un monde multipolaire prend de vitesse la vieille Europe…
De notre correspondant à Moscou, Claude Corse.
Bienvenue dans la grande salle du centre international de presse, à deux pas de la Place Rouge, parée d'immenses drapeaux, comme la plupart des places de Moscou, des quais et des 49 ponts de la Moscova. Près de 300 journalistes venus du monde entier ont été accrédités pour assister aux célébrations du 80e anniversaire de la grande victoire patriotique contre l'Allemagne nazie.
Au bout d'un couloir habillé de photos d'archives, un gigantesque écran de télévision couvre le mur barré d'un immense "1945-2025" orné de pochoirs rouge sang à la gloire des soldats soviétiques. C'est d'ici que la presse internationale a pu suivre en "live" les cérémonies, le défilé de la Place Rouge et rend compte jour après jours des rencontres bilatérales officielles au programme du crû 2025.
La poignée de main entre Vladimir Poutine et Xi Jinping, invité d'honneur du défilé du 9 mai 2025, tire un sourire béat d'un cameraman de CCTV qui sirote un jus de pin, une spécialité russe qu'il vient de découvrir. Tout près, un envoyé spécial brésilien répète son lancement de sujet devant une caméra éteinte. Entre deux relances, il se tourne vers moi et me demande confirmation dans un anglais approximatif de la présence du président serbe aux cérémonies officielles. "L'Union européenne l'a laissé venir ? Il va le payer cher en rentrant, lance-t-il, narquois, en réajustant son micro.
Comme chaque année, le Kremlin a convoqué l'histoire et l'héroïsme de l'Armée rouge, des thèmes chers au cœur des Russes dès l'école primaire. Qu'on les aime ou qu'on les déteste, personne ne peut leur retirer une passion sincère pour leur guerre patriotique. En cette année anniversaire, après le Covid et le boycott de la Russie par les pays européens depuis le déclenchement de l'opération militaire spéciale en Ukraine, le pouvoir avait à coeur de répondre aux Européens qui semblent selon Moscou, avoir oublié les sacrifices de leur ancien allié sur le front de l'Est et ses 27 millions de morts qui ont permis la libération de l'Europe occupée, après le terrible siège de Leningrad.
Vous avez dit réécriture de l'histoire ? Partout, des photos et des documentaires montés à partir d'images d'époque, tournent en boucle, rappelant les étapes de l'avancée soviétique : impossible ici de manquer la libération de la Crimée en 1944 et celle de la Pologne en 1945, l'offensive de Prusse orientale et celle de Konigsberg, la libération de la Tchécoslovaquie et la chute de Berlin avec cette photo emblématique d'un groupe de soldats posant sur les marches du Reichstag en ruines.
Près de l'espace où les télévisions assurent les directs, un bureau de poste a été reconstitué avec des photos de lettres de soldats, jusqu'au fond du restaurant, où une cantine roulante et des soldats en uniforme soviétique, le béret sur le coin de l'œil, proposent des tranches de lard de porc sur des tranches de pain noir. À la guerre comme à la guerre… Impossible de couvrir l'événement sans plusieurs laissez passer distribués au compte-goutte. Comme celui du Défilé de la Place Rouge, si convoité qu'on se demande à quoi les autres servaient. Il faut dire que la présence de 29 chefs d'États a mis les autorités sur les dents pour assurer la sécurité des dirigeants de l'Abkhazie, de l'Arménie, de l'Azerbaïdjan, de la Biélorussie, de la Bosnie-Herzégovine, du Brésil, du Burkina Faso, de la Chine, du Congo, de Cuba, de l'Égypte, de la Guinée équatoriale, de l'Éthiopie, de la Guinée-Bissau, du Kazakhstan, du Kirghizistan, du Laos, de la Mongolie, du Myanmar, de la Palestine, de la Serbie, de la Slovaquie, de l'Ossétie du Sud, du Tadjikistan, du Turkménistan, de l'Ouzbékistan, du Venezuela, du Vietnam et du Zimbabwe.
La veille de l'arrivée du président chinois, des salves de dizaines de drones ukrainiens ont visé plusieurs villes russes, dont plusieurs aéroports de Moscou. Zelensky avait annoncé la couleur, affirmant qu'il ne pourrait pas assurer la sécurité des hôtes de Poutine. Cette nuit-là, notre avion en provenance d'Ankara a été stoppé en Turquie et il nous aura fallu repasser par Istambul pour atterrir en Russie sans encombre, mais avec douze heures de retard. Inutile de dire que les contrôles étaient stricts et systématiques dans le centre-ville barricadé et interdit à la circulation tout autour du Kremlin et dans les avenues proches de la Place rouge comme la rue Tverskaïa par où arrivent les régiments motorisés. Des policiers en uniformes et beaucoup, dit-on en civils de services plus ou moins secrets, sont là pour déjouer tout risque d'attentat et de tirs de drones kamikaze.
"Le 9 mai est sûrement la fête la plus populaire en Russie avec Pâques"explique Sacha, étudiant en histoire à la prestigieuse université Lomonosov. Volontaire du 9 mai"par pur sentiment patriotique"insiste-t-il, il verra le défilé de loin, faute de laisser passer." Personne n'est soldat chez nous, mais nous sommes fiers de ceux qui se sont battus pour défendre le pays, comme les Français qui célèbrent leurs Poilus le 11 novembre" Temps suspendu. La pendule s'est arrêtée de battre sur la Place Rouge. Il est 10 h.
Le défilé s'ébranle au pas cadencé entre fanfares, porte-drapeaux et uniformes rutilants sous l'œil des caméras chargées de magnifier l'évènement. Et celui encore plus aiguisé des snipers perchés sur les toits du GUM et du Kremlin face à la tribune des officiels. Pendant plus d'une heure, des régiments de troupes à pied de l'armée russe et des contingents militaires de 13 pays, dont la Chine, l'Égypte, le Myanmar ou la Mongolie se succèdent sur le pavé luisant, le soleil dans le dos."Le discours de Vladimir Poutine sonne patriotique et politique, note un diplomate ossète, rencontré après la cérémonie. "Le président russe consolide ses alliances avec le sud global ; face à l'Europe absente, la participation de présidents africains est un signal fort pour l'émergence d'un monde multipolaire, avec en point d'orgue les accords stratégiques sur l'énergie avec la Chine…"
Après le passage remarqué des chars T-90M Proryv et les missiles balistiques intercontinentaux Yars, apparus en 2024, le survol des Su-35 rugissants dans le ciel en direction de la cathédrale Saint-Basile le bienheureux a mis fin à la fureur des moteurs. Avec elle, les odeurs d'essence se sont estompées sur la Place rouge où les familles de soldats et des invités officiels des 29 pays représentés viennent poser avec les anciens combattants et les troupes éparpillées en grand uniforme face à la voie qui mène à la Moskova. Scène ordinaire d'une Russie qui rit et s'embrasse devant l'objectif le 9 mai et prend la pose sur la tourelle mitée d'un antique T34. "Cet après-midi nous irons au parc Gorki faire des photos des enfants avec des vétérans…" me lance la fiancée d'un policier de Volvograd, la ville qui a inspiré le dessin officiel des cérémonies 2025 avec la statue de la mère patrie en figure de proue. Un symbole peut en cacher un autre…