
Par Hossam Shaker
La guerre contre Gaza se déroule aux yeux de tous avec une clarté sans précédent. Dès le premier jour, sa violence nous est parvenue en temps réel par le biais d'images, de clips vidéo et de flux en direct.
On aurait pu penser que cet afflux d'images éveillerait la conscience de la communauté internationale et inciterait les dirigeants du monde entier à prendre des mesures sérieuses.
Même en faisant abstraction des images les plus sanglantes ou les plus controversées, les preuves accumulées sont accablantes : des nourrissons retirés des décombres, des enfants affaiblis par la faim et des patients laissés sans soins dans des établissements dépourvus de médicaments ou d'équipements de base, dont certains sont eux-mêmes bombardés.
Les images de Gaza sont la preuve que le monde n'a pas pris aucune mesure sérieuse face à des atrocités qui défient le droit international, sapent la Charte des Nations unies et les principes humains et éthiques fondamentaux, malgré les protestations des foules mises en colère par le génocide et provoquées par la violence extrême.
Cet échec manifeste soulève à juste titre des questions difficiles sur l'égalité de la vie, de la dignité et des droits entre les êtres humains dans ce monde.
Des images font la Une et d'autres sont ignorées
La guerre brutale d'extermination qui se déroule actuellement dans la bande de Gaza est accompagnée d'un cortège d'images trafiquées, pendant que des preuves d'autres crimes, pourtant indiscutables et sans ambiguïté, sont ignorées.
Les exemples sont nombreux, comme cette image fabriquée par la propagande de l'Occupation, qui prétend montrer le corps carbonisé d'un enfant prétendument brûlé par des Palestiniens dans une colonie proche de la bande de Gaza le 7 octobre 2023.
Cette image fabriquée et d'autres semblables ont été utilisées comme munitions dans la campagne agressive visant à justifier la guerre d'extermination brutale à Gaza et à dépouiller le peuple palestinien de son humanité.
Pendant ce temps, les mêmes plateformes politiques et médiatiques, dont beaucoup sont éminentes et influentes au niveau mondial, se sont peu intéressées au grand nombre de cas documentés où l'armée d'occupation a brûlé des corps d'enfants et de nourrissons dans toute la bande de Gaza, où des corps carbonisés se sont accumulés dans des scènes qui choquent profondément la conscience humaine.
Dans ce contexte, la partialité ne se limite pas au fait d'accepter les preuves fabriquées et mensongères d'un camp tout en fermant les yeux sur la réalité tragique de l'autre camp. Elle nie également le droit des victimes palestiniennes à la reconnaissance de leurs souffrances en général.
Et même lorsque cette souffrance est reconnue, elle est souvent détachée de son auteur, en particulier lorsque l'auteur est israélien, et présentée comme si personne n'en étant responsable, en utilisant par exemple le passif. Cela se reflète dans les titres, qui utilisent généralement le mot neutre de : « mort » au lieu de « meurtre » ou « assassinat », par exemple.
Cela contraste fortement avec l'attention relativement élevée accordée aux victimes israéliennes, même lorsque le préjudice n'est pas prouvé.
Ce parti pris est également évident dans la réticence à attirer l'attention sur la réalité des enfants et des civils palestiniens brûlés vifs, leurs corps fragiles brûlés par les tirs de l'armée qui pleuvent sur leurs tentes vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Cela est lié au statut protégé de la propagande officielle de la puissance occupante, qui parvient souvent à interdire toute mention des enfants palestiniens brûlés, même lorsque des images et des vidéos de ces derniers sont largement diffusées par des témoins.
Cette situation est engendrée par le fait que l'Occident mondialisé exerce un monopole économique sur les médias. Ses mécanismes institutionnels et son influence lui permettent de concentrer l'intérêt mondial sur certains événements et de susciter sélectivement la sympathie en fonction de ses propres idées préconçues.
Et même lorsque certaines images ou certains événements s'imposent à la vue du monde entier, ils sont accueillis avec une sympathie mesurée, loin du déferlement de chagrin et d'émotion qui accompagne les victimes appartenant à la population occupante ou à d'autres groupes plus privilégiés, tels que les Européens ou les Occidentaux en général.
Il est devenu évident, sur la base de nombreuses comparaisons disponibles, que la logique du parti pris occidental place la vie de certaines personnes au-dessus de celle d'autres personnes en termes de préoccupation et de sympathie.
Ce parti pris mondialisé, par son influence, sa portée et sa persistance, fournit une couverture morale de longue date à la violation de la vie, de la dignité et de l'humanité des Palestiniens, année après année, au vu et au su du monde entier.
Le racisme occidental a semé les graines du génocide à Gaza
Tous les moyens sont bons pour réduire la préoccupation mondiale pour ce qui leur arrive, supprimer l'indignation publique, et offrir des justifications préventives suivies de fausses excuses une fois que l'ampleur de la brutalité a été mise à jour.
Le refus d'appeler les choses par leur nom reste constant : ce qui se passe est rarement qualifié de génocide, d'atrocités, de nettoyage ethnique ou de politique de famine, et encore moins de terrorisme.
L'horreur des camps de réfugiés
Des visages blafards et des corps émaciés se rassemblent en grand nombre à la recherche d'un morceau de pain, d'une gorgée d'eau ou d'un simple repas pour survivre, et repartent souvent sans rien après des heures d'attente épuisante.
Des enfants et des nourrissons meurent de faim tandis que d'autres attendent leur tour sur une liste de plus en plus longue de gens menacés de mort imminente, le tout au vu et au su du monde entier. Des femmes enceintes dans un état critique sont privées de soins de base, des nouveau-nés ne sont pas pris en charge et des prématurés ne bénéficient pas de la protection nécessaire.
Ces horreurs sans fin ne sont pas le résultat d'une catastrophe naturelle ni d'une sécheresse, mais plutôt les effets visibles d'une politique délibérée et soigneusement programmée visant à priver une population vulnérable de ses moyens de survie.
On les prive de nourriture et de leur dignité élémentaire tout en négociant avec eux leurs droits, leurs terres et leur existence même.
Aurait-on pu imaginer qu'un gouvernement ou une armée dans le monde oserait mener une guerre de famine prolongée contre une population entière située au cœur de la planète, le long de la Méditerranée ?
Pouvait-on imaginer que les auteurs de ces actes le feraient publiquement, avec constance et même avec fierté ?
Cela s'est accompagné d'un soutien militaire continu, d'un appui politique et d'un soutien économique généreux de la part des capitales occidentales, et cela dans l'indifférence flagrante du monde arabe.
L'Occupation israélienne soumet le peuple palestinien de la bande de Gaza, ou plus précisément une société composée principalement d'enfants et de mères, à une campagne étroitement contrôlée d' extermination et de famine.
Et personne ne peut ignorer cette ignominie puisque les images nous parviennent en direct. Les habitants affamés sont bombardés en permanence dans ce qui est devenu un champ d'extermination à ciel ouvert, retransmis en direct dans le monde entier.
Ces images quotidiennes devraient obliger les organes d'information, les plateformes médiatiques et les institutions politiques et civiles du monde entier à se pencher sérieusement sur la question.
Il est désormais évident que le monde est prêt à tolérer toutes ces horreurs, à faire preuve d'indulgence à leur égard et à détourner le regard.
En outre, tant que ces crimes sont perpétrés par ceux qui bénéficient d'une totale impunité, parce qu'ils sont placés au-dessus du droit international et de ses institutions, et qu'ils ne s'attaquent qu'à une population particulière, ils se voient accorder le temps et l'espace nécessaires pour poursuivre et intensifier leur génocide.
La conclusion dure à admettre est que la réponse globale à de tels crimes n'est ni objective, ni rationnelle ; elle dépend de l'identité de l'auteur et de la victime.
Il fut un temps où l'on pensait que le fait de filmer des actes de brutalité, de les diffuser en direct et de les consigner dans des rapports fiables suffirait à choquer le monde, à dissuader les responsables de ces crimes et à faire pression sur ceux qui les soutiennent pour qu'il y soit mis fin.
Mais cette brutalité documentée a trouvé des partisans enthousiastes, dont certains ont menacé à plusieurs reprises d'« ouvrir les portes de l'enfer ». Le génocide, la destruction, le déplacement forcé et la famine ont tous été accompagnés de justifications préventives en vertu du « droit d'Israël à se défendre ».
La complaisance, le silence et l'indifférence sont hypocritement dissimulés sous de vagues préoccupations, des appels flous ou des réponses tièdes.
Le contraste est saisissant avec la manière dont le monde aurait réagi si d'autres populations, comme les Occidentaux, les Blancs ou les habitants des régions privilégiées de la planète avaient été victimes de pareilles horreurs.
La réaction serait certainement différente si l'auteur de ces crimes n'était pas le régime d'occupation de la Palestine.
L'impact des atrocités documentées commence à s'éroder
On peut constater une autre contradiction lorsque l'on se penche sur le passé de certains endroits.
Des images emblématiques ont suscité énormément de réactions lors des précédentes offensives israéliennes contre Gaza : le bombardement de l'école Al-Fakhoura dans le nord de Gaza pendant l' hiver 2008-2009, le meurtre de quatre enfants Bakr qui jouaient sur la plage pendant l'été 2014, ou la destruction de la tour Al-Jalaa pendant l'assaut de 2021, qui abritait les bureaux d'une agence de presse mondiale.
Dans chacun de ces cas, la caméra avait capturé des scènes horribles qui avaient provoqué l'indignation mondiale et fait pression sur Israël pour qu'il modère son agression, malgré les justifications habituelles.
Mais le volume d'images horribles produites au cours de cette campagne d'extermination prolongée a enlevé à ces horreurs leur caractère exceptionnel, les rendant « ordinaires » ou plus « tolérables », tant que les victimes n'appartiennent pas aux sphères privilégiées.
Cette observation critique soulève des questions difficiles : peut-on vraiment s'habituer à certaines atrocités à force de les voir ? Le pouvoir de la rareté et du choc s'érodent-ils au fil du temps ?
C'est comme si l'occupation avait « entraîné » tout le monde à s'habituer à ces horreurs, qui continuent de se multiplier devant les yeux du monde entier, alors qu'une seule image « rare » dans le passé suffisait à ébranler l'opinion publique et à susciter des déclarations de chagrin et de choc.
Lorsque les principales plateformes politiques et médiatiques font preuve d'indifférence à l'égard de ces atrocités flagrantes et ne leur accordent pas l'importance émotionnelle ou éditoriale qu'elles méritent, le public peut en venir à croire, naïvement, que de telles horreurs ne méritent pas l'attention, ne sont pas suffisamment graves pour susciter l'émotion et ne nécessitent pas d'action urgente ni même d'examen de conscience.
Dans le monde dystopique israélo-US, le génocide fait partie de la norme
Il se dégage une sorte de logique de la « brutalité acceptable » du flot constant d'atrocités justifiées à l'avance, ouvertement soutenues et abondamment financées par des gouvernements et des institutions qui se targuent de faire partie du « monde libre » et revendiquent une position morale élevée, sans reconnaître leur rôle dans l'encouragement des implacables massacres, destructions et famines.
Il est essentiel de résister à la logique de répétition et de désensibilisation qui émousse la compassion du public. Mais même si la répétition peut affaiblir l'impact du choc, certains reportages peuvent encore réveiller la conscience et le sens moral du public.
Ce sont ceux qui se concentrent sur des histoires spécifiques, qui mettent en lumière des expériences individuelles, qui nous font connaître de vraies personnes avec de vrais noms. Ils donnent à la souffrance un visage humain et rétablissent le lien émotionnel.
En fin de compte, leu seul espoir est de se mobiliser à l'échelle régionale et mondiale, pour éveiller les consciences et exiger des actions concrètes. Ce type de pression est essentiel pour obliger les décideurs et les puissants à rendre compte de leur silence, leur complaisance ou leur inaction, qui favorisent la poursuite de la brutalité.
Il faut reconnaître que la guerre d'extermination par les bombes et la famine a des partisans, ceux qui la soutiennent directement ou indirectement, ceux qui la justifient ou s'en font les complices par leur silence ou leurs vaines déclarations.
Les critiques modérées et les vagues appels qui se réduisent à un désaveu superficiel de l'extermination, accompagné de déclarations de condamnation creuses, encouragent en fait la violence et ouvrent la voie à sa poursuite.
La complaisance dont bénéficie l'Occupation l'encourage à intensifier sa brutalité, puisqu'elle donne à penser que ces horreurs épouvantables n'auront pas de conséquences pour leurs auteurs. Loin de susciter l'indignation qu'elle mérite, ces crimes barbares sont accueillis par des expressions superficielles de « préoccupation » et des larmes de crocodile sur la « situation humanitaire difficile ».
Le gouvernement génocidaire interprète ces réactions complices ou lâches comme un feu vert pour poursuivre, aussi longtemps que ça lui chante, ses politiques génocidaires.
Auteur : Hossam Shaker
* Hossam Shaker est un journaliste et auteur qui a largement couvert le thème de la migration en Europe.
7 mai 2025 - Middle-East-Monitor - Traduction : Chronique de Palestine - Dominique Muselet