14/05/2025 ssofidelis.substack.com  13min #277885

 Washington abandonne l'exigence du « désarmement du Hamas » comme conditions de cessez-le-feu à Gaza

L'exigence d'Israël de désarmer le Hamas n'est qu'un prétexte pour saboter les négociations

Des membres des Brigades Al-Qassam, la branche armée du Hamas, et des proches assistent aux funérailles de combattants Al-Qassam tués pendant les affrontements entre Israël et le Hamas dans le camp d'Al-Shati, à Gaza, le 28 février 2025. (© Khalil Kahlout/Flash90)

Par  Muhammad Shehada, le 13 mai 2025

Chaque convoi humanitaire bloqué, chaque trêve rompue et chaque offre de paix rejetée soulignent le véritable objectif d'Israël : éliminer les Palestiniens de Gaza.

À la mi-avril, l'Égypte a  transmis la dernière proposition d'Israël au Hamas : une trêve temporaire de 45 jours en échange de la libération de 12 prisonniers israéliens et de 16 corps. Cette fois-ci, cependant, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a ajouté une condition qui a poussé le Hamas à rejeter immédiatement l'offre : l'exigence du désarmement complet du groupe, sans aucun engagement à mettre fin à la guerre, à retirer les forces israéliennes de Gaza ou à mettre fin au nettoyage ethnique.

En réalité, l'insistance d'Israël sur le désarmement du Hamas n'est qu'un leurre destiné à saboter tout progrès significatif dans les négociations de cessez-le-feu et à permettre la poursuite du génocide. C'est très clair : le gouvernement israélien  a adopté des plans de conquête et d'occupation permanente de toute la bande de Gaza, de concentration de la population dans des  camps de concentration près de la frontière égyptienne et de déportation forcée du plus grand nombre possible, et de maintien de ces mesures même après la libération de tous les prisonniers israéliens.

Exiger le désarmement est un tour de passe-passe similaire à celui qui a permis à Netanyahu de faire dérailler les négociations de cessez-le-feu l'année dernière en affirmant faussement que l'invasion de Rafah était cruciale pour le démantèlement des tunnels creusés par le Hamas le long de la frontière égyptienne. Après 12 mois de destruction systématique de la ville du sud, Tsahal n'a découvert aucun tunnel opérationnel. Pourtant, comme l'a  récemment révélé l'ancien ministre israélien de la Défense, cela n'a pas empêché le gouvernement de fabriquer de toutes pièces l'existence d'un tunnel afin de saboter les tentatives de cessez-le-feu.

Pour Israël, le désarmement du Hamas n'est qu'un prétexte. Le véritable objectif, comme l'a  admis récemment Netanyahou lui-même, est de rendre Gaza inhabitable, ingouvernable et, à terme, dépeuplée. Chaque négociation sabotée par Israël, chaque cessez-le-feu rompu, chaque convoi humanitaire bloqué s'inscrit dans une campagne délibérée de nettoyage ethnique. La stratégie de Netanyahu n'est pas la paix pour la sécurité, mais la conquête au prix de la souffrance : réduire Gaza à néant jusqu'à ce que sa population fuie, meure de faim ou disparaisse sous les décombres. Il ne s'agit pas d'une guerre contre le Hamas, mais d'une guerre contre l'existence même des Palestiniens à Gaza.

Une "menace existentielle" pour Israël

Après un an et demi de bombardements et de blocus israéliens, le Hamas ne dispose pratiquement plus d'armes offensives. Alors que le groupe a lancé environ 5 000 roquettes sur Israël lors de son attaque du 7 octobre, il ne peut désormais riposter qu'une ou deux fois par semaine.

Mais même ces tirs sporadiques - des projectiles improvisés sans ogives qui n'ont tué aucun Israélien depuis qu'Israël a  rompu le cessez-le-feu en mars - ont déclenché une vive  réaction nationale contre le Hamas. Israël se sert de ces tirs comme justification pour infliger des châtiments collectifs, en émettant des ordres d'expulsion massive et en menant des bombardements aveugles dans toute l'enclave. Netanyahu lui-même s'est vanté à l'ONU en octobre dernier que le Hamas aurait perdu plus de 90 % de son stock de roquettes.

Les chances que le Hamas lance une autre attaque du type de celle du 7 octobre dans un avenir prévisible sont nulles . De nombreux analystes estiment que c'est le facteur surprise qui a permis à l'attaque de réussir, Israel ayant été  pris complètement au dépourvu. Mais cet élément de surprise a disparu depuis longtemps, tout comme les chances qu'Israel répète les mêmes erreurs tactiques et de renseignement.

Selon des responsables impliqués dans les négociations, les dirigeants du Hamas à Gaza eux-mêmes affirment qu'ils ne tireront pas un seul coup de feu sur Israël pendant les 10 à 20 prochaines années, à condition qu'Israël autorise la reconstruction de Gaza et lève le blocus. Le cessez-le-feu de janvier l'a clairement démontré : malgré les  près de 1 000 violations de la trêve par Israël, qui ont fait plus de 150 morts parmi les Gazaouis et bloqué l'aide humanitaire, le Hamas n'a pas tiré une seule balle sur les troupes israéliennes ni lancé délibérément une seule roquette sur le territoire israélien.

Mais si le Hamas n'a plus la capacité ni la volonté de menacer directement Israël, il peut mener une insurrection à long terme à l'intérieur de Gaza contre les forces d'occupation israéliennes, tant qu'Israël poursuit son génocide et son blocus. Selon des responsables des services du renseignement israéliens et américains, le Hamas a  réussi à recruter au moins autant de combattants  qu'il en a perdus lors des attaques israéliennes depuis le début de la guerre.

Israël et le Hamas ont tous deux intérêt à amplifier les capacités réelles du groupe. Israël veut présenter le Hamas comme une "menace existentielle" pour justifier la poursuite de son offensive sur Gaza, tandis que le Hamas cherche à donner une image victorieuse dans l'espoir de renforcer sa position dans les négociations de cessez-le-feu, notamment sur le retrait des troupes israéliennes. En affichant ses capacités après 18 mois de guerre, le Hamas veut prouver aux Israéliens que la violence génocidaire exercée par leur pays est vaine, tant pour écraser le groupe lui-même que pour briser la résistance palestinienne en général.

Le piège du désarmement

À l'heure actuelle, environ 10 000 tonnes de bombes israéliennes non explosées sont dispersées à travers Gaza, que le Hamas recycle pour fabriquer des roquettes, des mortiers et des engins explosifs improvisés.

Israël empêche les missions de l'ONU et d'autres organisations internationales de mener des opérations de déminage à Gaza. Un haut responsable de l'Union européenne m'a confié qu'Israël n'autorise les missions de l'ONU qu'à marquer les munitions non explosées à la peinture, au risque qu'elles soient récupérées par le Hamas, ou qu'elles tuent ou blessent des civils. Israël a également tué des dizaines de membres de la division d'ingénierie de la police de Gaza chargés de déminer et de désamorcer les munitions non explosées.

Le plan égyptien pour la reprise et la reconstruction de Gaza prévoit explicitement le retrait et l'élimination des munitions non explosées à Gaza dans un délai de six mois. Il propose également de mettre fin au gouvernement du Hamas à Gaza, où un comité administratif technocratique prendrait le relais pendant une période de transition, avec des forces de police formées par l'Égypte et la Jordanie. Le Hamas, le Fatah, l'Autorité palestinienne (AP) et la Ligue arabe ont tous approuvé ce plan. Israël l'a toutefois immédiatement rejeté.

Le Hamas aurait proposé à Adam Boehler, négociateur de Trump pour la libération des otages, de s'engager à ne pas produire de nouvelles armes ni creuser de nouveaux tunnels en échange d'une trêve à long terme avec Israël. Certains responsables du Hamas  ont même indiqué leur volonté de "stocker toutes les armes du groupe dans un entrepôt gardé".

Ces offres, qui reviennent en fait à un engagement du Hamas à désarmer tout en sauvant la face, seraient avantageuses pour toutes les parties. Et pourtant, Israël les a une nouvelle fois jugées "irrecevables". En réalité, le gouvernement Netanyahu a  divulgué l'existence du canal secret entre Washington et le Hamas afin de saboter les efforts de Boehler, avant de faire tout ce qui est en son pouvoir pour le démettre de ses fonctions.

Plus de 70 jours plus tard, le canal entre les États-Unis et le Hamas a été rouvert et le groupe a annoncé la  libération inconditionnelle du soldat américano-israélien Edan Alexander en signe de bonne foi envers Trump avant sa visite au Moyen-Orient. C'était une décision intelligente, bien que tardive, qui aurait pu être prise début mars, lorsque Boehler a engagé le dialogue avec le Hamas. Le groupe a tenté d'obtenir des concessions en échange de la libération d'Alexander, mais lorsque les négociations ont repris, Netanyahu avait déjà fait capoter les pourparlers.

Désormais, sans accord en vue, le Hamas espère que ce geste exposera les intransigeances de Netanyahu, tant à la Maison Blanche qu'à l'opinion publique israélienne, et accroîtra la pression pour relancer les négociations de cessez-le-feu, éventuellement autour de la proposition Witkoff. Mais cette initiative pourrait également se retourner contre lui : Netanyahu la présente déjà comme le résultat des "pressions militaires", l'utilisant pour justifier la  poursuite de la guerre. Alors que Trump entame ses réunions avec les dirigeants régionaux, la question est de savoir si cette libération symbolique ouvre un espace diplomatique, ou si elle ne fait qu'alimenter un conflit qui risque de s'éterniser.

Si Israël avait autorisé la poursuite des réunions de Boehler, l'accord obtenu grâce à la libération d'Alexander aurait probablement été plus complet et aurait inclus une trêve à long terme avec le Hamas, assortie de nombreuses garanties de sécurité qui, dans la pratique, auraient équivalu à un désarmement.

Pourquoi alors Netanyahu insiste-t-il pour désarmer le Hamas dès qu'il en a l'occasion, tout en sabotant toute véritable discussion sur le désarmement ? La réponse est simple : ce n'est qu'une manœuvre de plus, exigeant des concessions dont il sait que les Palestiniens ne peuvent et ne veulent pas accepter, afin de faire capoter les pourparlers qu'il ne souhaite pas mener.

Pourquoi le Hamas ne désarmera pas

L'insistance de Netanyahu sur le désarmement unilatéral du Hamas est une ligne rouge pour plusieurs raisons. Premièrement, Israël n'incite pas le Hamas à désarmer.  Netanyahu a clairement indiqué que même si le groupe devait se rendre, exiler ses dirigeants et libérer tous les otages, Israël continuerait d'occuper et de dépeupler Gaza. Le ministre israélien de la Défense  a réitéré cette position à la mi-avril en déclarant que l'armée israélienne maintiendra le contrôle sur la majeure partie de Gaza "quel que soit l'arrangement - temporaire ou permanent -" grâce à la création de "zones tampons" comparables à celles mises en place précédemment par Israël au Liban et en Syrie.

Et quand on demande  pourquoi le Hamas ne se rend pas comme le Japon ou l'Allemagne en 1945, on passe à côté de l'essentiel. Outre le fait que l'Allemagne et le Japon étaient des agresseurs occupants, alors que les Palestiniens sont un peuple occupé qui résiste à la domination, aucun de ces deux pays n'était confronté à la menace du colonialisme de peuplement ou du dépeuplement total comme l'est Gaza aujourd'hui. De plus, après leur capitulation, ces deux nations ont reçu des dizaines de milliards de dollars d'aide à la reconstruction de la part du pays même auquel elles s'étaient rendues, tandis qu'Israël refuse d'investir un seul centime dans la reconstruction de Gaza et bloque activement toute reconstruction par les Palestiniens eux-mêmes.

Ensuite, les expériences traumatisantes ont appris aux Palestiniens que le désarmement, loin de faciliter la paix, a seulement permis à Israël de les tuer, de les kidnapper et de les mutiler plus facilement. Peu après que l'OLP a rendu les armes courant 1982 et quitté le Liban, Israël et l'Armée du Sud-Liban, son mandataire, ont massacré plus de 3 500 réfugiés palestiniens à  Sabra et Chatila. Cette atrocité a été si choquante que 400 000 Israéliens sont descendus dans la rue pour protester, forçant finalement le ministre de la Défense Ariel Sharon à démissionner. Aujourd'hui, Israël ne subit pratiquement aucune réaction négative au niveau national pour ses exactions à Gaza ou en Cisjordanie, aussi extrêmes soient-elles.

Dans ce contexte historique, les pressions exercées sur Gaza pour qu'elle renonce à ses dernières armes, pour la plupart rudimentaires, suscitent des craintes existentielles. De nombreux Palestiniens redoutent que Gaza ne devienne la version plus sombre d'une Cisjordanie où  colons et soldats pillent, assassinent, torturent, kidnappent et se livrent à des  inconduites sexuelles en toute impunité.

Enfin, même si le Hamas acceptait de désarmer, nul ne sait qui serait chargé de faire respecter ce processus. La plupart de ses membres rejetteraient probablement l'autorité des dirigeants politiques de Doha, les qualificant de traîtres, et refuseraient de déposer les armes tant que les forces israéliennes restent présentes. Ce scénario rappelle l'expérience colombienne de 2016, où les dirigeants des FARC ont accepté de désarmer, mais sans aucun moyen de faire respecter cet engagement, poussant de nombreux combattants à rejoindre des gangs criminels ou d'autres groupes militants.

De plus, selon plusieurs sources proches des négociations, Netanyahu n'exige pas seulement le désarmement du Hamas, il insiste sur une capitulation humiliante, avec notamment une mise en scène théâtrale où les dirigeants du Hamas remettraient publiquement leurs armes avant d'être exilés de Gaza. Or, le rôle actuel du Hamas en tant que force de résistance dominante à Gaza lui permet de faire appliquer les cessez-le-feu et de contenir les factions plus radicales telles que le Jihad islamique palestinien et les Brigades des moudjahidines. Son élimination complète pourrait créer un vacuum de pouvoir, ces factions qui pourraient alors mener des attaques imprévisibles contre Israël, avec le risque d'une escalade plutôt que l'apaisement.

À titre de comparaison, la récente campagne menée par l'Autorité palestinienne à Jénine contre des groupes armés locaux a encore affaibli sa légitimité déjà fragile. Aujourd'hui, la plupart des Palestiniens considèrent les forces de sécurité de l'Autorité palestinienne comme de vulgaires collaborateurs et sous-traitants de l'occupation israélienne, d'autant que des décennies de coordination sécuritaire n'ont apporté aucun bénéfice tangible à la population, ni fait avancer le processus vers la création d'un État, malgré tous les efforts déployés par l'Autorité palestinienne pour prouver à Israël qu'elle est un partenaire digne de ce nom.

Le Hamas a récemment réaffirmé sa position, déjà exprimée par son chef actuel, M. Khalil al-Hayyia, selon laquelle il désarmera et dissoudra complètement sa branche armée dès qu'Israël mettra fin à son occupation des territoires palestiniens occupés depuis 1967. Mais le désarmement doit nécessairement être l'aboutissement d'un accord de paix, et non une condition préalable. Le cas de l'Irlande du Nord constitue un précédent clair : le désarmement de l'IRA s'est déroulé progressivement sur sept ans après l'accord du Vendredi saint de 1998, et non avant.

Alors que Gaza est au bord du collapse socio-politique, une purge de type "débaasification" du Hamas plongerait l'enclave dans un chaos et des conflits internes encore plus dévastateurs. Tant qu'Israël maintiendra sa mainmise sur Gaza, même si le Hamas disparaît, d'autres prendront les armes.

Traduit par  Spirit of Free Speech

* Muhammad Shehada est un écrivain et analyste politique de Gaza, chercheur invité au Conseil européen des relations étrangères.

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