16/05/2025 investigaction.net  6min #278131

« Rendre impossible un État palestinien. L'objectif d'Israël depuis sa création » - 4 questions à Monique Chemillier-Gendreau

Pascal Boniface

Juriste, professeure émérite de droit public et de science politique à l'université Paris-Diderot, spécialiste de droit international, Monique Chemillier-Gendreau répond à mes questions à l'occasion de la parution de son ouvrage Rendre impossible un État palestinien. L'objectif d'Israël depuis sa création aux Éditions Textuel.

Selon vous, Israël n'acceptera jamais de reconnaître un État de Palestine. Il n'a jamais été sincère dans les moments où, contraint par des tiers, il a feint de l'envisager...

En effet, je pense que la communauté des États et la société civile, préoccupées par la dérive effrayante dans laquelle Israël s'est engagé, ne peuvent pas persister à parler sérieusement de la solution à deux États comme d'une perspective crédible. C'est une posture d'illusionniste. J'ai fait l'analyse dans ce livre de la manière parfaitement pensée et systématique par laquelle Israël, depuis les origines, a sapé méthodiquement les possibilités d'édification d'un État palestinien. Cela est devenu évident à partir des négociations d'Oslo et a été confirmé depuis. Le projet d'Israël est qu'il n'y ait jamais d'État palestinien viable. L'État hébreu n'a concédé qu'une « Autorité » palestinienne, qui ne dispose d'aucun des pouvoirs régaliens d'un État. Et, alors même que cette « Autorité » était mise en place, Israël a poursuivi sa politique de colonisation de la Palestine et l'a fortement accélérée dans les derniers temps. Et l'espérance des Palestiniens que les accords d'Oslo ouvriraient une dynamique positive s'est très vite révélée illusoire. Aujourd'hui le bilan est clair : il n'y a plus de territoire viable pour un État de Palestine. Gaza est un champ de ruines menacé d'une prise complète par Israël. Et sur la Cisjordanie et Jérusalem, les Palestiniens n'ont le contrôle de l'administration territoriale que sur des fragments de territoire sans continuité. Le peuple de Palestine est dispersé depuis 1948 et l'interdit posé par Israël du droit au retour le condamne à cette dispersion. L'Autorité palestinienne n'est ni un État, ni même un embryon d'État faute de disposer des fonctions qui reviennent aux États. Enfin, la capitale naturelle de la Palestine, à savoir Jérusalem, a été confisquée par Israël dans ses deux parties, sans espoir de réversibilité de cette situation.

À présent, les discours des ministres israéliens, dont le Premier d'entre eux, ainsi que la résolution de la Knesset du 18 juillet 2024, officialisent la politique d'Israël : il n'y aura pas de reconnaissance d'un État de Palestine. Les autres États doivent donc reconsidérer leurs positions à partir de ce constat.

Vous vous rappelez que l'admission d'Israël a été validée le 11 mai 1949 avec une référence précise à l'engagement pris par cet État d'accepter sans réserve les obligations découlant de la charte...

Oui, ce rappel est nécessaire. Israël n'a jamais respecté ses engagements internationaux. Je renvoie ici à la procédure orale devant la Cour internationale de justice le vendredi 2 mai 2025 où j'ai eu l'occasion de retracer l'ensemble des violations par Israël de ses engagements internationaux. Déjà, lors de sa demande d'admission aux Nations unies, en 1949, Israël avait inspiré à l'Assemblée générale une méfiance telle que pour obtenir un vote en faveur de l'admission de son pays, le délégué d'Israël avait dû s'engager solennellement à respecter les obligations de la Charte et toutes celles qui en découlent. L'on sait ce qu'il en a été. La promesse faite lors de l'entrée de ce pays aux Nations unies en 1949 relevait de l'imposture. Les États membres de l'Organisation des Nations unies devraient s'interroger sur leur faiblesse face à une si évidente mauvaise foi et changer de politique en s'engageant enfin dans la voie des sanctions contre Israël.

Malgré le retrait de Gaza en 2005, juridiquement, l'occupation n'a jamais cessé ?

Israël joue en effet avec les mots et les normes. L'État hébreu, parce qu'il y a eu un retrait des colonies à Gaza en 2005, prétend qu'il ne s'agit plus d'un Territoire occupé et qu'en conséquence, le droit de Genève ne s'appliquerait plus. Mais la Cour internationale de justice a rectifié cette analyse erronée. Elle a, dans son avis du 19 juillet 2024 sur « Les conséquences juridiques des politiques et pratiques d'Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », considéré que dans la mesure où Israël gardait «  le contrôle des frontières terrestres, maritimes et aériennes, l'imposition de restrictions à la circulation des personnes et des marchandises, la perception des taxes à l'importation et à l'exportation, et le contrôle militaire sur la zone tampon », cet État n'est pas libéré des obligations que lui impose le droit humanitaire en cas de conflit armé. Il est donc toujours soumis aux obligations imposées par ce droit 1. Mais comme le démontre la destruction de Gaza, Israël piétine toutes les règles posées par les Conventions de Genève et les autres normes du droit humanitaire.

Brandir un drapeau palestinien est interdit et jugé comme un acte contraire à la sécurité d'Israël...

Le drapeau est l'emblème par excellence de l'existence politique d'un groupe et de sa volonté d'exister au regard des autres. Il est donc, pour Israël, le rappel physique de l'exigence des Palestiniens à se voir reconnaître un État propre. D'où leur crispation à ce sujet.

Enfin, je voudrais insister sur l'argument de la sécurité d'Israël et le contresens que font le peuple israélien et son gouvernement à ce sujet. Les Juifs qui ont soutenu le projet sioniste et le soutiennent toujours se sont bercés d'une illusion : celle selon laquelle, après les persécutions dont ils ont été victimes à travers le temps et l'espace, ce qui les protégerait serait une terre qui leur soit propre. Cette illusion était vouée à l'échec pour deux raisons. La première est qu'il n'y avait pas de terre disponible pour réaliser ce projet. Il leur fallait s'emparer de la terre d'un autre peuple. Cela a été légitimé au profit d'Israël par la résolution de partage des Nations unies. Mais Israël n'a cessé de pousser plus loin son avidité de terre. Le peuple palestinien ne pouvait pas accepter cela sans de violentes convulsions. La seconde raison réside dans l'illusion qu'un morceau de terre soit une protection. Ce qui protège tous les humains, ce sont les droits reconnus, respectés et réciproquement garantis. Pour un groupe humain, s'emparer d'une terre par la force, y implanter sa population en chassant celle d'origine, y pratiquer la discrimination à l'égard de tous ceux qui ne sont pas membres du groupe, c'est prendre le risque d'ouvrir la route infernale de la vengeance. Seul le respect du droit peut y mettre fin. Les Israéliens accroîtront leurs chances d'être en sécurité lorsqu'ils respecteront le droit.

1 Cour internationale de justice. Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d'Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est. Avis consultatif du 19 juillet 2024, paragraphe 94.

Source:  Blog de Pascal Boniface

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