Rosa LLORENS
Que font les conseillers en image de Macron ? Peut-on imaginer symbole plus désastreux que ces trois zigotos, Macron-Merz-Starmer, et un mouchoir, isolés dans un train de nuit roulant vers Kiyiiv, le jour même, le 9 mai, où les deux tiers du monde célébraient à Moscou la victoire sur le cauchemar nazi ? Si l'image du Titanic est maintenant courante pour se référer à l'Europe, le train comporte des connotations tout aussi déplorables.
La première impression produite par la vidéo de ces trois paltoquets hilares et débraillés, semblant sortis d'un trailer pour le film Il faut sauver le soldat Z, c'est le ridicule : c'est là l'image que les spins doctors se font d'hommes d'État réunis pour discuter de la guerre et la paix en Europe et dans le monde ? Cela ressemble plutôt à un voyage scolaire, avec des potaches livrés à eux-mêmes, tout heureux de pouvoir fumer dans leur compartiment sans même avoir à se cacher dans les toilettes (on aurait au moins pu emmener Brigitte pour faire la surgé).
Revient alors en mémoire le train de Certains l'aiment chaud lorsque, une fois la directrice partie, les filles de l'orchestre féminin de Sweet Sue organisent un joyeux bordel dans leur compartiment, s'invitant, de couchette à couchette, pour une surprise partie chez Daphné/Jack Lemmon. On regrette seulement que le trio de politiques ne se soit pas fait filmer, lui aussi, en pyjama ou nuisette, ç'aurait été encore plus cool.
Mais, ici, le train ne roule pas vers Miami, ses plages, ses cocotiers, son soleil, mais vers Kiyiiv ! Et il prend des connotations carrément sinistres : ses passagers ne cherchent pas à échapper à des tueurs, au contraire ils sont là pour tuer toute perspective de paix : Crime dans le Kiev Express ? Pire : on pense plutôt au train d'Europa, le film de 1991 de Lars von Trier, un train où il n'y a pas de pilote, qui roule en boucle d'une catastrophe à l'autre, et qui est aujourd'hui plus actuel que jamais. Le train de Kiev, lui aussi, est piégé dans le temps, au lieu de s'éloigner de la Deuxième Guerre Mondiale, il nous y ramène, au lieu de nous conduire vers l'avenir, il nous ramène dans le passé, des nazis de Berlin aux nazis de Kiev, annulant 80 ans d'Histoire. Comme le train d'Europa, il traverse une Europe appauvrie, déboussolée, entre les horreurs nazies (27 millions de morts en URSS) et la domination étasunienne qui n'a fait que les reproduire (Hiroshima, le Vietnam, l'extermination de la gauche marxiste au Chili et en Argentine, le démantèlement de la Yougoslavie, les bombardements de noces afghanes... le génocide de Gaza).
Leopold, l'Américain naïf héros d'Europa (sur le modèle de Holly Martins dans Le troisième homme, qui lui aussi arrive en train, et à fond de train, avant de se rendre compte que la réalité est bien plus complexe qu'il ne le croyait, vue de New York), s'est fait embaucher comme contrôleur dans la compagnie allemande de chemins de fer Zentropa, espérant aider l'Allemagne à se redresser ; mais le contrôleur ne contrôle rien et le train ne sortira du tunnel que pour dérailler et entraîner ses passagers dans la mort.
Si, d'abord, on rit de Macron, on a vite honte pour lui, et les trois joyeux compères révèlent finalement leur vrai visage, celui de clowns sanglants terrifiants, pour qui l'Histoire n'est que prétexte à rodomontades narcissiques : bouger et gesticuler pour exister, peu importe les conséquences.
Presque au même moment, à 1700 km de Kiev, à l'air libre, et dans l'immense espace de la Place Rouge, une vingtaine de chefs d'Etat, sérieux, solides, responsables, représentant quatre continents, conscients de la gravité de l'Histoire, aux antipodes de la pom pom girl Kaja Kallas, et autres marionnettes placées au sommet d'un Etat pour faire la politique du pire, nous rappelaient au réel, et apportaient l'espoir de maîtriser le réel. Les hommes du réel parviendront-ils à dissiper les fantômes inconsistants de l'UE et les monstres qui se cachent derrière eux ?