publié le 27/05/2025 Par Paul Fernandez-Mateo
À la surprise générale, après quelques hésitations et rodomontades de part et d'autre, les discussions entre Washington et Téhéran ont repris, dans le courant du mois d'avril. Le simple retour des diplomates de ces deux États autour d'une même table tient de l'exploit, à tel point qu'il convient de s'interroger sur ce qui a permis le succès de cette initiative. Encore faut-il, cela dit, qu'elle aboutisse à un résultat concret.
Bien peu d'observateurs auraient prédit une telle évolution, encore moins depuis janvier et le retour de Donald Trump aux affaires à Washington. En effet, les relations entre l'Iran et les États-Unis sont traditionnellement exécrables depuis l'instauration de la République islamique à Téhéran en 1979. Elles sont même encore pires avec Donald Trump, depuis sa décision de proclamer le retrait des États-Unis de l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien, le 8 mai 2018, imposant une nouvelle vague de sanctions à l'encontre de l'Iran.
Le point de non-retour semblait avoir été atteint le 3 janvier 2020, lorsque Donald Trump a ordonné une frappe aérienne sur l'aéroport de Bagdad, en Irak, qui s'est soldée par la mort de dix personnes, dont le général iranien Qassem Soleimani. Depuis lors, les deux États semblent marcher sur la corde raide, les États-Unis menaçant régulièrement l'Iran d'actions militaires directes, tandis que l'Iran a juré de prendre un jour sa revanche.
Le soutien sans faille des États-Unis à Israël, un État dont l'existence même n'est pas acceptée par la République islamique et qui, en retour, accumule les démonstrations d'hostilité à l'égard de l'Iran, n'est pas non plus de nature à favoriser un rapprochement.
Pourtant, vers la fin mars de cette année, les États-Unis ont commencé à laisser entendre au gouvernement iranien que des négociations directes entre les deux États pourraient reprendre. Sans surprise, l'Iran s'est initialement montré extrêmement sceptique. Il faut dire que la rhétorique de Donald Trump n'est pas vraiment très rassurante, ce dernier ayant déjà menacé à plusieurs reprises l'Iran d'une attaque directe depuis son retour au pouvoir, et ayant répété ces menaces en cas d'échec des négociations proposées.
En dépit de cette méfiance des Iraniens, les discussions ont bel et bien fini par reprendre, avec quatre sessions programmées au cours des mois d'avril et mai, d'abord à Oman, puis à Rome, et enfin de nouveau à Oman à deux reprises. Jusqu'à présent, le bilan de ces discussions reste maigre, voire même plutôt négatif : les États-Unis, loin de sembler désireux de lever leurs sanctions contre l'Iran, en ont même imposé de nouvelles.
Les États-Unis toujours à la recherche d'un premier succès diplomatique majeur
À quoi joue Donald Trump en rouvrant - de sa propre initiative ! - les négociations avec l'Iran ? Son hostilité à l'égard de la République islamique n'est pas un mystère : l'Iran est la cible de ses menaces si régulièrement qu'elles en deviennent presque semblables à un tic de langage. Et il semblerait bien surprenant que l'opinion de Trump à l'égard de Téhéran ait soudainement changé, au point d'imaginer qu'il puisse revenir sur sa décision de 2018 de rétablir les sanctions.
Mais l'Iran n'est pas la seule obsession de Donald Trump. Depuis son premier mandat, le président des États-Unis est dévoré par l'ambition d'être reconnu comme un grand faiseur de paix, afin de river son clou à son prédécesseur, Barack Obama, qui s'était vu remettre le prix Nobel de la paix avant d'avoir fait quoi que ce soit pour le mériter. Cette ambition de Trump semble plus grande encore depuis sa réélection. La diplomatie américaine se montre hyperactive sur les conflits en cours en Ukraine et à Gaza dans l'espoir de manœuvrer de telle sorte à ce qu'une sortie du conflit puisse être mise à son crédit.
Toutefois, concernant l'Ukraine, loin est le temps où Donald Trump prétendait pouvoir mettre fin au conflit en 24 heures. L'inflexibilité de Volodymyr Zelensky, qui se refuse encore, en dépit de la gravité de la situation militaire de son pays, à envisager toute concession territoriale de quelque sorte que ce soit, bloque toute tentative de discussion visant à obtenir une paix négociée. Quant à rejoindre l'Ukraine et l'Europe dans leur posture légaliste et jusqu'au-boutiste, réclamant toujours un retrait russe inconditionnel, les États-Unis n'y songent même plus. L'agacement de Donald Trump ne fait que croître, et il semble de plus en plus probable que les États-Unis ne finissent par se laver les mains de toute cette affaire.
Quant à Gaza, si le soutien américain à Israël demeure bien sûr inconditionnel, les extravagants plans de « relocalisation » de la population gazaouie élaborés par l'administration Trump se heurtent à trop d'obstacles insurmontables. Outre le fait qu'un tel plan correspondrait au mot près à la définition du génocide au sens du droit international, il suscite également l'opposition à peu près unanime de tous les États, Israël excepté.
Aussi, les États-Unis cherchent sans doute une autre arène diplomatique dans laquelle combattre. Et l'Iran constitue une cible idéale. Mise sous forte pression par les États-Unis et par Israël depuis de nombreuses années, et plus encore depuis le renouveau du conflit israélo-palestinien consécutif aux événements du 7 octobre 2023, la République islamique dispose d'une marge de manœuvre limitée. Les États-Unis disposent d'une opportunité de négocier en position de force, sans devoir composer avec des interlocuteurs tiers déterminés à protéger leurs propres intérêts comme Zelensky ou Netanyahou. Ils ne s'y sont d'ailleurs pas trompés : Netanyahou, tout allié des États-Unis qu'il soit, a été rappelé à l'ordre et a dû abandonner ses propres plans d'attaquer l'Iran dans les mois qui viennent.
Affaibli, l'Iran cherche à gagner du temps face à une inévitable attaque
L'Iran, quant à lui, n'a jamais fait mystère de son désir de voir un accord semblable à celui de 2015 être mis en place. Les sanctions occidentales et notamment américaines étouffent le pays. Si elles venaient à être levées, l'Iran, de nouveau accessible à l'investissement étranger et fort de sa population nombreuse, jeune et éduquée, pourrait enregistrer très rapidement une croissance sans précédent et diversifier son économie. Même aux yeux d'un régime politique aussi conservateur que la République islamique, la perspective d'un accord susceptible de conduire à la levée des sanctions, ou même à leur simple atténuation, constitue un espoir considérable, même si les autorités iraniennes restent pour l'instant très prudentes.
De plus, l'Iran est actuellement dans une position beaucoup plus délicate que d'habitude. L'offensive israélienne contre le Hezbollah au Liban, en 2024, a considérablement affaibli l'un de ses principaux vecteurs d'influence au Proche-Orient, bien que l'organisation ait réussi à éviter le pire et à assurer sa survie. Pire encore, la chute inopinée du régime baasiste de Bachar el-Assad en Syrie a coupé la route terrestre entre l'Iran et la mer Méditerranée. Si l'influence iranienne en Irak et au Yémen reste intacte, il ne fait toutefois aucun doute que la sphère iranienne au Moyen-Orient est en phase de contraction.
Les dirigeants iraniens ne sont pas naïfs. Les Américains ne vont pas soudainement devenir leurs amis. Mais au vu de leur affaiblissement actuel, il n'est pas difficile de conclure qu'il est préférable de parler avec les États-Unis plutôt que de s'exposer à une attaque israélienne, voire israélo-américaine. En cas de guerre, l'Iran pourrait sans doute faire payer à Israël un très lourd tribut ; mais les États-Unis sont trop éloignés, et intouchables. De plus, la République islamique a peu de vrais alliés en dehors de la région ; si la Chine et la Russie sont indubitablement des pays amis, on les voit mal intervenir directement dans une hypothétique guerre irano-américaine, à moins que la souveraineté iranienne elle-même ne soit remise en question.
De ce fait, malgré le scepticisme que leur a inspiré, et que continue de leur inspirer, la proposition de Donald Trump, il n'est pas étonnant que les responsables iraniens aient fait le choix de reprendre la discussion avec Washington. Il semble certain qu'ils n'en attendent pas grand-chose, mais le dégel que de telles négociations constituent est en lui-même bienvenu. Et si, par miracle, il était possible de le pérenniser par un accord... Pourquoi pas ? Une entente avec Donald Trump ne durerait évidemment pas très longtemps, mais tout répit est bon à prendre.
Le programme nucléaire iranien, ligne rouge des deux parties pour un impossible accord
Mais en dépit de la motivation actuelle des parties - motivation qui semble réelle - à parvenir à un accord, il y a fort à parier que les négociations entre Washington et Téhéran, qui semblent déjà fort mal engagées, se solderont par un échec. En effet, les relations entre les deux États butent depuis longtemps sur une pierre d'achoppement qui semble difficilement surmontable : la question du programme nucléaire iranien.
L'Iran dispose actuellement d'une centrale nucléaire en fonctionnement, située à Bouchehr, sur la côte du golfe Persique, et d'une autre centrale nucléaire en construction, à Darkhovin, sur le fleuve Karoun. Un réacteur nucléaire de recherche, à Arak, a été rendu inutilisable il y a des années, à la suite de l'accord de Vienne de 2015. Un autre existait autrefois à Téhéran pour la production de radio-isotopes à usage médical, mais ne pouvait fonctionner qu'avec du combustible très enrichi, que l'Iran pouvait jadis importer, mais qu'il n'a pas actuellement les moyens de produire. Un remplacement pour ce réacteur est actuellement en construction à Ispahan. Enfin, la construction d'une autre centrale nucléaire est prévue à Sirik, sur le détroit d'Ormuz.
Toutes ces installations sont alimentées par deux mines d'uranium, dans l'est du pays, et par deux usines d'enrichissement de l'uranium extrait, à Fordo et à Natanz. Ces installations sont supervisées par l'AIEA afin de s'assurer que l'Iran n'enrichisse pas d'uranium au-delà des exigences de son programme nucléaire civil.
Officiellement, l'Iran n'a aucunement l'intention d'utiliser son programme nucléaire à des fins militaires et de se doter d'armes nucléaires. Les États-Unis sont pourtant convaincus que tel est l'objectif de la République islamique ; et il faut bien admettre l'attrait évident que la possession d'armes nucléaires pourrait avoir pour un État comme l'Iran, perpétuellement sous la menace d'une attaque américaine et/ou israélienne. Posséder des armes nucléaires, c'est rétablir avec les États-Unis et Israël un semblant de parité, en restaurant l'équilibre de la terreur : si l'Iran pouvait les menacer d'une dévastation semblable à celle dont il lui-même pourrait faire l'objet, alors le pays se retrouverait hors d'atteinte et en sécurité.
La logique n'est pas nouvelle, et aussi dangereuse que soit la dissuasion nucléaire, il n'est pas possible de nier qu'elle a démontré son efficacité. Lorsqu'elle a fait l'acquisition de ses premières armes nucléaires, la Corée du Nord est devenue « intouchable » et n'a désormais plus à craindre d'invasion américaine ou sud-coréenne, le prix à payer pour ce genre d'offensive étant soudain devenu beaucoup trop élevé.
Mais la position américaine et israélienne se comprend également. L'Iran se contenterait-il d'utiliser ses armes nucléaires comme un simple bouclier ? Et au-delà de cette question, il ne fait aucun doute qu'un Iran invulnérable pourrait impunément étendre sa capacité de nuisance, en se focalisant moins sur sa propre défense et en accroissant son influence dans les États voisins. Israël et les États-Unis peuvent actuellement tous deux témoigner de la forte capacité de nuisance d'alliés de l'Iran tels que les Houthis ou le Hezbollah, même dans le contexte d'un Iran affaibli. Qu'adviendrait-il si l'Iran n'avait plus besoin de redouter une attaque imminente, comme c'est actuellement le cas ?
En tout cas, la position américaine est claire : l'Iran ne peut pas conserver la moindre capacité d'enrichissement d'uranium sur son territoire. En prévision du troisième round de négociations, le Secrétaire d'État américain Marco Rubio a été très clair : pour obtenir un accord, l'Iran ne pourra plus qu'importer de l'uranium préenrichi. Étant donné que l'Iran dispose de ses propres mines d'uranium, l'absurdité de la proposition est évidente : devront-elles être fermées ?
L'Iran a été très clair sur la question : tout accord interdisant l'enrichissement d'uranium iranien ou organisant le transfert de ses stocks d'uranium enrichi vers un État tiers (la Russie a été mentionnée) est inacceptable. Dès lors, on voit mal comment les deux États pourraient parvenir à un accord. L'Iran n'a aucune confiance en les États-Unis - et il est difficile de l'en blâmer.
En effet, si l'Iran venait à se débarrasser de ses stocks de combustible nucléaire enrichi, rien n'empêcherait les États-Unis de revenir unilatéralement sur leur parole, comme en 2018, et de rétablir les sanctions. Rien n'empêcherait non plus Israël d'attaquer à n'importe quel moment un Iran devenu irrémédiablement vulnérable ; et au vu du comportement actuel de Netanyahou, la crainte semble très légitime. L'Iran n'a certainement pas l'intention de prendre de tels risques.
Mais en parallèle, il est difficile d'imaginer que les États-Unis puissent accepter un accord qui n'impliquerait pas le démantèlement complet du programme nucléaire iranien. Tout accord a minima ne répondrait pas au besoin de « victoire » diplomatique qui dévore l'administration Trump depuis son retour au pouvoir, et risquerait même - offense suprême - de ressembler à un aveu de faiblesse. Face à cette possibilité, mieux vaut ne conclure aucun accord. On peut donc raisonnablement affirmer que les discussions en cours ne mèneront à aucune issue positive.
Photo d'ouverture : (COMBO) L'envoyé américain au Moyen-Orient Steve Witkoff après une réunion avec des responsables russes au palais de Diriyah, à Riyad, en Arabie saoudite, le 18 février 2025 (G) ; et le ministre iranien des Affaires étrangères Abbas Araghchi s'adressant à l'AFP lors d'une interview au consulat iranien de Jeddah, le 7 mars 2025. (Photo EVELYN HOCKSTEIN et Amer HILABI / diverses sources / AFP)