Avocats pour la Justice au Proche Orient
Avocats pour la justice au Proche-Orient
Paris, le 9 juin 2025
Monsieur MACRON, Président de la République, Monsieur BARROT, Ministre de l'Europe et des affaires étrangères,
En date du 09 juin 2025, les forces militaires israéliennes ont, de manière illégale, intercepté, dans les eaux internationales, le navire « Madleen », naviguant sous pavillon britannique.
Les autorités israéliennes détiennent l'équipage et les passagers au nombre desquels se trouvent six citoyens français, dont la députée européenne Rima Hassan, mais aussi des citoyens espagnols, allemands, brésiliens, turcs, néerlandais et suédois.
Il n'est pas contesté que le navire a été intercepté par l'armée israélienne dans les eaux internationales.
L'initiative de la Flottille pour Gaza fait notamment suite aux résolutions 2720 1 et 2728 2 des Nations Unies, qui appellent à une augmentation de l'aide humanitaire à la bande de Gaza, et aux mesures provisoires émises par la Cour internationale de Justice exigeant que « L'État d'Israël doit prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l'aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d'existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza » 3.
Cette directive juridique souligne la nécessité cruciale d'une action immédiate pour atténuer la grave crise humanitaire à Gaza et oblige les États à agir rapidement pour empêcher une nouvelle détérioration des conditions.
Nous souhaitons rappeler ci-dessous quelques règles juridiques fondamentales afin de démontrer que l'intervention israélienne constitue un nouveau crime. Tout d'abord, il n'est pas légal d'intercepter - et encore moins d'attaquer - un navire en haute mer (qui se trouvait dans ce cas à plus de 12 milles des côtes israéliennes).
En effet, selon l'article 87 de la CNUDM 4, la liberté de naviguer en haute mer est ouverte à tous les Etats.
En outre, l'article 89 précise que « Aucun état ne peut légitimement prétendre soumettre une partie quelconque de la haute mer à sa souveraineté ».
Enfin, et toujours selon la réglementation, l'abordage, y compris par un navire du même pavillon, ne peut avoir lieu qu'en présence de présomptions sérieuses justifiées par des preuves et seulement dans des cas strictement prévus comme des soupçons d'actes de piraterie ou de trafic d'êtres humains.
Dans ces hypothèses, qui doivent nécessairement être exclues dans le cas présent, le droit d'approcher et de visiter un navire est strictement réglementé et tout éventuel point de désaccord doit être résolu selon les règles prévues par le droit maritime et en aucun cas par la violence ou l'agression de passagers comme cela vient donc de se produire de la part des forces armées israéliennes.
Israël est donc intervenu en dehors de sa juridiction et a capturé et transféré en Israël les personnes qui se trouvaient à bord du navire, pour maintenant les détenir arbitrairement.
En agissant ainsi, l'exécutif israélien a violé les articles susvisés de la Convention de Montego Bay.
Israël semble avoir également violé l'article 97 5 de la même Convention, lequel dispose : « Il ne peut être ordonné de saisie ou d'immobilisation du navire, même dans l'exécution d'actes d'instruction, par d'autres autorités que celle de l'État du pavillon ». Les motifs avancés par le Ministre de la Défense israélien à ces transferts et détentions arbitraires sont des plus alarmants, celui-ci ayant indiqué qu'Israël ne permettrait « à personne de briser le blocus maritime de Gaza, dont l'objectif principal est d'empêcher le transfert d'armes au Hamas ».
Le Ministre de la Défense israélien ne saurait tirer prétexte d'une part, d'un blocus tout à fait contraire au droit international, mis en place depuis près de 17 ans, et rendu total et absolu depuis le 2 mars 2025, malgré l'opposition des Nations-Unis, d'autre part d'un soi-disant possible transfert d'armes, ne reposant sur aucun indice pertinent, pour justifier l'arraisonnement d'un navire humanitaire, en haute mer.
Dans ce cas, il s'agit bien d'un navire humanitaire et l'accusation dirigée par Israël contre les humanitaires ne peut faire obstacle à l'interdiction résultant du Manuel de San Remo sur les règles d'engagement 6 (dans le cadre d'un CAI), d'attaquer des navires humanitaires, ni à l'application de la Règle 102 dudit Manuel qui prévoit : « La déclaration ou la mise en place d'un blocus est interdite si : a) Il a pour but unique objectif d'affamer la population civile ou de lui interdire l'accès aux autres biens essentiels à sa survie ; ou b) Si les dommages causés à la population civile sont, ou si on peut prévoir qu'ils seront, excessifs par rapport à l'avantage militaire concret et direct attendu.
» Le 2 juin 2025, les rapporteurs spéciaux et experts de l'ONU Michael Fakhri, Francesca Albanese, Ttaleng Mofokeng, Balakrishnan Rajagopal, Farida Shaheed, Pedro Arrojo-Agudo, Paula Gaviria, Mary Lawlor, George Katrougalos et Reem Alsalem rappelaient la nécessité de protéger le navire Madleen et de s'assurer de ce qu'il parvienne à bon port, après qu'un premier navire de la Flottille ait été bombardé par des drones en mai 2025.
Ils rappelaient également que l'unique organisation disposant actuellement de l'autorisation israélienne de soi-disant apporter une aide humanitaire à Gaza, est l'Humanitarian Foundation, soutenue par Israël et les États-Unis, car elle utilise « l'aide comme arme de guerre pour déplacer, humilier et parquer les civils.
» Nous vous demandons d'exiger immédiatement et sans délai, la libération de nos ressortissants et plus généralement de tous les ressortissants de la Communauté Européenne.
Les enlèvements et séquestrations, ainsi que les atteintes à l'intégrité physique ou psychiques constituent des crimes ou délit de guerre, lorsqu'ils surviennent lors d'un conflit armé international ou en relation avec ce conflit, et en violation notamment des Conventions Internationales Tel est bien le cas ici, les passagers du navire ayant été enlevés en haute mer.
Le fait que cet acte ait été commis par un Etat ne modifie rien à son illégalité.
Cet acte, notamment dirigé contre des Français et qui vise en réalité, uniquement, à maintenir la population de Gaza dans un contexte de famine, est susceptible d'être qualifié de crime de guerre et crime contre l'humanité.
De plus et dès lors qu'elles visent des ressortissants de la communauté Européenne, les dispositions de la Charte Fondamentale des Droits de l'UE trouvent à s'appliquer et notamment l'article 6 (droit à la sureté), ainsi que les dispositions de la CEDH (garantie contre la détention arbitraire, torture, traitement inhumain et privation arbitraire de liberté).
Ces droits s'appliquent de manière extraterritoriale et la protection due aux ressortissants européens victimes s'impose aux Etats membres.
Ainsi et même dans l'éventualité où nos concitoyens seraient libérés et expulsé d'Israël, territoire d'un Etat qui n'a jamais été leur destination, l'agression dont ils ont été victimes ne saurait rester sans réponse de la France, sauf à laisser passer le message que l'exécutif français accepte de renoncer à protéger ses ressortissants et renonce au respect du droit international et coutumier pour permettre la poursuite d'une action génocidaire.
À la lumière de ces considérations, nous vous exhortons respectueusement à prendre les mesures suivantes:
- Publier une déclaration publique condamnant l'attaque israélienne qui constitue une grave
- violation de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, des principes de San Remo,
- des Conventions de Genève, du Statut de Rome et des ordonnances de mesures conservatoires
- du la CIJ ;
- Exiger et obtenir la libération de tous les passagers de la flottille par tous les moyens à votre
- disposition, en contactant le gouvernement israélien pour exiger leur libération et en agissant auprès de
- l'ONU pour aider à obtenir leur libération ; et
- Agir afin que l'Europe s'engage dans des livraisons d'aide humanitaire par voies maritimes,
- directement à Gaza, nonobstant le blocus illégal organisé par le gouvernement israélien,
- Adopter immédiatement les sanctions qui s'imposent face à l'attitude du gouvernement israélien,
- lesquelles sanctions ne sauraient se limiter au rappel de leur Ambassadeur.
Nous attendons votre réponse rapide et nous comptons sur votre action immédiate et décisive.
Veuillez croire, Monsieur le Président, Monsieur le Ministre en l'assurance de nos salutations
distinguées.
Veuillez croire, Monsieur le Président, Monsieur le Ministre en l'assurance de nos salutations
distinguées.
Manon NEDELEC et Dominique COCHAIN, Avocates à la Cour
- Résolution 2720 ︎
- Résolution 2728 ︎
- COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE ︎
- CNUM (Bien qu'il ne soit pas signataire de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer
- (CNUDM), Israël est toujours tenu par la Convention de Genève de 1958 sur la haute mer, qu'il a signé et
- ratifié.
- Les principes fondamentaux de la Convention de 1958 se reflètent largement dans la CNUDM, et
- les deux cadres sont reconnus comme des expressions du droit international coutumier, notamment en ce qui concerne la liberté de la haute mer.
- Par conséquent, Israël est soumis aux normes juridiques
- régissant le comportement des États en haute mer, telles que stipulées dans la Convention de 1958,
- normes qui sont également réitérées dans la CNUDM.) ︎
- COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE ︎
- Manuel de San Remo ︎