Antoine X
En juin 2025, alors que Gaza est à l'agonie sous les bombes israéliennes, une marche citoyenne internationale tente de briser le blocus. Depuis l'Égypte, un jeune Suisse engagé raconte, heure par heure, les préparatifs clandestins, les pièges policiers, les illusions brisées et les élans de fraternité. Témoignage brut d'un acte de résistance non-violente étouffé par la répression.
12 juin 2025 - Le départ pour l'Égypte
Alors que Gaza subit un génocide télévisé, sous le feu dévastateur et cruel d'Israël depuis plus de 18 mois, que la famine est imposée, l'aide humanitaire utilisée comme arme de guerre, les massacres quotidiens, les exactions devenues la norme et que toutes les structures civiles sont réduites en cendres, l'Occident reste sourd à la souffrance inouïe imposée aux Gazaouis et aux Palestiniens.
Les autorités encerclent les militants
L'impunité d'Israël est totale, et ce, depuis des décennies. Les institutions internationales gangrenées par les USA et leurs proxys n'ont pas les leviers nécessaires pour faire bouger les choses, même avec des mandats d'arrêt internationaux, même après les tueries de plus de 50'000 humains, en majorité femmes et enfants. Révoltés par cet état de fait déplorable et totalement mortifère qui en dit long sur le droit international et ceux qui le promeuvent, des milliers d'hommes et de femmes ont compris qu'ils ne peuvent plus rester les bras croisés.
Dans ce contexte, et face à l'impuissance généralisée, une marche citoyenne internationale s'organise. Des délégations venues du monde entier tentent de se réunir pour briser le blocus de l'enclave palestinienne, devenue prison à ciel ouvert, puis aujourd'hui camp d'extermination, et forcer l'entrée de l'aide humanitaire par le passage de Rafah.
Un départ particulier: la valise qui change tout
Le voyage commence à la gare d'une petite ville vaudoise en direction de Genève, puis vers l'aéroport pour un vol vers l'Égypte avec escale à Madrid. Les préparatifs sont minutieux, presque secrets. Pourtant, sur les groupes de discussions, les mauvaises nouvelles s'enchaînent: des militants arrêtés dès leur arrivée au Caire, des expulsions, des intimidations et un refus des autorités Égyptienne de nous tolérer...
Les consignes des braves organisateurs changent en temps réel: «plus de drapeaux suisses», trop visible, «plus de sacs à dos» trop suspect, «surtout pas de sac de couchage» trop évident et risque d'expulsion immédiate, «ne pas réserver d'hôtel dans le centre du Caire» les services de sécurité égyptiens y seront en surnombre...
Des milliers de personnes ont pris part à un autre convoi en départ de Tunisie
Trop tard. Je suis déjà dans l'avion, avec mon sac à dos et mon sac de couchage, ces derniers ont été mis en soute pour manque de place dans un avion bondé, on verra bien.
Escale à Madrid: une lueur d'espoir
À l'escale, une bonne nouvelle: Rima Hassan, eurodéputée de la France Insoumise, la courageuse franco-palestinienne qui avait participé à la mission Flotilla pour briser le blocus maritime de Gaza aux côtés de Greta Thunberg et dix autres militants, a été libérée. Un signe d'espoir dans cette atmosphère étouffante.
Mais la tension monte à l'approche du Caire. Dans l'avion, j'observe discrètement les passagers. Qui, comme moi, n'est pas vraiment un touriste?
Arrivée au Caire: jouer le rôle du voyageur innocent
Après cinq heures de vol, l'avion atterrit sans problème. À ma grande surprise, le doute m'ayant traversé brièvement, les douaniers égyptiens me laissent passer sans même me regarder. Trop facile?
Mon hôtel est discret, à l'écart des zones surveillées. Les organisateurs annoncent un changement de plan: le rendez-vous initial, prévu tôt le matin suivant, est repoussé à midi. Un répit, mais aussi plus de temps pour que les autorités repèrent les militants. L'une d'entre nous dans la délégation helvétique annonce avoir cinq hommes qui la suivent en permanence. Un autre a été arrêté, trahi par l'hôtelier et livré à la police, puis finalement relâché.
La double vie du «touriste» militant
Rester discret demande une certaine attention. Comment passer pour un simple voyageur quand on porte avec soi le souci de la Palestine? Au Caire, les rues sont surveillées, la police très présente, mais cela reste un exercice bien futile comparé à la cause que l'on tente de défendre.
Et demain? Le transport vers El Arish, la marche vers le Sinaï, puis Rafah, sera-t-elle possible? Ou serons-nous interceptés avant même d'avoir pu agir?
Une chose est sûre: malgré les risques d'expulsion, cette mobilisation est nécessaire. Parce que, face à l'indicible, l'inaction est complice. Et parce que parfois, il faut traverser des déserts pour atteindre la justice et la liberté. C'est cela que les palestiniens nous apprennent.
13 juin 2025 - Jour de la marche globale vers Gaza
Avec l'accord tacite de l'Occident, et alors que cette nuit Israël a lancé des frappes aériennes contre l'Iran - lui déclarant de facto la guerre et attisant un peu plus les tensions régionales -, Gaza continue de saigner.
Concernant l'Iran, les médias mainstream parleront sans doute de «frappes préventives»; pour Gaza, ils évoqueront des «émeutes». Mais ne nous y trompons pas: Israël cherche, d'un côté, à saboter tout effort de paix et, de l'autre, à poursuivre son épuration ethnique.
Rien que ces dernières vingt-quatre heures, plus de 200 Palestiniens ont été lâchement tués, la plupart dans des attaques ciblant délibérément des attroupements denses attendant désespérément de la nourriture, sous prétexte d'une soi-disant «aide alimentaire». Une mascarade qui ressemble davantage à la mise en œuvre d'une solution finale.
Dans cette région du monde meurtrie par l'ingérence et la médiocrité occidentales, une marche citoyenne tente de briser le blocus de Rafah.
Après un coup de cravache sur la main et deux coups de poing au visage, je finis par lâcher prise, c'est terminé... Pardonne-moi Palestine, d'avoir échoué. Je reviendrai. Nous reviendrons ! Jamais nous ne vous abandonnerons, jamais.
10h00 - L'attente
Les instructions tardent à venir, noyées dans une multiplicité de canaux: Signal, Telegram, groupes de secours, anciens comptes réactivés. La confusion règne. Je décide de quitter mon hôtel - rester trop longtemps au même endroit devient risqué. Dehors, la présence policière est écrasante: camions anti-émeutes, check-points improvisés, regards suspicieux.
Je me réfugie dans une petite auberge discrète. D'abord seul sur la terrasse, je vois peu à peu d'autres résidents émerger de leurs chambres, probablement chassés par la chaleur étouffante. Tous ont le même comportement: téléphone en main, yeux rivés sur l'écran, l'air tendu.
12h30 - Le signal
Toujours pas de nouvelles instructions. Soudain, j'entends une voix francophone au téléphone: «La marche... Ismaïlia... police... ». Je fais connaissance avec une participante de la délégation italienne. Elle m'apprend que presque tous les résidents de l'auberge font partie de la mobilisation, mais que son groupe hésite encore à se rendre au point de ralliement.
Je sens que notre présence ici n'est plus tenable. Ignorant encore les dernières consignes, je contacte la délégation suisse. Le message est clair: «Départ immédiat pour Ismaïlia. Prévenez les autres.» Mission délicate quand la discrétion est de mise. Je parviens à alerter les Grecs, mais l'atmosphère devient pesante. Les réceptionnistes échangent des regards inquiets. «Il paraît que la police va arriver bientôt», me chuchote la déléguée italienne. La phrase me glace le sang.
7ème étage. Ascenseur en panne. Dans ma précipitation, je commets l'erreur de parler à un Espagnol au look de marcheur qui discutait depuis un moment avec un autre backpacker, je lance un discret «We need to move.» Sa réaction est immédiate: il alerte le réceptionniste en me désignant. Piégé. Il s'agit de policiers en civil. Je suis sous le choc.
13h00 - La fuite
Je dévale les escaliers en tongs, manquant de tomber à plusieurs reprises. Mon cœur bat la chamade. Une pensée m'obsède: les autres vont-ils se faire arrêter à cause de moi?
Je m'enfonce dans les ruelles du Caire, change rapidement de tenue et tente de disparaître. Il me faut un taxi pour Ismaïlia, à 160 km. Le premier chauffeur ne connaît pas le chemin et me partage son WiFi. À peine parti, un nouveau message arrive: «Blocus en place. Ne venez plus.» Je ressors du taxi. Chaos total. Mon eSIM ne fonctionne pas. Après une heure de galère, je trouve enfin une carte SIM locale. Les instructions sont formelles: tenter le passage malgré tout.
14h00 - Le piège d'Ismaïlia
Nouveau taxi, trouvé, le trajet se déroule étrangement bien: nous franchissons deux check-points sans encombre, alors que j'aperçois d'autres manifestants qui se font interpeller sur le bas-côté.
Ismaïlia est un leurre. Les autorités, qui nous ont infiltrés de toutes parts, ont donné l'ordre: aucun étranger ne passera. La ville est officiellement fermée pour une semaine. On nous confisque nos passeports, promettant de nous les rendre si nous rebroussons chemin jusqu'au check point 2. Nous n'avons pas le choix: nous ne nous approcherons pas davantage de nos frères et sœurs palestiniens, l'étau se resserre.
Un militant pro-humanité britannique a plus d'humanité et de courage que l'ensemble des gouvernements arabes.
Environ mille marcheurs sont parvenus au check point 2, sur les trois mille initialement mobilisés. Les autres ont été interceptés: à l'aéroport, dans les hôtels, dans les rues ou directement dans leur taxi. La stratégie égyptienne est implacable: diviser, fracturer pour mieux réprimer. Ils ont bien compris que notre force résidait dans notre unité, et ils ne peuvent le tolérer.
Entre-temps, après plus de six semaines d'attente, l'Égypte a officiellement refusé notre demande de manifester. Une évidence depuis le début. Mais le gouvernement fantoche et dictatorial de Sissi joue un double jeu: il ne peut politiquement pas se montrer trop hostile envers ceux qui défendent les Palestiniens, mais, de facto suit ou se plie aux ordres américains et israéliens. Une première victoire de notre mobilisation aura été de le forcer à montrer son vrai visage.
La résistance et la répression
Au milieu de cette épreuve, une joie pure nous envahit soudain. La magie de ces retrouvailles: nous sommes unis par le même refus de l'injustice. Nos regards se croisent, nos mains se serrent, nos sourires se partagent - à cet instant, nous ne formons plus qu'un seul corps, une seule voix face à l'oppression:
Les organisateurs proposent deux choix: rester et résister ou marcher vers le check-point 1 pour rejoindre les 300 marcheurs bloqués là-bas. Je suggère à la foule de dialoguer par délégation et de nommer un représentant pour harmoniser nos positions. Nous devons rester unis.
Après trente minutes de discussion au sein de la délégation suisse - 83 ressortissants, l'une des plus grande -, on nous informe que les marcheurs du check-point 1 ont été arrêtés et déportés. Ils se trouvaient de toute façon à 35 km, soit plus de huit heures de marche. Nous décidons donc de rester.
Très vite, nous comprenons que les autorités ont tranché: nous expulser de ce lieu où, pourtant, nous ne dérangeons personne. L'image n'est pas glorieuse pour eux. Leur complicité dans le génocide trop flagrante.
La fin du bastion
Depuis le début, la stratégie égyptienne est bien rodée, et franchement intelligente: nous empêcher de nous regrouper, nous fragmenter. Ils ont compris que nous n'existons qu'à travers l'addition de nos humanités.
La tactique finale de délogement est aussi étrange qu'efficace: un mélange de guerre psychologique et de négociation. De jeunes locaux payés par les forces de l'ordre, avec même quelques enfants de moins de 15 ans sont utilisés littéralement comme chiens de garde enragés pour semer le chaos, la peur et le doute. Ils sont accompagnés par des policiers plus calmes, patients, organisés - presque bienveillants -, qui nous extraient un à un de la nasse. La plupart du temps sans violence, par la négociation et la ruse et parfois avec violence, pour persuader davantage encore les plus résistants.
Je fais partie du dernier bastion, avec quelques autres Suisses, un Turc, et surtout des Français exclusivement maghrébins - des hommes de cœur, courageux et généreux ils sont clairement l'honneur de la France. Après un coup de cravache sur la main et deux coups de poing au visage, je finis par lâcher prise, c'est terminé... Pardonne-moi Palestine, d'avoir échoué. Je reviendrai. Nous reviendrons ! Jamais nous ne vous abandonnerons, jamais.
Appel à l'action:
- Joignez les nouvelles marches
- Boycottez l'Égypte complice
- Remplissez vos cœurs d'humanité et d'amour
Source : L'Impertinent