Par Moon of Alabama - Le 23 juin 2025
Plusieurs aspects des attaques américaines et israéliennes contre les installations nucléaires méritent d'être approfondis :
- Problèmes de non-prolifération
- Représailles de l'Iran
- Conséquences d'un comportement illégal
Avant les frappes américaines et israéliennes contre ses installations nucléaires, l'Iran était un membre de longue date du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). L'AIEA, chargée de vérifier le respect du TNP, a pu inspecter les installations iraniennes. Elle savait, au milligramme près, combien d'uranium enrichi l'Iran avait produit et où il était stocké.
Les services de renseignement occidentaux ainsi que l'AIEA ont non seulement confirmé que l'Iran ne possédait pas d'armes nucléaires, mais aussi qu'il n'avait même pas de programme d'armement nucléaire. Il n'y avait aucun projet de fabrication d'armes.
Tout cela est désormais remis en question.
L'objectif du TNP est d'empêcher la prolifération des armes nucléaires et de la technologie des armes et de promouvoir la coopération dans le domaine des utilisations pacifiques de l'énergie nucléaire. C'est cette deuxième partie qui a incité les pays non nucléaires à adhérer au traité.
La demande des États-Unis que l'Iran cesse tout enrichissement d'uranium, nécessaire aux réacteurs nucléaires civils, et l'attaque contre les installations nucléaires pacifiques de l'Iran montrent clairement que l'Iran est privé de tous les éléments positifs promis par le TNP. Il existe également de sérieuses inquiétudes quant au fait que l'AIEA ait divulgué les noms de scientifiques nucléaires iraniens à Israël, ce qui a finalement conduit à leur assassinat.
Du côté iranien, le maintien de son adhésion au TNP et toute coopération avec l'AIEA ont perdu leur raison d'être. Il n'y a plus aucune raison de rester dans le cadre de l'accord. L'Iran est susceptible de quitter le TNP.
Cela ne signifie pas pour autant, et ne rend pas plus probable, que l'Iran va commencer à produire des armes nucléaires. Il existe des raisons fondamentales, liées à la religion, pour lesquelles il s'est jusqu'à présent abstenu de le faire. Celles-ci n'ont pas changé.
L'Iran a déclaré avoir transféré tout l'uranium enrichi de son site d'enrichissement de Fordow peu avant l'attaque américaine contre l'installation :
Une source iranienne haut placée a déclaré à Reuters qu'avant l'attaque américaine contre le site nucléaire de Fordow hier soir (dimanche), tout le stock d'uranium enrichi du site avait été transféré vers un autre endroit.Au même moment, des images satellites ont capturé un important convoi se déplaçant près de l'installation nucléaire souterraine deux jours avant l'attaque. On pense qu'il s'agit peut-être d'une preuve du transfert du matériel enrichi.
Quelque 400 kilogrammes d'uranium, enrichi à 60 % en isotopes U-235 nécessaires aux réactions de fission en chaîne, ont été mis à l'abri. L'AIEA ignore où ils se trouvent. L'Iran dispose également d'un nombre suffisant de centrifugeuses modernes nécessaires à la poursuite de l'enrichissement. Il peut en produire davantage s'il en a besoin. L'Iran possède également plusieurs autres bunkers, similaires aux sites de Fordow et Natanz, qui ont été construits et équipés pour accueillir à terme des installations d'enrichissement supplémentaires. Ces sites ne sont pas (encore) connus de l'AIEA et n'ont jamais été inspectés.
Je m'attends à ce que l'Iran se retire du TNP. Il fera preuve d'opacité concernant son programme nucléaire. Il ne divulguera plus où il compte utiliser les matières nucléaires dont il dispose. L'AIEA ne sera plus autorisée à en avoir connaissance. Cela fera de l'Iran un État doté d'une arme nucléaire « latente », même s'il s'abstient de se doter d'une arme nucléaire.
Certains pourraient objecter que l'Iran ne fera pas cela, car cela augmenterait le risque de nouvelles attaques américaines à son encontre.
Allô ? Les États-Unis viennent d'attaquer l'Iran sans AUCUNE raison. Ils sont susceptibles de le faire à nouveau, que l'Iran respecte ou non les règles du TNP.
Le fait d'être un État doté d'armes nucléaires « latent » constitue un moyen de dissuasion supplémentaire. Plus l'Iran restera dans cet état, plus le risque pour tout agresseur d'être riposté par des moyens nucléaires sera élevé.
Les attaques contre les installations nucléaires iraniennes n'ont pas été menées pour empêcher l'Iran de se doter d'armes nucléaires. Elles visent à provoquer une réponse violente qui pourra ensuite être utilisée pour lancer une guerre totale dans le but ultime de renverser le régime iranien.
Le gouvernement israélien a lancé ses attaques contre l'Iran sous le nom de code « Rising Lion ».
Le drapeau du haut est celui de la République islamique d'Iran. Le drapeau du bas, représentant un lion devant le soleil levant, est le drapeau de l'Iran sous l'ancienne dictature du Shah. Les États-Unis et Israël promeuvent actuellement le fils du Shah d'Iran déchu comme futur dirigeant du pays. « Rising Lion » était et reste donc une référence évidente à une opération de changement de régime en Iran.
Il n'existe toutefois pas de moyen facile de changer le régime en Iran. La société iranienne soutient largement son gouvernement. Ce gouvernement est bien établi et considéré comme légitime. Il ne dépend pas d'une seule personne. Même le guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, est facilement remplaçable. L'armée régulière est contrebalancée par le Corps des gardiens de la révolution islamique. Cela rend impossible tout complot de coup d'État militaire.
À moins d'une invasion étrangère à grande échelle, soutenue par telle ou telle minorité en Iran, il n'y a aucune chance de renverser la République islamique. Les États-Unis ne disposent plus de l'armée du temps de la guerre froide qui aurait pu potentiellement le faire.
L'Iran est susceptible de prendre des mesures supplémentaires pour se venger de l'attaque contre ses installations nucléaires. Il pourrait bien lancer une frappe symbolique contre une base américaine dans le Golfe. Mais il est peu probable qu'il lance une attaque totale contre tous les actifs américains dans la région du Golfe. C'est toujours une option, mais elle sera réservée pour plus tard.
Toute mesure prise aujourd'hui en réponse aux attaques contre ses installations nucléaires sera probablement conçue pour ne PAS donner aux États-Unis un prétexte pour lancer de nouvelles attaques contre l'Iran.
Le principal ennemi de l'Iran reste Israël. L'Iran a engagé une guerre d'usure contre ce pays. Les attaques quotidiennes par drones et missiles à moyenne portée contre Israël visent à épuiser ses défenses aériennes. Ce n'est qu'une fois cet objectif atteint que les frappes deviendront plus sérieuses. Israël dépend des défenses aériennes fabriquées et fournies par les États-Unis. Leur production est limitée et dépend de la disponibilité de matériaux rares. La Chine refuse actuellement d'accorder des licences pour les terres rares aux fabricants d'armes américains. Cela réduira encore la disponibilité des équipements de défense aérienne.
Israël sait qu'il ne peut pas soutenir une guerre d'usure avec l'Iran :
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a déclaré dimanche qu'Israël souhaitait éviter une « guerre d'usure » avec l'Iran, selon le Times of Israel.« Nous n'irons pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre [nos objectifs], mais nous n'arrêterons pas trop tôt non plus », aurait déclaré Netanyahou.
Ce n'est pas à Netanyahou de décider quand la guerre actuelle prendra fin. (Tout comme ce n'est pas à Zelenski de décider quand il y aura un cessez-le-feu en Ukraine.) Israël s'est engagé dans une guerre d'usure. L'Iran continuera à la mener.
Comme indiqué, l'Iran évitera autant que possible une guerre directe avec l'armée américaine. Mais il mettra en œuvre des mesures qui mettront les États-Unis sous pression autant que possible. Il est probable qu'il fermera le détroit d'Ormuz à tous les transports d'énergie destinés aux pays qui soutiennent ses ennemis. Les transports vers la Chine, l'Inde et les pays du Sud continueront. Les alliés des États-Unis en Europe et en Asie, ainsi que les États-Unis eux-mêmes, en souffriront. Les prix du pétrole augmenteront, du moins pour ceux qui s'opposent à l'Iran.
Pour mettre cela en œuvre, il n'est même pas nécessaire de prendre des mesures ouvertement hostiles. Il suffit de faire des annonces fracassantes et de provoquer quelques explosions à proximité des pétroliers qui font route du Golfe vers Rotterdam pour priver ces transports de toute assurance. Les marchés « libres » mondiaux en subiront les conséquences.
Lorsque le prix du pétrole dépassera les 100 dollars le baril, l'économie américaine entrera en récession. Lors des élections de mi-mandat, le Parti républicain perdra la majorité à la Chambre des représentants et au Sénat. Trump deviendra un canard boiteux.
Trump a attaqué l'Iran sans même tenter de fournir une justification valable. Il n'y a pas eu d'incident sous faux pavillon ni d'argument sérieux concernant des armes de destruction massive. Les États-Unis ont attaqué l'Iran simplement parce qu'ils le pouvaient.
Trump enfreint ainsi non seulement la Constitution américaine, qui exige que ce soit le Congrès qui déclare la guerre, mais la guerre d'agression menée par les États-Unis contre l'Iran constitue également une violation de la Charte des Nations unies. Ses attaques contre des installations nucléaires civiles constituent une violation des protocoles additionnels de la Convention de Genève qui les interdisent.
Nous sommes désormais dans un nouveau désordre mondial :
La première conséquence majeure, en termes plus généraux, est que cette frappe a porté un coup fatal et irréparable au peu qui restait du cadre juridique et institutionnel international d'après-guerre. Cet ordre était déjà en lambeaux, déchiré par un an et demi de génocide et de nettoyage ethnique soutenus par l'Occident à Gaza. Mais cette dernière attaque le rend officiel : les puissances occidentales ne ressentent plus le besoin de dissimuler leurs actions sous le couvert de la légalité, de la moralité ou même d'une façade de légitimité diplomatique....
Aujourd'hui, même cette prétention a disparu. À Gaza, et maintenant avec les frappes contre l'Iran, les gants sont complètement tombés. Nous assistons à un retour à une sorte d'anarchie mondiale, une loi du plus fort où rien n'est interdit : ni le massacre de civils, ni le bombardement de sites nucléaires, ni même la mise à l'écart totale des institutions internationales.
Le fait que les États-Unis agissent ainsi, avec le soutien ouvert de leurs mandataires européens, constitue non seulement un danger pour le système international, mais aussi pour la population de ces pays :
Ce n'est pas seulement une menace pour la sécurité internationale. C'est aussi une menace profonde pour le peu de libertés qui nous restent en Occident même. Ne vous y trompez pas : l'adhésion ouverte des classes dirigeantes occidentales au gangstérisme mafieux à l'étranger signifie également qu'elles n'hésiteront pas à balayer toutes les contraintes éthiques, juridiques, constitutionnelles et démocratiques qui font encore obstacle à leur tentative désespérée et hallucinatoire de préserver un ordre en ruine.
Nous l'avons déjà vu dans la répression illégitime des manifestations contre le génocide à Gaza. Cela va se multiplier à partir de là. L'Occident glisse lentement mais sûrement de l'état de « droit » vers les ténèbres d'un fascisme sans limites. C'est à nous d'empêcher cela.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.