24/06/2025 2 articles basta.media  7min #282173

Face aux attaques sur l'énergie solaire, des centrales villageoises résistent

Des sociétaires et bénévoles réunis devant la Centrale Villageoise de la commune des Haies, le 14 juin 2025.
© Sophie Chapelle

C'est une des premières initiatives françaises qui permet la reprise en main des choix énergétiques à l'échelle locale et de manière coopérative. Sur la commune des Haies, dans le Rhône, la première centrale photovoltaïque villageoise a été mise en production en 2014. Dans ce village de 740 habitant·es, huit bâtiments publics et privés, dont l'école, la mairie et la salle polyvalente, ont été équipés de toitures solaires.

Grâce à l'épargne citoyenne, ces 523 mètres carrés de panneaux produisent à l'année 85 mégawattheure (Mwh), soit la consommation en électricité d'une trentaine de foyers. Chacune des huit installations est raccordée au réseau public de distribution d'électricité et y injecte sa production électrique.

Le 14 juin 2025, 25 personnes se sont retrouvées sur la commune des Haies pour une randonnée à vélo visant à découvrir les 13 installations solaires des Centrales villageoises de la région de Condrieu.

©CRVC

« Tout était à inventer », se souvient Vincent Bracco, un des membres fondateurs de la centrale villageoise. Dans les années 2010, « les parcs naturels étaient démarchés pour de gros projets photovoltaïques au sol qui supposaient de raser les forêts. On était motivés pour développer les renouvelables mais on avait conscience que si on laissait faire, ce serait n'importe quoi ! » L'idée grandit de produire de l'énergie renouvelable, en commençant par le solaire, avec la participation des citoyen·nes et le soutien des collectivités.

Les huit installations photovoltaïques ont été financées à hauteur de 47 500 euros par des actionnaires locaux, majoritairement citoyens.

©CRVC

« Les parcs naturels régionaux du Pilat et du Vercors avaient la volonté de travailler sur le projet, ainsi que la communauté de communes, indique Vincent Bracco. Sur les Haies, des élus dont le maire ainsi que des habitants étaient motivés pour constituer un premier noyau. » Les toitures de ce village connaissent une belle exposition au soleil, nichées près des vignobles des Côtes de Condrieu. Mais il y a aussi, et surtout, une équipe d'une dizaine de bénévoles motivés et pleins d'énergie.

Face à la complexité de produire soi-même son électricité, ce petit groupe, accompagné par un juriste, crée la SAS CRVC, pour Centrales villageoises de la région de Condrieu, en 2014. Dans leur modèle de fonctionnement, chaque personne dispose d'une voix lors des prises de décisions. Les huit installations photovoltaïques sont alors financées à 33 % par des actionnaires locaux, majoritairement citoyens. Le choix d'implantation des panneaux est débattu collectivement. Pour ce projet, les panneaux choisis sont de fabrication européenne et des entreprises locales réalisent l'installation.

77 centrales villageoises en métropole

Parti d'une commune rurale, ce projet fait éclore  le modèle des centrales villageoises. Pas de grand groupe pour produire : juste des habitant·es qui choisissent de participer activement à une production d'énergie verte, locale et collective. Le réseau comptabilise aujourd'hui 77 centrales dans dix régions avec 8000 citoyen·nes actionnaires.

Depuis 2018, les centrales solaires villageoises se sont dotées d'une association mère pour chapeauter un réseau en expansion. Elles partagent de nombreux outils : site internet, formation juridique, police d'assurance...

© Centrales villageoises

L'ensemble de ces centrales villageoises sont des sociétés locales à gouvernance citoyenne - sous forme de société par actions simplifiée (SAS) ou de société coopérative d'intérêt collectif (Scic) - qui associent citoyen·nes, collectivités et entreprises locales. Les habitant·es peuvent participer de plusieurs manières. Il est possible de prendre des parts dans la société - sachant que le nombre d'actions par actionnaire est limité -, de mettre son toit à disposition si on est propriétaire, ou bien encore de proposer bénévolement ses compétences.

Lors de l'installation, la société devient propriétaire des panneaux en toiture : elle les exploite et vend l'électricité produite sur le réseau. Les installations sont toutes d'une taille inférieure à 100 kilowatt-crête (kWc) chacune, ce qui leur permet de bénéficier d'un tarif d'achat fixé par le gouvernement. Les recettes issus de la vente d'électricité permettent à la société de payer des charges (maintenance, assurances, loyers, etc.) et alimentent les bénéfices.

Ceux-ci peuvent permettre de lancer d'autres projets d'installation d'énergie renouvelable, ou être distribués sous forme de dividendes aux actionnaires, selon le vote en assemblée générale. « Ce n'est pas la bourse », prévient, en souriant, Odile Delorme, qui préside actuellement la SAS CRVC. Les actionnaires ont ainsi décidé de ne pas se verser de dividendes depuis la création, mais plutôt d'investir dans de nouveaux projets et de valoriser l'action de 30 % en dix ans (le montant d'une action est aujourd'hui de 65 euros, contre 50 euros au départ).

Se développer dans un contexte mouvant

Autour du village des Haies, les centrales villageoises ont essaimé. Quatre autres communes (Condrieu, Chuyer, Ampuis, Saint-Michel-sur-Rhône), dans un rayon de quinze kilomètres, ont décidé d'équiper leurs bâtiments pour revendre de l'électricité renouvelable. Depuis dix ans, 200 actionnaires ont rejoint l'aventure, essentiellement des citoyen·nes.

Une randonnée à vélo a été organisée le 14 juin 2025 à travers les cinq communes qui ont rejoint la SAS CRVC. La commune d'Ampuis a notamment équipé avec des panneaux photovoltaïques la toiture de son stade de rugby de 489m2. Soit 99,8 KwC.

© SAS CRVC

Au total, la SAS CRVC comptabilise 1658 mètres carré de surface photovoltaïque, ce qui permet de produire 350 Mwh/an. Historiquement, le modèle privilégié était la vente totale de l'électricité à la société EDF Obligation d'achat, une filiale d'EDF chargée d'acheter l'électricité renouvelable produite par les particuliers et les professionnels. Dans ce cas là, le propriétaire du bâtiment s'approvisionne auprès de son fournisseur d'électricité, sans lien avec la production photovoltaïque.

Plus récemment, certaines centrales villageoises mettent en place des opérations d'autoconsommation collective qui permettent aux consommateurs situés à proximité des centrales de production d'acheter de l'électricité en direct auprès du producteur. C'est le  choix récemment opéré par la commune de Lucinges en Haute-Savoie, et qu'envisage aussi de déployer la SAS CRVC dans le village de Trèves.

« Le contexte est mouvant », déplore Vincent Bracco qui pointe les changements réguliers de tarification pouvant plomber des budgets. En mars dernier, le gouvernement a ainsi pris un arrêté qui a marqué un coup d'arrêt brutal aux projets photovoltaïques de moins de 500 kWc. En l'occurrence ce sont tous les projets solaires sur les moyennes toitures qui sont visés. « Les tarifs ont longtemps été plus intéressants pour les petits toits », note Tim Bodo, salarié depuis quelques mois de la SAS CRVC. Il existe d'autres solutions maintenant pour les particuliers », ajoute l'homme, comme  les kits d'autoconsommation individuelle.

Le 19 juin dernier, l'Assemblée nationale a adopté un moratoire sur le photovoltaïque et l'éolien, avec les voix de la droite et du RN. Le vote marque, selon l'association Centrales villageoises, « le point d'orgue d'attaques et de régressions sur les énergies renouvelables que nous observons depuis le début de l'année ». Sur Linkedin, l'association pointe « le degré de déconnexion entre l'adhésion massive de la population à cette forme d'énergie et les politiques idéologiques d'hier, poussées par une partie grandissante de la classe politique. » Selon un sondage mené par l'institut YouGov l'année dernière, huit français sur dix sont favorables au développement des énergies renouvelables sur le territoire.

Boîte noire 

Je réside près de la commune des Haies et j'ai souscrit une action à 50 euros lors de la première assemblée générale de la SAS CRVC. Je n'ai jamais perçu de dividende sur ce projet. La manière dont ce projet pionnier d'épargne citoyenne en faveur des renouvelables a essaimé en plein milieu rural, a confirmé l'envie de le faire connaitre auprès des lectrices et lecteurs de Basta!.

 Sophie Chapelle

Journaliste, basée en région lyonnaise : je m'occupe en priorité des sujets liés à l'écologie. Passionnée par les questions agricoles et alimentaires, je multiplie enquêtes et reportages depuis plus de dix ans, pour mieux comprendre les dessous de nos assiettes. Repérer et raconter des alternatives qui font système fait aussi partie de mon travail. Officie également pour le mensuel Campagnes solidaires. Retrouvez moi sur  Mastodon,  Bluesky et  LinkedIn

 basta.media