Par M.K. Bhadrakumar - Le 3 juillet 2025 - Source Indian punchline
Le 1er juillet, avez-vous entendu le craquement de la glace se brisant sur le lac gelé des relations russo-françaises ? La décision du président Vladimir Poutine de prendre un appel téléphonique ce jour-là de son homologue français Emmanuel Macron, pour la première fois depuis septembre 2022, signifie que le discours occidental visant à « effacer » la Russie avec une guerre par procuration en Ukraine s'est complètement effondré.
Cette stratégie, qui visait à donner une image hostile de la Russie, reposait sur l'idée saugrenue que le Kremlin avait l'intention d'envahir l'Europe, mais elle n'a plus aucun sens aujourd'hui, car les principaux protagonistes de la guerre par procuration dans le camp occidental (États-Unis, Royaume-Uni, France et Allemagne) se rendent compte que la guerre est irrémédiablement perdue et qu'il est temps de passer à autre chose.
Les premiers signes sont apparus lors des récents sommets du G7 et de l'OTAN le mois dernier. Suite aux nouvelles du sommet de l'OTAN, Poutine a depuis donné son feu vert à un sommet russo-américain dans un avenir proche, ce que le président Trump recherchait. (Voir mon article Trump pousse l'Europe à se montrer plus indulgente envers la Russie, Deccan Herald, 1er juin 2025).
C'est maintenant au tour de Macron de synchroniser sa montre. Selon certaines rumeurs, le chancelier allemand pourrait très bientôt suivre les traces de Macron.
De toute évidence, Poutine et Macron voient la nécessité de renouer le dialogue afin de ramener les relations russo-françaises à une nouvelle normalité. On se rend de plus en plus compte que la demande de la Russie de négocier une architecture de sécurité pour l'Europe, qui était l'une des principales exigences du Kremlin lorsqu'il a opté pour les opérations militaires spéciales en Ukraine en février 2022, semble lentement mais sûrement gagner du terrain auprès de Trump. Ce dernier a commencé à assouplir unilatéralement certaines sanctions financières contre la Russie, ce qui signifie également qu'il prend le contrôle des mesures imprudentes de l'Union européenne à l'égard de la Russie. Cette hypothèse est peut-être prématurée, mais elle est tout à fait logique.
D'après le compte rendu russe de la conversation entre Poutine et Macron, il ressort que la discussion a porté sur deux sujets : la situation critique au Moyen-Orient et la guerre en Ukraine. La discussion, qui a duré deux heures, a certainement dépassé le cadre d'un simple échange approfondi.
Le communiqué russe adopte une note positive dans l'ensemble, indiquant qu'au moins en ce qui concerne la situation au Moyen-Orient, malgré les désaccords et l'acrimonie passés, les deux pays pourraient trouver un terrain d'entente sur la situation en Iran à la suite de l'attaque américaine, dans la mesure où ils « ont une responsabilité particulière dans le maintien de la paix et de la sécurité » en Asie occidentale en tant que membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies « ainsi que dans la préservation du régime mondial de non-prolifération ».
Il est significatif que les deux dirigeants aient « noté qu'il était essentiel de respecter le droit légitime de Téhéran à développer une technologie nucléaire pacifique et à continuer de remplir ses obligations au titre du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, qui comprend la coopération avec l'AIEA ». Il s'agit là d'une position constante de la Russie, à laquelle la France semble adhérer.
Cette conversation tombait à point nommé, car les E-3 [France, Grande-Bretagne et Allemagne] doivent désormais notifier au Conseil de sécurité des Nations unies leur intention d'invoquer le « mécanisme de rétablissement » afin de réimposer le régime de sanctions à l'Iran [au motif que l'Iran a violé les dispositions du JCOPA], l'accord de 2015 devant expirer en octobre. Le temps presse.
La particularité du « mécanisme de rétablissement » est qu'il est à l'abri du veto de tout membre permanent (dans ce cas, la Russie ou la Chine). Ironiquement, cette idée inhabituelle est venue des négociateurs russes afin de garantir aux Européens que l'Iran avait l'intention de respecter la lettre et l'esprit du JCPOA pendant les dix années à venir, jusqu'en octobre de cette année.
Les États-Unis ne sont plus habilités à invoquer le JCPOA et la décision est difficile à prendre pour les E-3 dans les circonstances actuelles, car l'Iran pourrait tout à fait se retirer du Traité de non-prolifération nucléaire [TNP] si les choses se gâtent, de sorte qu'il ne serait plus tenu de rendre des comptes à l'ONU.
La formulation du communiqué russe - « pour préserver le régime mondial de non-prolifération » - indique que la Russie et la France ont tout intérêt à ce que l'Iran reste membre du TNP. La grande question est la suivante : assistons-nous à l'ébauche d'une solution au problème, fondée sur une certaine flexibilité de la part des États-Unis qui concéderaient à l'Iran le droit d'enrichir de l'uranium ?
Une telle possibilité ne peut être exclue, même si Israël ne renoncera pas à sa position maximaliste selon laquelle l'Iran ne devrait avoir aucun droit d'enrichir de l'uranium, malgré le TNP.
En fin de compte, la Russie et la France ont souligné la nécessité impérative de « régler la crise autour du programme nucléaire iranien et tout autre différend surgissant au Moyen-Orient exclusivement par des moyens politiques et diplomatiques ». Poutine et Macron ont convenu de « rester en contact afin de coordonner leurs positions si nécessaire » dans le contexte actuel d'instabilité où tout peut changer.
Il est intéressant de noter que la veille de sa conversation avec Poutine, Macron s'était entretenu au téléphone avec le président iranien Masoud Pezeshkian, auquel il a fait part de ses inquiétudes concernant la décision de Téhéran de suspendre sa coopération avec l'Agence internationale de l'énergie atomique.
En ce qui concerne la guerre en Ukraine, les positions russe et française restent très éloignées. Cela n'a rien de surprenant. Poutine n'est pas près de changer d'avis, comme le souligne clairement le communiqué. Quoi qu'il en soit, la Russie compte sur les États-Unis comme principal interlocuteur. Et la révélation que les livraisons d'armes américaines à l'Ukraine ont pratiquement cessées est un signal fort pour les Européens, qui doivent repenser leurs propres engagements.
Macron se retrouve dans une situation délicate, comme jamais auparavant ces dernières années. L'axe franco-allemand ne fonctionne plus au sein de l'Union européenne. Macron s'est rapproché du Premier ministre britannique Keir Starmer, mais ce dernier est lui-même confronté à des critiques cinglantes au sein du Parti travailliste, qui lui reprochent de s'être trop impliqué en Ukraine au détriment des questions nationales. Le Parti travailliste est désormais devancé par le parti populiste Reform UK de Nigel Farage dans les sondages d'opinion.
Quoi qu'il en soit, Starmer a abandonné l'idée folle d'une « coalition des volontaires » pour poursuivre la guerre en Ukraine même sans les États-Unis. Macron se retrouve donc dans une impasse, Trump le tenant à distance. En marge du sommet du G7, Trump a publiquement ridiculisé Macron. Il y a des signes montrant que la France bat déjà en retraite sur la guerre en Ukraine. Poutine comprend tout cela, mais il ne l'a pas montré.
Poutine et Macron se connaissent depuis longtemps. Mais ils semblent avoir décidé d'oublier qu'en mars dernier encore, ils s'insultaient mutuellement.
M.K. Bhadrakumar
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.