10/07/2025 legrandsoir.info  7min #283714

Le sujet révolutionnaire, Lfi et les autres

Emmanuel KOSADINOS

Alors que les formes classiques de la révolution et les partis traditionnels peinent à répondre aux défis du XXIᵉ siècle, une question centrale resurgit : qui sont les sujets révolutionnaires d'aujourd'hui et comment s'organisent-ils ? En croisant les apports de Marx, Fanon, Foucault et des mouvements sociaux contemporains, cet article explore les multiples figures de l'émancipation collective. Il met en lumière le cas de La France insoumise (LFI), qui apparaît comme la formation politique la plus aboutie en Europe, articulant programme de rupture, ancrage populaire et innovations organisationnelles, dans l'intérêt des classes travailleuses, des jeunes et des citoyens non privilégiés.

Introduction

La notion de « sujet révolutionnaire » traverse la pensée politique et sociale depuis deux siècles. Concept au croisement de la philosophie, de l'histoire et de l'action collective, il incarne le passage de l'oppression à l'émancipation. Dans le contexte contemporain, où les formes de domination se recomposent et où les mouvements politiques cherchent de nouvelles voies, il est pertinent d'interroger à nouveau cette figure : où se situe le sujet révolutionnaire aujourd'hui ? Que répond La France insoumise (LFI) à cette questio  ? Et comment se situe-t-elle par rapport aux héritages révolutionnaires et aux autres forces politiques contemporaines ?

I. Le sujet révolutionnaire : de Marx à Fanon

Dans le marxisme classique, le sujet révolutionnaire s'incarne dans la classe ouvrière industrielle. Le prolétariat, par sa position dans les rapports de production capitalistes, est censé posséder une vocation historique : renverser la bourgeoisie et instaurer une société sans classes. Marx et Engels, dans le Manifeste du Parti communiste, définissent ce sujet par sa conscience politique et sa capacité d'organisation collective.

Avec Frantz Fanon, le sujet révolutionnaire se déplace vers les peuples colonisés. Dans Les Damnés de la Terre, la lutte révolutionnaire ne vise plus seulement la domination économique, mais aussi l'aliénation psychologique et culturelle. La violence devient le moyen paradoxal de réhumanisation des dominés. Fanon révèle ainsi une autre modalité de la subjectivation politique, enracinée dans l'histoire coloniale.

Michel Foucault, quant à lui, rompt avec toute essentialisation du sujet révolutionnaire. Pour lui, le sujet est un produit des rapports de pouvoir, toujours situé, fragmenté, et constitué par des processus de subjectivation. La révolution devient un enchevêtrement de résistances et de pratiques locales, plus qu'un grand récit linéaire.

II. Le XXIe siècle : pluralité, intersectionnalité et subjectivation

Le sujet révolutionnaire du XXIe siècle n'est plus homogène. Il est désormais traversé par une pluralité d'identités : genre, race, classe, écologie, statut migratoire, orientation sexuelle. Comme le souligne David Harvey, la classe ouvrière ne disparaît pas mais se féminise, se racialise, se disperse. L'intersectionnalité devient un outil précieux pour penser ces imbrications sans rompre avec une lecture matérialiste du monde.

Les contenus révolutionnaires s'élargissent aussi : à la redistribution économique s'ajoutent la justice climatique, la lutte contre les violences systémiques, l'émancipation des minorités. Judith Butler, dans sa  Théorie performative de l'assemblée, insiste sur la performativité des rassemblements : c'est dans l'acte de s'assembler, de résister collectivement, que se forme le sujet révolutionnaire.

Mais cette pluralité pose aussi une question stratégique : comment dépasser la fragmentation et construire une praxis commune ? Comment articuler luttes locales et changement global ?

III. Organisation politique et invention collective

Historiquement, les révolutions s'appuyaient sur des partis centralisés, inspirés du modèle léniniste : discipline, hiérarchie, avant-garde. Ce modèle, bien qu'efficace en certaines circonstances, a aussi produit des dérives bureaucratiques et autoritaires.

Les mouvements récents, comme Occupy, les Gilets jaunes ou les ZADs, privilégient l'horizontalité, l'auto-organisation, la rotation des porte-parole. Leur force réside dans leur résilience, leur capacité d'innovation, mais ils peinent parfois à produire une stratégie politique à long terme. Le défi est alors d'organiser l'inorganisable, sans retomber dans les travers de l'autoritarisme.

IV. La France insoumise (LFI) : un modèle hybride

LFI occupe une position originale dans ce paysage. Ni parti classique ni simple collectif, elle se structure autour de groupes d'action locaux, d'une plateforme numérique (Action populaire), et d'une coordination nationale souple. Sa Feuille de route 2025 affiche des objectifs clairs : ancrage territorial, auto-organisation, formation des militants, défense contre la répression, internationalisme de rupture.

Contrairement aux partis traditionnels comme le PS ou le PCF, LFI mise sur une horizontalité relative, sans renoncer à une cohérence stratégique nationale. Elle intègre certaines aspirations post-2008 : démocratie directe, pluralisme, inclusion des luttes féministes, écologistes, antiracistes. Son organisation tente de répondre aux défis de la multiplicité des sujets révolutionnaires actuels.

Parmi les organisations politiques issues des mouvements du début du XXIe siècle, La France Insoumise (LFI) apparaît comme le cas le plus abouti. Elle constitue, au moins à l'échelle européenne, la formation politique qui se rapproche le plus d'un modèle organisationnel et programmatique capable de porter une véritable rupture avec le capitalisme - dans l'intérêt des classes travailleuses, des jeunes, et du grand nombre de citoyens non privilégiés. Ce potentiel tient autant à sa capacité à structurer un programme cohérent qu'à son ancrage réel dans de larges secteurs de la société. Cet ancrage reste perfectible : il nécessite d'être approfondi, élargi, consolidé. Mais en l'état, LFI surpasse, en cohérence comme en rayonnement populaire, toute autre organisation politique démocratique, populaire et anticapitaliste en Europe aujourd'hui.

Mais des tensions demeurent : comment éviter une bureaucratisation numérique ? Comment préserver l'initiative militante sans perdre l'efficacité stratégique ? Comment relier l'autonomie des territoires et l'unité politique ?

V. LFI comparée à d'autres mouvements politiques

Comparée à Podemos, au Mouvement 5 étoiles ou à des modèles comme Barcelona en Comú, LFI se distingue par une plus grande stabilité et une moindre personnalisation du leadership. Elle refuse le centralisme démocratique tout en conservant des formes de coordination. Elle ne se contente pas d'occuper le terrain électoral, mais revendique une stratégie de construction de contre-pouvoirs durables (communes, assemblées populaires, syndicats de base).

Toutefois, la dépendance à des outils numériques centralisés, la technicisation croissante de l'organisation, ou encore l'absence de débats programmatiques ouverts, constituent autant de fragilités. LFI devra choisir si elle veut être un simple instrument électoral ou un vecteur de subjectivation révolutionnaire.

Conclusion : refonder le sujet révolutionnaire

Le sujet révolutionnaire du XXIe siècle est une figure mouvante. Ni pur prolétaire, ni masse indistincte, il est pluriel, intersectionnel, situé au croisement de multiples mouvements populaires. Il se forme dans les luttes, les solidarités, les expériences partagées.

La France insoumise, en expérimentant une organisation souple et militante, ouvre des pistes mais ne les épuise pas.

Repenser le sujet révolutionnaire implique d'articuler la mémoire des luttes passées et les nouvelles conflictualités, la dialectique des classes et les résistances minoritaires, les aspirations démocratiques et la radicalité anticapitaliste. Il ne s'agit pas de remplacer un sujet par un autre, mais de construire des alliances stratégiques, conscientes, capables de transformer le monde.

La révolution n'est pas un processus du passé. Aujourd'hui elle se cherche de nouveaux corps, de nouvelles voix, de nouvelles formes. LFI et d'autres mouvements ont entre leurs mains une tâche historique : rendre possible l'irruption de ces sujets en devenir, porteurs d'une autre société.

Bibliographie choisie

1. Butler, Judith (2016). Notes Toward a Performative Theory of Assembly. Harvard University Press.

2. Lordon, Frédéric (2021). Figures du communisme. La Fabrique.

3. Harvey, David (2020). Anti-Capitalist Chronicles. Pluto Press.

4. Klein, Naomi (2019). On Fire : The Burning Case for a Green New Deal. Simon & Schuster.

5. Garo, Isabelle (2019). Communisme et stratégie. La Dispute.

6. Fanon, Frantz (1961 / rééd. 2021). Les Damnés de la Terre. La Découverte.

7. Assemblée représentative de LFI (2023). "Feuille de route 2025 de La France insoumise. Mouvement LFI".

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