12/07/2025 ssofidelis.substack.com  10min #283931

Kaja Kallas, la véritable et la pire menace pour l'Ue

Par  Thomas Fazi, le 11 juillet 2025

Si Ursula von der Leyen a survécu au vote de défiance d'hier, celui-ci a révélé le mécontentement croissant des différents partis à l'égard de son leadership de plus en plus autocratique. Le soutien à la présidente de la Commission européenne est en déclin.

L'évolution la plus notable est celle du groupe de droite ECR, qui comprend les FdI de Meloni. Auparavant, ces députés européens ont soutenu von der Leyen sur plusieurs propositions clés, mais seuls quelques-uns ont voté contre cette motion, la plupart ayant choisi de ne pas voter du tout. Le soutien dont a bénéficié la motion au-delà de ses organisateurs populistes de droite est également révélateur : plusieurs députés européens du groupe The Left ainsi que des députés populistes de gauche non affiliés, allemands notamment, l'ont également soutenue. Au total, von der Leyen a obtenu l'appui de 360 députés européens, soit 40 de moins qu'en 2024 lors de sa nomination.

Un point de convergence essentiel entre ces groupes politiques divergents est leur opposition partagée à la ligne dure de la Commission dans le conflit entre la Russie et l'Ukraine. La motion de censure faisait en effet également référence à la proposition de la Commission de recourir à une clause d'urgence du traité de l'UE pour empêcher les députés européens d'approuver un plan de prêt de 150 milliards d'euros destiné à financer l'achat conjoint d'armes par les pays de l'UE, principalement pour accroître le soutien militaire à l'Ukraine.

Cependant, il ne faut pas oublier que la motion de censure visait non seulement Mme von der Leyen, mais aussi l'ensemble de sa Commission, en particulier sa numéro deux, Kaja Kallas, vice-présidente de la Commission et haute représentante pour les Affaires étrangères, l'équivalent d'un ministre des Affaires étrangères au sein de l'UE.

Kallas, ex Premier ministre de l'Estonie, un pays de seulement 1,4 million d'habitants, soit moins que Paris, a été confirmée en décembre dernier au poste de haute représentante de l'Union européenne pour les Affaires étrangères. Depuis, la "diplomate" la plus imprudente et la plus incompétente au monde incarne plus que quiconque ce mélange toxique d'incompétence, de non pertinence et de stupidité pure et simple qui caractérise l'UE.

À l'heure où la guerre en Ukraine est sans conteste le principal défi de la politique étrangère européenne, il est difficile d'imaginer quelqu'un de moins apte à remplir ce rôle que Kallas, dont l'hostilité profonde envers la Russie frôle l'obsession. Dès son premier jour en fonction, lors d'un voyage à Kiev, elle a  tweeté : "L'Union européenne veut que l'Ukraine gagne cette guerre", une déclaration qui a immédiatement suscité  un malaise à Bruxelles, où les responsables l'ont jugée en décalage avec le langage établi de l'UE depuis deux ans de guerre. "Elle se comporte toujours comme un Premier ministre", a commenté un diplomate.

Quelques mois avant sa nomination, elle a  proposé de morceler la Russie en "petits États" et, depuis, a appelé à plusieurs reprises au rétablissement complet des frontières de l'Ukraine de 1991, y compris la Crimée, position qui exclut de facto toute négociation. Alors que même Donald Trump a reconnu qu'une adhésion de l'Ukraine à l'OTAN était irréaliste, Mme Kallas insiste pour que cet objectif soit maintenu, alors que la Russie considère cette perspective comme une ligne rouge depuis près de deux décennies. Elle a même déclaré : "Si nous ne pouvons pas mieux aider l'Ukraine, nous devrons tous nous mettre à apprendre le russe". Peu importe que la Russie n'ait aucune motivation stratégique, militaire ou économique d'attaquer l'UE. Au début de l'année, elle a dénoncé les tentatives de Trump de négocier la fin de la guerre, les qualifiant de "deal douteux", d'où la brusque annulation d'une réunion prévue avec elle en février par le secrétaire d'État américain Marco Rubio.

Son obsession pour la Russie l'a quasiment réduite au silence sur toutes les autres questions de politique étrangère.  Selon l'ancien diplomate britannique Ian Proud, qui a servi à l'ambassade britannique à Moscou de 2014 à 2019, elle passe pour une

"haute représentante monomaniaque" qui "ne cherche qu'à perpétuer la politique européenne de désengagement vis-à-vis de la Russie, quel qu'en soit le coût économique".

Sa rhétorique agressive et unilatérale, souvent exprimée sans consulter les États membres au préalable, a non seulement aliéné les gouvernements ouvertement eurosceptiques et sceptiques à l'égard de l'OTAN en Hongrie et en Slovaquie, mais aussi des pays comme l'Espagne et l'Italie, qui, bien qu'alignés globalement sur la politique de l'OTAN à l'égard de l'Ukraine, ne partagent pas l'évaluation de Mme Kallas selon laquelle Moscou constituerait une menace imminente pour l'UE.

"À l'entendre, on dirait que nous sommes en guerre avec la Russie, ce qui n'est absolument pas la position de l'UE",

 s'est plaint un fonctionnaire européen.

Techniquement, le rôle de la haute représentante est de représenter le consensus des États membres en tant que prolongement du Conseil, et non d'agir en tant que décideuse politique supranationale indépendante. Pourtant, Mme Kallas interprète son rôle autrement, agissant régulièrement comme si elle s'exprimait au nom de tous les Européens - une approche autoritaire et antidémocratique, symptomatique d'une tendance plus large, exacerbée par Mme von der Leyen.

Malgré ses discours en faveur de la démocratie, Mme Kallas occupe un poste sans aucun mandat démocratique. Non seulement elle n'a jamais été élue à son poste actuel, mais son parti, le Parti réformiste estonien, a obtenu moins de 70 000 voix lors des dernières élections européennes, soit moins de 0,02 % de la population européenne. Von der Leyen a toutefois nommé à des postes clés dans les domaines de la défense et de la politique étrangère des fonctionnaires baltes partageant les mêmes idées, issus d'une région qui compte à peine plus de six millions d'habitants. Ces nominations reflètent l'alignement stratégique entre les ambitions centralisatrices de von der Leyen et la vision ultra-belliciste de la classe politique balte. Toutes deux partagent un engagement indéfectible envers la ligne de l'OTAN et une profonde hostilité envers toute diplomatie avec Moscou.

Le zèle anti-russe de Kallas en fait un choix tout indiqué pour ce poste. Cependant, on mentionne rarement que la famille de Kallas, loin d'avoir été victime de l'oppression soviétique, a mené une vie relativement confortable au sein de l'establishment soviétique, ou de ce qui pourrait être considéré comme la classe moyenne soviétique.

En réalité, Kaja Kallas est issue de l'une des familles politiques les plus puissantes d'Estonie, dont l'ascension a été grandement facilitée par le système soviétique qu'elle diabolise aujourd'hui. Son père, Siim Kallas, était un membre influent de la nomenklatura soviétique, puis une figure clé de la politique estonienne post-soviétique. Il est ensuite devenu Premier ministre, puis commissaire européen pendant plus de dix ans. Personne ne sera surpris d'apprendre qu'immédiatement après avoir terminé ses études, en 2010, Kaja a décidé de se lancer en politique en rejoignant le Parti réformiste, le parti de son père, et qu'elle a suivi ses traces en s'installant à Bruxelles après avoir été Première ministre de 2021 à 2024. Difficile de ne pas penser que la continuité de l'élite et les privilèges hérités ont joué un rôle. On peut également se demander, compte tenu de son éducation, si son attitude anti-russe agressive relève d'une conviction sincère ou d'une couverture servant son ambition personnelle.

Une anecdote illustre particulièrement son attitude géopolitique. En 2023, alors qu'elle était encore Premier ministre, trois grands journaux estoniens ont réclamé sa démission après avoir révélé que l'entreprise de transport de son mari poursuivait ses activités avec la Russie, malgré l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Elle a balayé le scandale d'un revers de la main et a refusé de démissionner, affirmant ne pas avoir commis le moindre écart de conduite. Cette attitude lui a valu d'être accusée d'hypocrisie : d'un côté, elle exige l'isolement économique total de la Russie, tandis que de l'autre, elle ferme les yeux sur les relations commerciales de sa propre famille avec ce pays.

Tout bien considéré, Mme Kallas semble manifestement dépourvue des qualités nécessaires à l'exercice de ses fonctions, enchaînant les dérapages. Récemment encore, elle a réussi à se mettre à dos presque tous les citoyens irlandais en suggérant que la neutralité de l'Irlande tient au fait qu'elle n'a pas connu d'atrocités telles que les "déportations massives" ou la "répression de la culture et de la langue" - une déclaration pour le moins étrange, compte tenu de la longue histoire de l'Irlande sous domination coloniale britannique et des affrontements sanglants des conflits nord-irlandais.

"Le zèle anti-russe de Kallas en fait la candidate idéale pour ce poste".

Certaines de ces bourdes ont des conséquences bien plus graves. Lors d'une récente réunion avec le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, Mme Kallas a exigé que la Chine condamne les actions de la Russie en Ukraine et se conforme à "l'ordre international fondé sur des règles". M. Yi, d'ordinaire modéré, lui a répondu sèchement, rappelant que la Chine, qui n'a pas soutenu militairement la Russie, compte bien éviter que Moscou ne soit vaincue, sous peine de s'attirer les foudres de l'Occident. Il faisait peut-être allusion à une remarque précédente de Mme Kallas : "Si l'Europe ne peut pas vaincre la Russie, comment pourra-t-elle s'attaquer à la Chine ?" Qu'un haut fonctionnaire de l'UE présente les affaires mondiales en des termes aussi crus et conflictuels illustre un manque de nuance diplomatique stupéfiant.

Que Mme Kallas se permette de donner des leçons à la Chine sur le droit international et "l'ordre fondé sur des règles" traduit non seulement une cécité criante face au déclin de l'Europe sur la scène mondiale, mais aussi une méconnaissance profonde de la perception du deux poids deux mesures de l'UE à Pékin et dans le reste du monde. Alors qu'elle condamne haut et fort les attaques russes contre les civils, l'UE a systématiquement blanchi, voire approuvé sans réserve, les atrocités commises par Israël à Gaza. Un rapport récemment divulgué de l'UE a confirmé que Bruxelles sait depuis longtemps qu'Israël commet des crimes de guerre à Gaza, notamment "la famine, la torture, des attaques indiscriminées et l'apartheid". Pourtant, Kallas n'a ni condamné Israël ni remis en question les liens entre l'UE et Israël. Elle n'a pas non plus réagi aux menaces américaines d'annexer le Groenland et a soutenu le bombardement américano-israélien de l'Iran, pourtant une violation flagrante du droit international.

Ces positions moralisatrices sélectives portent un coup durable à la crédibilité de l'UE, en particulier auprès des pays du Sud. Cependant, attribuer toute la responsabilité à Mme Kallas serait erroné. Ce n'est pas Mme Kallas qui devrait nous préoccuper le plus, mais le système qui l'a portée au pouvoir - un système qui récompense les bellicistes les plus virulents, qui fait peu de cas de la démocratie et remplace l'art de gouverner par des gesticulations sur les réseaux sociaux. Si l'Europe persiste dans cette voie, elle ne perdra pas seulement sa place dans le monde, mais s'affirmera comme l'expression la plus frappante du glissement généralisé de l'Occident vers la kakistocratie, c'est-à-dire le gouvernement des pires, des moins qualifiés et des plus incompétents.

Traduit par  Spirit of Free Speech

* Thomas Fazi est chroniqueur pour UnHerd et traducteur. Son dernier livre, The Covid Consensus, a été coécrit avec Toby Green.

 unherd.com

 ssofidelis.substack.com