Par Naram Sarjoun
Pour l'écrivain et patriote syrien, Naram Sarjoun, dans toute société existent des forces qui jouent le rôle de la lame d'acier d'une épée et des forces qui jouent le rôle de la poignée. Sous le règne d'Al-Joulani, après l'assassinat de ceux qui sont considérés comme des « minorités », la séparation entre ces deux forces se poursuit par des manœuvres d'élimination de la classe commerçante sunnite. Une cassure qui prive les Syriens de leur arme la plus précieuse, car à quoi servirait une lame d'acier sans poignée et que ferait la poignée d'une épée sans sa lame ?
Ci-dessous, la traduction condensée de larges extraits de son article du 12 juillet courant expliquant le processus d'une telle cassure et ses conséquences tragiques. [NdT].
____________________________________________
Les prédateurs ayant exténué le peuple syrien par la guerre et la pauvreté, pendant 14 ans, lui ont tendu un piège censé exaucer un beau rêve : « le rêve sunnite ».
Le rêve chimérique de se débarrasser de l'Iran et de sa prétendue volonté de les convertir au chiisme, d'en finir avec la pauvreté imposée par un siège international hermétique, de s'ouvrir à nouveau sur le monde en profitant du pluralisme et de la démocratie.
Mais ceux qui savaient qu'il ne s'agissait que de chimères et voyaient les Syriens danser dans les rues, saluant l'occupation de leur pays comme une libération, n'en croyaient pas leurs yeux. Comme les Irakiens qui avaient dansé devant les chars américains prétendument libérateurs, les Syriens ont dansé [le 8 décembre dernier] devant les véhicules Douchka transportant des combattants d'Al-Qaïda et de Hay'at Tahrir al-Cham [HTC] entrés dans Damas sous protection aérienne américaine et israélienne, tandis que l'Armée arabe syrienne qui leur faisait face était bombardée. Même les ennemis ont été quelque peu surpris avant de réaliser que les médias régionaux et internationaux méritaient leur admiration, pour avoir transformé l'esprit sunnite au point qu'une grande partie d'entre eux avaient fini par transformer en amis ceux qui ne voulaient que le mal pour leur pays.
Une transformation d'autant plus étrange que, jusqu'ici, l'ennemi craignait les Sunnites du Levant car, depuis les exécutions de nationalistes levantins ordonnées par l'Ottoman Jamal Pacha al-Saffah le 6 mai 1916, ils avaient mené toutes les batailles contre le colonialisme ottoman et occidental, participé à toutes les guerres en soutien de la Palestine, et constitué le principal bloc d'où sont sortis les principaux partis nationalistes et patriotiques arabes.
En effet, bien que le Parti social-nationaliste syrien [PSNS] ait été fondé par un chrétien [Antoun Saadé], la plupart de ses dirigeants et de ses membres étaient sunnites. De même en ce qui concerne le Parti socialiste de la résurrection arabe [le parti Baas] inspiré par la réflexion d'un alaouite et dirigé par un chrétien [Michel Aflak], mais dont la véritable force de frappe et de réaction était sunnite.
Dès lors, les puissances coloniales comprirent que leur ennemi le plus dangereux était l'alliance entre les Sunnites et les autres composantes religieuses et ethniques du Levant. En effet, les forces anti-obscurantistes étaient principalement dirigées par les composantes non Sunnites, tandis que le bloc sunnite fournissait les vastes rassemblements nationaux efficaces et l'économie qui les soutenait.
Ainsi, la « Grande révolution syrienne » contre le mandataire français [1925-1927] a été menée par un Druze du Sud syrien [le Sultan Pacha al-Atrache] tandis que les blocs économiques sunnites de Damas lui fournissaient l'argent et du matériel.
De même, lors de la première insurrection contre les forces françaises [la Révolte alaouite ;1919-1920] menée par le Cheikh Saleh al-Ali, les Français pensaient que les Alaouites ne pouvaient pas financer une révolution ni acheter des armes en raison de leur extrême pauvreté, avant de découvrir que Saleh al-Ali était financé par Ibrahim Hanano, un Kurde sunnite, et une partie de la bourgeoisie sunnite du nord de la Syrie.
Aujourd'hui, les planificateurs et les prédateurs qui ont traqué « la proie syrienne » [*] ont brisé la plus forte des alliances levantines : celle des forces non sunnites avec les forces sunnites par le jeu de la prétendue oppression de ces derniers. Si bien que la soi-disant révolution syrienne semble s'être quasiment transformée en révolution sunnite dont l'objectif est de redonner le pouvoir aux Sunnites par la récupération d'un symbole : celui de la présidence de la République. Et peu importe si le président alaouite priait à leur côté en la mosquée des Omeyyades, que ses enfants aient épousé des Sunnites, qu'il ait refusé la normalisation avec les ennemis de l'Islam en général et des Sunnites en particulier, ou qu'il ait soutenu et accueilli tous ceux qui travaillaient pour libérer les Palestiniens majoritairement sunnites.
Désormais, l'attention des Sunnites arabes s'est détournée de la Palestine vers une seule cause : qui gouverne Damas ? Les Druzes sont devenus des ennemis et sont humiliés ou assassinés en pleine rue. Les Alaouites sont devenus les cibles de massacres et de persécutions, [tandis que les Chrétiens sont poussés à l'exode par les mêmes procédés appliqués aux précédents]. Le tout sans aucune protestation officielle des Sunnites arabes. Une indifférence qui témoigne de l'engourdissement de la nation...
Et maintenant que les Sunnites arabes se sont laissés dépouiller de l'arme de la diversité leur accordant une puissance supplémentaire, le colonialisme mènera une guerre féroce pour dépouiller les Sunnites syriens, et les Arabes en général, de tout ce qu'il leur reste de force.
Le processus a déjà commencé par l'application de lois destructrices et iniques contre les commerçants de Damas, l'objectif final étant que l'économie sunnite devienne incapable de développer la société en l'absence de l'esprit éclairé et révolutionnaire que les minorités lui apportaient, et que les dites minorités ne puissent plus présenter d'initiatives efficaces sans la grande puissance sunnite et son influence économique.
Entretemps, à Damas comme à Alep, la classe commerçante est en train d'être progressivement remplacée par une nouvelle classe fin prête à cet effet. Une nouvelle bourgeoisie directement liée à l'étranger, à commencer par la Turquie, les services du renseignement turcs ayant déjà établi la liste des élus. C'est la vengeance de la Turquie dont l'analyse des causes de sa perte de contrôle sur la Syrie lui a fait découvrir le rôle essentiel de la puissance économique des commerçants sunnites syriens, ainsi que la nécessité de les placer directement sous la férule d'Istanbul. Et bien que le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, soit venu à leur rencontre dès décembre 2024 pour les rassurer, la réalité montre qu'il a cherché à les anesthésier en leur promettant que leur argent et leur avenir seraient en sécurité, alors que son armée commerciale et économique destinée à les remplacer planifiait et distribuait des parts du marché syrien.
Une autre classe commerçante liée aux Pays du Golfe se prépare également à gérer le processus d'élimination de la classe commerçante syrienne, par le biais de contrats obtenus auprès des nouveaux dirigeants de Damas, avec l'accord tacite de la Turquie.
De plus, une unité d'invasion économique israélienne se prépare aussi à obtenir sa part en créant une classe commerçante qui profiterait de ses liens avec les blocs économiques israéliens et procède, à grande échelle, à l'acquisition de certains secteurs économiques.
Autant de menaces signifiant que tout propriétaire d'un capital ou d'une activité commerciale doit être conscient qu'il doit soit quitter la Syrie et laisser l'arène aux nouveaux arrivants, soit attendre son tour pour être éliminé.
Quant à la froideur de la réaction sunnite aux massacres des non Sunnites, délibérément exagérée et mise en avant par les réseaux sociaux, elle a donné aux Alaouites, aux Druzes et aux Chrétiens l'impression que les Sunnites ne se soucient que du sang des Sunnites. Parallèlement, la froideur des composantes non sunnites devant l'érosion débutante de la classe commerçante sunnite damascène, par exemple, a été prise pour de l'indifférence, comme si son appauvrissement ne se répercuterait pas sur tous.
Tel est le processus ayant permis la séparation des forces qui se soutenaient mutuellement et constituaient la principale force de la Syrie. Il consacrera une nouvelle partition du pays dans le cadre d'un nouvel accord du type Sykes-Picot, fondé sur des composantes conflictuelles ne ressentant plus que leur propre douleur.
Par conséquent, les Syriens sont dans une course contre la montre. Soit ils se réveillent, se réunissent et restaurent cette équation magique qui a créé la belle Syrie que nous connaissons, soit ils se préparent pour des siècles de ténèbres et d'humiliation.
L'équation pour une Syrie grande et forte n'est pas qu'elle soit gouvernée par des Sunnites ou des non Sunnites. Elle implique plutôt que les Sunnites prennent conscience du fait que leur force ne réside ni dans leur nombre ni dans leur économie, mais plutôt dans la valeur ajoutée par les dites minorités qui ont donné au bloc sunnite l'épée et le bouclier.
Une épée dont les Sunnites formaient la lame d'acier et les non Sunnites formaient la poignée. Mais l'épée est brisée...
Naram Sarjoun
12/07/2025
Source : le blog de l'auteur
بعد قتل الاقليات.. تجريف الطبقة التجارية السنية.. تمهيدا للانتقام التركي من السنة العرب... فصل النصل عن مقبض السيف..
Traduction de l'arabe par Mouna Alno-Nakhal
[*] [ Qatar : Voici venu le temps des aveux...]
Source : Mouna Alno-Nakhal
Notre dossier Syrie