15/07/2025 legrandsoir.info  36min #284170

 Géométrie différentiée de la déshumanisation. Partie 1 : La spirale de la terreur dans le prisme de l'imaginaire ténébreux d'une civilisation en métamorphose indigente

Géométrie différentiée de la déshumanisation. Partie 3 : Le maillage de la triangulation des valeurs ambivalentes

Erno Renoncourt

Nous terminons notre caillasserie sur la géométrie différentiée de la déshumanisation par cet article qui, pour des raisons d'argumentation, est un peu plus long que d'habitude. Nous espérons que, par-delà sa longueur et son ''extravagance'' (démarche analytique consistant à tendre, par des références judicieuses, l'arc argumentaire de notre raisonnance pour mieux bander sa pertinence critique), les rares lecteurs et les lectrices, qui le liront jusqu'au bout et avec ouverture d'esprit, ne regretteront pas le temps consacré à sa lecture. Notre métier d'enseignant et notre réalité de sujet insulaire, confiné dans un lieu dont la morphologie géographique rappelle la douleur (l'ouverture béante des deux mâchoires d'un crocodile affamé) et dont les faits historiques invitent à la fuite, ont laissé en nous le délire du verbe. Un verbe que nous mettons à contribution pour approprier notre situation de la déshumanisé à l'aune de l'indigence globale du monde. Tant pis si cela gêne et dérange certains. Nous assumons notre appartenance anthropologique à un projet historique dont la finalité originelle a été de troubler l'ordre esclavagiste qui faisait la gloire et la grandeur de l'Europe. C'est dans cette filiation atypique que se situe notre chant insolent, libre aux autres d'avoir leur propre filiation idyllique.

Aujourd'hui, nous mettrons en évidence le maillage qui voile la triangulation abrutissante qui permet aux élites globalistes occidentales d'asservir l'humanité pour faire régner le profit et la croissance qui conviennent à leur abondance. C'est ce voile qui empêche à certains de comprendre que l'arbitraire que dénonce Djamel Labidi n'est au vrai que le sommet visible d'une triangulation abrutissante qui tisse son voile dans les profondeurs de la conscience humaine pour légitimer ses méfaits et ses forfaits. Car pour faire régner l'ordre indispensable à la performance du profit et de la croissance, il faut un arbitre. Et quoi de plus légitime que l'arbitraire d'un arbitre ! car il a en amont l'immunité que confère la fonction, et en aval l'impunité qui le déresponsabilise aux yeux de ceux et celles qui croient dans les vertus de l'arbitrage.

Nous avons postulé, précédemment que l'impuissance collective durable est toujours le résultat d'un processus d'abrutissement performant qui consolide, dans le silence et l'indifférence du monde opulent, l'invariance de la déshumanisation de certains peuples, livrés aux mille défaillances. La performance de ce processus d'abrutissement réside dans le fait qu'il est maintenu dissimulé derrière des processus d'anoblissement. Lesquels se renouvellent à travers des valeurs ambivalentes, dont les dimensions effectives de prédation sont occultées, alors que les dimensions attractives et fictives de protection sont médiatisées. Entretenir ce processus, durablement et de manière performante, exige de voiler ses dimensions fonctionnelles, en tissant autour d'elles des lignes épaisses d'enfumage qui finissent par se structurer en un maillage cauchemardesque et terrifiant dont la densité et l'efficacité verrouillent les peuples sur leur impuissance devant l'invariance de leur exploitation sans limite.

Grâce à cette triangulation d'enfumage, la globalisation peut prendre son aise : la déshumanisation invariante de certains peuples, voie royale de l'exploitation de l'homme par l'homme, à laquelle elle se livre avec performance, est promue à un bel avenir. De fait, ceux et celles qui sont suffisamment clairvoyants pour se déchausser des œillères du prisme de l'enfumage culturel dominant, peuvent observer combien l'impuissance collective des peuples et l'invariance de la déshumanisation d'un grand nombre d'entre eux sont des processus auto-organisés. Car elles sont profondément structurées par l'insouciance, l'indifférence, l'ignorance et l'indigence d'une grande majorité de la population mondiale. Pour cause, celle-ci méconnaît la configuration de base à partir de laquelle l'Occident se métamorphose dans des triangulations isomorphes (même structure) pour présenter au monde ses projets de double standard à valeurs différentiées, en miroitant leurs attraits de liberté, de pouvoir d'achat, de rayonnement, de stabilisation, de protection et de développement pour mieux abrutir l'homme et le dresser contre l'humain.

Existence, Conscience, Connaissance et Intelligence

Toute l'intelligence des stratèges de la globalisation réside dans le fait qu'ils sont parvenus, par le biais d'expériences de manipulation de l'esprit humain et de contrôle mental, ( le macabre projet MK Ultra en est un exemple) à s'infiltrer dans les failles de la conscience humaine, et à y déverser les ressources de leurs projets. Or, contextuellement au principe d'Archimède, toute ressource, éthiquement contraignante, introduite dans le champ intelligible de l'esprit d'un être humain, ayant la conscience des complexités, doit être rejetée, en subissant une résistance proportionnelle et opposée à la charge des médiocrités que cette ressource contient. Si cela n'a pas lieu, c'est parce que le champ intelligible de cet être a été fissuré par la pesanteur des contraintes et des précarités de son écosystème. Ainsi, sa conscience effondrée ne peut plus approprier la complexité et résonner dans les vibrations éthiques pour résister aux médiocrités de l'existence. Cet être se doit d'évider sa conscience, car contraint de devenir suffisamment flexible pour se situer à hauteur des basses eaux culturelles, au niveau de l'alignement où l'Occident déverse et étend les ressources ambivalentes de ses projets, et qu'il offre en gage à ceux et celles qui se soumettent à sa domination.

Et c'est là que les architectes du chaos ont mis en échec les capacités des peuples à résister, en érodant les gradients du champ de leur conscience, les rendant inaptes à rejeter les ressources médiocres qu'on leur propose. Ce qui a sans doute contribué à enfumer le feu rougeoyant de la vigilance et de la bienveillance qui scintillait au cœur de la conscience humaine, et devait agir comme flambeau d'éclairage pour forcer le passage dans les âges sombres. L'enfumage aidant, l'intelligence éthique de l'homme a été déroutée, car la flamme bleue de la dignité qui l'entretient a été obscurcie. Ce qui rend l'homme incapable d'évoluer vers sa transcendance, et de vivre dans le culte de l'altérité et dans la foi d'une humanité condamnée à partager une même communauté de destin. D'où l'affaiblissement des capacités de résistance collective des peuples, d'où l'infirmité cognitive qui prend possession du monde et voile les formes isomorphes paradoxales, hybrides et différentiées de la géométrie de la déshumanisation.

C'est donc là, dans les profondeurs des failles béantes de la conscience humaine, qu'il faut se situer pour comprendre comment se renouvelle invariablement le cycle de l'extermination ou de la déshumanisation des populations non exploitables, jetables et indomptables. Un renouvellement qui reste invisible, car passant par les failles occultées de la conscience humaine. Failles creusées par l'insouciance ou l'abandon du souci de l'autre, lisez celui qui est éloigné de sa culture et de son humanité ; l'absence de vigilance envers les signaux faibles de l'environnement local et global ; l'indifférence vis-à-vis des problèmes du monde ; l'indisponibilité pour la quête de sens devant l'urgence de la survie face aux incertitudes. Autant de failles insoupçonnées qui altèrent pourtant durablement l'intelligence collective et structurent l'impuissance, qui permet au cycle de la déshumanisation de se renouveler invariablement. Et comme selon Edgar Morin « La conscience des complexités suppose un esprit à la fois bienveillant et vigilant », nous pouvons assumer que la perte de la vigilance et le déficit de la bienveillance, dans lesquelles vit la grande majorité de l'humanité, sont les ferments qui facilitent l'inconscience, le déni de la complexité. Autant de défaillances humaines qui nourrissent l'impuissance collective et structurent l'invariance de l'exploitation sans limites.

Empressons-nous de dire qu'en faisant l'éloge de l'intelligence de la complexité et en postulant de l'état d'infirmité cognitive dans lequel évolue une grande partie de l'humanité, nous ne revendiquons aucun rayonnement académique et intellectuel. Nous sommes de ceux qui croient que l'intelligence n'est pas une affaire de rayonnement et de parcours académique. Car, ce sont ceux qui vivent plus longtemps avec les problèmes et qui osent trouver dans les douleurs, les violences, les privations de leur quotidien, la plus petite étincelle à projeter, comme une brèche, vers ceux et celles qui agonisent dans l'obscurité de l'impuissance, qui ont plus de chance de connaitre et de transformer le monde. Pour connaitre il faut sentir et oser dire sa douleur, ce qui suppose la pleine conscience de son existence. Tout ce que nous interdit la déshumanisation que recherche, in fine, la globalisation, puisqu'elle nous contraint à désensorialiser notre existence pour acquérir ses ressources.

Nous parlons sous l'autorité des neuro sciences et de l'intelligence de la complexité. En effet, selon Antonio Damasio, ce sont nos émotions qui nous donnent la connaissance de la vie dans le corps et rendent cette connaissance consciente (Sentir et savoir. Une nouvelle théorie de la conscience, 2021, Odile Jacob, p.27). En outre, selon Edgar Morin, « la connaissance n'est rien qu'un échange par lequel nous restituons par le langage (mots et images / textuel et graphique) ce que le monde nous a donné » (Le vif du sujet, p.372, Points/Seuil n°137).

En conséquence aussi incohérente que parait notre caillasserie, elle n'est pas moins une raisonnance intelligente. Car la vraie intelligence jaillit, non de la renommée du parcours académique, non de la rationalité que l'on s'applique à soutenir, mais dans les liaisons entre les profondeurs obscures et psychoaffectives qui font vibrer la mémoire des douleurs, et la flamme vive, agile, intranquille de la conscience (Edgar Morin, Les sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur, 2000, Seuil, p.65) qui fait scintiller l'insolence. C'est donc une reliance hybride entre existence douloureuse assumée, conscience irradiante de la complexité du monde, cognition intranquille qui nous permet d'approprier l'intelligence contextuelle pour soutenir notre thèse insolente : la déshumanisation qui prend possession du monde est le résultat de l'inintelligibilité du monde pour la grande majorité. En effet, conditionnée à évider sa conscience, abandonner sa vigilance, autorouter son intelligence vers la malice, la ruse, pour faire de la place et accueillir les ressources que donne la globalisation, une grande part du monde vit entre ignorance, indifférence, insouciance et insignifiance. Ce qui est le terreau idéal pour l'enfumage qui structure l'impuissance, l'invariance et l'indigence.

L'arbitraire comme sommet émergent du triangle de la déshumanisation

Toutefois, le brasier, au-dessus duquel s'élève l'enfumage qui obscurcit et protège les valeurs déshumanisantes de la géostratégie de la globalisation, est si intense et immense, qu'il arrive que le crépitement de son feu ardent laisse transparaître quelques étincelles de son horreur. Ainsi, avec un brin de satisfaction, mais sans pour autant nous en prendre la tête, nous constatons que notre axiomatique de la spirale de l'indigence pour tous, comme mode de déploiement de la barbarie que pratique l'Occident, tend à se confirmer de plus en plus. Par-delà les nuances d'analyse et d'écriture, de nombreux observateurs, avisés, lucides et contextuellement compétents, comprennent et osent soutenir courageusement : qu'il y a un même « arbitraire » derrière les agissements de l'Occident sur les différents théâtres du monde. En témoigne l'excellent  article de Djamel Labidi, lequel, par une analyse d'une clarté chirurgicale, dissèque et cartographie les différents modes d'agir à double vitesse de l'Occident sur l'échiquier mondial. Un mode d'agir condescendant, mais sans respect, si vous vous soumettez à sa domination ; un mode d'agir déshumanisant, plein de racisme latent, si vous vous élevez à hauteur de dignité pour récuser sa domination et assumer votre identité.

En contextualisant l'article susmentionné de Labidi, nous pouvons soutenir que face aux États qui contestent son hégémonie et aux peuples qui cherchent à vivre dans l'autodétermination, selon les valeurs de leur culture, sans se laisser influencer par les injonctions des valeurs universelles ambivalentes, l'Occident recourt aux mêmes postures, qui ne sont que des impostures :
1. Il décrète l'existence d'une menace pour la sécurité mondiale ou une violation des règles de droit qu'il impose à tous, sans lui-même les respecter (posture d'agitation de la peur) ;
2. Il recourt, en sourdine, à un réseau anobli de journalistes, d'éditorialistes, d'analystes publicistes et d'experts de service pour hypermédiatiser cette menace (posture de la propagande) ;
3. Mobilisation de ses réseaux institutionnels internationaux de service, selon le contexte, cela peut être la commission des droits de l'homme de l'ONU, la cour pénale internationale, l'agence de l'énergie atomique, l'organisation des États américains (Posture de protection par l'évocation du devoir d'ingérence humanitaire) ;
4. Passage à l'arbitraire avec ou sans mandat de l'Onu, humiliation et liquidation des chefs d'État, Changement de régime
5. Destruction sur le temps de la cohésion de ces États et pillage de leurs ressources naturelles.

On retrouve une stratégie mortifère en 5 actes planifiés de main de maître par les maîtres de l'Empire. Toutes les activités de ce cycle sont fragmentées pour être opérationnalisées sur des espaces géographiques distincts et par une pléiade d'acteurs sans lien apparent. Et toujours distanciés dans le temps, pour laisser l'illusion de l'usage du droit et du recours à la diplomatie.

Au-delà de cette première observation tirée de l'analyse de Labidi, nous pouvons aussi noter que les cibles de cette stratégie sont toujours les États dont les sous-sols regorgent de ressources contextuelles convoitées par l'Occident, et dont les régimes politiques présentent une de ces deux caractéristiques (ou les deux en même temps) :
1. Recherchent l'indépendance économique et/ou politique,
2. Rejettent les ajustements culturels déviants de l'Occident.

De ces deux observations, nous pouvons proposer une certaine modélisation de cette stratégie mortifère qui est opérationnalisée en 3 sous-processus :
1. Elle est Déclinée en projets recherchant théoriquement des objectifs de valeurs prétendument démocratiques et universelles ;
2. Elle est promue par des hérauts et exécutée par des acteurs médiatiques, académiques et politiques, tous anoblis préalablement par l'Occident ;
3. Ses vraies finalités sont toujours voilées et dissimulées en étant segmentées, morcelées en des valeurs intermédiaires dispersées dans le temps et externalisées sur différents espaces géographiques.

L'arbitraire que dénonce Labidi correspond donc à un modèle structurant qui se déploie en trois cycles, en apparence distincts, mais fortement reliés. Un modèle qui est conçu exclusivement pour abrutir, humilier et, au besoin, exterminer, selon ce processus global d'attrition stratégique qui doit mettre l'humanité au pas, sous la domination des élites globalistes qui forment le leadership du pouvoir mondial. Et ce qui invisibilise les finalités stratégiques de cette mise au pas, c'est que l'arbitraire, qui le caractérise, se déploie, à travers des projets aux objectifs ambivalents, décousus et segmentés. En effet, les objectifs de ce processus global sont promus par des acteurs isolés, indépendants et compétents en apparence, car ayant reçu un certain rayonnement ou anoblissement comme crédit médiatique. Mais cette indépendance sert au vrai à segmenter et à dissocier les objectifs, en facilitant la délocalisation, l'externalisation, la synchronisation ou la dématérialisation, pour ainsi dire la virtualisation de leur opérationnalisation. Une astuce qui permet de donner une certaine valeur ajoutée aux objectifs en créant l'illusion d'une concordance de vue entre acteurs isolés, indépendants et anoblis.

Et c'est là que l'anoblissement ou le rayonnement reçu en gage, par ces acteurs indépendants, devient un enfumage, car tout en permettant de donner plus de valeur ajoutée aux projets qu'ils promeuvent, il crée du lien entre les acteurs et leurs promoteurs. Il devient ainsi une dépendance et agit comme un crédit qui crée des obligations d'intérêts par un endettement qui contraint à renoncer à l'intelligence, jusqu'au bout de la désensorialisation de son existence. Souvenez-vous de l'expérience de Milgram dans le film I comme Icare qui contextualise l'embrigadement des vassaux qui vont se soumettre servilement aux ordres les plus abjects, en croyant agir au nom de l'Autorité. Une Autorité qui peut selon le contexte prendre le visage de la Science, de la Justice, du Droit, de la Démocratie et des Libertés individuelles.

Mais parler uniquement d'arbitraire, pour caractériser les projets immondes de l'Occident et les crimes impunis auxquels ils donnent lieu, relève d'un euphémisme, pour ne pas dire d'une banalisation (involontaire, contrainte par le choix de mots neutres) du mal. Et pour cause ! Car l'arbitraire renvoie uniquement à la nature juridique infondée ou à la dimension factuelle insensée des agissements de l'Occident, en totale violation des normes et des règles. Et c'est là le piège, car les règles, les normes, les faits, les principes juridiques et le souci des intérêts des autres que viole l'Occident, par ses agissements arbitraires, sont tous des enfumages qui servent à masquer le mode relationnel primitif que développe l'Occident avec les autres. D'ailleurs l'auteur assume que : La propagande est le procédé habituel qu'utilise l'Occident pour masquer l'objectif recherché quand il est impossible à légitimer. En résumé, si l'objectif visé est de réduire la population mondiale, quoi de plus intelligente comme propagande que de dissimuler ce sombre dessein derrière des objectifs nobles comme l'amélioration des services de santé et d'éducation en Afrique sur les 20 prochaines années. Qui osera contester la noblesse et l'humanisme d'un tel projet ? Qui refusera d'y prendre part ?

Empressons-nous de redire que croire de bonne foi et/ou prendre part aux valeurs d'enfumage que promeut l'Occident, ne signifie pas être soi-même un enfumeur ou un fossoyeur de la dignité humaine. Toutefois, ne pas être responsable de l'enfumage de ces valeurs n'interdit pas de les questionner. Voilà pourquoi, il faut une veille informationnelle active et une cognition intranquille, pour chercher des données éloignées et contradictoires à relier, des objectifs différentiés et segmentés à fusionner, en creusant sous la surface, peut orienter vers la conscience d'une brèche pour saisir l'indicible. Et c'est là le bug, car cette conscience n'est pas une pure rationalité qui nous conduira à la vérité, mais seulement, comme aurait dit Edgar Morin, « la lueur ou le flash qui éclaire la brèche » et guide vers les profondeurs abyssales incertaines. En ce sens, l'arbitraire n'est que la pointe émergée de l'iceberg géostratégique de la déshumanisation sur lequel l'Occident se tient confortablement au frais, pour semer le chaos, la fureur, la terreur et l'horreur dans le monde.

Une telle posture d'opacité exige que les citoyens soient systémiquement armés et incessamment vigilants pour ne pas se laisser abrutir par les multiples formes d'impostures. Or, c'est justement ce que cherche à faire le projet consumériste de la globalisation : abrutir l'homme pour le dresser contre l'humain, afin de mieux déshumaniser ou exterminer les populations jetables, non exploitables et indomptables. C'est en ce sens que l'auteur, producteur et éditeur Dominique Blumenstihl - Roth conseille et suggère à l'être, qui veut rester libre et digne, de « constamment veiller à se dégager des dictatures de toutes sortes qui, à tout moment, pourraient se refermer sur les consciences assoupies dans le confort des illusions. À surveiller, la dictature de l'idéologie (...) (occidentale), celle qui nous semble tellement vertueuse - qui, sous couvert de fonctionnement démocratique n'est qu'un leurre de liberté au travers d'une pseudo-émancipation fondée sur le projet consumériste » ( Référence).

Mais une telle recommandation ne vient d'un esprit atteint de paranoïa, mais d'un être qui sait que derrière le projet consumériste, il y a une volonté inavouée d'anéantir l'être, de briser sa droiture : d'abaisser sa dignité, de nier son humanité, dès lors le confondre ou même le réduire en-deçà de son « ombre animale », pour extirper sa capacité réflexive » ( Référence).

Faut-il encore prouver le besoin de caractériser la déshumanisation au-delà de l'arbitraire visible ?

Caractériser la déshumanisation au-delà de l'arbitraire visible

C'est pour cela que c'est plus en profondeur, loin de la surface des injustices visibles par tous, que nous allons descendre et creuser, pour explorer la partie immergée et occultée de cet iceberg. Car c'est là, dans les nappes des eaux souterraines, troubles et tumultueuses, que se structurent les formes les plus massives, les plus ambivalentes et les plus barbares de cette géométrie différentiée de la déshumanisation que beaucoup peinent à percevoir. Et c'est pour cela que le shithole est un lieu privilégié de grande complexité pour approprier les lignes géométriques, troubles, fourbes et courbes, sur lesquelles navigue l'Occident, quand il arpente le monde pour creuser dans les écosystèmes les failles qui lui permettent de drainer les ressources de ses projets de double standard. Car de toute éternité le shithole expérimente la barbarie de l'Occident derrière ses projets.

Au Programme des Nations Unies pour le Développement (où nous avons travaillé comme expert en système d'information décisionnelle pour le renforcement des institutions judiciaires haïtiennes (mais aussi dans d'autres projets financés par d'autres agences internationales comme la Banque Mondiale, l'Organisation Internationale du Travail, l'USAID, l'Union Européenne), nous avons été un témoin privilégié de l'imposture des projets à géométrie variable ou à valeur différenciée de l'Occident. Alors qu'en amont, ils décrètent des objectifs de renforcement institutionnel, d'État de droit et de démocratie ; en aval, tous les fonctionnaires et experts, internationaux sous la supervision desquels nous avons fourni nos consultations, ont été unanimes à reconnaître, dans les corps à corps insolents que nous avons eus avec eux, qu'ils n'ont pas besoin d'intelligence pour travailler en Haïti. Car un shithole, c'est fait pour expérimenter les privations et la paupérisation, afin de conditionner le plus grand nombre à accepter la soumission et la déshumanisation comme unique voie de survie.

Et s'il faut soumettre et déshumaniser massivement, à quoi peut bien servir l'intelligence dont la finalité est de libérer et d'humaniser ? Il est manifeste que dans un lieu, structuré pour rester dans une impuissante et invariante agonie, ceux qui sont dépêchés en mission d'expertise n'ont pas besoin d'intelligence et de compétences spécifiques. Car si la finalité est que ce lieu soit toujours en défaillance, pour mobiliser plus facilement en son nom des fonds et promouvoir le business de l'assistance internationale, quel gâchis se serait que d'y envoyer de l'intelligence ! Pensez-vous vraiment, qu'à l'heure où les pays occidentaux cherchent à débaucher les experts des autres pays pour performer leur stratégie de domination sur le monde, qu'il existe une chance que ce soit dans les missions d'assistance et d'expertise des Nations Unies ou des agences internationales en Haïti qu'on trouvera de l'intelligence ?

Ainsi, par-delà l'arbitraire, c'est toute une catégorie d'êtres humains qui est condamnée à subir l'humiliation, les privations et qui est poussée dans les retranchements de la déshumanisation. Là où rôde l'ombre animale, comme au temps du Code Noir. Et c'est justement cette expérimentation du rejet de l'altérité et du déni de l'humanité de ceux et celles qui n'appartiennent pas à son monde à lui qui nous a permis de comprendre combien le processus de la déshumanisation, auquel se livre l'Occident pour ses finalités de croissance et d'abondance, se fait plus subtilement et furtivement derrière le voile attrayant d'une certaine assistance plus totalitaire qu'humanitaire. En effet la déshumanisation ne se limite guère, comme certains le croient, à l'utilisation des artefacts barbares du passé : les chaînes pour brider la liberté et le fer rouge pour tatouer la douleur sous la peau de celui qui est chosifié. Si, aujourd'hui, sur certains théâtres géographiques, elle se fait avec fracas par les bombes, les tortures humiliantes, la privation d'eau et de nourritures à des enfants, jusqu'à leur massacre, comme à Gaza ; elle prend aussi la forme des projets ambivalents, à valeurs différentiées. C'est encore, l'intelligence de la complexité qui nous guide, puisque c'est Edgar Morin que nous approprions en assumant que :
Tout système, qui conçoit des projets à valeurs différentiées, effectives et intégrales pour un groupe ; fictives et à minima pour un autre, est incapable de penser et de résoudre les problèmes du monde, surtout les problèmes éthiques. « Un tel système peut être efficace pour la domination des ressources matérielles, le contrôle des énergies et les manipulations sur le vivant. Mais elle restera myope pour appréhender les réalités humaines et elle devient une menace pour l'avenir humain ». (Edgar Morin, La méthode, Éthique, Tome 6, Seuil, 2008, p.91).

S'il fallait énumérer quelques domaines d'affaires sur lesquels se matérialisent les projets à valeurs différentiées que les agences internationales promeuvent en Haïti, nous pourrions citer :

Le traitement différentié des normes en matière de renforcement institutionnel : ce qui est promu pour Haïti est ce qui est combattu en Occident. En Haïti, des élections avec moins de 10% de participation des électeurs constitue une performance électorale, En Occident, il y a échec quand la participation électorale est en-dessous de 50% de la population des électeurs. Les normes pénitentiaires démocratiques promues pour Haïti en matière d'espace de détention se chiffrent à 0.5 mètre carré par détenu, alors qu'en Occident, réserver 7 mètres carré par détenu est considéré comme un crime odieux.

Le traitement différentié des salaires des fonctionnaires dans les agences internationales : il existe une inégalité criante entre les modes de rémunération des fonctionnaires internationaux et des fonctionnaires nationaux dans les agences internationales. Le principal problème que pose la rémunération des fonctionnaires internationaux est celui de son niveau.

Encore que 8 fois sur 10, ce traitement salarial supérieur accordé à ceux et celles qui ont le bon passeport ou la bonne couleur de peau ne donne lieu à aucune manifestation de compétence ou d'expertise de qualité. Pis encore, dans tous les cas, 10 fois sur 10, ceux qui sont si bien traités ne produisent aucun résultat à valeur ajoutée. Pourtant la rémunération des fonctionnaires internationaux se compose de deux catégories d'émoluments, d'une part le traitement proprement dit, et d'autre part la multiplication des diverses prestations, indemnités ou vacations ( Référence). Alors que le salaire mensuel d'un fonctionnaire international varie entre 17 000 et plus de 30 000 dollars américains et qu'il reçoit, en outre, plus de 5 autres indemnités variables, est logé dans de luxueux hôtels et circule dans des véhicules flambants neufs et blindés ; le fonctionnaire haïtien lui est payé 6 fois moins et n'a même pas droit au paiement du boni annuel. Comment est-ce concevable que des agences des Nations Unies qui promeuvent la justice et l'égalité pratiquent ouvertement de telles discriminations ? Comment ne pas ajouter ce fait choquant : la population, que ces fonctionnaires internationaux, chèrement et grassement payés, sont venus assister, vit, à plus de 60%, avec moins de 1dollar américain par jour ? Car c'est là le vrai scandale : L'argent collecté au nom de la détresse de la population haïtienne sert à 99% à entretenir les agences internationales. Ceux qui en doutent peuvent consulter  ce numéro du journal Courrier International : Où est passé l'argent collecté par les agences internationales pour Haïti ?

Le traitement différentié de la valeur accordée à la vie, selon que ce soit celle des étrangers ou celle des Haïtiens. Quand Haïti brûle et consume sous le feu du chaos, semé en amont pour que l'assistance internationale émerge en aval comme solution de dépendance, les puissances étrangères déploient les grands moyens militaires pour rapatrier leurs ressortissants, tout en abandonnant les Haïtiens à leur malheur, alors que la mission de départ était de les assister. Imaginez un sapeur-pompier dépêché pour sauver des vies sur un lieu qui brûle et qui prend la fuite en voyant le feu s'amplifier. Étrange assistance ! Et le comble du cynisme est qu'une fois rapatriés dans leur pays, ils célèbrent la performance d'avoir pu quitter le shithole sains et saufs, magnifient, dans la plus grande imposture, la résilience du peuple haïtien qui endure depuis des siècles ces privations et ces humiliations, et guettent le retour des jours calmes pour venir relancer de nouvelles campagnes de mobilisation de fonds pour sauver Haïti, et recommencer le cycle : Turbulence, Assistance en Urgence, Errance et Défaillance, Résilience et Invariance. Ainsi on assassine la dignité et tue l'intelligence collective d'un peuple.

Ces trois domaines, qui ne sont guère exhaustifs, nous permettent de conclure avec Tzvetan Todorov que : par-delà l'éducation, la culture ou la civilisation, il y a barbarie chaque fois que les comportements des hommes compromettent la relation avec l'altérité, et portent à ne pas reconnaître la pleine humanité de l'autre qui est lointain, à vouloir lui dédier des projets et lui façonner un monde qu'on ne voudrait ni pour soi ni pour les siens (Référence : Maria Donzelli,  La barbarie de la réflexion, 2011).. En effet, pour Todorov : « Est barbare, (...), celui qui dénie la pleine appartenance de l'Autre à l'humanité. Au contraire est civilisé celui qui, même en s'apercevant de ce que les autres sont différents de nous, reconnaît et admet leur appartenance plénière à l'humanité, et se refuse à les traiter d'une manière qu'il n'aurait pas acceptée pour lui-même ou pour ses proches » (Référence :  Barbarie et messianisme occidental, Entretien avec Pascal Boniface).

Mais cette barbarie, dans sa finalité de projet différentié pour l'autre, sur fond de déni de son humanité, doit être caractérisée comme une déshumanisation et non un arbitraire. Ainsi, le titre, L'Arbitraire, de l'excellent article de Djamel Labidi, nous parait assez adoucissant. Cela étant dit, nous pouvons heureusement nous appuyer sur son essence intelligente pour énoncer un axiome qui ne plaira pas à beaucoup ; notamment à ceux et celles qui vivent dans la foi des valeurs démocratiques de l'Occident et/ou qui en sont les bénéficiaires élus ou promus.

Toute la performance de la géostratégie de la déshumanisation que l'Occident pratique, de manière différentiée, selon les contextes sociaux, repose sur la certitude de son immunité et de son impunité. Il doit son immunité au fait qu'il s'est arrangé pour que l'arbitraire, qu'il déploie, comme expression de puissance et mode relationnel pour contraindre, humilier ou exterminer les autres, ait une dimension légitime. Puisque s'imposant toujours comme arbitre des conflits qu'il génère en amont, l'Occident semble être investi d'une mission messianique de régulatrice d'ordre et de gendarme du monde. L'arbitraire étant légitimé, ses effets mortifères sont ipso facto atténués et banalisés. Puisque la propagande aidant, une grande majorité vit dans la certitude que le monde est partagé en bons et mauvais, civilisés et barbares, démocrates et terroristes. Fort de cette vision manichéenne, beaucoup en viennent à croire qu'il est juste que l'arbitre recourt à la violence, l'injustice pour faire régner la tentation du bien et punir les méchants. La légitimité et la banalité, en voilant les horreurs de l'arbitraire, lui donnent ainsi une aura d'impunité.

Le maillage de la triangulation abrutissante

Il s'en déduit que l'arbitraire n'est qu'un motif du maillage, un des sommets d'une triangulation abrutissante qui passe par ces deux autres sommets que sont l'immunité et l'impunité. C'est à l'intérieur de cette triangulation, portée par des sommets de prédation, d'aliénation et de spoliation que se tissent les lignes fourbes et courbes de la géométrie différentiée de la déshumanisation. Mais ce maillage n'est pas immédiatement accessible à l'intelligibilité de tous. En effet, protégé par une triangulation attrayante (protection, attraction, séduction) elle donne aux élites globalistes occidentales la certitude qu'elles ne risquent rien en violant et en méprisant les règles de droit et de justice, dans lesquelles se retrouve, hélas une grande majorité de la population mondiale. A la vérité, elles savent que ces règles, qu'elles ont conçues et promulguées, n'ont pas d'autre finalité qu'enfumer la conscience de la grande majorité de la population mondiale. De fait, ces règles, n'étant que des outils de manipulation, servent concrètement à stratifier, segmenter et dominer le monde. Elles n'ont donc qu'une valeur ambivalente : valeur effective pour certains et valeur fictive pour d'autres. Et, les stratèges de la géostratégie de la globalisation savent pouvoir compter sur l'indifférence, l'ignorance, l'insouciance et l'indigence d'une grande partie du monde ; laquelle ne se contente que d'avoir le museau rivé dans la gamelle du succès minimal insignifiant confortable qui sied à son bonheur et à sa tranquillité.

Cela ne veut pas dire que tous ceux et toutes celles qui se reconnaissent dans les valeurs promues par les élites globalistes occidentales sont des prédateurs et des fossoyeurs. D'ailleurs, quand quelques-uns, de ce vaste troupeau d'abrutis disséminé dans le monde, parce que croyant de bonne foi dans ces valeurs attrayantes, veulent les appliquer à tous, pour garantir leur inviolabilité et leur distribution équitable, ils sont sanctionnés par le grand arbitre. Car lui seul a le monopole pour interpréter leur limite de validité et décider qui en est digne ou indigne. Ainsi :

En 2022, quand Amnesty International a eu le courage de dire que les autorités ukrainiennes se servaient délibérément des lieux résidentiels densément peuplés pour mener leurs opérations militaires, dan la pure logique des tactiques terroristes, cette organisation internationale de défense des droits humains s'est retrouvée dans la tourmente ( Référence). Au point que pour ne pas perdre ses financements, elle a dû faire marche arrière. En cette même année 2022, je crois (je ne retrouve pas les archives) qu'un général de l'armée allemande ou britannique avait été limogé par sa hiérarchie pour avoir suggérer une approche plus respectueuse de l'Otan envers la Russie.

En 2024, des juges de la Cour Pénale Internationale (CPI) ont émis des mandats d'arrêt à l'encontre du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, et de l'ancien ministre israélien de la Défense Yoav Gallant, dans une volonté d'appliquer impartialement le droit international. Mais le grand arbitre a décidé que ce n'était pas à eux de prendre cette décision, et conséquemment, la CPI a été sanctionnée ( Référence).
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Est-il besoin de mentionner les persécutions, les intimidations, les sanctions, les humiliations que subissent, partout dans le monde, ceux et celles qui, croyant, de bonne foi, dans les valeurs des droits humains, veulent les étendre aux Palestiniens ? N'est-il pas vrai que les États-Unis viennent d'imposer des sanctions à Francesca Albanese, la rapporteure spéciale de l'ONU pour les Territoires palestiniens ? ( Référence).

Ces exemples de cas de double standard, non exhaustifs, ne sont ni hasardeux, ni isolés. Ce sont les manifestations éruptives des projets à valeurs différentiées que l'Occident promeut comme règles de droit pour dominer le monde. Á ce propos, il est pertinent de préciser pour les peuples occidentaux, et ceux d'ailleurs qui vivent dans la foi des vertus démocratiques occidentales, que les attraits démocratiques de leurs institutions ne valent que dans les limites où ils ne font pas ombrage à leur ordre social local, vassal de l'ordre global dominant et déshumanisant. D'ailleurs, nous avons vu en France et en Roumanie comment les résultats des élections ont été parodiés, confisqués, volés, parce qu'ils ne reflètent pas les intérêts de l'ordre global. Et le jour où il y aura dans les pays occidentaux de véritables mouvements de résistance politique populaires qui menacent l'ordre global et qui arrivent au pouvoir, pour faire régner le droit, la justice et la liberté pour tous, il y a aura des coups d'État sanglants et des activités d'escadrons de la mort, comme cela s'était produit en Amérique Latine dans les années 70. L'embargo injuste et immonde, j'allais dit arbitraire, contre Cuba est un autre exemple de double standard : il faut humilier, exterminer ceux qui résistent et choisissent l'autodétermination ; alors même que la charte des Nations Unies proclame haut et fort ce droit comme inviolable et inaliénable. Comprenez-vous enfin pourquoi Haïti a été shitholisé, pour avoir osé contester, résister contre l'ordre esclavagiste ? Faut-il rappeler aux uns et aux autres la malédiction que Napoléon Bonaparte avait jeté aux Haïtiens : «

Ma décision de détruire l'autorité des Noirs à Saint-Domingue (Haïti) n'est pas tant pour des considérations de commerce et d'argent, mais plutôt à cause de la nécessité de bloquer à jamais la marche des Noirs dans le monde

». Et tous les gouvernements occidentaux, depuis, s'y sont appliqués avec performance, par-delà les mille connexions culturelles et les projets d'assistance qui relient Haïti au reste du monde. Sans une bonne appropriation du maillage de la triangulation abrutissante, il sera difficile de rendre intelligibles ces paradoxes.

Et c'est pour cela que l'Occident s'attache si bien à utiliser des boîtes noires pour dissimuler et enjoliver ses objectifs douteux et immondes, derrière des valeurs universelles de droits humains. Valeurs que beaucoup, hélas, considèrent comme fondées, légitimes et justes, alors qu'elles ne sont jamais effectives, car incapables de souder l'humanité dans une même communauté de destin. Au vrai, derrière l'ambivalence qui magnifie les valeurs différentiées de la globalisation, il y a un spectre d'enfumage que diffuse un certain prisme d'attraction symbolique. C'est lui qui symbolise la configuration de base dans laquelle l'Occident se métamorphose pour obscurcir les formes géométriques de la déshumanisation différentiée qu'il met en œuvre. Protection, Anoblissement et Séduction sont les trois sommets de la triangulation attrayante. Mais au fond, cette triangulation n'est que la forme générique qui porte en elle les formes hybrides d'autres triangulations occultées, Pillage, Arbitraire, Spoliation ; Paupérisation, Asservissement, Ségrégation ; Prédation, Aliénation, pour d'autres.

C'est ce que nous tentons de modéliser avec les illustrations du précédent et du présent article. Elles offrent une vision de la triangulation stratégique que réalise, avec ruse, l'Occident pour mettre, par traîtrise, le monde au PAS de sa puissance et de sa domination. C'est là une stratégie plus que performante qui confirme le statut de « la pensée libérale comme la forme la plus savante de la pensée économique » ( contretemps.eu), puisqu'elle permet de neutraliser la résistance collective des peuples pour faciliter la libre circulation et la foisonnante germination des valeurs du marché (pouvoir d'achat, liberté individuelle, réussite économique). Pierre Bourdieu n'avait-il pas soutenu que l'essence du néolibéralisme se cristallise dans sa mutation à s'imposer comme « programme de destruction des structures collectives capables de faire obstacle à la logique du marché pur » ( Référence) et comme « utopie (en voie de réalisation)) d'une exploitation sans limites » ( Référence) ?

En effet, quelle plus performante utopie que celle de dissimuler l'exploitation, la prédation, l'aliénation et la spoliation derrière la médiatisation de valeurs différentiées et ambivalentes ! Effectives pour certains et fictives pour d'autres. Comment ceux et celles qui sont les bénéficiaires de ces valeurs peuvent-ils douter de leur dimension fictive, quand, majoritairement, ils n'ont ni la disponibilité, ni la cognition, ni la volonté pour approprier une réalité qui leur est lointaine ? Comment ceux qui n'ont pas accès à ces valeurs peuvent-ils résister à l'envie d'y accéder quand ils ont la preuve qu'elles sont effectives pour les élites anoblies qui brillent de performance sur les théâtres de la culture mondiale ? Et c'est cela justement l'une des marques de la performance du néolibéralisme : il a su transformer les élites locales de tous les pays en un cercle d'acteurs sociaux anoblis et influents, mais insignifiants et asservis (Christian Harbulot, Didier Lucas, La guerre cognitive. L'arme de la connaissance, 2004, Lavauzelle). Un tel anoblissement médiatique est ce qu'on peut appeler, dans le cadre de la guerre cognitive, une stratégie de ruse pour abrutir massivement, tout en conquérant les cœurs et les esprits (Daniel Nikoula, Dave Mcmahon, Guerre cognitive : conquérir les cœurs et les esprits, 2024, Laboratoire sur l'intégrité de l'information). Plus besoin d'affrontement direct, de violence excessive.

L'illustration du présent article dévoile le tracé d'un maillage insoupçonné dont chaque ligne tissée verrouille l'humanité sur une posture qui réduit ses degrés de liberté et obscurcit la flamme de la dignité qui devait la guider vers sa transcendance. Tandis que le contenu formalise les métriques occultées de la triangulation de trois sous processus primaires qui matérialisent l'engrenage d'un processus stratégique global, méconnu, par lequel l'Occident rythme les pas de sa performance. Un sous-processus formé pour promouvoir les projets à valeurs différentiées qui promeuvent un monde basé sur des règles de droit et sur la liberté ; un sous-processus formé pour fournir par l'anoblissement et le rayonnement les adjuvants du succès ; et enfin un sous-processus formé pour concevoir les stratégies de morcellement et de stratification, appelées à dématérialiser et à virtualiser la finalité globale recherchée.

Chaque pas performant de ce processus global, chaque relation métrique sur les lignes courbes et fourbes du maillage de cette triangulation, met l'humanité au pas de la domination de l'Occident. Il en résulte un pas à pas paradoxal : anoblissant et performant en amont, abrutissant et déshumanisant en aval. Un pas à pas si lent et si gluant qu'il semble figer et fossiliser l'évolution des sociétés humaines dans l'impuissance, l'insignifiance, l'indifférence, l'insouciance, l'ignorance et l'indigence. Cet abrutissement est si bien structuré qu'il est devenu même attractif en ce premier quart du XXIème siècle, puisqu'il confère à de nombreux acteurs sociaux, qui en sont les victimes, une certaine aura d'insignifiant anobli. Et avec la guerre cognitive qui s'est perfectionnée, par le biais des artefacts de l'intelligence artificielle (IA), les victimes de la géostratégie de la globalisation se sont métamorphosées en des automates influents, sorte de crétins digitaux à succès, qui répandent l'évangile de la globalisation, sans parfois avoir conscience sa charge spectrale de déshumanisation différentiée. Certains vont même jusqu'à s'endetter éthiquement pour posséder quelques attributs de consommation et quelques motifs rayonnants à exhiber. Ainsi, ils acquièrent un anoblissement qui leur donne l'illusion d'une certaine réussite. Et comme celle-ci offre une certaine protection contre les précarités déshumanisantes, qui sont réservées aux autres, insoumis, indomptés, etc..., elle les engage et les contraint au silence, à l'indifférence, à l'insouciance devant la déshumanisation des autres.

Ainsi, la triangulation attrayante, dans laquelle déambule l'Occident, n'est que le reflet dissimulé, d'un processus d'attrition stratégique (PAS), qui permet de transmettre de la puissance et de la performance à une minorité, et de l'impuissance et de l'invariance à une grande majorité. C'est dans ce prisme d'attraction symbolique (PAS), dont les faces sont des miroirs déformants, que la grande majorité de la population mondiale s'admire, se contemple et se projette. Ce prisme déformant est la figure générique la plus stable et le motif le plus ostensible qui permet aux élites globalistes de réguler les pas de l'asservissement de la population mondiale. Et cela, en exploitant les failles méconnues de la conscience humaine. Failles qui permettent, inconsciemment, de transformer l'homme en fossoyeur de sa propre humanité et en rouage autorégulé de la mécanique de son aliénation et de son exploitation sans limites.

Tout l'enfumage est là : Á chaque valeur attrayante, promue en amont, il y a une contre-valeur horrifiante, obstruée en aval ; de sorte que l'essentiel reste voilé et tissé dans un maillage dont les lignes courbes et fourbes structurent, au cœur d'une triangulation de terreur, cette spirale de l'indigence pour tous qui est la configuration parfaite de la géométrie différentiée de la déshumanisation.

Comprenez-vous enfin pourquoi très peu dans le monde sont capables de décoder le spectre de l'enfumage que diffuse le prisme de l'attraction symbolique de l'Occident et donc de saisir les nuances ambivalentes pour lui résister ? Ainsi perdure, dans le cycle des performances de la globalisation, le cycle de l'invariance de l'exploitation sans limites de l'homme. L'invariance de la performance de l'exploitation de l'homme par l'homme témoigne donc de l'affaiblissement du champ cognitif de l'homme et de l'évidement de la conscience l'humaine par les attractions de la globalisation.

Face à la performance de cet abrutissement massif, il convient de trouver un ancrage de résistance, comme barycentre de cette triangulation, où les peuples du monde entier regrouperaient leur intelligence pour forger une internationale contre l'indigence. De mon point de vue insulaire, cela ne peut être qu'un lieu d'apprentissage où chacun, individuellement, et chaque société, collectivement, sous l'avant-garde de leurs élites conscientes, intranquilles, insoumises, consentiront à questionner, à problématiser les valeurs que fait miroiter l'Occident dans ses projets, avant de s'y projeter pour les vénérer. Car, puisque tout don entraîne un contre don, c'est la nature bienveillante et authentique de celui qui donne qui doit devenir le critère de la recevabilité de ce qui est donné.

Ainsi, si la loi du libre marché est fondée, et que c'est la demande qui régule l'offre, l'apprentissage collectif pour repenser, dans le sens de la protection de la dignité de l'humain, les rapports avec les valeurs que promeuvent les élites globalistes occidentales, doit pouvoir réduire l'intensité du maillage de l'abrutissement massif. Ce qui peut ouvrir une brèche d'intelligibilité pour que l'humanité apprenne à s'extraire des sangles de la spirale de l'indigence, en brisant la structure de l'iceberg géostratégique de la déshumanisation différentiée.

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