26/07/2025 journal-neo.su  6min #285381

 Après le sommet des Brics à Rio : quelles perspectives d'avenir pour le bloc dans un monde dominé par la majorité globale ? (Partie 1)

Après le sommet des Brics à Rio : gouvernance mondiale et compétition institutionnelle. Partie 2

 Ricardo Martins,

Alors que la confiance dans les institutions s'effrite en Occident, les BRICS misent sur la crédibilité et la représentativité - et non uniquement sur le poids financier - pour façonner l'avenir de la gouvernance mondiale.

Cet article explore la vision présentée dans la déclaration finale du sommet, ainsi que les questions soulevées par des experts du monde entier.

Les BRICS annoncent une nouvelle étape dans le débat sur la gouvernance mondiale

Lors de leur sommet de 2025 à Rio, les BRICS ont réaffirmé leur ambition de remodeler l'architecture de la gouvernance mondiale. La déclaration finale souligne l'engagement du groupe en faveur d'un « ordre international plus démocratique, représentatif et équitable », reflétant une frustration persistante à l'égard des institutions dominées par l'Occident. Le bloc réaffirme son soutien à une réforme de l'ONU, notamment à l'extension du Conseil de sécurité afin de mieux refléter les réalités géopolitiques actuelles et de renforcer la représentation des pays du sud global.

Les BRICS se positionnent ainsi à la fois comme réformateurs et comme alternative aux institutions existantes. L'accent mis sur le renforcement de leurs propres structures, telles que la Nouvelle Banque de Développement (NDB) et l'Accord de Réserve de Contingence, démontre une volonté d'institutionnalisation progressive. Ces outils ne sont pas présentés comme parallèles, mais comme complémentaires, destinés à « renforcer la coopération Sud-Sud » et à « favoriser la stabilité financière ».

Le groupe plaide également pour un monde multipolaire où « aucun pays ou groupe ne domine ». Affirmant les principes de souveraineté et de non-ingérence, les BRICS remettent en question la légitimité des sanctions non approuvées par le Conseil de sécurité de l'ONU. Ils défendent ainsi un discours où la compétition institutionnelle s'accompagne d'un plaidoyer pour une plus grande légitimité, réaffirmant que l'ordre mondial post-occidental doit refléter les voix du Sud global.

Une force constructive ou un simple contrepoids ?

La question de savoir si les BRICS sont une force constructive de la gouvernance mondiale ou un simple contrepoids aux puissances établies divise les experts interrogés. L'analyste pakistanais Naik Wazir décrit le groupe comme « un contrepoids aux institutions occidentales en proposant des alternatives, sans intention d'affrontement ».

Depuis l'Inde, Soumyajit Gupta affirme que les institutions des BRICS agissent davantage comme médiateurs que comme concurrents véritables, soulignant « le sous-emploi, l'hétérogénéité interne et le manque de suivi ». Le contraste est flagrant entre les 300 milliards de dollars de prêts annuels de la Banque mondiale et les quelque 70 projets approuvés par la NDB depuis sa création.

L'expert russe Andreï Kortunov propose une analyse plus nuancée : les BRICS « favorisent le commerce entre leurs membres » et pourraient « développer des approches communes non occidentales face aux problèmes mondiaux ». Le commerce intra-BRICS a cru de 10,7 % par an au cours de la dernière décennie, contre 3 % pour le commerce mondial.

Dédollarisation : entre ambition et réalité

La réduction de la dépendance au dollar est l'un des objectifs les plus ambitieux des BRICS. Mais comme le souligne le Marocain Yassine El Bouchikhi, tant que le groupe n'affronte pas « le coeur du problème, à savoir l'hégémonie du dollar et son usage comme arme », les efforts resteront limités.

Pour le Turc Celal Çetin, la domination du dollar remonte à la fin de la convertibilité-or par Nixon, et toute tentative de créer une véritable alternative devra surmonter un lourd héritage structurel.

Le Russe Gueorgui Toloraïa reconnaît que les avancées vers une monnaie commune stagnent, en raison de la forte dépendance des membres au système dollar.

Innovation institutionnelle et compétition mondiale

Malgré ses limites, le BRICS a créé des instruments inédits comme la NDB et l'Accord de réserve. Claudya Piazera (Brésil) y voit « un modèle plus participatif de gouvernance mondiale, rejetant l'approche centrée sur l'Occident ».

L'Iranien Amir Maghdoor Mashhood, lui, reste sceptique : les BRICS sont « moins une alliance géopolitique qu'un forum d'opportunités économiques ». Leurs intérêts économiques priment sur une vision commune.

Pour le Dr Alexander (EAU), les BRICS « mettent en lumière les limites des institutions existantes » comme le FMI ou l'ONU, tout en permettant un engagement constructif sans tomber dans des logiques de confrontation.

Réforme de l'ONU et du Conseil de sécurité

L'approche des BRICS concernant la réforme du Conseil de sécurité de l'ONU révèle à la fois les ambitions du bloc et ses contradictions internes. L'expert russe Toloraïa souligne que « fondamentalement, tous les États membres des BRICS s'accordent à dire que la structure actuelle de l'ONU (et en particulier la composition du Conseil de sécurité) est obsolète, car elle ne reflète que les réalités de 1945, et non celles du monde actuel. »

Tous les membres des BRICS s'accordent à dire que la structure de l'ONU est obsolète. Mais les divergences demeurent sur la manière de la réformer. L'Inde et le Brésil sont soutenus verbalement par la Russie et la Chine, mais ce dernier reste réticente à partager leur pouvoir, notamment avec l'Inde, selon Soumyajit Gupta (Inde).

Le consensus d'Ezulwini, porté par l'Union africaine, exige au moins deux sièges permanents avec droit de veto. Mais même les BRICS jugent cette revendication peu réaliste. Cela illustre les tensions entre la rhétorique de représentation du Sud et les intérêts nationaux de chacun.

Climat et gouvernance technologique

La gouvernance des technologies et du climat révèle les ambitions mais aussi les divisions internes. Le lancement d'une déclaration commune sur la gouvernance de l'IA constitue une avancée, mais les visions diffèrent. La Russie et la Chine veulent un internet contrôlé, là où l'Inde prône l'ouverture.

Sur le climat, la COP30 au Brésil pourrait être un moment clé. Mais les producteurs d'hydrocarbures (Russie, Chine, Iran, Arabie saoudite) préfèrent une transition lente, quand d'autres membres sont plus ambitieux.

Conclusion

En somme, les BRICS ont encore un long chemin à parcourir pour façonner la gouvernance mondiale selon les aspirations du Sud global. Comme le souligne l'experte kenyane Jasleen Gill, si les BRICS veulent être une force de réforme, ils doivent d'abord affronter leurs propres asymétries internes.

Ricardo Martins - Docteur en sociologie, spécialiste des politiques européennes et internationales ainsi que de la géopolitique

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