publié le 31/07/2025 Par Olivier Berruyer
L'Allemagne, le Royaume-Uni et les Pays-Bas ont été différemment frappés par la crise du Covid puis par celle de 2022. Le retour de l'inflation et la crise des prix énergétiques ont impacté l'économie de ces pays de différentes manières. Si les deux premiers ont peiné lors de la crise énergétique, les Pays-Bas en ont au contraire profité. Et si le Royaume-Uni montre des signes de reprise, certes modérée, en 2025, le cas de l'Allemagne est nettement plus inquiétant pour l'avenir de la zone euro.
1- Allemagne : une économie pétrifiée depuis trois ans
2- Royaume-Uni : un Brexit pas si problématique
3- Pays-Bas : un pays qui résiste plutôt bien aux crises
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En Allemagne, une économie pétrifiée depuis la crise de 2022
En Allemagne, l'observation du Produit Intérieur Brut (le fameux PIB, c'est-à-dire, en simplifiant, la valeur de ce que le pays a réellement produit) montre clairement la robustesse de l'économie germanique qui a beaucoup moins souffert des différentes crises depuis un demi-siècle. Elle montre toutefois des signes d'étouffement depuis deux ans, en raison de la crise des coûts énergétiques générés depuis la guerre en Ukraine.
Le PIB allemand du premier trimestre 2025 est très proche de son plus haut historique. La crise économique de 2020 a été de moindre ampleur que dans beaucoup de pays européens. La situation s'est normalisée en 2021 et l'économie s'est remise à croître. Mais la crise de 2022 a alors durablement frappé le pays, qui était très dépendant au gaz russe à bon marché : son PIB stagne depuis lors.
Si l'on s'intéresse à la croissance du PIB allemand (c'est-à-dire à la valeur de sa hausse ou de sa baisse), le pays n'a connu qu'une récession de -4 % en 2020, rapidement compensée en 2021. En 2023, la croissance a chuté, se transformant en une légère décroissance de -0,3 %, qui s'est poursuivie en 2024 avec -0,2 %.
En 2025, la croissance devrait rester nulle, les prévisions tournant autour de +0 %. Cependant, la guerre commerciale lancée par Trump contre l'Europe en général (30 % de droits de douane) et l'Allemagne en particulier pourrait nettement aggraver les choses. En effet, l'Allemagne génère l'essentiel du déficit de l'UE avec les États-Unis. Mais comme les droits de douane extérieur sont été transférés à Bruxelles, c'est l'ensemble de l'UE qui est frappé par ces droits importants « mutualisés », qui auraient été bien moindres pour la plupart des pays sinon, et bien plus élevés encore pour l'Allemagne.
Hors crise, depuis une dizaine d'années, la croissance allemande fluctue donc entre +1 % et +3 % par an.
L'analyse des contributions sectorielles à la croissance au cours des dernières années révèle que la croissance allemande était largement entretenue par la consommation et l'investissement. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, le commerce extérieur a une contribution assez faible en moyenne. C'est lié à un effet du mode de calcul du PIB. En réalité, les exportations allemandes reculent, mais les importations reculent encore plus fortement.
Un PIB par habitant pénalisé par l'explosion de l'immigration en Allemagne
Le recours au PIB trimestriel par habitant permet de mieux analyser l'évolution du niveau de vie moyen. Il est en effet important de tenir compte de la croissance démographique : si le PIB augmente de +1 % et que la population augmente de +2 %, la richesse par habitant baisse en réalité de -1 %. Cet indicateur est donc beaucoup plus pertinent pour apprécier la croissance réelle d'une économie.
L'Allemagne, pourtant en déclin démographique naturel, a connu deux chocs démographiques importants en 2015 et 2022, lorsque le pays a ouvert en grand les vannes de l'immigration, turco-syrienne d'abord puis ukrainienne ensuite. À chaque fois, cela a permis de faire cesser le déclin démographique : la population a même augmenté à un rythme de plus de 1 % par an.
Si le solde naturel (c'est-à-dire les naissances moins les décès), s'établit à -300 000 habitants chaque année, le solde migratoire des deux années des pics s'est élevé respectivement à + 1 million et +1,5 million d'immigrés (à titre de comparaison, il est seulement de + 170 000 en France).
La prise en compte du facteur démographique change donc les choses : après la crise de 2020, il a fallu deux ans au PIB allemand par habitant pour retrouver son niveau d'avant crise, mais il ne cesse de diminuer depuis lors. La production par habitant est donc désormais inférieure à celle de 2019, et elle se situe même au niveau de celle de 2017. La situation semble grave pour le moteur économique de l'Europe.
Sur le temps long, comme dans beaucoup de pays occidentaux, la dynamique de croissance du PIB trimestriel par habitant en Allemagne s'est essoufflée depuis 15 ans, peinant à dépasser les 2 %. Cela fait trois ans que le PIB par habitant est en décroissance ; il est actuellement à -0,1 %, en hausse, car le robinet à migrants a été largement ralenti.
Enfin, durant la décennie 2010, l'économie allemande a nettement surperformé par rapport à celle de la France, ce qui n'était pas le cas durant la décennie précédente.
Depuis les années 1960, une croissance qui ralentit moins qu'ailleurs
Pour prendre du recul sur la dynamique de croissance allemande, on peut observer la croissance décennale depuis les années 1960. On remarque que le phénomène des Trente Glorieuses a pris fin avec les crises des années 1970, mais que depuis les années 1980, la croissance moyenne a diminué moins qu'ailleurs, en particulier en raison du rebond des années 2010, décennie portée par la mondialisation et boostée par l'euro, qui a largement bénéficié à l'Allemagne.
La baisse constatée depuis les années 1970 est liée à différents facteurs. En particulier, les Trente Glorieuses ont été induites par la forte mécanisation du pays et l'introduction de techniques ayant fait exploser la productivité. Mais il est désormais de plus en plus dur de continuer à l'augmenter.
Sur le temps très long, cet affaiblissement progressif de la croissance du PIB par habitant se vérifie : hors guerres, il faut remonter jusqu'aux années 1890 pour retrouver une croissance du PIB par habitant aussi faible sur l'ensemble d'une décennie que celle observée en 2000-2019.
À l'échelle d'une vie humaine, on a l'impression qu'on vit une « panne » de la croissance, et donc les responsables politiques baratinent sans cesse la population, promettant le « retour de la croissance » pour peu qu'on les élise. Bien entendu, ceci n'arrive jamais, pour la bonne raison que la croissance a retrouvé son très bas niveau historique. « L'anomalie », c'était les Trente Glorieuses.
Royaume-Uni : un Brexit pas si problématique
Le Royaume-Uni a connu une évolution économique globale assez proche de celle de la France, avec un PIB d'un niveau équivalent - le Royaume-Uni devançant notre pays.
L'économie britannique a subi une très grave crise en 2020 ; la baisse trimestrielle du PIB a été supérieure de 6 points à celle de la France. Cela a laissé des traces, et il a fallu du temps à l'économie pour récupérer. À peine l'avait-elle fait qu'elle a été durement frappée par la crise de 2022 et l'économie a stagné à son niveau de 2019 durant deux ans.
Au Royaume-Uni, la croissance de 2022 a donc très fortement ralenti pour atteindre +0,4 % en 2023 et +1,1 % en 2024. Pour 2025, les prévisions tournent autour de +0,8 % à +1,2 %, mais ces dernières datent d'avant la guerre commerciale lancée par Trump, qui n'épargne pas son allié soumis (10 % de droits de douane).
On note que, contrairement à la rengaine entretenue par les grands médias, le Brexit n'a pas eu d'effet notable à long terme sur la croissance du Royaume-Uni. C'est logique, car cet ensemble de pays a négocié un accord de libre-échange avec l'UE, et les liens économiques sont au final assez proches de ceux avant la sortie de l'UE.
Les conséquences du Brexit sont essentiellement de nature politique, pas économiques : le Royaume-Uni a retrouvé sa souveraineté politique, et il vote des lois comme bon lui semble. Certaines sont bonnes, d'autres non, mais ce sont ses lois, qu'il vote désormais sans demander d'autorisation à Bruxelles.
Hors crise, la croissance britannique fluctue globalement entre +1 % et +3 % par an depuis une dizaine d'années.
Au niveau des contributions sectorielles, la croissance britannique est en général entretenue par la consommation des ménages. Le commerce extérieur a en moyenne une faible contribution, ce qui est peu étonnant pour un pays aussi désindustrialisé.
Une évolution du PIB par habitant proche de celle du PIB
Depuis de nombreuses décennies, le Royaume-Uni disposait comme la France d'une démographie robuste. Elle se maintient outre-Manche, avec une croissance de l'ordre de +0,7 % par an. Si le solde naturel a fondu depuis 2020, l'immigration reste en général soutenue, et le pays a accueilli plus de 1 million d'immigrés ces 3 dernières années.
En conséquence, le PIB par habitant du Royaume-Uni a nettement diminué depuis le début de 2022, avant de rebondir en 2025.
Sur le temps long, comme dans beaucoup de pays occidentaux, la dynamique de croissance du PIB trimestriel par habitant au Royaume-Uni (hors crise) s'est plutôt maintenue depuis 20 ans, se situant entre +1 à +2 %. Mais lors de la crise de 2022, ce PIB par habitant a décru, au rythme de -1 % par an. Il augmente désormais au rythme d'environ +0,7 % par an.
Sur longue période, l'économie du Royaume-Uni a une évolution très proche de celle de la France depuis la crise de 2008. Elle connait ses propres problèmes, mais il est assez trompeur de tout attribuer au Brexit.
Depuis 50 ans, une croissance britannique en atterrissage
Sur le temps long, on s'aperçoit que la croissance britannique a connu une sorte d'atterrissage progressif depuis ses niveaux des Trente Glorieuses (moins hauts qu'ailleurs), passant de +3 % à environ +1 %. La première moitié des années 2020 est quasiment à l'équilibre.
Au final, la croissance du PIB par habitant du Royaume-Uni est retombée à un niveau plus classique d'environ + 1 % par an, mais ce niveau est lui-même renforcé depuis deux siècles, ce pays ayant été le cœur de la Révolution industrielle.
Pays-Bas, un pays qui résiste plutôt bien aux crises
Les Pays-Bas, cinquième plus grosse économie de l'Union européenne, ont connu une évolution économique globale assez proche de celle du Royaume-Uni.
La crise économique de 2020 a été de bien moindre ampleur dans ce pays que dans beaucoup de pays européens. Le pays n'a connu aucune crise en 2022 ; bien au contraire, la croissance y a été très forte en raison du rôle central de « hub commercial » du pays par lequel entrent beaucoup de marchandises pour l'UE via le port de Rotterdam.
La production économique a donc été boostée par l'explosion des prix de l'énergie importée, dont le transit a généré de plantureux profits. Le contrecoup de la baisse des prix en 2023 a entrainé une petite récession, mais l'économie est repartie en 2024.
Aux Pays-Bas, la croissance de 2022 a donc été exceptionnelle, atteignant +5 %, suivie d'une baisse de -0,6 % en 2023 et d'une hausse de +1,1 % en 2024. Pour 2025, les prévisions tournent autour de +1,1 % à +1,4 %, mais ces dernières datent d'avant la guerre commerciale lancée par Trump : les 30 % de droits de douane et leurs conséquences vont certainement impacter négativement les Pays-Bas.
Hors crise, la croissance néerlandaise fluctue globalement entre +2 % et +3 % par an depuis une dizaine d'années.
Au niveau des contributions sectorielles, la croissance néerlandaise est en général entretenue par la consommation des ménages et un fort investissement des entreprises.
Un PIB par habitant en croissance soutenue
Depuis de nombreuses décennies, les Pays-Bas disposaient comme la France d'une démographie relativement robuste. Elle se maintient avec une croissance de l'ordre de +0,6 % par an. Si le solde naturel a diminué depuis 2020, l'immigration reste en général soutenue.
En conséquence, le PIB par habitant a nettement diminué depuis le début de 2022, avant de rebondir en 2024.
Sur le temps long, la dynamique de croissance du PIB trimestriel par habitant aux Pays-Bas (hors crise) s'est plutôt maintenue depuis 20 ans, se situant entre +1,5 à +2,5 %. Mais lors de la crise de 2022, ce PIB par habitant a décru en raison du boom de l'immigration jusqu'à -1 % par an. Il augmente désormais au rythme soutenu d'environ +1,8 % par an.
Comme ailleurs, une croissance néerlandaise en atterrissage
Sur le temps long, on s'aperçoit que la croissance des Pays-Bas a connu une sorte d'atterrissage progressif depuis ses niveaux des Trente Glorieuses, passant de +5 % à environ +1,5 %. La première moitié des années 2020 est proche des +1 %.
Un tel atterrissage de la croissance en Occident est sans conteste de bon augure pour la Planète. Mais pour que cela soit également bon pour les citoyens, il conviendrait de réorganiser en profondeur l'économie, afin de conserver notre prospérité avec une croissance bien plus faible que par le passé.